Et voilà, j'ai fini de visionner et de commenter la série en 48 52 62 semaines. C'était un exercice à la fois passionnant, drôle et parfois un peu fatigant, mais toujours satisfaisant.
Que de chemin parcouru : et quand je repense à mon premier commentaire qui faisait quelques lignes et se terminait par "C'est tout pour cette fois! Je ne sais pas si j'aurai autant de choses à dire pour les prochains épisodes...", ça me fait bien marrer! Je dois vous dire que j'ai appréhendé quasiment tous les épisodes comme cela, avec, juste avant de le visionner, la pensée "Oh purée, je ne vais VRAIMENT rien avoir à dire sur cet épisode..." et finalement, un détail accrochait l'oeil, une petite incohérence narrative, et ça venait tout seul.
Honnêtement, je n'avais jamais regardé la série comme cela, en faisant attention au moindre micro-détail. J'avais pris l'habitude faire des pauses très régulièrement, à chaque action ou changement de scène, pour tout observer : quand je notais un truc, il suffisait de dérouler le fil.
Exemple : "Tiens, ce calendrier accroché au mur de la chambre, est-ce qu'il correspond à la chronologie de la série, comme depuis le début? Ah ben non, ce n'est ni février, ni mars 1987. Ah mais il y a des photos épinglées dessus : ça peut correspondre à un mois plus ancien, lequel?" Et là, je tombe sur juillet 1987, l'été emblématique de la série avec l'épisode de l'île déserte : c'est complètement génial quand ça arrive!
Bien sûr, beaucoup de petites erreurs et de faux raccords sont soit dus à des petits oublis de vérification de la cohérence, soit à des choix artistiques volontaires de l'équipe de réalisation. Le cinéma reste l'art de l'illusion et quelle que soit l'oeuvre que vous regardez, vous pourrez toujours voir les petits raccourcis et incohérences que le réalisateur introduit pour garder la fluidité de la narration.
Pour reprendre l'exemple du calendrier, il est fort possible que le dessinateur n'ait pas spécialement fait attention au mois qui était représenté. Mais n'oublions pas non plus que chacun de ces dessins prenaient des HEURES à réaliser, ce qui laisse largement le temps de réfléchir à ces choix artistiques. Et donc, peut-être que ce n'était pas du tout un hasard mais un choix volontaire : un "easter egg" laissé par un dessinateur il y a près de 40 ans, qui ne se doutait pas du tout que cet épisode, initialement, destiné à être vus une seule fois à la télévision, serait scruté avec autant d'attention!
La rédaction après cela était particulièrement jouissive, surtout quand j'ai commencé à insérer dans la narration les choses qui me faisait rire moi-même. Car oui, après avoir mariné une erreur ou une incohérence pendant quelques jours, quand une blague surgissait dans ma tête, j'en profitais autant que vous : je rigolais aussi! J'aime bien cette idée que notre créativité ne vient pas vraiment "de nous", mais d'un ailleurs et que nous n'en sommes que le réceptacle (on appelle ce concept la "noosphère"). Notre seul job, c'est de se mettre à écrire, de créer : le fait que l'idée vienne ou ne vienne pas, ça ne dépend pas de nous. Il faut être reconnaissant quand elle arrive, et ne pas s'auto-critiquer quand elle n'arrive pas. J'espère en tout cas que ces idées que j'ai ainsi "captées" vous auront diverti!
La série KOR est véritablement une œuvre unique. Elle l'est certes d'un point visuel, narratif et musical, également dans la construction des personnages et les émotions qu'elle procure. Mais aussi parce que c'est un puit sans fond de choses à examiner, à comprendre, à analyser. La récompense, c'est que plus on fait attention aux détails, aux relations entre les choses, plus on comprend et on apprécie en profondeur les subtilités de la narration et les relations entre les personnages.
Si j'en retenais deux exemples emblématiques, ce serait d'une part :
- le thème de l'eau. Il est omniprésent dans la première moitié de la série. En interprétant les différentes manifestations de l'eau comme représentant l'humeur et l'état intérieur de Madoka, je n'ai jamais eu l'impression de "couper les cheveux en quatre". Cela faisait parfaitement sens.
- le thème de la photographie et du cinéma, également omniprésent : c'est véritablement l'ADN de la série TV. Le récit est à la fois "une histoire" mais aussi "un souvenir de cette histoire" (la photographie) et "la mise en scène de cette histoire pour la rendre la plus vivante et la plus attrayante possible" (le cinéma).
J'ai aussi radicalement changé de vision sur la relation et l'évolution du trio amoureux. Avant je croyais en une forme de valse-hésitation de Kyosuke entre Madoka et Hikaru, indécision sur laquelle insiste plusieurs épisodes, et en une Madoka un peu distante, dont on ne connaissait pas vraiment les sentiments réels jusqu'au dernier épisode. Aveugle que j'étais!
En revoyant la série, il est pour moi évident qu'Hikaru n'avait aucune chance. Si Madoka n'avait pas existé, peut-être que Kyosuke se serait laissé tirer dans une relation un peu à sens unique avec Hikaru, et encore... Mais Kyosuke est rivé sur Madoka depuis le début, il ne pense qu'à elle, et la seule raison pour laquelle d'autres le trouvent "hésitant", c'est que tout le monde est persuadé qu'il est en couple avec Hikaru. Kyosuke n'est charmé par Hikaru (mais jamais amoureux) qu'à quelques reprises, mais il la considère comme une amie ou une petite sœur plus qu'autre chose.
Et Madoka? Au début de la série, elle est intéressée mais pas amoureuse. Quand la relation évolue, elle cherche à passer de plus en plus de temps possible avec Kyosuke, toujours parce qu'elle a bon feeling avec lui. Son passé et son naturel méfiant font qu'elle éprouve du mal à s'ouvrir et à entrer en intimité avec quelqu'un d'autre. Mais toutes ces mises à l'épreuve ne sont jamais des points de rupture (sauf à de rares occasions quand le voyage dans le temps est impliqué) et elle laisse toujours à Kyosuke la possibilité de revenir ou de se rattraper : et quand il le fait, elle ne s'en rapproche que d'autant plus. Car si Kyosuke a des côtés "gentil ado crétin", ce visionnage m'aura révélé ses multiples qualités, à commencer par ses valeurs, la droiture, le courage et la résilience.
La relation évolue tranquillement, conduisant au rapprochement des deux protagonistes. Et on arrive à l'épisode sur l'île déserte, qui est vraiment le tournant de la série : car dans les épisodes qui suivent, la relation entre Kyosuke et Madoka est totalement stabilisée. Et à ce moment, pour ceux qui en doutent encore, relisez mes commentaires et revoyez les épisodes mais c'est une évidence : après l'île déserte, Madoka est raide dingue de Kyosuke. Vraiment vraiment : parfois j'ai même l'impression qu'elle est plus amoureuse de lui qu'il ne l'est d'elle!
Hikaru est hors course, définitivement. En fait, même si au premier visionnage, j'avais été frustré que la "situation Hikaru" n'ait pas été réglée (je ne savais pas qu'ANK existait), elle l'était de fait, et depuis longtemps, même s'il n'y avait pas eu d' "explication".
D'ailleurs concernant Hikaru, je dois dire que la série ne la met vraiment pas en valeur : j'ai de l'affection pour le personnage, mais je me rends compte a posteriori que c'est surtout grâce à ANK et à Shin KOR, dans lesquels elle est particulièrement touchante. Mais dans la série, à de rares occasions qui rattrapent un peu le personnage, je la trouve assez insupportable (ne tapez pas trop fort, les Hikaru-fans!) Elle voit bien que Kyosuke ne s'intéresse que moyennement à elle, mais elle s'accroche à l'espoir que ses sentiments deviendront réciproques à un moment ou à un autre : elle s'attache exagérément à n'importe quelle action ou parole de sa part qu'elle interprète (souvent à tort) comme un signe d'intérêt ou d'affection. Et elle voit bien aussi, à plusieurs reprises que Kyosuke et Madoka, plus "grands" qu'elle, sont également plus proches, mais elle préfère s'illusionner sur le sujet. Jusque là, je n'ai pas grand chose à en dire : elle est amoureuse, assez narcissique certes, mais qui n'a jamais été amoureux et plein d'illusions?
Non, ce qui est plus répréhensible, c'est le chantage affectif permanent qu'elle fait peser sur ses amis : c'est LA raison pour laquelle le triangle relationnel persiste. Kyosuke, qui est foncièrement un bon gars, ne veut pas lui faire de la peine. Et Madoka ne sait juste pas s'en dépêtrer : à partir de la moitié de la série, elle ne fait que se rapprocher de Kyosuke, avec de moins en moins de considération pour Hikaru. Elle ne s'en cache tellement pas qu'à certains moments, on a l'impression qu'elle le fait exprès pour tout faire péter. Je pense que secrètement, elle espère que ce sera Kyosuke qui résoudra la situation : et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle mettra la pression sur lui dans ANK (même si le film ne se place pas tout à fait dans la continuité de la série, j'en ai fais un longue analyse...)
Pour en revenir à Hikaru, un des aspects terrifiants de sa personnalité est le supplice permanent qu'elle exerce sur Yuusaku. Bon sang, elle sait qu'il est amoureux d'elle mais elle n'en a juste rien à péter! Elle a son fidèle chevalier servant et en use et en abuse à volonté.
C'est d'ailleurs un autre effet secondaire de ce revisionnage : je me suis pris d'affection pour Yuusaku, alors qu'à la base, c'est un personnage que je n'aimais pas beaucoup et que je trouvais assez inutile, même comme antagoniste de Kyosuke. Mais regardons-le un peu objectivement : Yuusaku est un type droit, qui a des valeurs. Il est courageux, il travaille avec acharnement pour s'améliorer dans le domaine des arts martiaux, et il est loyal et fidèle à Hikaru. Il est fier mais jamais arrogant. Yuusaku est vraiment un bon gars : ses trois principaux défaut sont son manque d'humour, sa susceptibilité et le fait qu'il soit éperdument tombé amoureux d'une fille qui le méprise. A cause de cela, il perd toute dignité et confiance en lui-même. Mais SUTOUT, les scénaristes ont pris un malin plaisir à enfoncer Yuusaku du début à la fin de la série : il n'aura droit à aucun arc de rédemption, sa destinée sera de souffrir et de sombrer dans l'oubli. Yuusaku, c'est une tragédie grecque.
Et je terminerai par une dernière réflexion sur la série, qui m'est venue en écrivant ce bilan.
A l'extrême opposé de Yuusaku, en termes de valeur humaines, vous trouverez Komatsu et Hatta. Je n'y avais pas non plus spécialement prêté attention jusqu'à ce visionnage, mais Komatsu et Hatta sont la lie de l'humanité, la représentation vivante de ce qu'il y a de plus profondément malsain et vil dans le cœur des hommes. Ils sont tour à tour obsédés, voyeurs, menteurs, tricheurs, lâches, imprévisibles, opportunistes, hypocrites et déloyaux. Ils trahissent Kyosuke à de multiples reprises et c'est à se demander comment il reste leur ami.
Et pourtant, Komatsu est un personnage très intéressant, à deux titres (Hatta a essentiellement un rôle comique de "suiveur"). D'abord, le champignon de la vérité ne ment jamais : il est secrètement amoureux de Kyosuke. J'ai adoré commenter les épisodes en ajoutant ce prisme. Mais surtout le personnage évolue : sa passion pour les jolies filles, dont il gardait les photos prises en cachette, se mue en passion pour la photographie, puis pour le cinéma. Car parmi les qualités de Komatsu, vous trouverez l'enthousiasme, l'énergie et le sens de l'entreprise et de l'initiative. Komatsu est l'inverse de Yuusaku, en termes de valeurs et de conduite : mais à à l'inverse de lui, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il réussira et qu'il sera connu.
Il n'y a pas très longtemps, j'avais lu une intéressante réflexion sur les raisons pour lesquelles bon nombre de films, notamment les "teen movies" mettaient en valeur des mecs maladroits, timides, introvertis, martyrisés ou peu appréciés par d'autres élèves et leur faisaient rencontrer des filles magnifiques qui finissaient par tomber amoureuses d'eux plutôt que de grands sportifs baraqués. Et bien tout simplement parce que bon nombre de créatifs, dessinateurs, scénaristes, etc. qui bossent sur ces films correspondant précisément à ce type de profil! Les films sont un peu une revanche, parce que dans la vraie vie, ça se passe rarement comme cela...
Komatsu, c'est la quintessence de l'équipe de réalisation, le personnage auquel beaucoup de membres de cet équipe s'identifient le plus. C'est la raison pour laquelle il s'en sort toujours la tête haute : ils prend quelques coups mais ça n'est jamais définitif, ils rebondit toujours. A l'inverse, la cruauté extrême dont les scénaristes font preuve vis-à-vis de Yuusaku montre l'animosité secrète qu'ils ont vis-à-vis de ce personnage.
Et donc, vous avez d'un côté une série qui raconte une triangle amoureux centré sur un garçon fascinant qui a des pouvoirs, avec beaucoup de jolies filles, qui ressemble à un immense roman photo souvenir d'adolescence et qui est une lettre d'amour ouverte à la photographie et au cinéma.
Et de l'autre un garçon, secrètement amoureux d'un autre garçon, dont il sait depuis un certain épisode qu'il a des pouvoirs, qui a été marqué par cette même période d'adolescence au point de la photographier régulièrement, qui a une fascination pour les secrets du corps féminins, et qui a magnifié ses pulsions en réalisant d'abord des films amateurs ambitieux.
Pour moi ça ne fait aucun doute : c'est Komatsu qui a réalisé KOR.