« La première marche »
par CyberFred
Épisode 1 – Le chapeau de paille rouge
Depuis quelques instants, Manami observait le chapeau de paille rouge qui était devant elle.
Il aurait pu s’agir d’un moment sans importance, si son intuition n’avait pas attiré son attention vers cet objet particulier. Il était là, posé sur une chaise, dans la chambre de Madoka.
Ce chapeau… Remontèrent en elle des souvenirs doux amers, à son sujet…
Il y a quelques mois, il avait été le déclencheur d’une chaîne d’événements qui a précipité l’amitié unissant Hikaru, Kyosuke et Madoka vers une situation dramatique.
Et tout débuta par elle. Par Manami.
Alors que les années insouciantes au lycée convergeaient vers leur fin, Hikaru et Manami avaient toutes les deux évoqué ce chapeau, pour démontrer que celui-ci était un lien originel fort qui s’était tissé entre Kyosuke et Madoka. Un lien secret qui a longtemps germé avec les années suivantes, et qui avait finalement eu raison des perceptions heureuses qu’entretenaient Hikaru à l’égard de son « senpai ».
Cela paraissait incroyable, mais ce simple objet a uni des êtres, mais en a aussi éloigné d’autres. Tout d’abord, cet éloignement a commencé avec Madoka. Elle avait quitté le Japon pour partir aux États-Unis sur les recommandations de ses parents. Ces derniers ayant vu que leur fille, renvoyée du lycée pour avoir enfreint plusieurs règlements internes, avaient décidé de lui faire changer d’air afin qu’elle puisse intégrer une école de musique renommée de Los Angeles. Madoka accepta et laissa Kyosuke, pour permettre à chacun de réfléchir à sa situation personnelle, plus précisément, à leurs sentiments qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.
Quand Madoka revint au pays, c’est Hikaru qui s’éloigna alors. Par surprise, il faut le dire. Elle avait profité du déménagement de ses parents vers Hokkaido pour les suivre, laissant Madoka et Kyosuke stupéfaits par cette décision. Hikaru avait seulement averti Kyosuke par un simple coup de fil direct, tel un message laissé à destination d’un simple répondeur. Puis elle quitta définitivement les quartiers de son enfance, pour une destinée personnelle encore inconnue à ce jour.
Quant à Madoka et Kyosuke, ils avaient à présent clarifié leur relation. Cela se voyait bien. Manami et sa sœur Kurumi furent très surprises de voir qu’ils étaient à leur aise l’un avec l’autre. Et qu’ils n’avaient plus à se cacher d’une présence, qui n’était d’ailleurs plus là… Ils étaient enfin eux-mêmes, si on pouvait dire. L’université, désormais tout ouverte pour eux, les motiva à entreprendre de nouveaux projets d’avenir. Kyosuke se consacra à la photographie, tout comme son père. Madoka s’adonna à la musique, spécialité qu’elle n’eut pas de mal à intégrer, aidée par le cursus qu’elle avait suivi à Los Angeles.
Kyosuke et Madoka formaient un couple un peu étrange. Manami a toujours vu son frère comme quelqu’un de maladroit, gaffeur, avec des moments erratiques vis-à-vis de la gent féminine. Le voir ainsi à présent en compagnie de Madoka, magnifique jeune femme aux yeux perçants couleur émeraude et à la chevelure de jais, qui faisait tourner les têtes de beaucoup, tout en les faisant rentrer immédiatement dans le rang, de par son regard particulier. En effet, ce regard rappelait à beaucoup qui l’ont connue depuis toujours, qu’elle n’avait pas toujours été tendre durant ses lointaines années sukeban. Il est clair que Madoka faisait preuve de beaucoup de gentillesse envers Kyosuke, parce que ce dernier lui avait apporté une certaine « lumière » qui avait éloigné la part d’ombre qui résidait en elle depuis longtemps.
Mais le soudain départ de Hikaru avait quelque peu éteint ce regard assuré durant un temps. Manami savait à quel point l’amie d’enfance de Madoka avait eu une place prépondérante dans son cœur. Mais, elle admit que son frère aîné avait réussi à la faire sortir de cette torpeur. Elle était fière de Kyosuke, qui méritait finalement, comme elle l’a toujours su au fond d’elle-même, que Madoka était son seul véritable amour. Et que désormais, un tout nouvel avenir s’était ouvert devant eux.
Ce fut lors de cette nouvelle ère que Manami et Kurumi eurent l’occasion de se rendre plus souvent chez la grande demeure des Ayukawa. Kyosuke et Madoka était maintenant ensemble « officiellement », mais pas pleinement, à leur stade de leur relation. Il ne leur fallait quand même pas brûler trop vite les étapes. Il arrivait donc souvent qu’ils aillent chez l’un ou l’autre, pour réviser les cours ensemble. Comme ils avaient déjà pris pour habitude de faire cela dans le passé, durant leurs années lycée, il était normal qu’à l’université, Madoka et Kyosuke devaient pouvoir se voir de temps à autre, pour que l’un ait un œil critique sur le travail de l’autre. Même si leur spécialité respective était différente.
Mais lors de certains week-ends, pour que chacun puisse souffler un peu de la vie estudiantine, Madoka invitait de temps à autre toute la famille Kasuka à dîner chez elle. Comme ses propres parents étaient toujours à Los Angeles, et sa sœur aînée quelque part avec son mari dans une autre grande ville voisine (Manami avait oublié où), c’était le moment pour elle de consacrer plus de temps à la famille Kasuga, afin de mieux les connaître.
Surtout après que Kyosuke lui eut enfin révélé l’existence du Pouvoir.
Quelle surprise cela fut pour elle ! C’est pour cette raison que Madoka devait en savoir plus, en invitant chez elle les membres de cette famille particulière, dont elle venait d’apprendre un de ses secrets les mieux gardés.
Manami se souvint de la fois où Madoka fut toute timide devant les membres de la famille Kasuga, en particulier quand les grands-parents étaient de la partie, sans parler d’Akane et Kazuya, les deux cousins de Kyosuke. C’est là, devant tout ce petit monde, qu’elle découvrit l’ampleur de la présence du Pouvoir au sein de tous les membres de la famille Kasuga (Takashi étant la seule exception).
Ce soir-là, durant une nouvelle invitation à dîner chez la demeure des Ayukawa, Manami était donc montée dans la chambre de Madoka pour chercher des ciseaux solides dont l’hôtesse des lieux avait besoin pour découper les cerclages d’un plat chaud qu’elle avait préparé. Une spécialité que Madoka avait d’ailleurs découverte durant son séjour aux États-Unis.
Manami s’était en effet proposée d’aider Madoka pour la cuisine, car de par expérience, elle a toujours pris soin de sa propre famille, de son père Takashi et de sa fratrie, telle une mère ayant eu l’obligation d’en remplacer une autre depuis toute jeune.
Puisque Madoka avait les mains occupées avec tout ce qu’elle devait préparer, Manami prit l'initiative d'aller chercher les ciseaux oubliés dans la chambre de la maîtresse des lieux. Pendant ce temps, les autres invités, Kyosuke, Kurumi, Takashi, Akane et Kazuya, étaient installés dans le salon, où ils savouraient un petit apéritif offert par Madoka pour les faire patienter.
Dans cette chambre au style très occidental, que redécouvrit Manami au premier étage, les ciseaux étaient posés sur une des commodes basses. La jeune fille aperçut des photos encadrées de Kyosuke disposés ça et là. Rien d’étonnant. Il y avait aussi des photos prises avec Madoka et Kyosuke, ensemble, devant certains endroits connus du quartier de Yokohama. Il y avait aussi, bien sûr, cette photo de groupe, avec Hikaru, au côté de Madoka et Kyosuke. Manami savait que Madoka voulait conserver un souvenir particulier des jours heureux passés tous les trois ensembles.
À présent, ce chapeau, posé là sur la chaise, était quelque part comme l’Anneau du Pouvoir conté dans les récits de Tolkien, attirant les regards et embrouillant les esprits. C’était évidemment un peu exagéré. Ce chapeau n’avait rien de spécial. Il ne pouvait pas disposer du Pouvoir, bien sûr. Manami se surprit elle-même à penser qu’elle avait un peu trop d’imagination… que cet objet pouvait détenir en lui quelque chose de particulier, tout comme certains de ces objets ensorcelés que son grand-père possédait dans la collection personnelle de sa résidence des montagnes.
Toutefois intriguée par un appel qui résonnait dans son esprit, Manami s’approcha du chapeau, puis tendit instinctivement la main pour le toucher…
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