Il manquait la couverture dans ma rubrique :
- tcv aime ceci
Posté par CyberFred
on 23 février 2025 - 23h10
Salut a tous !
Bon je suis pas venu depuis un moment, j'ai préparé un diplôme en VAE et j'ai pas eu beaucoup de temps pour vous reparler du podcast que j'aimerai faire avec vous. Le but est de faire 1 épisode pour faire découvrir, ou redécouvrir KOR à une communauté qui n'a peut etre que peu de souvenir de ce merveilleux animé. Pour que ensuite ceux qui le souhaitent passe sur le podcast de Kody pour avoir plus d'infos. J'aimerai juste parler d'Izumi Matsumoto, d'Akemi Takada, de la musique bien entendu et du pourquoi on l'aime tant sans rentrer trop dans les détails car pour ca y a le podcast de Kody. Donc si vous etes ok on voit pour faire un truc ??
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Coincidence ? Tu reviens le jour même où il y a une annonce DYBEX ?
Posté par CyberFred
on 18 janvier 2025 - 18h49
Arf, la tâche n'a pas été aisée ! J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois...
L'un des soucis étant la pixellisation progressive de l'image à chaque modification.
Je n'y touche plus. La prochaine fois, je ferai des personnages sans bras
Negative prompts : ((arms)), ((fingers)),
Posté par CyberFred
on 18 janvier 2025 - 14h54
Tu vois FrozenOwl, la grande coïncidence de nos gros projets respectifs de 2024 ? Toi avec la traduction française du jeu vidéo de KOR, moi avec mon roman La Première Marche.
Nous avons commencé tous deux en 2024 à présenter petit à petit ces projets. Et boum : en 2025, nous allons présenter nos versions définitives. Presque en même temps.
Comme je le crois fortement pour l'année 2025, l'année 2025 sera une année KOR francophone. Déjà avec nos projets francophones de traduction du jeu et du roman en VF. Et s'accompagnant en 2025 - et j'y crois plus que jamais - de la sortie de la réédition du manga de KOR chez Delcourt et des Blue Ray de KOR chez Dybex (sauf que j'ignore s'il y aura une VF en plus de la VOSTFR avec ce pack).
Tu vois un peu les grosses synchronicités qu'on va avoir en France ? Je trouve cela marrant.
Posté par CyberFred
on 18 janvier 2025 - 14h48
Posté par CyberFred
on 12 janvier 2025 - 16h55
Posté par CyberFred
on 28 décembre 2024 - 18h48
Merci pour l'annonce, tcv. Comme je ne rentre qu'aujourd'hui de voyage, par manque de temps car j'ai été très occupé sur mon site ces dernières semaines, j'ai actualisé une image que j'ai faite l'année dernière. Elle est bien plus ressemblante à Madoka, maintenant.
Plus que deux ans avant les 30 ans. Espérons que d'ici-là le monde sera aussi serein que dans les années 90 !
Posté par CyberFred
on 21 décembre 2024 - 15h06
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 40
Comme une brise printanière
Tout le monde était figé, comme tétanisé par ce qu’ils venaient de vivre. Takashi, Kyosuke, Hikaru, Akane, Kazuya, les époux Hamada… Tous demeuraient silencieux, les yeux écarquillés, encore éblouis par la lumière intense qui avait enveloppé la pièce durant de longues minutes. Maintenant dissipée, elle laissait place à un calme étrange, presque oppressant. Le salon, encore chargé de ce mélange d’inquiétude et d’attente suspendue, semblait respirer difficilement.
Lorsque leurs regards s’ajustèrent, ce fut pour constater l’étendue des dégâts : les murs, lézardés et craquelés, témoignaient de la violence passée. Les meubles, renversés et éparpillés aux quatre coins de la pièce, semblaient porter la marque d’un souffle immense, comme si une tempête s’était abattue au cœur même de la maison. Seule la lumière du jour apportait l’apaisement, s’invitant à travers les fenêtres et carreaux brisés. Et pourtant, ce chaos matériel n’était rien comparé au danger extrême… qui semblait s’être dissipé.
Au centre de la pièce, là où se trouvait auparavant la mystérieuse bulle formée par Kurumi, il ne restait plus rien. Le pendentif, suspendu dans le vide quelques instants plus tôt, avait disparu, emportant avec lui cette aura menaçante. La bulle s’était évanouie. Et pourtant, au sol, recroquevillée comme une coquille brisée, Kurumi restait là, prostrée, ses sanglots étouffés par ses bras repliés sur son visage.
Autour d’elle, le silence persistait, pesant, presque irréel. Personne n’osait bouger, comme si la moindre parole pouvait briser cet instant suspendu. Était-ce le début d’un rêve ou la fin d’un cauchemar ?… La fin du monde avait-elle réellement été évitée ?…
– Kurumi ! s’écria soudain Hikaru, brisant la torpeur.
Elle s’élança vers la jeune fille, suivie de près par Takashi.
– Ma fille ! hurla ce dernier, la voix tremblante. Est-ce que tu vas bien ?…
Hikaru, agenouillée devant Kurumi, tenta de poser ses mains sur ses épaules, comme pour la ramener à elle.
– Kurumi, c’est moi : Hikaru. Tout va bien maintenant. Tout va bien.
Mais Kurumi ne bougeait pas. Ses pleurs, ininterrompus, semblaient venir d’un gouffre trop profond pour être atteint.
– Est-ce qu’elle va bien ? murmura Madame Hamada, le visage marqué par l’angoisse.
– Je ne ressens plus de barrière dans son esprit, intervint Kazuya, concentré sur les pensées de la jeune fille. Sa colère a disparu. Mais son niveau de stress est encore très élevé. Elle est en état de choc.
– C’est normal, petit frère, répliqua Akane, décontenancée. Elle a vécu un véritable enfer…
Kyosuke, jusque-là silencieux, s’approcha de Kurumi. Mais avant qu’il n’atteigne sa petite sœur, un bruit léger résonna depuis l’étage supérieur.
Un craquement presque imperceptible sur le plancher.
Intrigué, Kyosuke se tourna instinctivement vers l’escalier menant au premier étage, vers la chambre de Madoka.
Le bruit se répéta, plus clair cette fois : des pas ! Réguliers… lents… mais porteurs d’une étrange promesse. Une promesse d’apaisement, peut-être…
– Grand Ciel ! murmura-t-il, la gorge nouée par l’espoir.
Tous les regards se tournèrent alors vers l’escalier. Le suspense était presque insoutenable.
Et puis, enfin, une silhouette apparut.
La première fut celle de Manami. Ses cheveux étaient légèrement en désordre, mais son visage rayonnait d’un soulagement éclatant. Elle portait un étrange chat roux dans ses bras, ainsi qu’un petit sac sur son dos.
– Manami ! s’écria Takashi le premier. Ma fille est revenue ! Elle est revenue !
– Cousine Manami ! firent de concert Akane et Kazuya.
– Manami ?! s’écria Kyosuke, à son tour, abasourdi. C’est bien toi ?…
Mais avant qu’il n’ait pu en dire davantage, une autre silhouette émergea de la lumière diffuse qui baignait l’escalier.
Madoka…
Elle descendait lentement, chaque pas empreint d’une grâce silencieuse. Elle n’avait plus son sombre uniforme de moto. La lumière douce du jour, filtrant à travers les fenêtres brisées, effleurait ses cheveux bleu nuit, auréolant sa silhouette d’une lumière presque irréelle.
– Ayukawa ! s’écria Kyosuke, sa voix tremblante d’émotion.
Son hésitation s’évanouit. Il se précipita vers elle, bousculant presque Manami dans son élan.
– Grand-frère ! Mais… protesta sa sœur, à peine audible.
Arrivé à la hauteur de Madoka, Kyosuke s’arrêta, les mains tremblantes. Il posa doucement ses paumes sur ses épaules, puis sur ses mains, comme pour s’assurer qu’elle était bien réelle. Et soudain, dans un élan irrésistible, il l’embrassa.
Le geste surprit Madoka, mais elle ne recula pas. Cette fois-ci, Kyosuke n’avait pas besoin de recevoir une paire de chaussures sur la tête.
Sur les marches de cet escalier, dans sa propre demeure, elle n’aurait jamais imaginé un tel moment. Les secondes semblèrent s’étirer à l’infini.
Pour Madoka, ce baiser n’était pas seulement un geste spontané. Il était le symbole de tout ce qu’ils venaient de traverser. La fin du Multivers évitée valait bien cet instant suspendu, où seul comptait leur lien. Et pourtant, derrière ses paupières closes, une image surgit subitement dans son esprit : ces feuillages immobiles, baignés d’une étrange lumière… Un signe ?… Un appel ?… Puis ces images disparurent aussi vite qu’elles étaient apparues.
Lorsque les deux jeunes gens se détachèrent enfin de leurs lèvres, le salon avait changé. Ce n’était plus la peur qui emplissait les regards, mais une stupéfaction générale de la part de l’assistance. Personne n’imaginait assister à un tel spectacle. Puis une reconnaissance muette et un soulagement profond naquit dans les esprits.
Madoka croisa les yeux de Kyosuke et, malgré la fatigue, lui adressa un sourire. Leur monde n’était pas parfait, mais il était à eux.
– Kasuga…
À la vue d’une telle scène, Hikaru éclata d’un rire nerveux, presque libérateur, comme si ce moment d’euphorie contenait en lui tout le poids des tensions passées.
– Vous êtes incroyables, vous deux ! Je savais que vous vous retrouveriez, que vous reviendriez, mais là… franchement, quelle entrée !
Entendant cela, Kyosuke fit un geste instinctif presque inné : celui de s’écarter rapidement de Madoka en cas de surgissement inopiné de Hikaru. Un réflexe du passé sur lequel il devait certainement encore devoir travailler.
Manami, déjà entourée par les autres membres de la famille, tenait contre elle Jingoro, dont le miaulement semblait traduire une pointe de surprise face à l’apparition de visages qu’il n’avait jamais vus.
Takashi, les traits alourdis par l’émotion, contempla longuement le tableau qui s’offrait à lui.
Sa voix se fit murmure, empreinte d’une profonde gratitude :
– On dirait qu’un miracle s’est produit… Manami nous a été rendue.
Manami déposa Jingoro à terre et vint alors au chevet de sa petite sœur.
– Kurumi ! Kurumi ! C’est moi : Manami. Je suis de retour ! Je suis là !
Sa sœur semblait ne plus vouloir entendre les appels. Elle continuait à pleurer à chaudes larmes.
– Madoka ! s’écria Madame Hamada, la voix tremblante d’étonnement et d’émotion mêlés, en s’avançant vers l’escalier où sa petite sœur se tenait encore. Te voilà enfin rentrée !
– Grande sœur ?… Quelle surprise de te voir ici ! répondit-elle, partagée entre la stupeur et le bonheur.
Un regard circulaire suffit à la jeune femme pour constater l’état chaotique de la pièce, témoignage des événements récents. Les murs lézardés, les tableaux à terre, les meubles renversés, les vitres brisées… Des traces irréfutables de la manifestation du Pouvoir que sa sœur avait dû voir.
– Alors… tu sais… maintenant, murmura Madoka avec une émotion contenue.
La jeune femme aux yeux couleur émeraude se promit plus tard de tout expliquer à sa grande sœur, à propos de ce qu’elle savait à présent. Pourtant, au fond d’elle, une part de son esprit était étrangement apaisée par l’idée que sa sœur aînée puisse désormais partager le secret des Kasuga.
Madoka tourna son regard vers Kurumi, toujours prostrée, puis vers Kyosuke, son expression devant soudainement plus grave, presque solennelle :
– Kasuga, tout n’est pas encore terminé, lui dit-elle d’une voix douce, mais ferme.
Kyosuke, troublé par le ton employé, balbutia :
– Que… que veux-tu dire, Ayukawa ?…
Au milieu de la pièce, Kurumi restait recroquevillée, prisonnière d’une détresse si profonde qu’elle semblait vouloir disparaître de la surface de la Terre. Tremblante, incapable de soutenir les regards, ses sanglots refaisant surface, étouffés mais poignants, imprégnaient à nouveau l’atmosphère d’une lourdeur oppressante.
Silencieuse, Madoka s’avança lentement vers elle. La gravité de son expression n’entamait en rien la douceur qui émanait de chacun de ses gestes.
– Écartez-vous, je vous prie, demanda-t-elle simplement à tous.
S’agenouillant avec une délicatesse infinie devant la jeune fille, elle posa son regard empli de compassion sur elle.
– Kurumi, regarde-moi, dit-elle d’une voix calme, presque murmurée.
Mais la jeune fille, le visage ravagé par la culpabilité, secoua la tête avec véhémence :
– Laisse-moi… Laissez-moi ! s’écria-t-elle dans un éclat de désespoir. Je ne mérite pas votre pardon… Je suis dangereuse ! Tout est ma faute… Partez ! Fuyez !
Un torrent de larmes jaillit, emportant avec lui toute résistance. Madoka, imperturbable, posa une main rassurante sur son épaule. Inspirant profondément, elle parla avec une sérénité contrastant avec la tension ambiante :
– Écoute-moi, Kurumi : rien de ce qui est arrivé n’est de ta faute. Ce Pouvoir incontrôlable… il t’a dépassée. Mais désormais, tu n’es plus seule.
Décontenancée, Kurumi leva vers elle des yeux rougis et baignés de larmes.
– Mais j’ai failli détruire tout le monde !… Même toi… (En hurlant) J’ai peur de recommencer !!
Les pleurs redoublèrent, mais Madoka, imperturbable, serra un peu plus son épaule. Son sourire, empreint d’assurance et de bienveillance, sembla illuminer l’espace entre elles.
– Et si tu laissais ce poids derrière toi ? Je suis venue t’offrir ce qui va te permettre d’avancer, libre et apaisée.
Kurumi, les traits figés par l’incompréhension, la fixa alors intensément :
– Comment ?!…
Autour d’elles, le silence était total. Chacun retenait son souffle, pris entre l’étonnement et l’attente.
Ignorant leur curiosité, Madoka se releva doucement, aidant Kurumi à se redresser. La main ferme sur sa hanche pour l’aider à tenir debout, elle se tourna vers Manami, avant de lui tendre la main.
– Viens, l’invita-t-elle d’un geste doux.
Avec une expression empreinte d’appréhension et d’espoir, Manami comprit immédiatement, un frisson de nervosité visible dans son regard. Les paroles de Madoka dans l’Exostral résonnaient encore dans son esprit. Elle comprenait désormais. Elle devinait quel extraordinaire présent Madoka s’apprêtait à offrir à Kurumi. Déposant son sac à dos à terre, elle s’approcha en silence, comme investie d’une mission sacrée.
Madoka, d’un geste mesuré, posa sa main gauche sur le sternum de Kurumi, tandis que sa propre paume droite rejoignait celle de Manami. Une lumière argentée, douce et apaisante, émana de ses mains, enveloppant les trois jeunes filles dans une aura presque surnaturelle.
La pièce fut soudain envahie par une stupeur vibrante, un immense « Oh ! » échappé en chœur de la part des Kasuga, Hamada et Hiyama, témoins abasourdis de ce qu’ils découvraient, tel un souffle unique résonnant quelques secondes.
Déconcerté, Kyosuke s’écria :
– Ayukawa, que… qu’est-ce que tu fais ?… Comment… ?!
Les paupières closes, Madoka répondit calmement, la lueur argentée émanant toujours de ses paumes :
– J’utilise le don que ta mère m’a confié.
Kyosuke, abasourdi :
– Ma mère ?!…
Takashi réagit également :
– Akemi ?…
Madoka acquiesça doucement, sa voix sereine :
– Le Pouvoir de Kurumi est comme une rivière déchaînée. Elle a besoin d’un régulateur pour en maîtriser le cours. Manami possède en elle le régulateur de sa petite sœur. Je vais le transférer vers Kurumi, chez qui il aurait toujours dû être. J’utilise le cadeau de ta mère pour accomplir cette tâche.
Les mots de Madoka foudroyèrent Kyosuke. Comment Madoka pouvait-elle accomplir un miracle aussi énorme ?
– Ayukawa…
Un silence stupéfait régna.
Takashi, comme figé, murmura :
– Akemi t’a donné cette possibilité ? Mais… Comment est-ce possible ? demanda-t-il.
Akane, encore sous le choc, ajouta :
– C’est complètement fou… même pour nous, les Kasuga.
Hikaru était estomaquée :
– Madoka… mais je rêve !?…
Kazuya, les yeux écarquillés, clama :
– Kurumi va devenir comme Manami, alors ?… Trop cool !
– Pourquoi Manami ne pouvait pas le faire elle-même avec son Pouvoir ? demanda Kyosuke, surpris.
Sans ouvrir les yeux, Madoka répondit calmement :
– Parce que Manami est elle-même porteuse originelle des deux régulateurs du Pouvoir. Elle ne pouvait pas intervenir directement elle-même pour accomplir cela. Il fallait qu’une personne extérieure agisse.
Manami baissa la tête, émue.
– C’est vrai… je ne pouvais rien faire… Merci, Madoka.
Madoka devait à présent accomplir l’impossible. Et ce ne serait qu’une seule fois. Elle fit appel à Akemi et implora d’utiliser pleinement le cadeau, pour le souhait qu’elle désirait formuler à présent. Une lumière vive plus vive que précédemment répondit à sa demande. Elle s’intensifia dans la pièce, mais elle n’était pas agressive. Elle enveloppa les trois jeunes filles d’une énergie bienveillante.
Kurumi, d’abord tendue, sentit soudain un apaisement profond l’envahir. Sa respiration se calma, ses muscles se détendirent, et ses traits marqués par la peur s’adoucirent.
Un silence stupéfait s’installa.
Takashi murmura, ému :
– Akemi… Elle a rendu cela possible…
Peu à peu, la tension disparut du corps de Kurumi. Ses larmes s’arrêtèrent, remplacées par une expression d’émerveillement :
– Je… Je ne ressens plus cette peur ! s’écria-t-elle estomaquée. Plus cette douleur ! C’est… incroyable !…
Madoka lui sourit :
– C’est terminé, Kurumi. Tu es libre.
La jeune fille, bouleversée, hésita un instant, puis sauta dans ses bras :
– Merci… merci pour tout, Madoka !
– Remercie plutôt ta maman, dit-elle avec une douceur empreinte de gravité. C’est comme si c’était sa propre main qui avait accompli cela. Elle possédait le don de guérison. Le vœu que j’ai formulé a invoqué un Pouvoir qui m’a permis de me laisser guider par elle, pour te guérir enfin. Chose qu’elle n’a pas pu accomplir de son vivant, car affaiblie.
Une émotion palpable se diffusa parmi les spectateurs. Hikaru applaudit doucement, des larmes d’admiration dans les yeux :
– Madoka, tu es vraiment extraordinaire !
Takashi, levant les yeux au ciel, une larme à l’œil, murmura une prière silencieuse :
– Merci, ma tendre Akemi… Merci pour ce cadeau à nos enfants. (Il se tourna de gratitude vers la jeune femme aux yeux émeraude) Merci, Madoka.
Même Monsieur Hamada, jusque-là silencieux, laissa échapper un commentaire :
– J’ai du mal à croire ce que je viens de voir… C’est irréel.
À ses côtés, Madame Hamada croisa les bras, observant sa sœur d’un air à la fois étonné et admiratif :
– Petite sœur, tu m’étonneras toujours.
Madoka lui répondit avec un sourire en coin accompagné du clignement d’un œil :
– Tu sais bien que je suis pleine de surprises.
Elle croisa alors le regard de Kyosuke, chargé d’une admiration profonde. Dans ce regard, elle trouva toute la reconnaissance qu’elle espérait. Elle lui adressa un sourire. Oui, elle avait fait ce qu’il fallait, et, plus important encore, elle avait rendu à Kurumi une sérénité qu’elle n’avait jamais connue. Il n’y aurait plus jamais de risque de danger. En retour, Madoka pouvait garder pour toujours avec elle le pendentif au cristal rouge, cadeau inestimable de Kyosuke et d’Akemi.
Hikaru s’avança vers Madoka et l’enlaça dans ses bras.
– Madoka, je suis si heureuse que tu sois revenue saine et sauve. Je me suis tellement inquiétée pour toi quand tu n’es pas rentrée avec nous !
– Tout va bien, Hikaru. Tout va bien, maintenant.
Hikaru, relâcha son étreinte, en ajoutant :
– Et maintenant, je connais comme toi le secret de la famille Kasuga.
– Bienvenue au club, oserais-je dire ! lança malicieusement Madame Hamada.
– Je t’expliquerai tout plus tard, grande sœur, lui dit Madoka. Promis.
– J’y compte bien ! (elle regarda le désordre dans la pièce) Mais regardez-moi ce chaos… Si papa et maman voyaient ça, ils seraient… Oh… je n’ai même pas les mots…
Elle s’interrompit, troublée, alors que le silence pesant laissait encore planer un écho de leurs épreuves.
Hikaru, elle, n’avait pas l’intention d’attendre :
– Madoka, je veux tout savoir ! Pourquoi tu n’es pas revenue avec nous de l’autre dimension ? Et comment as-tu retrouvé Manami ?
À cet instant, Jingoro, resté tapi sous un meuble renversé, se montra enfin. Avec un miaulement sonore, presque autoritaire, il sembla leur reprocher d’avoir tant tardé à remarquer sa présence.
Hikaru éclata de rire en ajoutant :
– Oh, voilà un chat venu d’ailleurs qui tient absolument à raconter l’histoire à sa façon !
Cette remarque déclencha une salve de rires, brisant la tension qui les avait tous oppressés. Alors que l’atmosphère s’allégeait, Manami s’avança vers l’animal, le prit tendrement dans ses bras et déclara :
– Je vous présente Jingoro. Il fait désormais partie de la famille.
– Jingoro ?… s’étonna Akane, intriguée.
– Quel drôle de nom, ajouta Kazuya, perplexe.
– C’est maman qui l’a choisi, expliqua Manami.
Kurumi haussa un sourcil :
– Maman ? Vraiment ?…
– Oui, reprit sa sœur avec une pointe d’émotion dans la voix. Ce nom est un souvenir d’elle.
Takashi, pensif, intervint alors d’un ton calme :
– Jingoro… Ce nom me dit quelque chose. Il me semble qu’il était mentionné dans les récits liés à la maison familiale de votre mère, dans les montagnes. Vos grands-parents en parlaient parfois, entre deux légendes. Peut-être un détail marquant pour qu’elle ait voulu s’en souvenir.
Manami acquiesça doucement :
– Il faudra que je demande un jour à grand-père et grand-mère.
Le calme s’installa peu à peu dans la maison. Chacun tâchait de reprendre ses esprits, encore marqué par l’épreuve qu’ils venaient chacun de traverser. Les jumelles s’étaient retirées pour se reposer sur le sofa, qu’on avait tout juste remis en place.
Dans la confusion, personne n’avait remarqué le sac à dos de Manami qu’elle avait laissé à terre juste avant le transfert du régulateur du Pouvoir pour sa sœur. Le sac gisait presque ouvert. Ce fut Kazuya, toujours curieux et remuant, qui s’en approcha.
– Hé ! C’est quoi, ça ? lança-t-il soudain, en extirpant un objet rigide du sac.
Entre ses mains, il tenait un livre à la couverture colorée, décorée d’illustrations intrigantes, avec des pages en noir et blanc.
– Un manga ?... dit-il, les sourcils froncés en ouvrant le livre. Ça m’intéresse.
Intrigué, il commença à feuilleter les premières pages.
Son commentaire attira l’attention de son cousin Kyosuke, qui, malgré les récentes émotions, tourna la tête vers son jeune cousin.
– Qu’est-ce que tu lis, Kazuya ? demanda-t-il en s’approchant. Ce sont les affaires de Manami. Laisse ça !
Kazuya, captivé par les images, répondit distraitement :
– C’est drôle… ces dessins me rappellent quelqu’un. Regarde, on dirait toi, cousin Kyosuke… et Madoka… là…
– Hein ?…
Intrigué, Kyosuke se pencha au-dessus de Kazuya. Il lui alors prit le livre des mains, ses yeux immédiatement attirés par une scène dessinée dans le premier chapitre de ce livre.
Le sang de Kyosuke se glaça lorsqu’il reconnut les personnages.
– Non… c’est impossible… murmura-t-il.
Les pages tournaient sous ses doigts tremblants. Ce n’était pas qu’une vague ressemblance. Ces dessins retraçaient précisément des moments qu’il avait vécus. Lui, Madoka, le grand escalier, le chapeau de paille rouge, sa famille emménageant… Le collège… Hikaru… Hatta et Komatsu… Tout était là !
Madoka, qui discutait en aparté avec Hikaru et sa sœur ainée, s’aperçut alors que Kyosuke tenait le manga de KOR entre ses mains !
– Kasuga ! hurla Madoka les yeux de terreur.
– Mais pourquoi tu hurles ainsi, Madoka ? demanda sa sœur de nature plus calme.
– Kasuga ! hurla encore Madoka.
Mais Kyosuke ne l’entendait pas. Il était trop absorbé par ce qu’il découvrait. Il parcourait frénétiquement les pages, ses mains tremblant de plus en plus.
– C’est nous… Les mêmes noms… Toute notre histoire est ici… Depuis le début… balbutia-t-il, complètement déstabilisé. Mais c’est quoi ce manga ?…
Affolée, Madoka s’approcha précipitamment de lui.
Ses yeux s’écarquillèrent :
– Kasuga, arrête de lire ça ! lança-t-elle avec urgence.
Elle tendit son bras pour attraper des mains ce que tenait son ami.
Trop tard ! En refermant brusquement le manga pour en lire le titre, le regard du jeune homme tomba sur la couverture. En lettres distinctes, claires comme un coup de tonnerre, il lut mentalement les trois mots inscrits : « Kimagure Orange Road » !
Le choc fut instantané. Un vertige le saisit, et il perdit l’équilibre.
– Non ! s’écria Madoka, affolée, le bras tendu vers lui.
Mais Kyosuke, abasourdi, recula, trébucha sur le tapis, perdit l’équilibre et tomba lourdement à terre. Sa tête heurta le sol. Le manga qu’il tenait à la main retomba de même sur le côté.
– Kasuga ! hurla Madoka, terrifiée.
Le silence qui suivit fut assourdissant. Mais alors que Madoka se précipita toujours vers lui, ses mains ne rencontrèrent… que le vide.
Kyosuke avait disparu dans le néant.
Incrédules, les regards s’échangèrent dans la pièce. Tous étaient emplis d’effroi.
– Qu’est-ce qui vient de se passer ? demanda Takashi, sa voix cassée par l’émotion.
– Il a disparu… Comme ça… balbutia Kazuya, pétrifié, témoin de la scène.
– C’est impossible ! protesta Akane, refusant de croire à ce qu’elle venait de voir.
Incrédule, Madoka pris entre ses mains tremblantes le manga qui restait sur le sol. Elle fixa à nouveau les mots « Kimagure Orange Road » inscrits sur la couverture. Ils semblaient presque la narguer.
– Ce livre… il est à l’origine de tout, murmura-t-elle, une flamme de détermination s’allumant dans son regard.
– Il… il est encore parti dans une autre dimension ? demanda Akane, abasourdie. À cause d’un livre ?… Je n’ai pas entendu les mots clés.
– C’est un manga, précisa son petit frère. On est dedans, aussi toi et moi, tu penses ?…
– Qu’est-ce que tu racontes, toi ? fit sa sœur.
– Je vous expliquerai, leur dit Manami. En attendant, ne touchez pas à ces livres !
– L’ambiance dans cette famille Kasuga est vraiment sidérante, remarqua monsieur Hamada, hein, ma colombe ?
Il regarda sa femme avec un sourire des plus évocateurs de son esprit perdu entre absurdité et inquiétude.
– Ne me regarde pas ainsi, chéri. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Un livre qui fait disparaître les gens ! Mais dans quel monde on vit ?
Madoka tendit le tome 1 du manga à Manami, puis celle-ci le plaça dans son sac à dos avec tous les autres volumes.
– Je vais aller chercher mon frère, annonça-t-elle. Puis Kurumi annulera pour toujours son état d’hypnose.
– Tu peux faire cela, Manami ? demanda Takashi. Tu sais voyager entre les dimensions, maintenant ?
– En tous les cas, Kyosuke, n’est pas allé vers une dimension où se trouvait un double de lui, remarqua Kazuya. Sinon, il aurait immédiatement surgi ici.
– Ou alors, il n’y a jamais eu de double de Kyosuke dans l’univers où il vient de se rendre, remarqua Akane.
– Mais il faut faire quelque chose ! s’inquiétait Hikaru.
Madoka se tourna vers Manami, sa voix chargée d’une énergie nouvelle :
– Non, Manami, c’est à moi d’y aller. Donne-moi vite un cap.
– Madoka… Tu veux vraiment y aller toute seule ?…
– Oui, c’est ma responsabilité.
– Mais comment allez-vous revenir ?…
– Les mots clés. Quand je les prononcerai à Kasuga-kun, nous reviendrons ici.
Manami, bouleversée, hésita, mais face à l’intensité du regard de Madoka, elle hocha lentement la tête.
– Je vais te guider… Mais fais attention à toi, Madoka, murmura-t-elle. Surtout que c’est la première fois que je fais cela moi-même… Sans chapeau, sans kappa neko pour m’aider…
Madoka lui fit un signe bref et déterminé. Rien ne pouvait désormais l’arrêter.
– J’ai confiance en toi, lui dit-elle finalement.
Madoka portait envers Manami une dette immense : celle de rétablir la paix au sein de cette famille, comme l’avait souhaité Akemi, leur mère. Le souvenir du déchirement ressenti par Manami, contrainte de se séparer pour toujours de sa mère, partie rejoindre l’infini, demeurait gravé dans son esprit. Jamais plus Manami ne devra pleurer à cause d’une séparation liée au Pouvoir. Jamais.
Hikaru vint à Madoka, inquiète :
– Tu dois vraiment y aller, Madoka ? N’y a-t-il pas un autre moyen de ramener Kyosuke ?
– J’y tiens absolument, Hikaru.
– Alors, revenez sains et sauf, toi et Kyosuke. Je tiens à vous deux.
– Je le sais, petite sœur, lui dit Madoka avec le sourire. Merci pour tout. N’aie crainte.
Hikaru se sentit rassurée à la fois par les mots de celle qui avait toujours été une figure forte et protectrice dans sa vie, et par la tendresse de ce sourire qui semblait capable de dissiper les pires tourments. Pourtant, une ombre d’inquiétude persistait dans son regard, comme si elle pressentait que l’épreuve à venir pour Madoka dépasserait tout ce qu’elle avait affronté jusqu’à présent.
– Promets-moi que tu ne prendras pas de risques insensés, Madoka ! ajouta-t-elle.
La jeune femme aux cheveux noirs de jais posa une main légère sur l’épaule de Hikaru, son regard émeraude devenant un mélange d’assurance et de gravité.
– Je te le promets, Hikaru.
Hikaru hocha la tête, les lèvres serrées, consciente que ces paroles contenaient une vérité qu’elle ne pouvait pas contester.
– Vous êtes ma famille, toi et Kyosuke, lui dit-elle. Je veux que vous reveniez… ensemble.
Hikaru avait conscience, en prononçant ces mots, que la vie avait définitivement lié Madoka à Kyosuke. Depuis longtemps, ce n’était plus une question d’espoir ou de rivalité, mais une certitude lumineuse qui s’inscrivait au plus profond de son âme. En cet instant, une page se tournait dans son cœur. Elle comprit enfin que ce lien entre eux dépassait tout ce qu’elle avait pu imaginer, quelque chose de plus vaste que leurs histoires personnelles, quelque chose de prédestiné.
Une telle volonté de sauver Kyosuke… Une telle force pour l’aimer malgré tout… Ce n’était pas une simple affection, ni même une passion éphémère. C’était une connexion vitale, unique, qui semblait avoir traversé les âges et les dimensions, et que les derniers événements avaient accentués. Hikaru, en repensant à ses propres sentiments, sentit ses yeux picoter, non pas de jalousie ou de tristesse, mais d’une émotion douce-amère qui s’apaisa peu à peu en un profond soulagement.
Elle se remémora les moments à Otaru où elle avait rêvé d’être à la place de Madoka, d’être celle que Kyosuke aimait ainsi. Ces souvenirs, autrefois si douloureux, lui apparurent soudain sous une nouvelle lumière. Ce n’était pas une défaite, mais une libération. Elle comprit qu’il n’y avait jamais eu de véritable rivalité entre elle et Madoka. Il n’y avait que l’évidence d’un amour qui était fait pour être, et qu’elle-même, peut-être, avait toujours su au fond d’elle.
Un sourire timide mais sincère fleurit sur ses lèvres.
« Ils sont faits l’un pour l’autre », pensa-t-elle, « Et cela me rend heureuse. »
Hikaru sentit alors une chaleur bienveillante se répandre en elle, un sentiment de paix qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps. Elle n’avait plus rien à envier, plus rien à prouver. Elle pouvait enfin laisser partir ce poids et cette attente.
Elle était libre, désormais. Libre d’aimer différemment, d’être elle-même, et d’accepter que leur bonheur à eux était aussi, d’une certaine manière, le sien.
Madoka la serra brièvement dans ses bras, une étreinte silencieuse, mais chargée de tout l’amour qu’elle éprouvait pour celle qu’elle appelait tendrement sa « petite sœur ».
En regardant Madoka rejoindre Manami, prête à affronter l’inconnu pour Kyosuke, Hikaru sentit une vague de fierté monter en elle. Une fierté d’avoir Madoka comme grande sœur, d’avoir été témoin de cet amour qui traverserait toutes les épreuves, et d’avoir enfin trouvé sa propre place dans cette histoire.
Manami toucha la main de Madoka.
– Tu as accompli un miracle aujourd’hui, lui dit-elle. Peut-être en accompliras-tu un autre encore ?…
– Qui sait ?… fit Madoka le sourire aux lèvres.
Puis la jeune femme aux yeux émeraude disparut dans le néant.
– C’est pas possible !? s’écria sa grande sœur, étonnée par cette scène. Encore une disparition ?… À peine de retour, déjà repartie ?!…
Une lumière aveuglante enveloppa le champ de vision de Madoka. Son cœur battait à tout rompre. Un frisson glacé lui parcourut l’échine.
« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! », répéta-t-elle comme un mantra, espérant que le destin puisse la guider au bon endroit.
Puis son champ de vision revint à la normale. Elle se retrouva dans un endroit apaisant.
C’était le printemps. Le soleil dorait délicatement les feuillages des arbres au-dessus et autour d’elle. Les chants d’oiseaux résonnaient, familiers, presque mélodieux. Un grillon lointain parvenait à se faire entendre en cette saison…
Quel univers parallèle était-ce là ? se demanda Madoka.
À quelques mètres devant elle, toujours sous les arbres, se tenait Kyosuke, allongé sur l’herbe verte, l’air sonné.
Il releva la tête, abasourdi, comme s’il sortait d’un cauchemar. Il vit Madoka qui marchait vers lui et lui criait :
– Kasuga !…
– Ayukawa ?… murmura-t-il, sa voix brisée par la confusion.
La jeune femme accourut alors vers lui :
– Kasuga ! Tu vas bien ?... Je…
Elle hésita à dire, mais il le fallait :
– Je devais venir te chercher…
– Je ne comprends pas comment tu fais, Ayukawa. Comment es-tu venue dans cette dimension toute seule ? Explique-moi.
– Plus tard, fit Madoka en aidant son ami à se relever.
– Et c’est quoi ce manga avec nous dedans ?…
– Allez, lève-toi.
Tandis qu’elle aidait Kyosuke, le regard de la jeune femme fut alors attiré par autre chose.
Derrière les arbres, les bosquets et le garde-corps, des marches… C’était le grand escalier qui avait marqué leur destin.
Madoka ne savait pas pourquoi ni comment, mais elle et Kyosuke étaient revenus là où tout avait commencé pour eux. Là où la jeune fille avait rencontré ce garçon timide pour la première fois.
Le silence entre eux était lourd.
Elle et Kyosuke tenaient une position assez discrète derrière les troncs d’arbres et les bosquets, à quelques mètres du niveau de la première marche du haut de l’escalier que, debout, Kyosuke fixa.
– Sommes-nous dans une autre dimension ? demanda-t-il. J’ai plutôt l’impression que nous avons été téléportés de ta demeure… jusqu’ici.
Madoka regarda le paysage autour d’elle. Tout semblait être à sa place, comme cela était dans sa propre mémoire, un jour de printemps lointain. Les mêmes types de feuillages, les mêmes températures, les mêmes marches du grand escalier…
– C’est également le printemps… dit-elle avec hésitation. Comme pour notre saison actuelle…
Tout deux restèrent ainsi, immobiles, le cœur alourdi par une étrange mélancolie.
– Comment être sûr que nous sommes bien dans un univers parallèle ? demanda Kyosuke avec un léger doute.
Madoka se souvint alors des informations que lui avait transmises le Pouvoir lors de sa courte audience avec lui. Manami avait déjà été témoin de nombreux univers parallèles où un double de Madoka se rendait vers le grand escalier et perdait son chapeau de paille rouge soulevé par le vent. Et ce chapeau retombait inlassablement sur les marches, sans Kyosuke pour rattraper l’objet en plein vol.
Madoka se demanda alors si elle et Kyosuke n’avaient pas tout simplement été projetés dans un de ces univers-là, où le printemps était également en cours. Cependant, s’il avait été question d’univers parallèle, pourquoi se retrouvait-elle avec Kyosuke au sein de cette végétation ?… Leurs propres doubles, qu’ils ont remplacés, étaient-ils là dans cet endroit ?... Pourtant, Madoka sentait quelque chose de très familier en elle.
– On fait quoi ? demanda Kyosuke. On rentre chez nous ? Tu prononces les mots clé ?
– Chut ! fit soudain Madoka, en se baissant.
– Heu ?…
– Baisse-toi, Kasuga !
Kyosuke se baissa afin de ne laisser que sa tête visible au-dessus des bosquets.
Un détail venait en effet d’attirer l’attention de la jeune femme. Sur le sentier allant du parc vers l’escalier, à leur gauche, elle aperçut de loin une silhouette familière.
Madoka fit les gros yeux ! C’était elle-même ! Elle-même, plus jeune de quelques années ! Une jeune Madoka, portant ce chapeau de paille rouge qu’elle affectionnait tant, marchait paisiblement vers l’escalier, ignorant tout de ce qui l’attendait. Plus de doute : ceci n’était pas un univers parallèle !
À cette vision, Kyosuke ouvrit la bouche, incapable de formuler une pensée cohérente, sauf :
– C’est toi !…
Le cœur du jeune homme lui confirma que c’était bien elle. Originellement, Kyosuke ne savait pas exactement d’où Madoka était venue quand il l’avait vue la toute première fois. Il la rencontra lorsqu’elle le regarda du haut de l’escalier, après qu’il eût rattrapé son chapeau de paille rouge. Hormis à l’aéroport en partance pour Los Angeles, puis à son retour des USA, c’était la troisième fois qu’il voyait Madoka avec son chapeau porté sur la tête. Il en fut presque hypnotisé.
Tout à l’heure, il était retombé la tête la première en arrière sur le sol du salon des Ayukawa. Il avait déjà voyagé dans le temps, mais en tombant des marches [Tome 5, NDLR]. Tomber violement sur le sol, c’était voyager dans le temps.
Il confia ses réflexions à Madoka :
– Si vous êtes là toutes les deux, c’est que nous sommes dans le passé ! dit-il C’est bien notre univers.
Ceci expliqua à Madoka qu’elle ait ressenti ces lieux de manière plus familière que d’habitude.
– Je voyage dans le temps quand je tombe à terre violement, ajouta-t-il.
La jeune femme se rappela alors combien Kyosuke avait été bouleversé en ouvrant le premier tome du manga. En découvrant la scène dessinée du grand escalier, il avait eu comme un choc, si intense qu’il en perdit l’équilibre. Ce moment, ravivé sous forme d’images, avait agi comme une clé sur son subconscient, déclenchant un véritable voyage dans le temps, plutôt qu’une simple traversée entre les dimensions. Elle se demanda si la lecture des mots clés et non leur écoute valaient comme déclencheur d’un tel voyage.
Quoi qu’il en soit, Madoka sentit son cœur battre la chamade. Elle suivit du regard son alter ego quatre ans plus jeune, toujours coiffée du chapeau. Elle était en train de quitter le parc, pour se diriger comme prévu vers l’escalier, dans le but de redescendre la colline. Encore quelques mètres, et son chapeau s’envolerait avant d’atteindre la première marche. Madoka reconnut à présent les vêtements qu’elle avait elle-même portés ce jour-là. Ce chemisier rouge à fleurs. Oui, plus aucun doute. C’était bien un voyage dans le passé. C’était sa réalité. Mais pourquoi ressentait-elle malgré tout de l’inquiétude ?
Les images du passé qu’elle avait en sa mémoire, et celles qu’elles vivaient en ce moment en direct, se mélangeaient. Son esprit voulut lui montrer quelque chose de précis. En une fraction de seconde, Madoka eut une vision.
« Pas maintenant ! », hurla-t-elle en silence.
Les feuillages reposants et fixes sous un ciel d’un bleu éclatant, bercés par le chant léger des oiseaux. Mais l’image s’effaça aussi vite qu’elle était apparue. Pourquoi cette vision était-elle revenue subitement ?… Pourquoi lui imposait-elle ce trouble inattendu ?…
La jeune Madoka s’approchait de plus en plus du grand escalier. Son chapeau était toujours sur la tête. Mais que se passait-il ?…
À l’abri derrière les troncs d’arbre et les bosquets ceinturant les marches, Madoka posa une main sur la bouche. Elle comprit la vision qu’elle venait d’avoir. Le feuillage y était fixe. Il n’y avait pas de vent. Cette vision, issue d’on ne savait où, insistait sur les feuilles immobiles. Fébrilement, Madoka observa attentivement autour d’elle. Également aucun vent. Aucun souffle. Tout semblait figé en équilibre précaire.
Une révélation effroyable se présenta à l’esprit de Madoka.
Sa vraie plus grande peur.
« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »
La question était la réponse. Voilà enfin ce qui se cachait en elle. Le Pouvoir savait déjà.
C’était bien son passé, unique et précieux. C’était bien elle, Madoka, plus jeune, qui marchait vers la première marche du grand escalier. Le bonheur était pourtant là, bientôt par cette rencontre imminente.
Pas encore de vent… Pas encore de chapeau qui s’envole…
« Si elle continue son chemin avec son chapeau… », pensa-t-elle.
Madoka termina sa phrase, la boule au ventre :
« Kyosuke et moi ne ferons que nous croiser… et resterons à jamais des inconnus… »
La peur de n’avoir jamais commencé ce bonheur.
La jeune femme sentit ses jambes trembler et sa gorge se nouer. Tout ce qu’elle avait traversé, tous les sacrifices qu’elle avait faits pour revenir jusqu’à cet instant précis…
Elle regarda un instant Kyosuke, comme pour lui exprimer :
« Je dois provoquer le destin ! »
Tout convergeait vers une seule décision. La plus grande décision de sa vie.
C’était à elle d’agir.
Des années de souvenirs défilèrent sous ses yeux en une fraction de seconde. Les souvenirs et les émotions se bousculèrent encore en tourbillon dans son esprit. Sa rencontre avec Kyosuke, leurs disputes, leurs éclats de rire, leurs peines et leurs espoirs… Tout cela dépendait de ce moment. Pour ce seul et unique « instant » crucial !
Mais comment agir sans attirer l’attention ?…
« Pas de vent… »
Madoka ferma les yeux, se concentra plus que jamais, sentant encore la chaleur d’un don, celui de l’ultime cadeau offert par le Pouvoir en personne… Ne pouvant servir qu’une seule et unique fois. Il était encore là, en elle, prêt à servir une dernière fois.
« C’est maintenant ou jamais… »
Ne pas intervenir, c’était condamner son propre univers… C’était oblitérer tout ce qu’elle avait vécu… C’était ne plus ressentir l’amour… Redevenir comme avant… Des larmes roulant sur ses joues, elle exprima de toute son âme son unique Pouvoir. Transcendant tout, le Pouvoir répondit à son appel. Une brise printanière s’éleva, douce d’abord, puis plus insistante. Elle sentit l’énergie vibrer en elle, se propageant dans l’air autour de la jeune Madoka marchant vers l’escalier.
La jeune femme qui avait lancé son ultime espoir pour ce seul moment, pour cette seule brise printanière, les larmes coulant sur ses joues, ouvrit les yeux à cet instant précis.
Soudain, le chapeau de paille rouge s’envola, emporté par la vigoureuse brise qu’elle avait créée. Il tourbillonna légèrement avant de filer vers le grand escalier.
La jeune Madoka s’arrêta net, les yeux écarquillés de surprise. Sans perdre un instant, elle se lança à la poursuite de son chapeau, commençant à descendre quelques marches. Mais avant qu’elle ne puisse l’atteindre, elle aperçut quelqu’un qui l’avait rattrapé au vol. Elle marqua une pause, les lèvres s’étirant en un sourire soulagé.
– Bien attrapé ! clama-t-elle, à la fois joyeuse et reconnaissante.
Le jeune Kyosuke se tenait là, le chapeau dans les mains, comme une réponse inattendue à son appel intérieur.
Un poids invisible sembla alors se dissiper dans la poitrine de Madoka, cachée derrière les bosquets, témoin de la scène. Épuisée par l’intensité de ce moment, elle sécha doucement les larmes qui avaient perlé sur ses joues. Le cœur enfin apaisé, elle sentit une profonde gratitude envers le Pouvoir. Ce dernier lui avait offert un précieux cadeau : il avait guidé cet instant décisif, l’amenant à provoquer cette rencontre tant attendue entre elle et Kyosuke. Un instant où, pour la première fois, elle força le destin de ses propres mains.
Et là, tout se déroula comme dans ses souvenirs : la rencontre…
– Une rafale de vent me l’a arraché, expliqua la jeune Madoka à celui qui avait rattrapé son chapeau.
Le sourire maladroit de Kyosuke… Le teint rouge qui monta à ses joues… Le nombre de marches… quatre-vingt-dix-neuf ou cent ?…
Depuis sa cachette, Madoka observa avec intérêt toute la scène, tout comme Kyosuke à ses côtés, resté silencieux et fasciné par ce qu’il voyait et entendait devant lui. Les mains de la jeune femme tremblaient encore, mais cette fois, ce n’était pas de peur. C’était un mélange d’émerveillement et de soulagement. C’était elle qui avait réalisé tout cela.
Elle et Kyosuke virent enfin la jeune Madoka redescendre l’escalier, quand elle se retourna vers le sommet des marches, interpellée par le jeune Kyosuke voulant lui rendre son chapeau qu’il lui tendit :
– Hé ! Ton chapeau !
D’un sourire, la jeune fille répondit :
– Je te le donne, il te va plutôt bien.
Derrière sa cachette, Madoka comprit… Le passé avait rejoint son présent dans son esprit. Elle comprit enfin pourquoi elle avait offert son chapeau à Kyosuke.
Précédemment, lorsqu’elle avait réintégré le cristal rouge après son audience avec le Pouvoir, Madoka s’était surprise à méditer étrangement et longuement sur cette question, qui revenait en elle comme une vague incessante : pourquoi s’était-elle séparée de son précieux chapeau de paille ? Sur l’instant, elle avait vaguement attribué son geste à un élan spontané du cœur, une impulsion inexplicable. Pourtant, ici et maintenant, alors que les pièces du puzzle s’assemblaient enfin, la vérité plus profonde lui apparut.
La brise printanière que Madoka avait provoquée avec sa seule tentative, n’était pas qu’une simple rafale de vent guidée par un pouvoir télékinésique. Non, c’était bien plus que cela. Cette brise était accompagnée par ses espoirs, par l’amour profond qu’elle portait pour Kyosuke. Cette brise printanière était habitée par une émanation d’elle, ressentie par l’esprit de la jeune Madoka. Ce souffle était comme un message que son futur soi lui apportait déjà dans son propre présent. Enveloppée un instant par cette brise, la jeune Madoka avait ressenti à ce moment précis dans son cœur et dans son âme que ce jeune Kyosuke était celui qu’elle devait rencontrer.
De son côté, Madoka comprit que ce n’était pas le hasard, ni une simple intuition. Quelque chose de puissant avait agi en elle, une force qu’elle n’avait jusqu’alors pas su nommer. Mais désormais, tout devenait clair. La réponse qu’elle cherchait depuis si longtemps ne se trouvait pas ailleurs. Elle était en elle, tapie au plus profond de son être.
Elle était celle qui avait forcé la main du destin. À l’approche du voyage dans le passé, cette main invisible semblait l’avoir appelée, l’alertant de manière croissante par des signes mystérieux : cette question qui revenait sans cesse en elle, ces visions troublantes du feuillage figé dans un silence énigmatique…
Profondément bouleversée, Madoka recomposa alors le tableau des événements qui, à travers le passé, le présent et le futur, s’étaient entrelacés pour culminer en cet instant précis. Une vérité éclatante s’imposa à elle : Kyosuke avait œuvré dans son propre passé lorsqu’il lui avait sauvé la vie en 1981. Et aujourd’hui, en ce jour du 13 mars 1984, c’était à son tour d’agir, de protéger l’avenir, cet avenir où tout ce qui comptait pour elle – Kyosuke, leurs amis, leur vie commune - trouvait sa place.
Jamais la lumière des choses ne lui avait paru aussi nette qu’en cet instant. Le cercle se refermait. Elle comprenait maintenant que sa présence ici n’était pas fortuite. Le Destin, elle le voyait clairement, n’était pas l’œuvre d’une divinité capricieuse dictant le cours des vies. Non, elle était ce Destin. Elle incarnait ce fil tendu entre les choix, où les décisions les plus lourdes se révélaient nécessaires.
Elle se tourna vers Kyosuke, jusqu’ici resté figé devant la même scène qu’il venait de revivre, comme autrefois. Tout comme dans le manga qu’il avait entr’aperçu dans le salon des Ayukawa.
– Tu vois ? dit-il au bout d’un moment. Nous avons toujours été destinés à nous rencontrer.
Madoka hocha la tête, maintenant incapable de prononcer un mot, ses yeux à nouveau brillants de larmes. Kyosuke ne semblait pas s’être aperçu qu’elle avait invoqué le Pouvoir pour faire naître cette soudaine brise printanière. Intérieurement, Madoka décida de garder ce secret. Ce moment devait rester pour lui un souvenir magique, et, au fond, il l’était réellement. Tout dans cette scène était empreint de magie : la rencontre, les premiers émois partagés, cet instant intime où, seuls, sur le seuil de la première marche d’un grand escalier baigné de lumière printanière, leurs cœurs s’étaient éveillés l’un à l’autre.
Une étrange sérénité s’installa en Madoka. L’absence désormais définitive des dons conférés par le Pouvoir la laissait libre. Libre de vivre sans crainte, sans redouter un futur incertain, sans la peur d’une force qui lui échappait. Elle conservera toutefois une profonde gratitude envers Akemi Kasuga et le Pouvoir, reconnaissante pour tout ce qu’ils lui avaient permis de vivre. Du bout des doigts, elle effleura le pendentif au cristal rouge suspendu à son cou, le symbole tangible d’un pacte ancien qui avait transcendé les limites du réel et ouvert les portes de tous les possibles.
« Tout est à sa place, maintenant », songea-t-elle, le cœur plus apaisé que jamais.
Après avoir été les témoins discrets de cette rencontre décisive entre leurs jeunes versions, Kyosuke et Madoka attendirent en silence que les silhouettes de leur passé s’effacent enfin. Madoka, l’œil attentif, balaya une dernière fois les environs d’un regard, vérifiant qu’ils étaient bien seuls.
– Ils sont… nous sommes partis, dit Kyosuke, sa voix empreinte d’un léger soupir de soulagement… Les événements sont restés les mêmes. Tout est en ordre, non ?…
Madoka hocha doucement la tête. Elle s’avança à découvert avec Kyosuke vers les abords de l’escalier. La jeune Madoka avait bien disparu, tandis que le jeune Kyosuke était bien rentré chez lui, dans sa nouvelle demeure située plus loin, dans le quartier résidentiel de la colline. Leurs yeux restaient fixés sur cet escalier qui s’étendait devant eux. Chaque marche semblait les appeler.
– Nous avons été témoins de quelque chose que je n’imaginais pas du tout vivre, admit Kyosuke, encore impressionné. Notre rencontre… C’est quand même quelque chose d’extraordinaire.
– Dis, Kasuga, tu ne t’es jamais demandé pourquoi la jeune Madoka t’avait donné son chapeau, ce jour-là ? Tu as dû penser, sur le moment, qu’elle te voyait simplement comme un inconnu, quelqu’un qui s’était contenté de rattraper ce qu’elle avait perdu.
Le jeune homme réfléchit un instant.
– C’est vrai que j’ai trouvé étrange que tu me l’aies offert. Normalement, tu ne pouvais pas te souvenir que c’était moi qui t’avais offert autrefois cet objet. Mais il était précieux. Mais maintenant que tu en parles, peut-être que tu vas me le dire ?
Madoka fit les gros yeux. Elle ne pouvait pas révéler ce qu’elle avait fait il y a quelques minutes avec le cadeau du Pouvoir. Mais elle avait toujours une bonne excuse en réserve. Elle plissa les yeux d’un air faussement suspect :
– Tu sais, maintenant que j’y pense… Peut-être que c’est toi qui m’as ensorcelée pour que je te le donne. J’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose de bizarre chez toi, ce jour-là.
– Ayukawa ! Tu n’es pas sérieuse ?! grommela Kyosuke.
Madoka se mit à rire à pleine voix, comme pour se décharger d’une tension résiduelle. Et Kyosuke la suivit dans sa joie de partager de concert avec elle ce moment de paix, après toutes les épreuves passées ensemble dans l’autre dimension.
Ils restèrent ainsi tous deux figés sur la première marche, regardant encore l’escalier s’étendre vers le bas de la colline.
– Ça paraît étrange aussi, mais je me demande toujours… commença Madoka avant de s’interrompre.
– Quoi donc ? demanda Kyosuke, intrigué.
Elle tourna son regard vers lui, avec un sourire énigmatique.
– Combien de marches cet escalier possède-t-il vraiment ?… Depuis tout ce temps, nous n’en avons jamais eu la certitude absolue… Quatre-vingt-dix-neuf ?… Cents ?…
– On s’était mis d’accord pour quatre-vingt-dix-neuf marches et demi. Tu l’as même encore réentendu tout à l’heure.
– Oui, je sais. Mais je suis tout de même curieuse…
– Tu avais déjà compté les marches en montant, n’est-ce pas ?
– Oui, il y en avait quatre-vingt-dix-neuf.
– Et moi aussi, j’ai compté en montant. Il y en avait cent.
Madoka émit un sourire évocateur :
– Et moi je te dis qu’il y en avait quatre-vingt-dix-neuf, dit-elle en taquinant son ami.
– Mais… Tu me refais le même truc ?…
– Et tu ne voudrais pas vérifier ? rétorqua la jeune femme. Maintenant qu’on a le temps, pourquoi ne pas s’en assurer ?
Kyosuke fronça les sourcils, réfléchissant.
– C’est vrai… Pourquoi pas… Après tout, qui sait si on aura une autre chance de revivre tout cela, tu ne crois pas ?
– Absolument. Dans notre présent, en 1988, ce grand escalier peut avoir eu des marches rajoutées, rénovées ou manquantes. C’est aujourd’hui le bon moment.
– D’accord, Ayukawa. Donc, on est bien d’accord pour dire que nous voilà tous deux positionnés sur la première marche, n’est-ce pas ?
– Oui, c’est bien la première marche, confirma Madoka, un éclat de malice dans les yeux.
– Et l’escalier descend tout en bas, sans compter la surface du trottoir, évidemment.
– Bien sûr… Tu comptes me donner un cours de géométrie, maintenant ? se moqua Madoka, son rire léger flottant dans l’air.
– Un prétexte pour réviser les maths ensemble, comme au bon vieux temps, répondit Kyosuke avec un sourire complice.
Le rire du jeune homme se mêla à celui de Madoka. Elle se sentit soudain envahie par une douce vague de souvenirs, des échos d’un passé révolu, mais toujours vivant dans son cœur.
– Eh bien, ne pense même pas à t’échapper pendant cette révision, ou à t’endormir, lui lança-t-elle d’un ton espiègle.
Ceci raviva en Kyosuke beaucoup de souvenirs, dont la plupart assez cocasses.
– Je te donne un moyen de m’empêcher de m’éclipser, répliqua Kyosuke, le sourire en coin.
Il lui tendit la main, une tendresse silencieuse dans son geste.
– Alors, allons compter ensemble vers le bas, annonça-t-il.
Madoka sourit et enfouit ses doigts dans ceux de Kyosuke, une sensation douce et familière qui lui réchauffa l’âme. Ils étaient là, juste là, dans cette fraction de temps suspendue. Main dans la main, ils posèrent un pied ensemble sur la seconde marche, en parfaite harmonie. Les deux jeunes gens prononcèrent presque instinctivement de concert :
– Deux !…
Puis, avançant vers la troisième marche, chaque voix s’exprimait de manière nette et précise, sans se laisser déconcentrer :
– Trois !…
Leurs voix se mêlaient dans une douce cadence, chaque chiffre résonnant comme un écho de leur lien profond et indéfectible.
– Quatre !…
Les marches se succédaient, et à chacune d’elles, des souvenirs affluaient. Madoka se rappelait les éclats de rires, les silences pleins de sens, et les innombrables choix qu’ils avaient faits ensemble au cours de ces quatre dernières années. Kyosuke, lui, observait son visage avec une tendresse discrète, gravant dans son esprit cet instant unique.
– Dix-sept !… Dix-huit !… compta Madoka à voix haute, accompagnée de celle de Kyosuke.
Aux marches suivantes, elle ralentit légèrement, laissant son esprit vagabonder. Chaque pas la ramenait vers les souvenirs des personnes qu’elle avait croisées au fil de son voyage extraordinaire entre les dimensions. Ces rencontres, elle le savait, étaient à la fois des leçons et des cadeaux. Elles avaient laissé une empreinte indélébile sur son cœur.
À la trente-deuxième marche, sur un des paliers, ils s’arrêtèrent un instant, Madoka levant les yeux vers l’horizon lointain qui s’offrait à elle.
– Tu sais, dit-elle. Je crois que cet escalier symbolise beaucoup plus que ce que j’avais imaginé.
Kyosuke haussa un sourcil :
– Comment ça ?…
La jeune femme marqua une pause, cherchant ses mots.
– Il représente nos débuts, nos incertitudes… et maintenant, il marque une fin. Mais une fin qui nous appartient…
Kyosuke lui sourit, son regard brillant d’une émotion sincère.
– Ce n’est pas vraiment une fin, Ayukawa. C’est une étape de notre vie qui s’achève… Une ère nouvelle qui s’ouvre… Juste un autre commencement.
Elle rit doucement, secouant la tête.
– C’est bien toi ça… Toujours à croire qu’on peut réécrire l’histoire, hein, Kasuga ?…
Alors, tous deux sourirent et continuèrent à descendre, leurs voix comptant les marches dans une harmonie parfaite, se tenant toujours par la main.
– Trente-sept !…
Leur rythme ralentit légèrement. Le soleil était au plus haut de cette journée printanière.
– Trente-huit !…
Madoka sentit une étrange sérénité l’envahir, comme si chaque marche franchie dissipait en même temps les doutes et les peurs accumulés.
– Trente-neuf !…
Madoka hésita une fraction de seconde avant de poser le pied sur la pierre de la marche suivante. Kyosuke la regarda, un sourire complice éclairant son visage.
Ils comptèrent à l’unisson :
– Quarante !…
Ils échangèrent ensemble un regard empli de compréhension, unissant dans ce mot simple tout le poids de leur histoire, de leur parcours, de leur amour… et de ce que l’avenir leur réservait.
Un vent naissant souffla légèrement, emportant avec lui les échos de leur rire, tandis que Kyosuke et Madoka s’éloignaient main dans la main de la quarantième marche, comptant les suivantes, disparaissant plus bas, derrière un coude de l’escalier, hors de vue.
L’escalier resta silencieux, baigné dans une paix éternelle, témoin d’une histoire qui, bien qu’écrite à l’encre du passé, ne cessera jamais de résonner dans le cœur de ceux qui s’en souviennent.
« «
«
Épilogue
Jingoro dormait paisiblement sur le rebord de la fenêtre, son corps rond et chaud étalé sous la lumière douce de l’après-midi. Je suis assise à mon bureau, un journal personnel ouvert devant moi. L’encre de mon stylo glisse sur le papier, laissant des traces qui tentent de capturer ce que je ressens. Mais parfois, les mots me manquent.
Je fais une pause, levant les yeux vers Jingoro… Il faisait partie de notre famille désormais, témoin silencieux de nos joies et de nos peines quotidiennes. Un compagnon fidèle, à sa manière… Et qui a trouvé le foyer qu’il recherchait.
Je continue d’écrire :
« Il existe des histoires qui prennent forme dans les méandres des jours passants, entre rires, silences et regards échangés. La nôtre, représentée par celle de Kyosuke et Madoka, est une histoire d’instants suspendus, de décisions prises dans l’ombre d’un souvenir et de chemins parallèles qui, parfois, se croisent entre joie et tristesse. C’est une histoire qui ne se termine jamais vraiment, car elle persiste dans chaque souffle du vent, dans chaque souvenir d’un été lointain. Une histoire qui, même dans le temps qui file, continue de s’écrire en nous, à travers l’écho d’une promesse, et l’infini d’un amour indélébile. »
Je marquai une pause, les doigts suspendus. Mes yeux s’embrouillèrent un instant, et je sentis une larme glisser doucement sur ma joue. Je souris, me remémorant chaque éclat de rire, chaque regard échangé, chaque hésitation, chaque pas franchi.
Mes pensées dérivent encore vers Kyosuke et Madoka. Que dire d’eux, sinon qu’ils sont la preuve vivante que l’amour peut triompher de tout ?
J’écris encore :
« Kyosuke, mon grand frère… Et toi, Madoka, ma sœur de cœur… Vous m’avez donné tant de forces… Vous deux m’avez appris tant de choses. À croire, à aimer, à ne jamais abandonner, même face à l’inconnu. Vous avez affronté des épreuves qui ont dépassé l’entendement… Mais vous les avez surmontées ensemble. Et grâce à vous, je sais que l’avenir, aussi imprévisible soit-il, est un terrain où tout peut encore fleurir. »
La pointe de mon stylo sur le papier résonne doucement dans la pièce, comme une musique familière qui m’apaise.
« Hikaru m’a annoncé qu’elle quittait Otaru pour revenir à Tokyo. « Manami, je veux revenir là où tout a commencé », m’a-t-elle écrit. J’ai vu dans ses yeux cette lumière qui la rend si spéciale. Elle a toujours été forte, libre et lumineuse comme un feu d’artifice. Je suis heureuse pour elle. Elle est enfin en paix avec elle-même. »
Un soupir m’échappe. J’ai toujours admiré Hikaru pour sa capacité à rebondir dans la vie.
Je me rappelle aussi de maman. Son souvenir si précieux vibre toujours en moi.
« Maman… Tu veilles sur nous, n’est-ce pas ?… Je sens ta présence dans chaque instant de lumière, dans chaque souffle de vent qui traverse la maison. Tu es là, dans nos cœurs, gardienne invisible de nos espoirs. Nous avançons, mais jamais sans toi. »
Je m’arrête, laissant ces pensées m’envahir. Une nouvelle larme coule sur ma joue, mais ce n’est pas une larme de tristesse. C’est une larme de gratitude et de sérénité…
Je reprends mon stylo, inspirée par une vision plus large de ce que nous étions.
« Nous sommes une famille liée par des fils invisibles, tissés à travers les dimensions et les années. Ce n’est pas qu’une histoire de pouvoirs étranges ou d’événements extraordinaires. C’est une histoire d’amour, de résilience et de transmission. Je crois en notre chemin, en cette destinée qui nous lie, au-delà des mystères. Je crois que, chacun à sa manière, nous avons tous un rôle à jouer dans cette aventure sans fin. »
Une idée me traverse alors l’esprit. Une certitude, presque :
« Izumi Matsumoto… Ce Kappa neko ineffable… Je suis persuadée que je le reverrai un jour, là-bas, campant dans l’Exostral. Avec mon tout nouveau pouvoir, je sais que je pourrai voyager à travers les dimensions, sans crainte de bouleverser quoi que ce soit. »
Je resonge à Kurumi, qui avait trouvé la paix en elle, grâce au cadeau que Madoka lui avait offert. Elle est guérie de toute crainte, pour notre plus grande joie à tous.
J’écris :
« Kurumi est bien en sécurité. Plus rien ne pourra lui arriver. Cependant, récemment, elle m’a parlé d’un souhait : celle d’envoyer dans l’autre univers un message à la Madoka Ayukawa, amie de Kenji Hiyama. Elle cherche à s’excuser pour tout le mal qu’elle lui avait causé durant la crise. Je crois que son esprit ne sera définitivement libéré que si elle parvenait à entendre le pardon de Madoka. J’ai désormais le pouvoir de voyager entre les mondes sans crainte. Mais puis-je franchir une seconde fois le seuil du même monde parallèle ?... Ce sera un défi immense que je sais que Kyosuke a déjà réussi à accomplir. Et un jour, je parviendrai peut-être à obtenir une réponse à la demande de ma petite sœur. »
Mes pensées dérivent alors vers Kazuya Terashima, ce jeune homme que j’avais rencontré dans l’autre Multivers.
« Kazuya… Nos chemins se sont croisés brièvement, mais je n’oublierai jamais ce qu’il m’a apporté. Parfois, les rencontres les plus courtes laissent des empreintes indélébiles. »
J’ai lu tout le manga de Kimagure Orange Road qu’il a créé :
« Cette histoire de notre vie, que Kazuya a traduite dans ce manga, ne m’appartient pas entièrement. Elle appartient à ceux qui, un jour, croiseront cet escalier et y graviront leurs propres marches. Elle appartient à ceux qui choisiront de suivre leurs émotions, même quand elles semblent impossibles. Elle appartient à chacun de nous, porteurs de rêves et d’espoirs, connectés par ce qui nous rapprochent. »
Je me lève, inspirant l’air frais qui venait de s’engouffrer par la fenêtre entrouverte. En observant le ciel, je me sens légère et libérée. Derrière les arbres du parc situé devant notre résidence, je vois au loin ce grand escalier que je venais d’évoquer.
Je retourne à mon bureau pour écrire les derniers mots sur ces pages :
« La vie est comme cet escalier, parfois vertigineux, parfois incertain. Mais si nous avons le courage de descendre ou de monter, nous découvrons, tel un chemin initiatique, qu’il mène toujours quelque part. Il n’y a pas de fin, seulement de nouveaux commencements. »
Je souris doucement, essuyant les larmes qui coulaient encore sur mes joues. Je pris une profonde inspiration. Le journal est presque plein, comme si ces pages avaient absorbé une part de mon âme.
Je referme le journal, symbole du passé magnifique que je quitte, et le place dans le tiroir secret de mon bureau.
Je me lève doucement, prenant Jingoro dans mes bras. Une chaleur réconfortante envahit mon cœur.
– Allez, viens, Jingoro, murmurai-je.
Je franchis la porte de ma chambre, m’avançant dans le couloir inondé de lumière. Chaque pas semble m’entraîner plus loin dans un avenir encore flou, mais d’une éclatante intensité. Ce n’est pas simplement un chemin qui s’ouvre devant moi, c’est un vaste horizon à embrasser, où les possibilités se multiplient à l’infini. Un frisson parcourut mon être, une énergie nouvelle qui m’envahit, comme si l’univers tout entier s’apprêtait à me révéler ses secrets. Et dans le silence de ce moment, une certitude s’installa profondément en moi : je ne fais que m’élancer vers l’immensité d’une destinée radieuse, prête à la façonner à ma manière.
FIN
« «
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Posté par CyberFred
on 08 décembre 2024 - 15h32
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 39
Le Pouvoir
Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »…
Je suis seule, et Kyosuke n’est pas là pour me protéger. Des éclairs jaillissent des vortex, pointant directement vers moi ! Je ne peux pas m’abriter !… Je ne peux pas esquiver !…
Un fracas inouï déchire le silence ! Les éclairs, comme des fouets de feu bleuâtres, se dirigent vers moi. Ils me traquent, impitoyables, cherchant à me foudroyer de toutes parts !…
Je suis seule… Impuissante… Kyosuke, pardonne-moi… Hikaru, pardonne-moi… Pardonnez-moi… Je vais mourir avant d’accomplir ma mission… Je vais disparaître à jamais avant d’honorer toutes mes promesses…
Le champ de vision de Madoka se brouilla sous l’assaut des menaces qui surgissaient de toutes parts. Elle savait qu’il lui était impossible de se mouvoir à une vitesse surpassant celle de la lumière pour éviter les éclairs qui fusaient, prêts à la frapper.
« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »
Les yeux clos, elle perçut cette voix, claire et implacable, résonnant à la fois de partout et de nulle part. Elle resta immobile, son champ de vision toujours obscurci. Était-elle morte ?… Les éclairs l’avaient-ils atteinte ?…
Quand elle rouvrit les yeux, tout avait changé. Le vide… Une immobilité écrasante… Plus aucune teinte écarlate dans le décor, plus aucun éclair. Que se passait-il ?… Et cette voix gutturale qu’elle venait d’entendre ?… Ce n’était pas Akemi. Non, c’était autre chose… quelque chose qu’elle n’arrivait pas à nommer ni à définir.
La voix revint, insistante :
« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »
Elle balaya son environnement du regard. Soudain, elle ressentit sous ses pieds la présence d’un sol invisible, ferme comme une plaque de verre suspendue dans un espace infini. Ce contact la rassura. Flotter dans ce vide rougeoyant lui avait fait perdre tout repère.
Elle ferma un instant les yeux et fit le vide dans son esprit, tentant de retrouver son équilibre.
– Ma peur est pour tous ceux que j’aime, pas pour moi, répondit-elle à haute voix. Qui êtes-vous ?
Sa voix résonna, s’étirant dans des échos qui semblaient se disperser à l’infini.
« Une part de cette peur t’appartient aussi, Madoka », reprit la voix, imperturbable.
Elle fronça les sourcils. Pourquoi cette insistance ? Pourquoi revenir sur la peur ?
– Qui êtes-vous ? répéta-t-elle, plus fermement. Que voulez-vous ?
« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »
La jeune femme serra les dents. Elle comprit que cette présence continuerait à poser inlassablement la même question si elle s’entêtait à répondre par d’autres interrogations. Il lui fallait être plus sincère. Cette voix, ou cette intelligence, semblait percevoir bien plus qu’elle ne voulait admettre.
– Montrez-vous ! cria-t-elle soudain.
« Me voir ne t’aidera pas à répondre à ma question : pourquoi as-tu peur ? »
Elle sentit que l’obstination ne lui apporterait rien. Cette présence exigeait une réponse honnête.
– J’ai peur, oui.
« Sois plus précise. »
– J’ai peur ! C’est ce que vous voulez entendre, n’est-ce pas ?
« Non. »
– Quoi ? Mais qu’attendez-vous de moi ? Je dois sauver une amie !
« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »
L’agacement céda à une sorte de lassitude mêlée de lucidité. La présence ne se contenterait pas d’une réponse superficielle. Madoka ouvrit la bouche, prête à répliquer, mais se ravisa. Elle comprit qu’elle devait descendre plus profondément en elle-même.
Car cette peur, elle l’avait toujours portée, sans jamais oser la nommer. Depuis trop longtemps, elle se protégeait derrière une façade : un mur d’indifférence, une barrière érigée contre ses propres émotions. Mais qu’y avait-il derrière ? Une peur d’être rejetée, montrée du doigt. La peur d’échouer, là où tout le monde la regardait. Être la meilleure, toujours, pour étouffer cette peur sourde.
Elle serra les poings. Oui, la peur était là, inavouée. Mais elle le savait : son amour pour Kyosuke avait repoussé ces ténèbres, ou du moins les avait tenues à distance.
Comme si cette présence invisible avait deviné les pensées de Madoka, elle déclara :
« Tu as répondu à ma question. »
– Je n’ai pas encore répondu, répliqua Madoka.
« Et pourtant, tu l’as fait. »
– Qui êtes-vous ?
« Je suis une présence qui éclaire ce que tu cherches à comprendre. »
– Vous parlez par énigmes ! s’indigna-t-elle. Qu’est-ce que vous voulez ? Où suis-je ?
« Écoute mes mots, Madoka. Je vais être direct. Je connais ton désir de tout savoir. »
– Bien sûr !
À ces mots, un torrent d’informations visuelles et sonores jaillit dans son esprit, s’imposant presque avec brutalité inouïe. Madoka hurla, surprise par l’intensité de ce flot. Elle comprit que ce mode de transmission était nécessaire, car ici, le temps semblait suspendu, sa logique humaine dépassée.
En un instant, elle sut. Elle sut que son corps physique résidait dans le cristal qu’elle portait autour du cou, et que, telle une poupée gigogne, son essence se démultipliait à l’infini à travers les strates de cette dimension. Comme dans un temps suspendu, les éclairs, eux, convergeaient sur elle. Elle sut aussi que ce lieu, hors du temps, avait été créé pour cette audience. Elle comprit ce qu’était l’Exostral. Elle sut que Manami jouait un rôle crucial dans cet effort pour sauver son Multivers et en revitaliser un autre. Elle apprit qu’Akemi Kasuga, sa mère décédée revenue de l’Éther spécialement pour cela, accompagnait sa fille dans cette mission, et qu’un être étrange, un kappa neko, animé d’ambitions insondables, œuvrait pour un autre univers, celui d’un mangaka inspiré par un simple chapeau de paille rouge… Son propre chapeau de paille rouge !
Madoka assista aux échanges entre Akemi et Manami, et son cœur se serra de bonheur à l’idée qu’une fille puisse retrouver sa mère, même dans ces circonstances extraordinaires. Elle hurla à nouveau, mais cette fois de joie, en découvrant que Kyosuke et Hikaru étaient revenus sains et saufs sur Terre. Cependant, l’inévitable catastrophe s’amorçait déjà.
Elle comprit enfin que son pendentif flottait désormais devant Kurumi, piégé dans une bulle interdimensionnelle que cette dernière avait créée. Tout cela était bien trop à assimiler, et pourtant insuffisant pour répondre à la question essentielle : comment tout cela finirait-il ?
Épuisée par cet afflux d’informations, Madoka tomba à genoux sur le sol invisible.
Haletante, elle finit par murmurer :
– Cela ne me dit rien sur ce qui m’attaque dans le cristal… ni sur qui vous êtes…
« Vraiment ? »
– Vous n’êtes ni une créature de l’Exostral, ni de l’Éther, lança-t-elle, cherchant à démasquer cette entité. Vous êtes autre chose… à moins que…
« Tu as deviné. »
– Le Pouvoir…
« Tel, je suis. »
– Êtes-vous une divinité ?
« Point du tout. »
– Dans ce cas, nous pouvons parler d’égal à égal.
« Bien dit, Madoka. »
– Alors, aidez-moi à sauver tout le monde !
« Sauver le Multivers… Sauver tout ce qui existe… »
– Oui, il le faut !
« Es-tu prête à en payer le prix ? »
– Vous voulez dire… mourir ?…
« Si cela s’avère nécessaire, l’accepteras-tu ? »
La jeune femme pensa à Kyosuke. Elle savait maintenant qu’il était en sécurité, sur Terre. Il était rentré chez elle, sain et sauf, avec Hikaru à ses côtés. Tous semblaient aller bien, en apparence. Car la menace de la conflagration était là. Madoka avait vu aussi, ces images de l’autre univers, celles leurs doubles respectifs qui étaient rentrés à destination. Kenji avait retrouvé sa petite sœur, ainsi que sa propre Madoka, guérie des souffrances infligées par Kurumi grâce aux soins de Madame Kasuga.
Malgré tout, Madoka devinait l’inquiétude de son Kyosuke. Il priait pour elle, rongé par la culpabilité de ne pas être là pour la protéger dans cette épreuve extrême. Une larme roula sur la joue de la jeune femme, une larme pour tous ceux qu’elle aimait et qui allaient bien. Mais elle savait qu’elle devait s’oublier. Si c’était là son destin, elle l’accepterait. Accomplir quelque chose de grand pour une cause infiniment plus grande qu’elle-même : voilà ce qui comptait désormais.
– J’accepte. Si ma vie peut sauver celles des autres, qu’il en soit ainsi.
« Je vais toutefois pimenter les choses, pour être certain que tu fasses le bon choix. »
– Quoi donc ?…
« Lorsque l’esprit d’Akemi Kasuga a tenté de communiquer avec toi, elle t’a offert un cadeau. »
– Un cadeau ?… Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris sur le moment.
« Quant à moi, je vais également t’en offrir un. »
– Décidément, c’est Noël avant l’heure. Quels cadeaux ?
« Madoka, le cadeau offert par Akemi, est un don que tu ne peux utiliser qu’une seule fois, quand tu le souhaiteras. »
– Un Pouvoir ?
« Oui, un Pouvoir. »
– De quel type ?
« À toi de le définir. »
Comment était-il possible de posséder ce qu’elle n’avait jamais eu ?
– Et si mon souhait était simplement d’empêcher la conflagration de se produire ?
« Elle se déroule déjà dans ton continuum. Crois-tu vraiment que cela suffirait ? Tu dois choisir avec soin. »
– Et cela ne vous gène pas que tout disparaisse ? Vous êtes aussi concerné.
« Penses-tu ? C’est un Pouvoir incontrôlé qui détruit tout. Ces énergies sont miennes. Je ne puis être détruit par ce qui me constitue. »
Madoka ne put appréhender les desseins de cette manifestation que constituait le Pouvoir. Elle se remémora plutôt les plans élaborés par madame Kasuga et ce kappa neko, qui assistaient Manami. Ces efforts seraient-ils suffisants pour contenir les énergies déchaînées de la conflagration ?
– Et votre cadeau ?…
« Lui aussi prend la forme d’un vœu. Un Pouvoir qui ne pourra s’exécuter qu’une seule fois également. Tu pourras l’utiliser dès ton retour dans le cristal, tout comme l’autre. Rappelle-toi que tu n’es ici que par l’esprit. Ton corps physique demeure là-bas, suspendu dans ce lieu hors du temps. »
Madoka serra les dents. Deux vœux… Bénie soit Akemi, dont la générosité et le courage s’étaient encore manifestés, même au-delà de la mort. Madoka admirait cette femme qui avait sacrifié sa vie pour sauver celles des autres.
– Je croyais que seuls les Kasuga possédaient le Pouvoir.
« Il demeure en eux parce que leur Souvenir du Pouvoir est inscrit dans leur cœur et leur esprit. Ces facultés existent aussi dans ton monde. Hélas, avec le temps, elles ont été oubliées. »
– Pourquoi m’offrir ces deux présents ? demanda la jeune femme.
« Deux ne sont qu’un miroir brisé en deux éclats. L’un reflète ton désir, l’autre ton devoir. Ce qui est donné n’est pas toujours destiné à celui qui le reçoit. »
– Je ne comprends pas…
Madoka comprit néanmoins que ces paroles cryptiques étaient un avertissement. Elle devrait user de prudence et de discernement pour employer ces Pouvoirs.
Une dernière question lui échappa :
– Ces éclairs qui me menacent… De quoi s’agit-il ? Je les ai déjà croisés autrefois. Ils me cherchent à nouveau. Est-ce lié au cristal que je porte ?
« Ces éclairs illuminent ce qui demeure caché. Leur lumière n’est pas un châtiment, mais un message. Leur feu dévore ce qui s’abandonne à l’absence et refuse de voir au-delà des ombres de l’âme. Si leur lumière devait t’atteindre, elle révélerait ce que ton cœur ignore encore, mais pas sans épreuve. Quant à ton cristal, il est la clé. Son prisme plie cette lumière en vérités que seuls les esprits lucides peuvent accueillir. Si tu oses regarder au-delà de son éclat, tu verras que le chemin n’a jamais disparu : il attend que tu le comprennes. »
Ces mots transpercèrent Madoka, plus profondément que tout ce qu’elle avait entendu jusqu’alors. Elle ouvrit la bouche, prête à protester face à ces énigmes incessantes.
« Tu cherches un éclairage ? Réfléchis à ton propre reflet. Celle qui, dans l’autre monde, a crié sous le poids des chaînes jusqu’à ce que la lumière l’éveille. Ce qu’elle a enduré n’a pas brisé son âme, mais l’a libérée. Et pour elle, tu es aussi un reflet. Ce qui détruit peut aussi guérir, si l’âme accepte de voir l’Invisible. Comme ce soir à Los Angeles, où la foudre dans ton cœur a éclairé ton chemin. »
Madoka frissonna. Le Pouvoir faisait allusion à son expérience à Los Angeles, ce moment charnière de son existence.
– Co… comment savez-vous ?… murmura-t-elle.
« Rien de ce qui est ne m’est caché. »
– Alors pourquoi avez-vous laissé Kurumi subir ce qu’elle a traversé ? Elle ne pouvait contrôler les dons issus de vos énergies.
« Ai-je jamais affirmé que le Pouvoir ou l’Inspiration étaient des forces parfaites ? Ce sont deux reflets d’un même éclat, deux polarités d’un unique souffle, et pourtant jamais tout à fait équilibrées. Ceux qui possèdent le Pouvoir sont rares, et, en eux, ces forces trouvent un réceptacle fragile, exigeant un contrôle constant. Mais si ce contrôle n’est point, alors, comme une note suspendue, l’un ne peut se maintenir qu’en s’appuyant sur l’autre, porté par un frère ou une sœur dans une harmonie imposée. »
Madoka songea alors à Manami qui régulait pour Kurumi le contrôle de son Pouvoir. Mais parler n’est pas agir.
– Cela suffit, trancha-t-elle, impatiente, et lasse des énigmes. Ramenez-moi où je suis.
Le Pouvoir marqua une pause. Lui qui répondait toujours promptement, même par des paroles sibyllines, sembla réfléchir. Puis, après un instant d’étrange silence, il déclara :
« Qu’il en soit ainsi, Madoka. Poursuis ton chemin et vois ton Destin s’accomplir. »
– Adieu et… merci.
La jeune femme ne pouvait toutefois pas ignorer les mots qu’elle avait entendus du Pouvoir. Elle songea que c’était peut-être la seule fois qu’elle aurait l’occasion d’avoir une audience avec lui. Le Pouvoir n’était pas une divinité, mais une énergie. Une force qu’il fallait canaliser en soi. Madoka ne possédait pas le Pouvoir. Et cela ne l’intéressait pas, car elle avait construit sa vie autour de sa propre force et de ses convictions. Cela lui suffisait. Mais elle avait aussi trouvé une autre force qui marchait à ses côtés : Kyosuke, qu’elle avait rencontré tout en haut des marches du grand escalier un beau jour de printemps. Et ce jour-là, elle ne le savait pas encore, mais le « printemps » avait aussi commencé à fleurir en elle, après de si longues années « d’hivers ». Elle portait depuis des années ce chapeau de paille rouge sur elle, et elle l’avait offert à cet inconnu. Pourquoi l’avait-elle fait ?… Elle ne connaissait pas ce garçon inconnu, mais son cœur et son âme avaient ressenti qu’au-delà des révélations d’un voyage dans le temps à venir, Kyosuke allait être spécial pour elle.
En songeant plus avant à ce qui lui était arrivé à Los Angeles, Madoka finit par découvrir un lien entre le foudroiement de son cœur qu’elle avait subi sur les sables de la plage, et le fait d’avoir laissé son chapeau de paille à Kyosuke le premier jour de leur rencontre. Au fond, elle savait, grâce aux révélations du Pouvoir, que son chapeau de paille rouge était devenu magique. Mais sa magie s’était-elle déclenchée quand elle a eu ce foudroiement ? Cet amour qui avait complètement foudroyé son âme ? Tout était lié à cet instant précis. Mais la réponse était peut-être là. En haut des marches du grand escalier, Kyosuke n’avait pas encore fait son voyage dans le temps pour lui offrir son chapeau. Elle ne pouvait donc pas avoir conscience que ce garçon ne lui était pas inconnu. Elle ne pouvait donc pas avoir de raison de lui donner son chapeau de paille. Elle n’était pas encore amoureuse de lui. À ce moment, Kyosuke n’étais juste qu’un inconnu qui n’avait fait que rattraper son chapeau… Et pourtant, elle lui avait donné son chapeau.
Alors que Madoka songeait à ce moment crucial de sa vie, tandis que sa vision présente la ramenait d’un plan à l’autre, vers ce ciel rougeoyant, vers les éclairs qui l’attendaient à son retour, elle chercha mystérieusement à comprendre l’engrenage des choses, sur un événement de son propre passé. Avant que Kyosuke ne tente de lui rendre le chapeau, il l’avait gardé sur sa tête durant quelques minutes. Il portait physiquement sur lui un objet qu’elle avait gardé durant des années que pour elle-même. Pourquoi le lui avait-elle donné ?… Pourquoi se poser cette question maintenant, en un moment pareil ? C’est là que venait le problème. Et, étrangement, Madoka s’accrochait à en débusquer la clé. Elle ne s’était jamais posé la question, même après tous les événements qui avaient surgi après son retour au Japon. Pourquoi avoir donné son chapeau à Kyosuke ?… Pourquoi tout se concentrait sur cela ?…
Elle eut la révélation au moment où son esprit réintégra l’espace dimensionnel du cristal rouge.
Cet instant précis fut la réponse.
La révélation.
Sur le bateau, l’été dernier, Kyosuke lui avait offert le pendentif de sa mère ciselé d’un cristal rouge : « Je te le donne. Il te va très bien ». Quelques années auparavant, elle lui avait donné son chapeau de paille rouge : « Je te le donne. Il te va plutôt bien ». Sous l’arbre des souvenirs, Kyosuke lui avait dit : « Je t’attendais, Ayukawa ». À Los Angeles, Madoka lui avait crié : « Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! » Tout était lié.
Elle comprit enfin, dans cet éclat de conscience que le cristal rouge lui insuffla, que rien n’était dû au hasard. Ce jour-là, sur le grand escalier, elle n’avait pas donné son chapeau de paille rouge à Kyosuke parce qu’il en avait besoin ou parce que c’était un acte purement altruiste. Elle l’avait fait parce que, quelque part, en elle, une part enfouie de son être savait déjà.
Non pas avec la clarté d’un souvenir, mais avec l’intuition profonde de l’âme. L’intuition de quelqu’un qui, sans comprendre pourquoi, ressent une présence comme un écho ou une brise. Kyosuke n’était pas qu’un inconnu : il était un fragment à la fois de son passé et de son futur qui venait d’éclore dans son présent. Et, même si elle n’avait pas encore vécu tout ce que ce futur leur réservait, son cœur avait déjà pressenti la puissance de leur lien. Donner ce chapeau, c’était une manière instinctive de sceller quelque chose, un geste d’attachement qu’elle ne pouvait pas nommer.
Elle réalisa que le chapeau était bien plus qu’un simple accessoire. Depuis des années, il l’avait accompagnée comme une carapace douce mais solide, un talisman rouge pour dissimuler ses émotions. Quand elle le portait, elle se sentait protégée, comme si cet objet pouvait adoucir ses tempêtes intérieures. Ce jour-là, en le donnant à Kyosuke, elle avait inconsciemment décidé de se dévoiler, d’abandonner cette part de contrôle qu’elle tenait si fermement. Il n’était pas encore celui qu’elle aimerait profondément, mais il avait capturé une brise légère dans son âme, et elle avait laissé cette brise l’emporter.
Elle comprit que le don de son chapeau avait ouvert une porte, une faille minuscule dans son propre mur de solitude. Ce jour-là, elle n’avait pas donné qu’un chapeau. Elle avait donné un fragment d’elle-même, une permission tacite pour qu’un inconnu puisse entrer dans sa vie. C’était un risque, mais un risque qu’elle avait pris sans réfléchir, parce que quelque chose au fond d’elle savait que Kyosuke n’était pas destiné à être un simple passant gravissant ces marches. Son geste, bien que spontané, était empreint de l’énergie du Pouvoir qu’elle venait de reconnaître comme un guide inconscient à travers Kyosuke, une force invisible reliant les âmes au-delà du temps et des dimensions. Cette même sensation qu’elle reconnut quand elle était en présence du Pouvoir.
Alors, tout devint limpide. Ce n’était pas un acte conscient, mais un appel lancé à travers les années. Un signal pour celui qui, elle le comprenait à présent, serait le porteur de ses rêves et de ses douleurs, l’ombre et la lumière de ses jours. Elle l’avait su au plus profond d’elle-même, même si son esprit n’avait pas encore saisi la portée de cet acte. Elle lui avait donné ce chapeau comme on sème une graine : avec l’espoir silencieux qu’elle germerait un jour.
Les éclairs autour d’elle se firent plus vifs, comme si l’espace dimensionnel lui-même saluait cette révélation. Ce chapeau, qu’elle n’avait plus, n’était pas seulement magique parce qu’elle l’avait porté. Il était devenu magique parce qu’elle l’avait donné, par un Pouvoir qui veillait quelque part et la guidait. Et en le donnant, elle avait permis à son amour de se déployer à travers le temps, de grandir sans qu’elle ne le sache encore. Tout était lié. Le chapeau rouge était le premier fil d’une tapisserie qu’ils tissaient ensemble, sans même en être conscients.
Madoka sourit légèrement, les yeux fermés. La réponse était là depuis toujours. Ce n’était pas le chapeau qui avait changé leur destin, mais l’élan du cœur qui l’avait poussé entre les mains de Kyosuke. Un élan qu’elle avait toujours eu en elle, qu’elle avait exprimé avec une émotion intense à Los Angeles : l’amour.
« Je n’ai plus mon chapeau, mais ce pendentif est désormais ma carapace pour me protéger des tempêtes ! »
Et puis, tout en gardant les yeux clos :
« Je lâche prise… »
Pour la première fois, Madoka abandonna toute résistance et toute confrontation. Les éclairs seraient la révélation, comme ils tentèrent de le faire sur la barque l’été dernier. Elle acceptait leur message.
Elle portait son pendentif avec fierté et conviction. Elle se souvint des mots du Pouvoir : « Si leur lumière devait t’atteindre, elle révélerait ce que ton cœur ignore encore, mais pas sans épreuve. »
Elle attendit. Elle portait le Pouvoir sur elle. Elle ne pria pas. Elle ne formula pas de vœux. Elle réserva cela pour après. Elle sourit. Elle avait confiance. Elle ne voulut plus se cacher. Elle n’avait plus peur. Elle s’en remit au Destin.
Comme attendus, sous un fracas intense, les éclairs en très grand nombre fouaillèrent sur Madoka.
La jeune femme avait encore conscience d’elle-même. Elle avait eu cet acte de foi ultime dans sa survie. Les éclairs bleus l’avaient atteinte. Elle aurait pu mourir mille fois sous leur feu dévastateur. Elle ne ressentit pas de chaleur intense, pas de douleur, pas de souffrance. Au contraire, un sentiment de paix. En rouvrant les yeux, elle vit comme un champ de protection autour d’elle. Cela avait l’apparence d’une bulle couleur azur et intense. C’était merveilleux. Les éclairs n’étaient pas là pour détruire, mais pour protéger. Ils voulaient protéger celle qui était la détentrice du cristal et qui en acceptait ses bienfaits. Cette pierre était la gardienne qui avait autrefois unis Akemi et Takashi. Désormais, Madoka était détentrice de la même pierre qui l’unirait, elle, à Kyosuke.
« Kyosuke… »
Elle aperçut, l’espace d’un instant fugace, une vision délicate : le feuillage d’un arbre, d’un vert paisible, s’élevant sous un ciel d’azur où l’on entendait au loin le chant timide d’un grillon. La scène présentait seulement de manière très rapprochée ce feuillage, qui semblait vibrer d’une clarté singulière. Que signifiait-elle ?… Pourquoi cette image, et pas une autre ?… Madoka en était sûre : ce n’était pas un simple écho des flots d’informations que le Pouvoir avait projetés en elle. Était-ce une épreuve ?… Était-ce l’épreuve ?… Puis, comme une brume dissipée par le vent, l’image disparut. Il n’y eut pas d’autres manifestations. Tout cela était étrange…
Revenant à la réalité du moment présent, Madoka se laissa toujours porter dans ce champ protecteur. Elle savait que son destin devait la mener quelque part. C’est alors qu’autour d’elle, provenant de partout dans cette dimension, une immense lumière fusa de partout. Ce n’était pas d’autres éclairs, mais une énergie immense, une conflagration. Occupant tout l’espace. C’était la conflagration finale. Kurumi avait finalement déclenché cela. Le point de non retour était franchi ! Le pendentif, situé devant elle, avait-il pu capter toutes les énergies ?…
Voyant cette immensité destructrice s’approcher, Madoka devait à nouveau faire acte de foi, se laisser porter… Lâcher prise. Ne pas résister. Songer à l’amour qu’elle portait en elle pour Kyosuke, à son amitié éternelle pour Hikaru, à sa reconnaissance pour madame Kasuga, dont le Pouvoir en ce cristal participait au miracle de sa survie. Tout le monde l’aidait et offrait leur force et espoir pour cette épreuve dont l’enjeu était tout le Multivers. Elle ne souhaitait pas formuler de vœu. Elle s’en remit encore au Destin le regardant droit en face d’elle.
L’immense vague énergétique frappa la bulle qui l’entourait. Celle-ci résista, se laissa emporter par un flot intense.
Mais étrangement, un point précis de la bulle fut particulièrement frappé par cette énergie. Mais Madoka continuait à lâcher prise. Il semblait que cette bulle était son alliée et qu’elle était en osmose avec elle. Mais elle oublia tout cela. Elle fit le vide dans son esprit, éloignant ses peurs et ses doutes. Une petite ouverture à travers la bulle se forma, et permit à l’énergie terrifiante de passer ! Était-ce un danger immense pour elle ? Madoka continua à lâcher prise. Un rayon de lumière fusa directement sur le cristal du pendentif qu’elle portait. Un bref instant, elle eut pour réflexe de couvrir son pendentif, de le protéger, telle la gardienne qu’elle était devenue. Mais elle se ravisa car elle admit que cela faisait partie du plan. Elle se souvint qu’il fallait que la conflagration soit canalisée. Qu’elle passe de pendentif en pendentif, de cristal en cristal, cela à l’infini… Madoka savait qu’elle existait simultanément dans son propre cristal et ainsi de suite. Que cette énergie incommensurable devait passer par son cristal et par les autres ensuite. Cette chaîne infinie formait une ligne d’énergie tout aussi infinie, mais domptée, qui allait, comme le Pouvoir lui avait montré, former une source d’énergie permettant de satisfaire au plan d’Izumi Matsumoto dans l’Exostral.
Madoka resta ainsi immobile dans sa bulle, portée par le flot des lumières de la conflagration, avec ce trait de lumière qui dardait en permanence le cristal de manière intense. Comme précédemment, elle ne ressentit ni chaleur, ni douleur, ni souffrance. Elle fut transportée dans la lumière qui recouvrit la bulle, et ne savait pas où ce flot énergétique aveuglant allait déboucher. Elle sentit bientôt des remous comme un vortex se former derrière elle, tandis que la bulle passa à travers.
Soudain, une étrange sensation lourde s’immisça dans tout son corps. C’était comme si ses atomes éclataient, se réassemblaient complètement, et reprenaient immédiatement une densité naturelle, jusqu’à en ressentir la gravité des alentours. Elle ne vit rien de ce qui se passait en dehors de la bulle. Le trait de lumière qui avait dardé sur son cristal, disparut.
Fin de l’accélération. Le silence. Madoka n’était plus dans le cristal. Immobile, elle était à présent sur un sol dur, immaculé, un genou à terre. Elle haletait, comme si cela était devenu difficile de revenir à une densité. Elle sentit le froid sur elle. Elle était nue. Ses vêtements n’étaient plus sur elle. Le pendentif au cristal rouge était le seul objet qu’elle portait. Adieu la photo de son double de l’autre dimension qu’elle avait jusqu’ici gardé sur elle.
Sans se lever, Madoka releva la tête, et regarda tout autour d’elle. Elle vit les images d’une infinité de chapeaux de paille rouge flotter chacun au-dessus de la tête d’un homme d’apparence jeune qui se déclinait lui-même sans fin.
La jeune femme se souvint alors de ce que le Pouvoir lui avait montré mentalement. Ici, c’était l’Exostral !
– C’est impossible ?!… Madoka ?… Madoka !… C’est bien toi ?!…
La jeune femme aux cheveux de jais tourna la tête en direction de la voix qui venait de crier son nom. À quelques mètres d’elle, derrière une sorte de mécanisme sphérique, elle reconnut Manami ! Avec cet étrange kappa neko à ses côtés. Le regard de ce dernier semblait comme amusé de voir Madoka toute nue.
– Mais habille-là, Izumi ! Fais quelque chose ! ordonna Manami au kappa neko.
– Oui ! Oui !
Aussitôt, Madoka fut revêtue d’un serafuku bleu, l’uniforme marin typique scolaire au Japon. Ce vêtement se matérialisa en épousant la forme physique de la jeune fille.
– Mais non ! protesta Manami en secouant fébrilement l’épaule d’Izumi Matsumoto. Elle n’est plus au lycée !
– Oui, oui ! Voila !…
Madoka fut alors habillée d’un blue jean moulant et d’une veste bleue.
Elle se remit sur pieds.
– Manami ! reconnut-elle soudain. C’est bien toi !?
Les deux jeunes femmes se rapprochèrent et s’enlacèrent avec toute la joie de se retrouver enfin.
– Si tu savais combien nous nous inquiétions tous à ton sujet ! fit Madoka.
– Comment as-tu fait pour venir ici ? demanda Manami toujours étonnée par la présence de Madoka. Tu étais dans le cristal que tu portes, et je sais que Kyosuke est sur Terre.
– Oui, c’est une longue histoire. Je suis un peu fatiguée pour en révéler tous les détails pour le moment.
– Avons-nous réussi ? demanda Manami. Est-ce que notre univers est sauf ?
– Nous sommes toujours là, semble-t-il, fit Madoka avec sourire.
Le kappa neko s’approcha des deux jeunes filles.
– Je suis très honoré de faire la connaissance de Madoka Ayukawa, dit-il.
Voir cette créature féline habillée d’un short et d’une chemise hawaïenne impressionna Madoka au premier abord, mais son esprit fut tranquillisé par la présence de Manami, qui semblait avoir tout sous contrôle.
– Vous êtes l’avatar de Kazuya Terachima, dit-elle. Celui qui se fait appeler Izumi Matsumoto.
– En effet. Mais tu en sais, des choses. Comment est-ce possible ?…
Madoka sut que son audience avec le Pouvoir ne pouvait pas avoir été décelée par les êtres de l’Exostral.
– Comme dans les mangas que tu inspires, je suis toujours mystérieuse, n’est-ce pas ?
– Hééé ?!… Mais comment ?…
– Je vois que tu as réussi ton plan, déclara encore Madoka avec malice. Tous les doubles de mon chapeau de paille rouge sont désormais dans l’autre Multivers, avec un Kazuya prêt à dessiner le manga de Kimagure Orange Road.
– Mais comment sais-tu que nous avons été dessinés dans un manga ? fit Manami étonnée. Tu en sais des choses, dis donc !
Madoka sourit.
– Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas moi-même, dit-elle sous un voile de mystères.
– D’accord, Madoka. Mais à présent laisse-moi te présenter ma mère.
Manami s’approcha et prit la manche de la veste de la jeune femme aux yeux émeraude, la guidant ainsi vers une femme à l’apparence semi-translucide. Cette dernière était restée immobile depuis qu’elle avait encouragé sa fille à suivre le plan d’Izumi Matsumoto.
« Akemi Kasuga… la mère de Kyosuke… », reconnut Madoka.
– Maman, laisse-moi te présenter Madoka. C’est un miracle qu’elle soit là.
Les deux femmes se regardèrent en silence quelques instants, comme si elles s’étaient toujours connues. Leur point commun physique ayant été le pendentif au cristal rouge, qu’Akemi regarda un moment avec des yeux chargés de souvenirs. De son côté, Madoka songea qu’autrefois elle aurait eu peur d’être en présence d’êtres fantomatiques, mais là, c’était comme si tout cela était devenu naturel pour elle.
– Madame Kasuga, je suis heureuse de faire enfin votre connaissance, dit-elle au bout d’un moment. J’imagine la joie que Manami a dû ressentir quand elle vous a retrouvée.
Madoka salua en s’inclinant selon la coutume.
– Nous pouvons enfin parler sans interférence, fit Akemi avec sourire. Madoka, c’est grâce à toi que le Multivers a été sauvé.
– Vraiment ? Mais c’est le cristal de votre pendentif qui a canalisé la conflagration. Votre double que j’ai rencontré dans l’autre univers a…
– Oui, Madoka. Je sais. Mais quelque chose d’imprévu s’est produit et a permis un miracle. Tu peux m’en dire plus ?…
– Oui, que s’est-il passé ? demanda Manami.
– Les éclairs m’ont protégée.
– Tu as lâché prise, expliqua Akemi. Cela a permis l’ouverture d’un passage dans la bulle pour que les énergies immenses de la conflagration puissent passer à travers et fondre dans le cristal, cela à l’infini. Il fallait que le rayon conflagrateur puisse tracer un chemin dans le pendentif, sans blocage de ta part.
– Si je n’avais pas laissé ce rayon entrer dans ma bulle protectrice…
– Il aurait été impossible de canaliser ce rayon jusqu’ici. Les conséquences auraient été catastrophiques pour tout le Multivers.
Madoka ne répondit pas, songeant au poids immense de ses responsabilités dans ce qu’il s’était passé dans la bulle protectrice, mais son silence hésitant valait acquiescement.
– Je ressens aussi que tu n’as pas encore utilisé le cadeau que je t’ai offert, dit Akemi. Tu t’es complètement fait confiance face à des dangers immenses.
– Madame Kasuga, je vous remercie du fond du cœur pour ce que vous m’avez offert.
– Que comptes-tu en faire maintenant ?
– Je crois… votre plus grand souhait.
– Madoka, tu as reçu un cadeau de la part de maman ? demanda Manami.
– C’est exact. C’est un Pouvoir que je ne pourrai exécuter qu’une seule fois. À notre retour dans notre univers, je sais déjà comment je l’utiliserai.
– Quoi que tu fasses, Madoka, je sais que tu accompliras un nouveau miracle, fit Akemi. Je suis heureuse d’avoir rencontré une jeune femme aussi extraordinaire que toi. Mon fils ne peut qu’être heureux de te savoir à ses côtés.
– Madame Kasuga, votre fils, c’est lui la lumière dont j’avais besoin. Je ressens le souhait de vous le dire en face. Sans lui, je…
– Le plus important, coupa Akemi avec respect. C’est que vous soyez heureux tous les deux. Même si je semblerai loin, vous resterez dans mon cœur, toi et mes enfants.
– Je vous remercie, madame Kasuga. Je suis triste de vous connaître que maintenant.
– Et je suis triste de devoir bientôt partir. Ma tâche est accomplie ici.
– Tu dois partir, maman ? fit Manami l’air apeurée.
– Il le faut, chère Manami. L’Éther me rappelle.
– Tu… Tu ne peux pas rester un peu plus ?
– Il est temps pour toi, ainsi que pour Madoka et pour ton nouvel ami adoptif de rentrer chez vous, tous les trois. Vous ne devez pas inquiéter plus longtemps toute la famille. Takashi doit être très inquiet. Envoie-lui tout mon amour. Dis-lui que je pense à lui tout le temps, et qu’il a ma gratitude éternelle pour avoir su prendre soin de vous en mon absence.
– Maman… Viens avec nous !
– Je ne le puis, hélas, ma tendre fille. Mais je peux t’offrir un petit cadeau.
– Un cadeau ?… Mais c’est toi mon cadeau.
– Un nom…
– Un nom ?…
– Un nom pour ce petit animal qui me regarde toujours étrangement.
Madoka remarqua ce chat qui semblait très proche de Manami. L’aurait-elle trouvé durant ses voyages interdimensionnels ?
– Il est vrai que je ne lui en ai pas encore donné un, admit cette dernière.
– Jingoro, fit Akemi.
– Jingoro ?…
– Jingoro est un nom que j’ai découvert durant mon enfance, quand j’avais ton âge, dans les récits et les chansons traditionnelles que me racontaient tes grands-parents. Ce nom, pour moi, a toujours évoqué une chaleur et une familiarité rassurantes. Je trouve qu’il convient parfaitement à ce chat espiègle. Il porte une élégance teintée de nostalgie, et comme tu le sais, j’ai toujours eu un lien profond avec la nature. En choisissant ce nom, j’aime l’idée qu’il reflète une histoire ancienne, qu’elle soit humaine ou animale, et qu’il soit empreint du temps qui passe, tout en symbolisant une nouvelle aventure à vos côtés.
Madoka remarqua le sourire de son amie se redessiner sur son visage.
– Alors, c’est adopté, maman ! fit Manami, les yeux pétillant.
Elle se tourna vers son animal adoptif.
– Qu’en penses-tu ? lui demanda-t-elle. Tu veux que je t’appelle Jingoro ?…
Le chat à ses pieds inclina la tête avec curiosité, en fixant Manami de ses grands yeux dorés. À l’entente du mot « Jingoro », il émit un miaulement sonore, presque interrogatif, comme s’il cherchait à comprendre ce qui venait de se passer.
Manami éclata de rire et tendit la main pour le caresser derrière les oreilles.
– Ah, tu sembles approuver ! Oui, tu es Jingoro désormais, dit-elle avec un sourire rayonnant.
Le chat, visiblement satisfait, se frotta contre la paume de Manami, ronronnant de plus en plus fort. Il sautilla et fit quelques tours sur lui-même. Il s’étira de tout son long avant de fixer Manami et Akemi d’un regard mi-serein, mi-malicieux, comme s’il s’amusait déjà à incarner pleinement ce nouveau nom.
– On dirait qu’il sait qu’on parle de lui, murmura Akemi avec un sourire attendri.
Jingoro leva la patte comme pour confirmer les paroles d’Akemi. Puis, il se roula en boule, visiblement ravi, et émit un ronronnement grave et apaisant. Manami, les mains posées sur ses genoux, le regarda un instant, émue par la simplicité de ce moment. Cet instant présent.
– Bienvenue dans la famille, Jingoro, chuchota-t-elle doucement.
Le chat, dans un dernier élan, ouvrit un œil paresseux et cligna lentement en sa direction, un geste qu’elle choisit d’interpréter comme une approbation définitive.
– Merci maman, ajouta-t-elle en se relevant, se tournant vers sa mère. C’est un beau cadeau que je vais emporter avec moi et présenter à toute la famille. Tu seras quelque part comme la marraine de Jingoro.
Manami regarda sa mère, les yeux brillants d’émotion. Akemi haussa un sourcil, surprise par l’expression.
– La marraine ?…
Manami hocha la tête avec un sourire.
– Oui, pas au sens religieux ou traditionnel, bien sûr. Mais… tu lui as donné son nom. Et ce nom, il porte une part de toi, de tes souvenirs et de ton lien avec la nature. C’est toi qui l’as accueilli dans cette famille, en quelque sorte.
Akemi observa le chat, qui s’étirait paresseusement, puis elle regarda sa fille avec tendresse.
– Je vois… Alors, si je suis sa marraine, cela veut dire que je dois veiller sur lui, n’est-ce pas ?
Manami éclata de rire.
– Oui, mais ne t’inquiète pas, je m’occupe des croquettes !
Akemi sourit en silence. Elle savait que ce chat, comme tant d’autres choses, symbolisait bien plus qu’un simple animal adopté. Il représentait un lien, une continuité entre elle et sa fille, et entre deux mondes qui semblaient pourtant si éloignés.
– Sois gentil avec Manami, Jingoro, prononça-t-elle.
Le chat miaula de joie et regarda Akemi d’un air amusé.
Cette dernière regarda sa fille et sourit.
– Je dois à présent te faire mes adieux, ma tendre fille.
Les yeux de Manami s’agrandirent d’inquiétude.
– Maman, tu… tu dois vraiment partir ?…
– Je le dois. Ne sois pas triste. Je sais que tu seras heureuse dans la vie. Tu as encore beaucoup à découvrir, mais je sais que tu es droite et fidèle dans tout ce que tu accomplis, et que tu seras la joie de tous. Je sais que Madoka saura veiller, tout comme moi, sur toi, ton frère et ta sœur. Dis à Kurumi que tout ira bien.
– Maman… Je t’en prie…
– Madoka, merci pour tout. S’il te plaît, aide ma fille et sois heureuse en tout.
– Je ferai tout pour cela, madame Kasuga. Mes pensées vous accompagnent.
– Tu peux m’appeler « mère », car tu fais partie de la famille, maintenant.
– Mère…
Manami s’inquiéta de plus en plus :
– Maman !….
– Adieu, ma fille, murmura Akemi en la regardant, sa voix teintée d’une tendresse infinie. Embrasse toute la famille. Je ne vous oublie pas, car je vous aime tous.
Manami sentit son cœur se briser de plus en plus sous le poids de ces mots. Une douleur insoutenable envahit alors son âme, comme si une partie d’elle-même était arrachée. Ses jambes tremblaient, son souffle se coupait, et pourtant, ses larmes continuaient de couler, comme si elles cherchaient à exprimer l’inexprimable.
Akemi devenait de plus en plus transparente, son corps s’effaçant doucement dans la lumière irisée qui dansait autour d’elle. Pourtant, son sourire restait intact, radieux, comme un dernier geste pour apaiser la peine de sa fille.
– Maman ! Ne pars pas ! hurla Manami, incapable de contenir son désespoir.
Elle se mit à courir, ses bras tendus vers la présence vacillante de sa mère, refusant de la laisser disparaître. Mais lorsqu’elle atteignit enfin l’endroit où Akemi se tenait un instant plus tôt, elle ne trouva que le vide et l’absence. Elle s’effondra à genoux, ses mains tremblantes sur ses yeux. Les larmes ruisselaient sur ses joues, et son sanglot déchirant semblait résonner dans tout l’Exostral et sans doute au-delà.
Jingoro, Madoka et Izumi Matsumoto restèrent tétanisés face au désespoir de Manami.
C’est alors que cette dernière sentit une chaleur douce, presque imperceptible, envelopper son cœur. Une présence invisible, mais réconfortante, pénétra son être, comme si Akemi la touchait une dernière fois. Manami porta instinctivement la main sur son cœur, là où la chaleur semblait pulser, apaisant peu à peu la tempête en elle.
Une voix douce, presque un murmure porté par le vent, résonna dans son esprit :
« Je suis là, Manami, dans ton cœur. Chaque fois que tu auras besoin de moi, ferme les yeux, et je te répondrai. Mon amour est éternel, et il vivra en toi. Sois heureuse… »
Manami resta immobile quelques instants, le souffle court, les yeux clos. La douleur s’était atténuée, remplacée par une étrange sérénité. Elle comprit que, bien que sa mère ne soit plus là, une partie d’elle resterait toujours vivante, comme un ultime cadeau précieux qu’elle avait laissé derrière elle.
Manami se releva doucement, son regard se posant sur Jingoro, qui s’était approché d’elle pour la consoler, et frottait sa tête contre ses chevilles. Le chat, comme s’il avait compris la gravité du moment, fixait l’horizon, là où Akemi avait disparu, ses yeux brillants d’une lueur presque humaine. Manami sourit à travers ses larmes, serrant son nouvel ami baptisé par sa mère tout contre elle.
– Merci, maman, murmura-t-elle. Je ferai honneur à ton amour.
Madoka resta en retrait, observant Manami avec une attention silencieuse.
– Manami… murmura-t-elle à quelques pas d’elle.
La jeune fille, de deux ans de moins qu’elle, semblait si frêle dans l’immensité de l’Exostral. Pourtant, quelque chose en elle brillait, une lueur discrète mais tenace, comme une flamme qui refusait de s’éteindre.
Madoka sentit son cœur se serrer à son tour en voyant Manami essuyer ses larmes d’un geste lent. Elle connaissait la douleur de perdre quelqu’un qu’on aime, cette brûlure vive qui semble tout ravager. Mais Manami, malgré son chagrin, avait trouvé une manière de transformer ce vide abyssal en une force nouvelle qu’elle portait déjà en elle.
C’était une force douce, silencieuse, mais indéniable. Madoka percevait dans le regard encore embué de Manami une profondeur nouvelle, une maturité qui n’avait rien à voir avec l’innocence de l’adolescente qu’elle connaissait. Ce n’était pas seulement du courage, mais une forme d’acceptation paisible, une compréhension presque instinctive que l’amour pouvait survivre, même après une douloureuse séparation maternelle.
Madoka sentit une vague d’admiration l’envahir, mêlée d’une étrange culpabilité. Aurait-elle eu cette résilience à l’âge de Manami ? Elle n’en était pas sûre. Elle, qui avait toujours lutté contre ses propres tempêtes intérieures, voyait en cette jeune fille un exemple inattendu, presque une leçon de vie.
Un frisson lui parcourut l’échine. Peut-être était-ce cela, l’héritage d’Akemi. Pas seulement son amour, mais cette capacité qu’elle avait transmise à sa fille : aimer, même dans l’absence, avec une force qui transcendait le chagrin.
Madoka détourna brièvement le regard, submergée par une marée d’émotions qu’elle ne cherchait plus à repousser. Elle avait toujours su que Manami voyait en elle une source d’inspiration, une figure à admirer. Mais à cet instant, tout semblait s’inverser. Une nouvelle perception naquit en elle, comme une révélation : c’était désormais Manami qui devenait un exemple à suivre. Madoka éprouvait un respect profond et inattendu pour la force qui venait d’éclore chez Manami, une force silencieuse mais vibrante, forgée dans la douleur.
Pour Madoka, c’était une évidence. À cet instant précis, Manami devenait quelqu’un d’extraordinaire à ses yeux. C’était aussi la preuve que Madoka avait aussi lâché prise sur ses propres convictions ancrées.
Elle s’approcha, et vint serrer Manami dans ses bras, laissant son propre cœur s’apaiser au contact de la jeune fille.
– Ta mère était si fière de toi, dit-elle doucement. Moi aussi, je le suis. Tu es incroyable, Manami.
La jeune fille ferma les yeux un instant, savourant cette étreinte réconfortante. Jingoro, fidèle à lui-même, poussa un petit miaulement et frotta sa tête contre leurs jambes, comme pour s’assurer qu’il faisait partie de ce moment intime.
Madoka esquissa un sourire à travers le flot d’émotions :
– Allez, dit-elle au bout d’un moment, desserrant doucement son étreinte. Il est temps de rentrer. Tout le monde nous attend et doit s’inquiéter. Et je suis certaine qu’ils seront tous ravis de rencontrer Jingoro.
– Oui, il est temps, admit Manami avec le sourire.
– Mais, mais, mais !… vous allez aussi partir ? s’inquiéta le kappa neko qui s’approcha d’elles.
– Hélas, oui, confirma Manami. Nous devons rentrer tous les trois.
Comme affolé par le prochain et irrémédiable départ, le kappa neko bondit alors vers Madoka pour lui présenter le résultat à l’écran de son plan :
– Madoka ! Regarde ! Regarde ! Dans le Multivers de Kazuya, tous ses doubles ont décidé, grâce à ton chapeau magique, de se consacrer à une œuvre encore plus magique ! Kimagure Orange Road est désormais l’ouvrage le plus connu de tout ce Multivers ! J’en suis fier ! Et c’est aussi grâce à toi, Madoka !
– Je n’aurais jamais imaginé qu’une telle chose puisse se produire, fit l’intéressée. C’est complètement fou.
– Par contre, ton chapeau de paille rouge est désormais chez Kazuya. Il l’inspire toujours. Il inspire aussi tous ses autres doubles.
Madoka sourit.
– S’il peut servir à diffuser quelque chose de positif à bien des mondes, qu’il en soit ainsi, fit la jeune femme. Je n’ai plus besoin de ce chapeau. J’ai sur moi, sur mon cœur et en moi-même, bien des talismans des plus précieux.
– Alors, Madoka, tout est parfait. Mais avant que tu nous quittes, je t’offre ce petit cadeau !
Soudain, entre ses mains, Izumi fit apparaître du néant une petite pile de livres, chacun d’eux pas plus grands qu’un format de poche.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Madoka.
– C’est le manga Kimagure Orange Road, créé et édité dans l’univers de Kazuya ! C’est cela qui a changé son monde et tous les univers parallèles ! Désormais, cette œuvre fait aussi partie de votre vie car c’est aussi la vôtre. Vous devez en avoir un exemplaire. Car votre Multivers n’en possède aucun.
Intriguée, Madoka prit le tome 1 qui était en haut de la pile et consulta les premières pages. Il y avait la photo en noir et blanc de ce jeune mangaka qui se surnommait Izumi Matsumoto sur son monde. Et dire que son avatar existait bel et bien ici.
En découvrant le premier chapitre, « Le chapeau de paille rouge », elle fut surprise de découvrir en dessins ses propres souvenirs de a scène qu’elle avait vécue quand elle rencontra Kyosuke tout en haut des marches du grand escalier. Elle se demandait si ce jour-là elle avait vraiment porté ce chemisier à fleur ainsi ce petit short. Avait-elle aussi cette coiffure aussi taquinée, il y a quatre ans ? se demanda-t-elle. Mais qu’importait. Le plus important était la rencontre. Elle sourit de se voir en train de discuter du nombre de marches qui composait cet escalier. 99 ou 100… C’est cela qui, entre autre, avait attiré Madoka face à ce garçon curieux. Il semblait si sûr de lui. Et si loin de toute indécision. Il l’était devenu, par le fait que Hikaru avait décidé de jouer son rôle d’amoureuse autour de lui. Madoka sourit en voyant la manière de présenter ces scènes cocasses entre Hikaru et Kyosuke, lequel ne savait plus comment réagir face à une Hikaru bien décidée à le séduire.
Madoka prit un autre tome de la pile, et découvrit que ce manga présentait aussi pas mal de choses autour des pensées des personnages. Elle sourit en voyant le pauvre Kyosuke qui désespérait sans arrêt. Mais elle fut soulagée de constater que cette œuvre avait pris le parti de ne quasiment jamais montrer ses propres pensés à elle. L’ouvrage respectait l’aspect secret de son personnage sur les dessins qui la représentait. Mais c’est quoi tous ces mini-posters d’elle, entre les chapitres où elle apparaissait en différentes tenues et poses improbables ?… Il y avait aussi des cases un peu osées d’elle, tout de même. Ce mangaka, qui avait créé cette œuvre, était parfois plus inspiré par sa propre imagination délirante que par les visions de la réalité issue de son univers. À moins que ces Madoka pleine page n’aient été des visions d’elle issues de dimensions parallèles ?… Elle se demanda si son propre chapeau de paille rouge, à présent entre les mains de Kazuya, n’avait pas fait exprès d’y aller un peu fort. Après tout, Kyosuke était un peu obsédé sur les bords. Elle ne pouvait pas l’ignorer. Un peu de ses fantasmes à lui avaient dû se perdre dans la mémoire de ce chapeau… Et bien sûr, le mangaka, au contact de l’objet, avait dû capter cela et trouver cela assez vendeur. « Grrr !!… » Madoka trouvait aussi que son visage changeait pas mal d’un chapitre à l’autre. C’était étrange.
– C’est votre vie à vous tous depuis ces 4 dernières années, de 1984 à 1988, commenta le kappa neko enjoué.
Madoka effaça son sourire. Elle eut alors une appréhension. L’année 1988 était aussi celle de son séjour à Los Angeles. Elle savait que ce manga ne révélait pas ses pensées, mais, à Los Angeles, ses propres mots avaient dépassé de loin ses propres pensées. Elle reposa le tome qu’elle avait entre les mains, et extirpa directement le tome 18 qui était à la base de la pile. Elle pria pour que la scène de la plage n’ait pas été dévoilée dans ce volume ! Frénétique, elle feuilleta ce tome du début jusqu’à la fin. Elle reconnut d’abord les chapitres qui s’étaient déroulées l’été dernier, avec le lac des souvenirs. Elle trouva au passage que les traits de son visage étaient bien mieux dessinés. C’était quasiment cela. Allez !… Encore des scènes de quasi-nudité dans le bain ?… Et puis celles, terribles, de la tempête d’éclairs sur les eaux du lac étaient bien reproduites. Tiens ? Kyosuke avait parlé à sa grand-mère durant son sommeil ?… Intéressant. Il allait l’entendre à son retour. Puis, elle revit la scène de l’hommage rendu à la mémoire d’Akemi, la maman de Kyosuke, sur sa tombe. Elle revit avec émotion les événements qui ont vu la crise subie par Hikaru quand elle a découvert la vérité à propos de Kyosuke et d’elle. Elle fut gênée de voir Hikaru dessinée dans des moments si tristes, si intenses et si dramatiques. Mais elle savait que les chapitres du manga devaient apprendre aux lecteurs que l’on ne jouait pas avec l’amour. Madoka se demandait s’il fallait montrer ces livres à Hikaru à son retour. Mais elle l’avait juré à celle qu’elle considérait comme sa petite sœur : pas de secrets cachés.
Vint la scène la scène située tout en haut d’un immeuble du centre-ville. La promesse de Kyosuke de l’attendre, la déclaration qu’il lui exprima… la fin de son indécision. L’effet inverse sur elle, sa propre indécision. Comme quoi la vie renverse les choses par rapport aux cœurs trop ancrés dans les certitudes. Ce manga le montrait de manière claire, et révélait que les règles strictes ne pouvaient pas tenir dans l’esprit et le cœur qui bat.
La scène du départ pour Los Angeles. Le cœur de Madoka battit la chamade, se demandant si ce manga allait vraiment présenter la scène de la plage de Los Angeles. Seulement l’autre Multivers pouvait voir cette édition, mais tout de même. Tout d’abord, l’aéroport, et sa scène déchirante… Le chapeau rendu par Hikaru. Ce chapeau déjà magique, chargé de mémoires et d’émotions. Madoka partait loin, laissant tout le monde triste et incrédule. Elle regretta encore ce moment. Mais le passé était le passé.
« Je t’attendrai pour l’éternité, Ayukawa ! »
La scène du grand escalier… À son retour… À l’image, Madoka était là, souriante, tout comme celle qui lisait ce moment. Pas de scène de Los Angeles. Soulagement intérieur de Madoka. Aucune allusion sur ce qu’il s’est passé là-bas. Le mangaka avait-il vu quelque chose et avait décidé de rien révéler de tout cela à ses lecteurs ?… Elle ne le saura jamais. Ce n’était pas sur ces pages, en tous les cas. Madoka n’aurait pas souhaité que tout un Multivers découvrit la scène la plus dévoilée et la plus extériorisée de son cœur et son âme.
« Like ou love ? »
Ce baiser final… Madoka contempla avec tendresse la scène du dernier moment. Ce moment qui lui avait rendu son cœur perdu. Car c’était Kyosuke qui l’avait gardé en lui. À Los Angeles, elle s’est aperçue qu’une partie d’elle manquait terriblement. Et qu’elle n’avait plus d’autre choix que de revenir la chercher auprès de celui qu’elle aimait.
« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! »
Kyosuke était le gardien de son cœur, tout comme elle était devenue la gardienne du pendentif au cristal rouge qui unifiait désormais le destin de toute une famille atypique. Une larme coula le long de sa joue. C’était vraiment l’éternel été. Cet été qui faisait briller l’autre talisman, cette promesse qu’elle avait pour toujours en elle.
Elle reposa le manga tout en haut de la pile.
« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! »
Ses mots résonnèrent encore en elle.
« On ne lutte pas contre ce sentiment si fort posé sur mon âme. »
Silencieusement, elle posa alors sa main sur ses yeux embrumés de larmes.
« … Une part de moi qui continuera de briller tant que je pourrai aimer. »
Madoka resta ainsi quelques instants.
Manami et Izumi Matsumoto s’inquiétèrent de voir leur amie soudainement si émue, au point de cacher ses yeux. Était-ce ce manga qui l’avait mise dans cet état ?
– Madoka, tu vas bien ? demanda-t-elle.
Après quelques instants d’hésitation, la jeune femme aux yeux émeraude sécha ses larmes, puis regarda Manami.
– Oui, tout va bien, maintenant, répondit-elle avec le sourire.
– Ah, je suis soulagé, fit Izumi.
– Est-ce que quelque chose dans le manga t’a rendue triste ? demanda Manami.
– Au contraire, répondit Madoka en secouant légèrement la tête. Il m’a rappelé combien Kyosuke me manquait tant.
Elle se surprit de s’entendre dire cela aussi ouvertement. Mais elle savait que ses sentiments étaient devenus clairs en elle.
Manami sourit prononçant :
– Je comprends parfaitement. Alors, il nous faut rentrer au plus vite !
Elle se tourna alors vers Izumi, qui était en train de placer tous les tomes du manga dans un petit sac au dos qu’il lui confia.
– Merci,Izumi. À présent, aide-nous à rentrer chez nous, lui demanda-t-elle en plaçant le sac sur son dos.
– Bien sûr, Manami, fit le kappa neko. Bien que tu en aies les capacités, je vais toutefois te donner le cap, et vous rentrez tous sains et saufs.
– Merci Izumi. Es-tu heureux d’avoir renforcé l’Inspiration dans le Multivers de Kazuya ?
– Très heureux. C’est grâce à vous deux. Un immense merci !
– Est-ce que Kazuya va continuer à dessiner la suite de Kimagure Orange Road ? demanda encore Manami. On va être encore dans une suite de ce manga jusqu’à nos vieux jours ?
Le kappa neko hurla de rire.
– Non. Kazuya doit aussi mener sa vie vers d’autres œuvres. Un fragment, une tranche de vie dans ce livre, c’était ce que recherchait son auteur. Vous devez aussi mener votre vie de votre côté. Le plus important est d’avoir posé la « Première Marche » à tout l’édifice multiversel. Et tous Terriens passionnés de son œuvre pourront gravir à leur tour cet escalier fabuleux, en imaginant toutes sortes de suites à ce qui est la vérité de ton monde et du cœur.
– C’est joliment dit, fit Manami tout en attrapant Jingoro dans un de ses bras.
– Adieu, petite créature, fit Izumi à l’adresse du chat qui ronronna, heureux de changer bientôt d’environnement.
– Adieu, Izumi, fit Manami. Si j’ai la possibilité, je…
Elle s’interdit alors d’aller plus loin. Une émotion soudaine coupa court à la prononciation.
– Oui ?…
– Le Destin décidera de la suite, se contenta-t-elle de dire.
Manami prit la main de Madoka.
– Si je prononce à cet instant les trois mots du titre du manga, cela va nous mener dans une autre dimension ? demanda cette dernière avec sourire.
– Ah, quelle imagination, Madoka ! Mais aussi quelle perspicacité ! fit le kappa neko Izumi Matsumoto. Kimagure Orange Road invite toujours à un voyage quel qu’il soit !
Puis, Manami, Madoka et Jingoro disparurent de l’Exostral.
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