« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 37
Le cadeau d’Akemi
Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »…
Kyosuke, Madoka et Hikaru n’ont plus qu’à prier pour que leur destin puisse survivre à la catastrophe imminente qui pèse désormais sur eux.
Je ressens l’accélération, une force puissante qui m’entraîne vers l’inconnu. Je voudrais fermer les yeux, mais c’est impossible : mes pensées me retiennent. Ce qui m’entoure échappe à toute logique, même si, au fond, je comprends pourquoi il faut en passer par là. J’ai l’impression de tomber, de glisser d’un point sans fin vers un autre, poussée par cette force qui m’aspire sans répit. Je savais ce que j’acceptais en écoutant Madame Kasuga. Il n’y avait pas d’autre solution : tout un Multivers est en jeu. Comment pourrais-je abandonner maintenant ?… Ce soir, j’ai vu et vécu des choses que rien ne pouvait me préparer à affronter, mais j’ai accepté, pour une raison simple. Parce que ma place est désormais aux côtés de Kyosuke… quoi qu’il arrive. Il m’a sauvée tant de fois, sans hésiter. Ce soir encore, il a traversé les barrières de son propre univers pour moi, défait les lois mêmes de l’espace et du temps.
« Kyosuke… »
Dans mes pensées, je peux te nommer ainsi. J’aimerais tant pouvoir te le dire en face… T’appeler simplement de vive voix « Kyosuke »…
Le temps devient élastique, comme suspendu, dans cette chute sans fin. Autour de moi, il n’y a qu’un vide rougeoyant, une étendue étrange parsemée d’éclats d’or. Par moments, des spirales d’argent se dessinent et se rapprochent, illuminant le pourpre, puis s’éloignent. Je chute inexorablement vers mon destin… vers moi-même. C’est le moment ultime, celui où tout va se décider. Pour moi, pour Kyosuke, pour tout ce qui existe.
Je pense encore à lui. Il est peut-être là, tout proche, mais je ne peux pas le voir. Il s’est effacé, tout comme Hikaru, celle que je considère comme ma sœur, celle que j’ai retrouvée dans mon cœur. Elle aussi s’est évanouie dans cette immensité. Mais j’espère que mes pensées la rejoignent, qu’elles lui parviennent comme un écho pour la rassurer.
Les souvenirs affluent… C’était il y a des années… Je revois ce jour où tout a basculé, celui où j’ai rencontré la famille de Kyosuke. Avant eux, ma vie semblait paisible en apparence, mais en réalité, je cherchais désespérément des gens capables de me voir telle que j’étais. Papa… Maman… ma grande sœur… tous étaient partis, et je m’étais peu à peu enfermée dans mon propre univers. Hikaru et Yusaku étaient proches de moi, mais même eux ne pouvaient saisir ce que je portais intérieurement. Je voulais les protéger de mes ombres. Puis les Kasuga sont arrivés. Eux aussi cherchaient un endroit où se sentir acceptés, après tant d’années de déménagements. Nos chemins se sont ainsi croisés.
Avec l’arrivée des Kasuga, petit à petit, nous avons appris à nous « sauver » les uns les autres. J’ai découvert des êtres d’exception, porteurs d’un secret que je partage aujourd’hui. Et maintenant, leur vie est la mienne, comme jamais auparavant, même ici, au bord de l’infini.
Ce soir, cette nuit, c’est l’épreuve ultime. Je suis la seule à pouvoir mettre fin à cette crise… Sans le Pouvoir… Du moins, sans un pouvoir qui m’appartienne vraiment. Je sens des larmes couler doucement sur mes joues. Mes yeux pleurent, maintenant, à ce moment précis. Le poids de cette responsabilité est presque insoutenable… Mais tous comptent tant sur moi. Kyosuke, Hikaru, ma famille, mes amis, et même mes nouveaux alliés de cet autre univers, je ne peux les perdre.
Quant à mon double… Aurais-je pu être amie avec elle ?… Elle est tout ce que j’ai toujours voulu fuir, le reflet inverse de moi-même. Et pourtant, elle aussi doit être libérée de son supplice.
Je sais ce que j’ai à faire, je sais que ce moment restera gravé dans le Livre du Multivers. Car s’il devait s’en créer un tout autre, je sais que je n’y aurais plus ma place.
«
Les images d’un passé récent de cet autre univers m’envahissent… Je revois Madame Kasuga. Elle m’avait observée d’un regard étrange, juste au moment où tout espoir semblait s’éteindre autour de moi. C’était après que j’aie senti cette étrange faiblesse m’envahir. Sans Kyosuke, je serais tombée. Pour la seconde fois, il m’a retenue avant que je ne touche le sol. C’est alors que Madame Kasuga, celle qui avait soigné ma blessure à la jambe, a vu quelque chose qui semblait la troubler. D’un air à la fois étonné et inspiré, elle a pointé son doigt vers mon pendentif, celui-là même qui s’était révélé hors de ma combinaison de cuir, durant ma chute.
– Madoka ! Ce pendentif… Comment…
– C’est le pendentif que Kasuga m’a donné, répondis-je.
Madame Kasuga s’approcha davantage, comme pour vérifier qu’elle ne rêvait pas.
– Par le Ciel ! J’ai exactement le même ! s’écria-t-elle, ses yeux brillant de stupeur.
Évidemment, je me trouvais dans un univers parallèle où la mère de Kyosuke était en vie. Elle aussi avait épousé Takashi Kasuga. C’est au fil de leurs rencontres, durant leur jeunesse, qu’il lui avait offert ce simple pendentif à la place d’une bague de fiançailles. Un cristal rouge et plat, serti dans un cadre d’argent finement arrondi. Exactement le même geste s’était produit dans mon propre univers : Monsieur Kasuga avait donné ce même pendentif à Akemi, sa fiancée, devenue plus tard la mère de Kyosuke et de ses deux sœurs jumelles. Elle est décédée peu après la naissance de Kurumi, puis ce bijou a été confié aux grands-parents maternels de Kyosuke. L’été dernier, en rendant visite à ses grands-parents, il l’a reçu de leurs mains, comme un souvenir de sa mère.
Je pouvais sentir combien ce pendentif représentait pour lui. Je sentais qu’il était arrivé à un âge où il se posait plein de questions sur sa mère et sur l’absence qui pesait toujours en lui dans son cœur. Mais plutôt que de garder cet objet précieux auprès de lui, Kyosuke me l’a simplement offert, alors que nous étions tous deux sur une barque, glissant sur le lac où ses parents s’étaient retrouvés des années auparavant. Malgré tout ce que j’ai traversé depuis… les mystères, les dangers, l’éloignement… j’ai toujours gardé ce pendentif avec moi. Même lors de mon séjour aux États-Unis, il ne m’a jamais quittée. Le rouge semble me suivre partout : le chapeau de paille rouge, ce pendentif rouge… Les coïncidences se multiplient autour de moi, en ce moment. Comme ce ciel d’un rouge profond qui m’entoure, semblable au cristal de ce bijou, qui semble se dissoudre dans les profondeurs de cet espace où je chute.
Après la remarque de Madame Kasuga, Kyosuke s’approcha, son regard posé sur mon pendentif. Je crois que c’est la première fois qu’il redécouvrait ce bijou depuis mon retour des États-Unis. Il me regarda, visiblement ému.
– Ayukawa, tu l’as gardé sur toi tout ce temps, me dit-il, avec douceur.
– Je ne m’en suis jamais séparé, lui répondis-je, en souriant.
Il me rendit mon sourire avant de se tourner vers Madame Kasuga.
– C’est le pendentif que j’ai offert à Ayukawa, expliqua-t-il. Il appartenait autrefois à ma mère.
– Eh bien, voilà qui pourrait enfin résoudre notre immense problème ! dit-elle, ravie.
J’étais sidérée. Quel immense problème ?… Juste avant de perdre pied, j’avais cru entendre Madame Kasuga vouloir me dire quelque chose à ce sujet. Ses filles s’approchèrent alors.
– Maman, c’est exactement le même pendentif que le tien, remarqua Kurumi.
Elle parlait d’un ton bien plus posé et mature que celui auquel j’étais habituée dans mon propre univers, avec la cadette de Kyosuke.
– C’est bien le cas, confirma Madame Kasuga.
Elle tourna à nouveau son regard vers moi.
– Madoka, ce pendentif est d’une importance capitale, déclara-t-elle.
– Comment ça ? demanda Kyosuke, visiblement aussi surpris que moi.
La mère de Manami et Kurumi posa les yeux sur lui, une lueur de gravité dans le regard.
– Ce bijou porte en lui une mémoire, dit-elle. Il a été offert à ta mère, tout comme à moi, à un moment crucial de nos vies. Il est chargé d’émotions et d’une énergie intense.
Elle se tourna ensuite vers moi.
– Madoka, j’aimerais lire ton pendentif, pour voir s’il contient bien ce que je pense.
– Bien sûr, répondis-je.
Je m’apprêtais à retirer la chaîne de mon cou, mais Madame Kasuga m’arrêta d’un geste.
– Non, ne l’enlève pas ! Si ce que je crois est exact, tu dois le garder sur toi pendant que je le lis. Pose simplement le pendentif à plat sur ma main.
J’obéis, plaçant le cristal rouge sur la main qu’elle me tendait, la paume ouverte vers le ciel. À peine eus-je fait cela que les yeux de Madame Kasuga s’emplirent de surprise. Témoins de cela, ses deux filles restèrent figées, stupéfaites. De son autre main, leur mère recouvrit le bijou et ferma les yeux. Un sentiment étrange s’infiltra alors en moi. Devant moi, Madame Kasuga sondait le bijou. Je sentis alors qu’une énergie insolite envahissait mon esprit. Au début, je crus qu’elle venait de Madame Kasuga, mais j’avais tort : elle émanait du bijou lui-même. Une force qui sommeillait en lui venait de se révéler. Cependant, elle semblait disparaître en moi au bout de quelques instants.
À la fin de cette lecture intense, Madame Kasuga relâcha le bijou et recula légèrement, prenant une minute pour reprendre son souffle. Mais, face à l’urgence, elle s’efforça d’expliquer :
– C’est bien cela ! s’écria-t-elle, mue par une énergie nouvelle.
– Comment cela ? demanda Kyosuke.
– Qu’avez-vous vu, madame Kasuga ? fis-je.
Elle se tourna vers moi, les yeux remplis d’espoir :
– Madoka ! Tu vas tous nous sauver !
– Pardon ?… m’écriai-je
– Hein ? fit Hikaru, derrière Kyosuke.
– S’il vous plaît, expliquez-nous ! insista ce dernier.
– Kyosuke, il s’avère que Madoka possède le bijou que ta maman portait autrefois. Il est imprégné d’une énergie qui lui appartient.
– Ha ?… Il possède le Pouvoir ? s’écria-t-il.
– Non, pas le Pouvoir. Mais une sorte d’empreinte énergétique mémorielle.
– Hein ?…
– Oui, Kyosuke. L’énergie de ce bijou porte la signature de ta mère. Ce n’est pas la même fréquence que la mienne, mais j’ai enfin la solution à notre problème.
– Mais maman, que veux-tu dire ? demanda Manami.
– Cette énergie va être la clé qui pourra toucher Kurumi avec le pouvoir de sa mère, comme si cette dernière était vivante. Ce bijou va guérir Kurumi !
J’entendis un murmure de stupéfaction parcourir tout le groupe.
« Guérir Kurumi ?… », pensai-je. « Pourquoi la guérir ?… »
Visiblement, bien des choses avaient dû se produire dans mon univers, pendant que j’étais bien occupée ici.
– Est-ce que l’on pourrait enfin m’expliquer ce qui se passe ? demandai-je alors.
– Bien sûr, chère Madoka, intervint Madame Kasuga. Laisse-moi t’exposer la situation.
Alors, elle commença à tout m’expliquer. Elle me parla de ce qui se passait sur la Terre chez moi, dans mon univers, où seuls Monsieur Kasuga, ses deux neveux, Akane et Kazuya, demeuraient actuellement. Kurumi… Quelle tragédie ! Je compris alors avec effarement la menace d’une catastrophe aux dimensions cosmiques ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Tandis que j’écoutais, tout le monde autour de moi demeurait silencieux. Tout ce qui s’était passé ce soir, depuis que Manami avait disparu de chez moi et de notre dimension, avait mené à ce risque immense qui menaçait nos vies à tous. Mais à la fin de cette explication inimaginable, je sentis toutefois l’espoir renaître en moi, grâce au bijou que je portais. Pourtant, j’en savais si peu sur le Pouvoir que je peinais à bien saisir mon rôle dans tout cela. Je plongeai mon regard dans celui de Kyosuke, où brillait lui aussi une lueur d’espoir. Mais je devinais en même temps qu’il se sentait coupable de m’avoir entraînée dans cette aventure. Je n’aimais pas qu’il ressente cela, lui qui avait tant fait pour moi. Il faudrait que je le rassure.
– Mais, madame Kasuga, que souhaitez-vous faire, exactement ? demandai-je.
– Madoka, ton propre double est actuellement dans la bulle qu’a formée Kurumi tout autour d’elle. Quand tu réintégreras ton univers, tu reprendras sa place.
Je hochai la tête, admettant cela intérieurement.
– Tu te retrouveras donc dans la bulle, tandis que Kyosuke et Hikaru seront à l’extérieur, poursuivit Madame Kasuga. Tu seras coupée du monde… seule face à Kurumi.
Mon corps tout entier frissonna. Seule face à une Kurumi enragée… Qui le serait certainement encore plus en constatant que sa « prisonnière » lui aura échappé…
– À ce moment-là, ton cristal sera déjà chargé du Pouvoir que je vais y transférer. Il aura la fréquence de la mère de Kyosuke.
– Vous… vous pouvez faire cela ? demanda Kyosuke intrigué.
Madame Kasuga hocha la tête.
– Une fois Madoka arrivée dans la bulle, il est impératif que Kurumi ressente immédiatement les énergies du Pouvoir de sa mère, celle qu’elle a connue à sa naissance, même si ce n’était que quelques minutes. Son instinct reconnaîtra cette fréquence.
– Mais comment allez-vous stocker le Pouvoir dans ce bijou ? demanda encore Kyosuke.
– Je vais infuser mon propre Pouvoir dans cet objet. D’après ce que j’ai perçu dans le cristal, il sera réajusté pour correspondre à la fréquence des énergies de ta mère que j’y ai détectées. Grâce à ce qui réside dans ce bijou, j’ai maintenant connaissance de la fréquence à laquelle je dois le régler. Ainsi, lorsque ce Pouvoir sera libéré, il aura les mêmes caractéristiques que celles de mon autre moi. C’est précisément ce que Kurumi reconnaîtra quand elle l’absorbera, ce qui permettra de calmer sa crise !
Déterminée, Madame Kasuga me regarda intensément dans les yeux.
– Madoka, il est essentiel que tu avances vers Kurumi pour passer ce pendentif autour de son cou. Une fois sur elle, il calmera sa crise, puis endormira sa colère incontrôlable pour toujours. Elle devra continuer à le porter, jusqu’au retour de sa sœur Manami dans ta dimension.
– Vous… vous voulez dire que ce bijou est le seul moyen de remplacer l’absence de Manami ? demanda Kyosuke.
– Oui, confirma Madame Kasuga. N’oublie pas que ta sœur aînée canalisait constamment les résurgences des crises potentielles de ta petite sœur. Ce bijou est notre unique chance de l’apaiser en son absence.
– Je ne comprends pas, fit Kyosuke, visiblement troublé. Manami est née avant Kurumi. N’aurait-elle pas pu déjà canaliser la crise de ma petite sœur au moment de sa naissance, et éviter les drames ?…
– Hélas, à sa naissance, ta sœur Manami était encore trop jeune pour accomplir cela, expliqua Madame Kasuga. Elle n’a acquis ce don que dans les semaines suivantes, quand elle a commencé à capter les énergies du Pouvoir. Ta mère a donc dû intervenir toute seule lors de la naissance de Kurumi.
Je partageais à présent toute la tristesse que ressentait Kyosuke autour du terrible drame que sa famille avait vécu autrefois.
Le silence revenu autour de moi me fit prendre toute la mesure de la situation actuelle. L’espoir émanant de mon pendentif devenait pour moi une immense responsabilité pesant lourdement sur mes épaules. Tous me regardaient… J’étais la dernière chance pour sauver la situation, la seule solution face à une crise menaçant tout ce qui existe.
C’est ce que Madame Kasuga me rappela :
– Madoka, tu dois comprendre que tu dois absolument accomplir cette action avant que Kurumi ne déchaîne le point de rupture conflagrateur à travers le Multivers.
Était-ce possible que nous en soyons tous arrivés à ce constat ?… Je n’osais croire à ce que j’entendais, malgré mon acceptation de l’existence du Pouvoir.
Préoccupé par le fait que je reste dépassée par la situation, Kyosuke s’approcha de moi en s’adressant à Madame Kasuga :
– S’il vous plaît, je voudrais parler avec Ayukawa, quelques instants.
– Bien sûr, Kyosuke.
Elle et ses deux filles s’éloignèrent, suivies par Hikaru et Kenji, nous laissant seuls.
Kyosuke posa sur moi un regard mêlé de tendresse et de culpabilité.
– Ayukawa, pardonne-moi…
– Pardonner quoi ? dis-je d’une voix douce.
– Tout est de ma faute. Je suis responsable de tout cela, déclara-t-il, un air coupable dans ses yeux.
Il est toujours ainsi, portant ce fardeau invisible que je n’arrive jamais tout à fait à lui retirer.
– Mais que veux-tu dire ?… lui demandai-je.
– Honnêtement, je n’aurais jamais dû t’entraîner dans cette histoire de voyage interdimensionnel.
Je ne pouvais accepter cette culpabilité qu’il s’imposait. Ce n’était pas lui qui avait causé tout cela… C’était moi. Si j’étais restée dans notre monde, rien de tout cela ne serait arrivé. Kurumi n’aurait pas subi cette crise à cause de mon double. Mais en raison de tout cela, le poids de mes responsabilités pour réussir cette mission était devenu bien plus lourd sur mes épaules, désormais.
– Non, tu n’as rien à te reprocher, rétorquai-je. C’est ma faute. C’est moi qui ai insisté pour venir avec toi, souviens-t-en. Et souviens-toi aussi : j’ai même forcé ce voyage, afin de poursuivre Manami, quand elle est brutalement rentrée chez elle, ici, dans sa propre dimension.
– Mais tu as fait ce qu’il fallait, tenta de contrer ce jeune homme obtus. Ne t’en veux pas. Je ne te reprocherai jamais rien, Ayukawa. Tu le sais. Jamais !… Mais tu as été tellement bousculée, ces derniers temps…
Il ne croyait pas si bien dire… Au même moment, je songeai à ma dernière soirée à Los Angeles. Cette nuit-là m’avait définitivement convaincue de mes sentiments pour Kyosuke. Je devais à présent tout faire pour le rassurer.
– C’est un peu mon caractère délinquant qui veut cela, lui dis-je alors en plaisantant. J’aime l’aventure, et avec toi, je suis servie.
– Ayukawa ! protesta-t-il sur ce ton sérieux qui m’amuse toujours. Mais tu te rends compte de la tâche qu’on te confie ?
– De toute manière, je suis obligée de reprendre la place de mon double, répondis-je d’un air un peu maussade.
– Je voudrais… commença-t-il.
Je devais vraiment apaiser ce garçon au cœur tendre, toujours si inquiet.
– Tu n’y peux rien, Kasuga, dis-je en le coupant. Je dois le faire. Il y a une solution… Et il n’y en a pas d’autre.
Kyosuke resta silencieux, les sourcils froncés, son regard posé sur moi avec une inquiétude profonde. Il luttait visiblement contre l’idée de me laisser seule pour cette tâche, bien qu’il serait tout près, impuissant.
– Je n’aime pas ça, Ayukawa, dit-il finalement en prenant mes mains. Je n’aime pas l’idée que, même si je suis là, je ne pourrai rien faire pour t’aider.
Je hochai la tête. C’était la vérité la plus difficile à accepter, pour lui comme pour moi.
– Je comprends cela, Kasuga. Mais c’est ainsi. Même si tu es à mes côtés, cette tâche m’appartient. Je sais que tu as toujours voulu me protéger. Mais parfois, il y a des combats que je dois mener seule. Ç’a été le cas pour mon duel contre Sayuri Hirose. Et cette fois-ci, c’est un autre combat, peut-être le plus difficile…
Kyosuke baissa les yeux, ses mains tremblaient légèrement sur les miennes. Je sentais en lui ce besoin presque viscéral de me protéger, et pourtant, il savait qu’il n’aurait cette fois aucun contrôle, malgré tout son Pouvoir.
– Mais si tu échoues… murmura-t-il, comme si le simple fait de prononcer ces mots les rendait plus réels.
Je pris une profonde inspiration, puis, doucement, je serrai mes mains sur les siennes. Il devait comprendre que ses propres scrupules ne définissaient pas sa valeur à mes yeux.
– Je n’échouerai pas, dis-je avec une assurance que je voulais lui transmettre. Je ne peux pas échouer. Parce que je vous ai, toi et Hikaru. Même si vous ne pourrez pas m’aider directement, votre présence, là, si proche, sera mon soutien. Hikaru et toi serez mes ancrages… mes repères.
– Ayukawa…
Je vis à son regard une lueur de doute s’éteindre, remplacée par quelque chose de plus profond : la confiance. Je lui souris légèrement, serrant un peu plus fort ses mains. Sans un mot, Kyosuke me regarda encore un long moment, puis, lentement, il soupira. Nos mains enlacées se libérèrent alors, relâchant en même temps un peu de cette tension qui l’étreignait.
– Merci, Ayukawa… Mais promets-moi juste une chose…
Je haussai les sourcils, intriguée.
– Quoi donc ?…
– Promets-moi que tout cela se terminera bien. Que tu nous reviendras…
« Tu nous reviendras… »
Ces mots….
Je fus emportée soudainement dans mes propres souvenirs. Mes souvenirs tout proches.
Cette soirée sur les sables de la plage de Los Angeles vint encore traverser mon esprit :
« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! »
Je luttais intérieurement pour repousser cette image si précieuse, mais je savais que je ne le pouvais plus. On ne lutte pas contre ce sentiment si fort posé sur mon âme. Cette promesse, née sur les rivages de Los Angeles, est devenue en moi comme une étoile gravée dans la nuit, un serment intime, presque éternel. C’est bien plus qu’un simple retour au pays ou qu’une envie de serrer Kyosuke contre moi dans une étreinte de retrouvailles tout en haut des marches du grand escalier. Elle est devenue une certitude, aussi solide qu’une pierre profondément ancrée. Ni les tempêtes de l’espace, ni les incertitudes de la dimension où je me trouve ne sauraient ébranler ce point central silencieux qui demeure en moi. Cette promesse, c’est un lien invisible entre lui et moi, inaltérable et plus précieux que la simple présence physique… Une part de moi qui continuera de briller tant que je pourrai aimer. Tant qu’il y aura ce joyau, tant qu’il y aura Kyosuke, cette promesse restera en moi, comme une lumière indéfectible qui porte tout ce qui fait battre mon cœur et réjouir mon âme.
Émue, je repris le contrôle de mes pensées. Je souriais à Kyosuke, cette fois plus doucement, sincèrement.
– Je te le promets, Kasuga.
Cette promesse sembla enfin le rassurer. Son regard s’adoucit, puis il hocha lentement la tête.
– Alors, tout va bien, me dit-il en souriant.
Je replongeai silencieusement mon regard dans celui de Kyosuke. Son sourire, timidement confiant, éveilla en moi une chaleur nouvelle, une force douce qui me soutenait. Je voulais tellement croire qu’un avenir nous attendait, pour lui, pour moi, et pour tous ceux que nous aimions. Mais une idée m’effleura malgré moi, pesante et silencieuse : et si ces moments partagés étaient les derniers ?… Et si tout ce qui existe ne tenait qu’à ce que j’allais devoir accomplir ?…
Peut-être que sur l’instant, Hikaru avait pressenti mon trouble. Jusqu’alors silencieuse, elle finit par s’approcher de moi, incapable de rester en retrait. Son visage était empreint d’une inquiétude sincère, et pourtant, je savais qu’elle serait là, à mes côtés, quoi qu’il advienne. Tandis que Kyosuke s’éloignait pour nous laisser seules, Hikaru saisit ma main entre les siennes, plongea son regard dans le mien. Et je vis ses yeux s’embuer peu à peu, balbutiant avec difficulté :
– Madoka, je… Je t’en prie… Si jamais nous ne devions plus nous revoir…
– Pourquoi dis-tu cela, Hikaru ?… Ne t’ai-je pas promis autrefois de veiller sur toi ? répondis-je doucement.
Cette promesse, faite lorsqu’elle était encore une toute jeune fille, n’avait jamais quitté mon cœur, même si la vie l’avait sérieusement mise à l’épreuve depuis que Kyosuke était entré dans ma vie. Mais en cet instant, devant ce regard lourd de souvenirs, cette promesse me semblait encore plus précieuse, impérative même. Pour Hikaru, pour Kyosuke, pour ma famille, pour l’avenir… et pour ceux que j’aime, malgré la distance qui nous sépare, je n’abandonnerai rien.
Je serrai Hikaru alors contre moi avec toute l’affection que j’avais pour elle, consciente des épreuves qu’elle avait traversées et du lien unique qui nous unissait.
– Madoka… murmura-t-elle en larmes.
– Hikaru, promets-moi d’être forte. J’aurai besoin de ta force pour ce qui m’attend.
– Madoka, elle t’est acquise… ainsi que tous mes espoirs, ajouta-t-elle, d’une voix d’une douceur que je n’avais encore jamais entendue chez elle.
En cet instant, il n’y avait plus de faux-semblants entre nous, plus rien de non-dit. Nous étions tous arrivés à cette croisée des chemins, où chaque sentiment et chaque parole devait être authentique.
Nous nous détachâmes enfin. Les yeux larmoyant, Hikaru me regarda alors comme elle l’avait fait à l’aéroport de Narita, le jour où j’avais choisi de partir pour m’éloigner de tous. J’ai compris depuis longtemps que cette décision était une erreur. Mais cette fois, son regard ne reflétait plus la peine de l’abandon, mais l’espoir que cette fois-ci, nous nous retrouverions tous. Je fis miennes les larmes qu’elle laissait couler, puisant dans son courage une force nouvelle. Hikaru, si brave… Elle m’offrait, sans le savoir, plus de force que je n’en possédais moi-même.
Elle me souriait désormais, sereine, comme si elle avait reçu le plus beau des cadeaux : l’assurance d’avoir enfin une sœur qui l’aimait, et qui l’aimerait toujours. Émue, je gardai le silence, incapable de lui dire combien je ressentais la même chose. Mais dans ce simple échange de regards, tout était dit. Les erreurs et la douleur de ces derniers mois n’étaient plus que des souvenirs lointains. Je retrouvais une paix intérieure, sachant que nos âmes, enfin apaisées, avaient trouvé leur réconciliation l’une avec l’autre.
– Merci, Madoka… murmura-t-elle.
Madame Kasuga revint vers nous, avec une pointe d’impatience que je comprenais bien.
– Madoka, il est temps que je m’occupe de ton pendentif, dit-elle. La crise de Kurumi peut éclater d’un instant à l’autre.
– Oui, madame Kasuga. Je suis prête. Faites ce qu’il faut.
Hikaru céda sa place. Madame Kasuga approcha sa main de mon pendentif, qui se mit à luire d’une lumière étrange autour de ses doigts. C’était fascinant, presque irréel, de voir cela. La lumière se concentra sur la petite pierre rouge circulaire, symbole des fiançailles des parents de Kyosuke. Tandis qu’elle opérait, mon esprit vagabonda vers le souvenir de mon chapeau de paille rouge, lui aussi symbole de retrouvailles entre Kyosuke et moi, au sommet de ce grand escalier, il y a quelques années. Je portais sur moi un passé imprégné d’une promesse d’avenir, celle que Kyosuke ferait désormais partie de ma vie. Ce bijou, précieux et chargé de souvenirs, représentait un espoir immense pour nous deux. Je sentais presque mes mains trembler sous son poids, mais je devais garder un visage serein pour ceux qui comptaient sur moi.
Le processus achevé, Madame Kasuga retira sa main.
– C’est terminé, Madoka, annonça-t-elle. La pierre de ce pendentif contient maintenant une énergie harmonisée avec celle de mon double. Heureusement, il restait encore en elle quelques traces d’énergie personnelle dans ce cristal.
– Mais pour vous… êtes-vous sûre que ça va ? demandai-je.
– Sois rassurée, sourit Madame Kasuga doucement. Je sais que la mère de Kyosuke s’est épuisée au-delà de ses limites. Et qu’elle a donné tout d’elle-même pour nous sauver. Ce que j’ai versé dans ce cristal ne m’a pas affaiblie au point de m’inquiéter, je te l’assure. Souviens-toi, Madoka : cette énergie s’activera dès que tu parviendras dans la bulle de Kurumi. Mais il te faudra passer ce pendentif autour de son cou.
– J’ai compris.
Elle posa un dernier regard sur nous trois, Kyosuke, Hikaru et moi.
– Il est temps de nous dire adieu, dit-elle. Nous n’aurons hélas plus jamais l’occasion de nous revoir, même si vous réussissez cette mission.
Je vis alors Manami s’approcher de moi. Nos débuts avaient été un peu tumultueux, elle et moi, mais j’avais découvert chez elle une jeune fille profondément attachée à son frère, prête à tout pour le retrouver. Elle attendait désormais son retour avec tout l’espoir du monde.
– Madoka-san, je te souhaite de réussir pleinement ta mission, me dit-elle avec le sourire. Toute notre réalité dépend de toi, maintenant. Comme maman l’a dit, nous n’aurons plus jamais l’occasion de nous revoir, même si tu te servais à nouveau de ma mèche de cheveux comme cap. Merci pour tout ce que tu as déjà fait et pour ce que tu vas accomplir.
Elle s’inclina vers moi.
– Merci, Manami-san, répondis-je en faisant de même. J’espère de tout cœur que tu pourras retrouver ton frère très bientôt. Je sais combien tu l’as cherché. C’est une vraie satisfaction pour moi de savoir que toi, Kurumi, et ta mère allez pouvoir enfin le retrouver.
À côté, Kenji discutait en aparté avec Kyosuke et Hikaru. Je n’entendais pas ce qu’ils se disaient. Le frère de Hikaru dans cet univers, ce garçon un peu rebelle, s’était assagi avec le temps, un peu comme moi autrefois. Lui aussi se réjouissait de revoir bientôt sa petite sœur, après tant d’années. Au fond, j’espère qu’il retrouvera aussi une Madoka qui saura reconnaître qu’il existe une paix intérieure que l’on peut conquérir soi-même. Parce qu’on ne peut pas vivre éternellement dans l’ombre : la nuit doit, elle aussi, faire place à l’aube et à tous les espoirs qu’elle peut apporter aux cœurs qui sont prêts à changer. Kyosuke a été cette aube pour moi… puis il est devenu mon soleil.
– Tu vois, Madoka-san, tout le monde espère retrouver ceux qu’ils aiment, murmura Manami, tandis que je regardais Kenji.
– C’est ce que je souhaite aussi, dis-je.
Mon regard revint se poser sur elle.
– Et sois douce avec la Madoka qui reprendra sa place ici, dis-je. Elle mérite une seconde chance.
– Je suis sûre que nous deviendrons amies, elle et moi, répondit Manami. Si Kenji accepte que sa petite sœur reste aux côtés de mon frère, ton double trouvera sûrement la paix avec elle-même… et avec le monde.
J’émis un sourire à l’évocation de cette image.
– Au revoir, Madoka-san, me dit-elle, me faisant signe de la main, tout en rejoignant sa mère. Sois prudente !
– Merci Manami-san. Prends soin de toi.
Kurumi, plus réservée, me fit de sa main un signe encourageant de loin, en guise d’adieu.
– Tous nos espoirs reposent sur toi, Madoka, me dit Madame Kasuga à ses côtés. Nous prions pour ton succès. Adieu !
– Adieu, madame Kasuga, lui dis-je. Je vous souhaite un avenir des plus heureux.
– Ce sera grâce à toi, Madoka, sois en certaine, me lança-t-elle avec espoir.
Kyosuke et Hikaru s’avancèrent pour me rejoindre, après avoir dit leurs derniers mots à Kenji.
– Ayukawa, fais bien attention à toi ! me lança ce dernier, à distance.
– Et ne te laisse pas impressionner par « moi-même » ! lui répondis-je avec un certain sourire malicieux, en me souvenant de toutes les fois où il avait eu affaire à moi.
C’est alors que je vis une scène incroyable.
Tandis que Kyosuke s’approchait de moi, il hésita soudain à faire un pas de plus, avant de tourner les yeux vers Madame Kasuga. Je crus voir son indécision habituelle, mais cette fois ce n’était pas le cas. Il s’avança jusqu’à elle et l’enlaça tendrement de toutes ses forces, les yeux presque larmoyants. J’étais surprise, comme l’étaient ses deux filles sur le moment aussi, mais je ne pus m’empêcher de sourire. Même si elle n’était pas sa propre mère, Kyosuke devait voir en Madame Kasuga une présence qui lui manquait depuis si longtemps. Cette dame incroyable resta silencieuse, mais elle comprit le besoin qu’avait ce garçon si sensible d’accomplir ce geste. Ce n’était pas seulement pour la remercier d’avoir trouvé une solution grâce à son Pouvoir. Kyosuke apaisait aussi en lui quelque chose de bien plus profond, une blessure qui n’avait jamais vraiment cicatrisé. Ce moment lui permettait d’exprimer un adieu, simple, mais nécessaire, à sa mère perdue.
Après quelques instants, il relâcha doucement l’étreinte, essuya une larme, et murmura quelques mots à Madame Kasuga que je ne pus entendre. Puis il revint vers moi, le regard serein. Il prit ma main gauche, et me sourit d’un air tranquille, comme si ce qu’il venait de vivre venait refermer en lui une page importante. Sachant encore quelques larmes, Hikaru, elle aussi, vint se ranger à ses côtés pour saisir sa main gauche. Et nous étions là, ensemble, alignés les uns à côté des autres, nous tenant par la main, regardant droit devant nous, sur le point de quitter ce monde qui nous a tant mis à l’épreuve. Il ne me restait plus qu’à prononcer les mots qui nous ramèneraient chez nous, là où l’épreuve ultime nous attendait.
Kyosuke tourna alors sa tête vers moi.
– Ayukawa…
– Kasuga, répondis-je, en plongeant mon regard dans le sien.
Il n’ajouta rien, se contentant de me regarder avec une intensité qui ne laissait aucun doute sur ce que nous ressentions l’un pour l’autre. Cet instant était unique, et ses yeux me parlaient d’amour plus fort que n’importe quel mot.
Hikaru brisa alors le silence, un peu perdue :
– Heu… les amis ?… Au fait, je vais me retrouver à Otaru ou à Tokyo, quand on rentrera ?…
Je souris. Au fond, peu importait la destination, tant que nous étions là, ici, ensemble, tous les trois… Moi, Madoka Ayukawa, chanceuse d’être si bien entourée… Et toi, Kyosuke Kasuga, celui qui m’a fait découvrir tant de choses, même si je ne t’ai pas toujours rendu la vie facile… Et toi, Hikaru Hiyama, ma petite sœur de cœur, que j’ai finalement retrouvée.
C’est un instant que j’aurais aimé figer en une photo rare, celle où le passé et le présent se rejoignaient avec la même joie au fond du cœur. Peut-être que Monsieur Kasuga, qui avait apporté son appareil photo ce soir, lors de ce fameux dîner chez moi, accepterait de réaliser un beau cliché, comme celui d’une vraie famille.
Je tournai une dernière fois la tête en arrière. Madame Kasuga, Manami, Kurumi et Kenji nous regardaient, priant tous pour la réussite de ma mission et pour toutes les retrouvailles heureuses qui suivaient. D’un geste de ma tête, je leur adressai mes ultimes remerciements silencieux.
Puis je regardais à présent devant moi, comme si je cherchais à discerner l’avenir dont je devais déchirer le voile. Puis je serrai fermement la main de Kyosuke, prononçant :
– Kimagure Orange Road !
«
Depuis que j’ai crié ces trois mots étranges, je me retrouve seule, plongeant en chute libre dans cet espace rougeoyant. Ai-je échoué ?… Suis-je encore sur la voie du retour ?…
La traversée entre les dimensions aurait dû être instantanée. Pourtant, je suis ici, isolée… perdue… Et surtout, je ne sens plus la main de Kyosuke. Il a disparu, tout comme Hikaru. Où sont-ils ?… Mon cœur se serre d’angoisse. Je suis sûre de ne pas avoir lâché Kyosuke lorsque nous avons commencé notre voyage. Pourtant, je continue de tomber, sans fin, sans apercevoir ce qui m’attend au bout. Une pression m’étreint… Je pense à Kyosuke et Hikaru, qui ont apaisé mes doutes et mes craintes. Dans ma solitude, je me rends compte que j’ai bien plus besoin des autres que je ne voudrais l’admettre. Mais comment reprendre le contrôle de ce voyage ?… Je n’ai pas le Pouvoir, juste ce pendentif autour de mon cou, et je remercie le Ciel de ne pas l’avoir perdu. Sans lui, tout serait déjà perdu.
Le silence règne dans cet espace, un vide presque oppressant, bien que ce ne soit pas l’obscurité qui m’enveloppe.
Puis, j’entends quelque chose… Une voix… Lointaine… Humaine…
« Ma… »
Non… c’est impossible, il ne peut pas y avoir de son ici.
« Mado… »
Je suis sûre d’avoir entendu quelque chose, comme lorsque la voix de Kyosuke m’avait soudainement atteinte ce dernier soir sur la plage de Los Angeles. Cela résonne aussi dans ma tête…
« Madoka… »
J’en suis certaine, c’est une voix… féminine, cette fois.
« Madoka… Je porte… »
Une lueur d’étonnement s’allume en moi. Cette voix… c’est celle de Madame Kasuga !
Surprise, je réponds à haute voix :
– Madame Kasuga ?… Est-ce bien vous ?…
« Madoka… »
Que se passe-t-il ?… Comment pourrais-je l’entendre, alors que j’ai quitté son univers ?… Ai-je vraiment quitté cet endroit ?…
– Madame Kasuga ?… insistai-je.
« Madoka… écoute ma voix… »
– Où êtes-vous ?…
« Partout… »
Je reste interdite. Je reconnais bien la voix de Madame Kasuga, mais elle semble altérée, comme si elle provenait de lointains souvenirs…
« Madoka, écoute-moi… »
– Je vous écoute.
« C’est Akemi… en effet… »
– Madame Kasuga ?… C’est bien vous ?…
Je scrute les environs sans rien voir.
« La maman de Kyosuke… Ton Kyosuke… »
Le sol se dérobe sous moi… Ai-je bien entendu ?…
– La maman de Kasuga-kun ?…
Mais comment ?… Si elle me parle, elle qui n’est plus de ce monde depuis des années… Serais-je près du Royaume des Morts ?… Cette idée me glace, moi qui ai toujours eu une peur inavouée de l’inconnu et du surnaturel liés à l’Au-delà …
« … derniers mots… pendentif… », perçois-je faiblement.
Elle parle du pendentif ?… Je vérifie aussitôt qu’il est toujours là. Le soulagement me gagne de le sentir toujours autour de mon cou. Mais la voix continue d’émettre, consciente de mes difficultés à la percevoir clairement :
« Le pendentif… Il… »
J’ai le sentiment qu’un message télépathique tente désespérément de m’être transmis, mais il a vraiment dû mal à passer… Je ne dispose pas du Pouvoir, et je me sens incapable d’être réceptive, surtout en un moment et lieu pareil.
– Que dois-je faire ? criai-je, déboussolée. Où êtes-vous ?…
« Le pendentif… Il faut que… »
– Oui ?…
La voix s’affaiblit. Je tente de me concentrer.
« Il attire… »
Ai-je bien entendu ?…
– Il attire ?… Attire quoi ?…
Alors, un souvenir me revient… L’été dernier… Kyosuke m’avait offert ce pendentif, cet héritage de sa mère. Mais peu après, des forces surnaturelles s’étaient abattues sur nous. Des éclairs avaient frappé la barque où nous étions… Et plusieurs autres fois ensuite… Je frissonne. Ce même pendentif est avec moi maintenant. Ai-je entre mes mains un objet qui pourrait me causer à nouveau un tel danger ?…
– Que dois-je faire ?…
La voix dans mon esprit se fait de plus en plus lointaine :
« C’est le cadeau que je te fais… »
Puis tout s’arrête.
– Madame Kasuga ?… Madame Kasuga ?…
L’impensable se produit alors : le ciel devient entièrement rouge. Tout autour se forment des trous sombres, comme des vortex menaçants. Je manque de tressaillir… Chaque ouverture émet une lumière fulgurante et grandissante, accompagnée de grondements sourds… Partout, des points lumineux vibrent et rugissent, menaçants… Des éclairs ?… Oh ! Non, pas ça !… Comme cet été-là… Non !…
Je suis seule, et Kyosuke n’est pas là pour me protéger. Des éclairs jaillissent des vortex, pointant directement vers moi ! Je ne peux pas m’abriter !… Je ne peux pas esquiver !…
Un fracas inouï déchire le silence ! Les éclairs, comme des fouets de feu bleuâtres, se dirigent vers moi. Ils me traquent, impitoyables, cherchant à me foudroyer de toutes parts !…
Je suis seule… Impuissante… Kyosuke, pardonne-moi… Hikaru, pardonne-moi… Pardonnez-moi… Je vais mourir avant d’accomplir ma mission… Je vais disparaître à jamais avant d’honorer toutes mes promesses…
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