« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 13 – Le piège
2 ans auparavant (1987)
Froidement, Kyosuke et Hikaru regardèrent impuissants l’immense meute de motos déferler sous leurs yeux, en leur direction. Du haut du pont de Yokohama, dont la construction allait s’achever dans quelques années, le chantier était accessible de nuit, avec peu de système de sécurité.
– C’est Kenji ! s’écria Hikaru, avec inquiétude.
Kyosuke demeurait silencieux à ses côtés.
Ayant vainement tenté de fuir la ville, le couple était à présent acculé au milieu de l’immense structure, au rebord d’un point de bascule vers le vide, et les eaux glaciales de la baie de Yokohama, tout en bas. Le chantier étant interdit au public, il n’y avait pas encore de barrière de sécurité empêchant les imprudents de sauter dans le vide. Jusqu’ici, aucun incident ne s’était produit depuis le début de la construction du pont, il y a six ans. Et donc, rien n’avait été fait pour renforcer les perfectibilités.
Kyosuke serra les dents. Il n’imaginait pas que sa relation avec Hikaru allait provoquer tant d’hostilités de la part du gang des bikers de Yokohama envers lui.
Hikaru se plaça devant Kyosuke, comme pour le protéger naturellement du courroux de son grand frère. Ce dernier l’avait prévenue qu’il n’accepterait pas de petit ami sans sa bénédiction. Cependant, Hikaru, rebelle comme Kenji, n’allait certainement pas se laisser marcher sur les pieds par un frère possessif et trop protecteur. Il n’était plus possible pour Hikaru de laisser les choses continuer ainsi.
Bien des années auparavant, Hikaru et son frère avaient perdu leurs parents, les laissant orphelins. En tant que frère aîné responsable, Kenji prit sur lui la charge de s'occuper de sa jeune sœur, cherchant ainsi à combler le grand vide laissé par la disparition de leurs parents.
Néanmoins, les impératifs de la vie trépidante de Kenji ne lui laissaient guère le loisir de consacrer tout son temps à sa sœur. En effet, ses activités nocturnes étaient souvent dominées par son rôle de leader au sein de sa bande, parfois impliquées dans des affrontements territoriaux contre d'autres groupes de la région. En parallèle, il jonglait avec les exigences du lycée, où son assiduité était parfois compromise par des séances de séchage de cours. Et puis, il y avait Madoka Ayukawa, une étrange âme rebelle qui avait gravité vers lui, devenant ainsi sa plus proche alliée au sein de la bande. Tout cela compliquait davantage la capacité de Kenji à consacrer du temps pour Hikaru. Cherchant alors à concilier ses responsabilités, il envisagea d'impliquer sa propre sœur dans le groupe, dans l'espoir de veiller sur elle, tout en jonglant avec ses propres obligations.
Bien évidemment, Hikaru refusa d’être entraînée dans le douteux monde de son frère, ce qui obligea la jeune fille à prendre le large de temps à autre, loin d’une ville trop agitée à son goût. Elle trouva alors calme et tranquillité dans la ville voisine. C’est là que, par hasard, elle fit la connaissance d’un garçon singulier du nom de Kyosuke Kasuga, qui se démarqua de tous les autres garçons qu’elle avait connus jusqu’ici.
Kyosuke avait deux sœurs et deux parents au caractère bienveillant. Ce tableau familiale constituait pour Hikaru la représentation idéale de la vie de famille qu’elle aurait voulu avoir si seulement ses propres parents n’étaient pas partis si précocement, et si son frère n’était pas devenu aussi difficile et têtu.
Sans parler de cette Madoka Ayukawa, cette fille énigmatique sortie d’on ne sait où, qui semblait vouloir la rejeter. En effet, cette étrange donzelle aux cheveux de jais et aux yeux émeraude singuliers semblait percevoir en Hikaru une potentielle et dangereuse rivale pour le pouvoir au sein de la bande de Kenji. Ce dernier ne voyait pas forcément l’influence néfaste de cette Madoka Ayukawa, qui sous couvert d’être sa petite amie, tentait insidieusement de semer dans son esprit des idées en défaveur de sa propre petite sœur.
Avec Kyosuke et le reste de sa famille, Hikaru avait découvert un petit havre de paix où elle pouvait souffler quelque peu de la vie grisâtre qu’elle menait au sein de l’univers trop agité de son frère. Ceci dura un temps, et, Kyosuke et Hikaru purent ainsi s’apprécier de plus en plus, jusqu’à que l’un se déclare finalement à l’autre… et réciproquement.
Mais leur idylle fut découverte par hasard par un des bikers de Kenji, qui patrouillant dans la ville où habitait la famille Kasuga, avait immédiatement alerté son chef. Ce dernier découvrit très vite la seconde vie que Hikaru menait secrètement avec un certain Kyosuke Kasuga.
Courroucé par une telle situation (car il ne lui était pas pensable de se faire humilier de cette manière), Kenji décida de poursuivre ce Kasuga, qui avait eu l'audace d'entrer dans la vie de sa sœur. Récupérer Hikaru devint alors sa priorité.
La chose ne fut toutefois pas simple pour Kenji et sa bande de rattraper le couple en fuite, car dès lors que se présentait l’opportunité de les arrêter, Kasuga et sa sœur parvenaient toujours à s’éclipser de manière incompréhensible. Même lorsque les motards de Kenji pensaient les avoir acculés dans une sombre impasse, les fugitifs s'éclipsaient toujours de manière énigmatique. Ce jeu du chat et de la souris dura plusieurs jours, mais la patience de Kenji et Madoka atteignit rapidement ses limites.
Un stratagème fut alors mis au point pour rabattre les deux jeunes fuyards vers le pont de Yokohama, d’où il n’était pas possible de s’échapper si les deux extrémités de la structure étaient bloquées. Kenji parvint à faire en sorte de laisser filer une rumeur selon laquelle un des amis de Hikaru avait des difficultés, et devait les retrouver de nuit, au milieu du pont. Mais la surprise du couple fut totale quand ils ne trouvèrent personne à l’endroit indiqué. Comprenant alors qu’ils avaient été joués, il fut trop tard pour évacuer les lieux. Les motos affluèrent déjà de partout. Toutes les sorties furent bloquées. Kyosuke et Hikaru se retrouvèrent ainsi piégés au milieu de l’immense structure, alors que convergeait de part et d’autre tout une armée de motos bruyantes convergeant dans leur direction.
Les machines formèrent bientôt un arc-de-cercle à une quinzaine de mètres devant Hikaru et Kyosuke. Ces derniers étaient éblouis par de multiples phares, et demeuraient acculés et figés au rebord du pont qui était dépourvu de barrière de sécurité à cet endroit.
Les motards firent place aux deux figures éminentes de cette petite armée : Kenji Hiyama et Madoka Ayukawa, s'approchant lentement en chevauchant leurs destriers mécaniques. Revêtus de leurs combinaisons moulantes, ils exhibaient fièrement l'emblème distinctif des bikers de Yokohama sur leurs tenues. Ils stoppèrent entre la meute de motos et le couple. D'un geste impérieux, ils ordonnèrent à tous de couper les moteurs et phares, puis descendirent de leur monture respective, retirant leurs casques qu'ils posèrent soigneusement sur le guidon de leurs engins. À présent, seules quelques lanternes de chantier allumées et disposées ça et là, éclairaient quelque peu tous les protagonistes.
En ces lieux de ce formidable pont en devenir, Kenji sentit un parfum d’exaltation parcourir tout son être. Il savait en effet que la construction de ce nouveau pont allait contribuer à renforcer davantage sa position au sein de son propre territoire. La situation stratégique et épicentrique de cet endroit lui offrait également des opportunités insoupçonnées, conférant à tout son groupe une mobilité accrue, lui permettant de couvrir plus rapidement son territoire, sans parler de l’influence grandissante que cela provoquerait sur tous les quartiers environnants disputés par les bandes rivales.
Arborant chacun un rictus malicieux, Kenji et Madoka s’avancèrent d’un air confiant vers Hikaru et Kyosuke, ces derniers étant toujours complètement piégés. Derrière eux, le vide et les eaux de la baie. Sauter du pont était insensé. La rive la plus proche était située à plus de 450 mètres de là. Envisager une chute dans les eaux sombres et glacées de la baie, vu la hauteur vertigineuse, semblait de la pure folie. Nager ensuite vers une rive distante, surtout dans l'obscurité, était une perspective impossible pour Hikaru, qui, par malchance, ne maîtrisait pas bien la natation.
– C’est terminé, fit Kenji, qui s’était arrêté de marcher, Madoka à son sillage.
Tous deux étaient maintenant à moins de cinq mètres des fuyards.
– Tu ne peux aller plus loin, Hikaru, poursuivit Kenji, ignorant Kyosuke (non sans se jurer de lui promettre un sort peu envieux). Reviens à la raison.
Sa sœur manifesta de la colère et l’exprima clairement à son frère :
– C’est donc toi qui nous as attirés ici ! Comment as-tu osé piéger ta propre sœur ?...
Kenji tenta de se montrer calme :
– C’est pour te protéger que je fais tout cela, imôto. [« petite sœur », NDLR] Je suis ton oniisan [« grand frère », NDLR]. Je ne cherche que le bien pour toi. Je suis le seul parent qui te reste… et je tiens à toi.
– Baka ! rétorqua Hikaru. Quand tu auras compris que c’est cette fille, qui se tient à côté de toi, qui te manipule depuis le début ! Comment peux-tu être aussi aveugle, grand-frère ?
Kenji et Madoka se regardèrent comme par surprise.
– Écoute-moi, petite sœur, reprit son aîné. Je te demande de me suivre. Laisse ce Kasuga et rejoins-moi. Tu n’as rien à faire avec lui.
Les yeux de Kyosuke se durcirent et ne put s’empêcher de laisser ses pensées sombres de s’exprimer verbalement :
– Pour qui tu te prends ? s’écria-t-il. Jamais je ne te laisserai Hikaru !
Cette dernière adressa un tendre sourire à son ami, et lui dit :
– Je te remercie pour ton soutien, Darling, mais laisse-moi gérer cela avec mon frère, s’il te plaît.
Stupeur dans les yeux de Kenji et Madoka.
– Tu… tu as dit « Darling » ?... s’étrangla presque Kenji.
– Mes sentiments sont réels ! s’irrita Hikaru. Rien ne les fera altérer ! Je suis avec Kyosuke, que tu le veuilles ou non ! Papa et mama n’auraient jamais souhaité que tu t’opposes ainsi à mon propre bonheur !
– C’est vraiment du sérieux entre ces deux-là, fit Madoka en chuchotant à l’oreille du leader des bikers de Yokohama. Kenji, tes hommes observent attentivement ta réaction. C'est l'occasion de démontrer ta capacité à maintenir ton autorité, même lorsque ta propre sœur est impliquée. Right ?
– Tu as raison, Madoka. Ne t’inquiète pas. Je vais régler cela.
Il s’avança seul vers les fuyards.
– Pas un pas de plus ! menaça Hikaru.
– Sinon quoi ?...
– Sinon, je vais sauter !
Kenji fut pris d’un fou-rire.
– Sauter ?... Tu n’y penses pas sérieusement, j’espère ?... Réfléchis un instant. Tu te rends compte de la hauteur ? C'est un précipice de plus de 50 mètres. En plus, c’est actuellement l’heure de la marée basse dans la baie. As-tu déjà plongé d’aussi haut quand tu étais à la piscine de l’école ?... Tu sais aussi que tu ne sais pas bien nager, voire pas du tout. Si tu sautes, c’est la mort assurée pour toi et pour ton petit copain.
– Tu ne le connais pas ! Il est spécial ! Il…
Kyosuke donna un léger coup de coude à Hikaru. Visiblement, il se rendait compte qu’elle risquait de gaffer, et sous le coup de l’émotion, d’en dire un peu trop sur les dons qu’il possédait.
Hikaru fixa Kyosuke avec une lueur de désespoir dans les yeux. Son ami était conscient que seul son pouvoir pouvait les protéger, tous deux. La situation était critique : il était impossible pour Kyosuke de se téléporter avec elle jusqu'à la rive la plus proche. De plus, comment s’éclipser sans faire montre à tous d’une belle démonstration de pouvoirs extraordinaires ?... Hikaru était la seule ici à savoir qu’il possédait des dons. Elle regarda toujours Kyosuke en silence et intensément, le suppliant de ses yeux de trouver une solution pour quitter cet endroit où il n’y avait pas d’issue, hormis le vide et le grand plongeon.
– Alors, petite sœur ? insista Kenji. Tu te décides à revenir ?... Tu n’as pas vraiment le choix, tu sais. Je ne partirai pas d’ici sans toi.
– Jamais ! Plutôt mourir ! hurla Hikaru d’un air décidé.
Kyosuke reposa ses mains sur les épaules de son amie et la regarda droit dans ses yeux, en lui chuchotant :
– Nous n’allons pas mourir, Hikaru, lui dit-il. As-tu confiance en moi ?
– Bien sûr, mon chéri, lui répondit-elle sans hésiter.
Kyosuke ne songeait pas à se téléporter au loin, comme il l’avait fait à plusieurs reprises, précédemment, pour échapper aux patrouilles de recherche des bikers de Kenji. Il devait tenter d’accomplir quelque chose de nouveau. Son pouvoir lui permettait de se téléporter, mais la portée de ce don ne lui permettait pas d’aller très loin s’il y avait un passager en même temps que lui. Se téléporter à l’intérieur d’une cache de la structure du pont, par exemple, vers l'un de ses piliers, était hors de question. Non seulement la visibilité serait nulle, mais l'effort nécessaire serait tel qu'il ne pourrait échapper au final aux recherches intensives de la bande de Kenji. Les structures supérieures du pont n’étaient pas encore posées. Il n’y avait pas ici de possibilités de cachettes sures. Non, Kyosuke devait plutôt faire croire à Kenji que lui et sa sœur avaient totalement disparu.
– As-tu confiance, Hikaru ? redemanda Kyosuke.
– Oui… Oui, je te suivrai où que tu ailles, mon amour ! répondit-elle avec les yeux remplis d’émotions, émotions qu’elle eut alors du mal à contenir en cet instant.
Elle enlaça Kyosuke, puis l’embrassa alors sur les lèvres, les larmes coulant sur ses joues.
Ce geste inattendu surprit Kenji et Madoka.
– Disgusting… commença à prononcer Madoka, qui avait souvent tendance à sortir des mots issus de la langue anglaise dans ses phrases.
C’est alors que Kyosuke bascula avec Hikaru dans le vide !
– Non ! hurla Kenji, les yeux exorbités d’horreur.
Comme un fou, il se précipita vers le rebord du pont, Madoka le suivant tranquillement derrière lui.
– Hikaru !!... hurla le jeune homme comme un fou. C’est pas possible !... Non !!...
La nuit, à peine éclairée par la lune partielle, ne permettait pas de suivre le plongeon insensé que venaient d’accomplir Kyosuke et Hikaru.
– Je ne les vois pas ! s’écria Madoka, qui scrutait vers les profondeurs sombres de la baie. Comment est-ce possible ?... Ils ne sont pas tombés dans l’eau, j’en suis certaine !
– Il n’y a pas eu de bruit d’impact dans l’eau, confirma Kenji. C’est incompréhensible ! Ils sont forcément quelque part !... (il hurla encore) Hikaru !...
Avec anxiété, il se tourna vers ses hommes postés plus loin :
– Vous tous ! Allez les chercher sur les deux rives au voisinage du pont ! Trouvez-les-moi ! Faites vite !
Aussitôt, un immense chambardement de moteurs se produisit. Laissant Kenji et Madoka seuls, tout une nuée de motos se sépara en deux groupes, chacun vers une des deux sorties du pont.
Nerveusement, Kenji regarda encore le point d’impact où Hikaru et ce Kasuga aurait dû en principe atterrir. Mais rien. Rien non plus sous la structure du pont au niveau des piliers centraux. C’était incompréhensible.
– Une fois encore, ils nous ont échappés ! admit Madoka avec colère. Je ne sais pas ce qui se passe, mais ce Kasuga connaît des f… ruses pour se sortir de toutes les situations possibles. Cela n’est pas f… normal !...
N’écoutant pas les phrases parfois trop chargés d’anglicismes que venait de prononcer Madoka, Kenji tenta désespérément d’appeler de nouveau sa sœur à travers le vide :
– Hikaru !... Hikaru !...
Nul signe perceptible, nul écho sonore, nul appel vibrant dans l'air nocturne ne revenait à lui. C’était comme si Hikaru et Kasuga avaient tous deux complètement disparu de la réalité.
De désespoir, Kenji se mit à genoux sur le dur ciment et commença à pleurer sa sœur. Quant à Madoka, elle resta debout, contemplant non pas les eaux de la baie, mais l’horizon… et l’avenir, le sourire répondant à des yeux se chargeant d’ambition.
Kyosuke et Hikaru relâchèrent leur étreinte. Il n’était plus là question d’une chute libre incroyablement vertigineuse, comme il aurait dû y en avoir « normalement ».
Hikaru regarda lentement tout autour d’elle. Le pont, la nuit, Kenji et sa bande… disparus !
– Darling ! Nous somme sauvés ! s’écria-t-elle.
Mais les nouveaux lieux qu’elle découvrit étaient bien singuliers selon son point de vue.
– Quel est cet endroit ?...
Tout autour d’elle, c’était une atmosphère éthérée, d’où émanait une clarté d’une grande magnificence, qui baignait l'ensemble de son champ visuel. Les pieds de la jeune fille semblaient ne jamais toucher de sol ferme, flottant dans l’invisible. Elle semblait ainsi comme suspendue dans un vide baigné de cette lumière étrange, et dont l'éclat, bien que puissant, ne semblait jamais éblouir sa vision.
– Darling, où sommes-nous ?... redemanda-t-elle. Je ne comprends pas…
À ses côtés, Kyosuke était lui aussi comme en suspension dans ce vide étrange, où aucun point de repère n’était visible.
– Nous sommes normalement à quelques mètres du pont, expliqua-il, près de l’endroit où nous sommes avons plongé tous les deux.
– Mais… je ne comprends pas… qu’as-tu souhaité accomplir avec ton pouvoir, cette fois-ci ? Ce n’est pas une téléportation, on dirait. C’est différent.
Kyosuke eut un regard quelque peu hésitant :
– Oui… la téléportation est rapide. Elle s’effectue, pour qui la vit, le temps d’un flash…
Hikaru regarda étrangement Kyosuke, une inquiétude se dessinant sur son visage :
– Darling, que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
Kyosuke se montra un peu embarrassé et posa sa main derrière la tête.
– C’est que… vois-tu… c’est la première fois que je tente une telle chose.
– Quoi donc ?...
– Une téléportation immobile.
– Une quoi ?...
– Cette fois, je savais que je ne pouvais pas nous transporter sur l’une des rives. C’était trop loin. Il me fallait donc gagner du temps.
– Tu… tu veux dire que nous sommes présentement suspendus tous les deux dans le vide, en pleine phase de téléportation ?
– Oui, mais une phase que j’ai stoppée exprès, le temps que tous les autres dehors repartent bredouille.
– Tu… tu peux accomplir cela ?... s’étonna Hikaru.
Pourtant, la jeune fille avait été témoin de bien des capacités de ce que peut recéler le Pouvoir.
– Mais comment savoir si tous les autres sont bien repartis ? poursuivit-elle. On ne voit rien, d’ici.
– C’est là tout le problème. On doit compter sur la chance.
Hikaru se posa alors une question essentielle :
– Attends, Darling : mais le temps… comment s’écoule-t-il en ce lieu ? Je n’ai pas de montre sur moi, ni toi, d’ailleurs.
– Le temps ne s’écoule pas ici, répondit Kyosuke. Je nous ai placés au sein d’une bulle temporelle immobile. Nous resterions ici l’équivalent de 10 ans que cela ne nous affecterait pas un seul instant. C’est le monde extérieur qui, lui, avance dans le temps. Nous sommes tous deux coupés du monde extérieur.
Hikaru sourit et prononça alors d’un air rêveur :
– Ainsi, le flot du temps nous porte-t-il… Il ne nous reste plus qu’à compter verbalement les secondes et les minutes, alors, n’est-ce pas, Darling ?...
Kyosuke avait l’habitude des sentiments optimistes dont faisait souvent montre sa petite amie. Cette dernière pouvait ressentir de la mélancolie, mais pouvait « redresser la barre » assez rapidement pour exprimer à ses yeux un optimisme sans pareil. C’est la raison pour laquelle cette étonnante jeune fille aux courts cheveux dorés avait trouvé grâce à ses yeux.
Il poursuivit ses explications, mais en affichant un air de plus en plus grave :
– Seulement, la question que je me pose est la suivante : en ayant créé cette téléportation immobile, je ne sais pas à quel rythme le temps du monde extérieur s’écoule.
– Nani ?... Que veux-tu dire ?...
– Oui, Hikaru : même si nous avons l’impression de passer quelques secondes ici, j’ignore si à l’extérieur le temps a avancé de manière similaire… ou non.
– Ciel ! déchanta alors soudainement Hikaru. Et… et si le temps au dehors avait déjà bondi de dix ans, tandis que nous parlons ?... Oh, Darling, tu ne peux pas savoir ce qu’il se passe à l’extérieur ?...
– Aucunement, hélas. J’ai beau essayer de me concentrer de toutes mes forces, je ne peux pas ouvrir de fenêtre. Normalement, quand je souhaite me téléporter, je vois d’avance ma destination avant même d’ouvrir le chasme fracturateur. Mais quand je suis en pleine phase, celle-ci ne dure qu’une infime fraction de seconde, comme tu le sais. Et je ne contrôle plus rien car tout se produit instantanément, jusqu’à ce que j’arrive à destination.
Hikaru alors fit des calculs insensés dans sa tête. Elle avait déjà vécu des téléportations d’un point à l’autre de la ville pour échapper au gang de Kenji. Mais à chaque fois, l’effet de la translation ne durait en effet qu’une infime fraction de seconde, ce qui permettait de ne pas subir d’écart et de déphasage de temps entre le point de départ et d’arrivée de la téléportation. Mais cette fois, en pleine phase figée ainsi dans l’éternité et sans visibilité, le temps extérieur devait peut-être s’écouler de manière inattendue. Combien de « secondes » ressenties dans la bulle avaient-elles produit comme conséquences sur le temps s’écoulant à extérieur ?... Le risque était énorme si l’on restait dans cette bulle trop « longtemps ».
– Essaie alors de nous faire revenir maintenant ! ordonna soudainement Hikaru.
– Maintenant ?... Et si jamais ton frère et Ayukawa nous attendaient encore ?
Elle regarda Kyosuke sérieusement, et prononça :
– Peut-être cet idiot de Kenji est-il déjà marié avec cette Ayukawa, et que je suis aussi devenue la tante de leurs enfants !
– Hein ?!...
– Écoute, Darling : j’ai confiance dans tes dons, et je suis heureuse que tu sois entré dans ma vie… et que tu m’aies révélé la vérité sur ce dont tu es capable. Mais parfois, je pense que tu prends parfois de grands risques avec ce pouvoir, que toi et ta famille possédez.
Kyosuke lui renvoya son sourire et prononça sans hésitation :
– C’est pour cela, qu’envers toi, j’ai confiance dans ton propre jugement à mon sujet (il reposa à nouveau ses deux mains sur les épaules de la jeune fille). Tu sais à quel point je peux toujours compter sur tes conseils et ton œil avisé, si jamais je me montrais trop maladroit avec mes pouvoirs. Et je suis heureux… de pouvoir toujours compter sur toi.
Les yeux clairs azur de Hikaru pétillèrent.
– Oh, mon chéri, tu me fais un grand cadeau en me disant cela. Viens là !
Et elle embrassa Kyosuke, avec une grande et rare passion. Kyosuke le lui rendit bien, aussi.
Quelques « secondes » de plus ici valaient bien tout ce trésor de bonheur, comparées à une éternité exposée aux périls extérieurs.
Tandis que les lèvres de Kyosuke et Hikaru demeuraient enlacées dans une étreinte passionnée, une vibration singulière traversa soudainement l'entièreté du corps du jeune homme. Mais une vibration pas normale du tout !
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