"Réalisateur - Bon alors, les scénaristes, vous avez fini les scripts des 48 épisodes?
Scénariste - Euh oui oui, enfin presque...
R - Comment ça, "enfin presque"? Ça fait un an que vous êtes dessus!
S - Non mais en fait on a bien essayé de délayer : on a rajouté des pouvoirs inconnus, on a mis plusieurs fois les mêmes intrigues, on a fait un épisode sur tous les persos secondaires. On a même écrit un épisode super dark et sérieux! Mais on arrive à 47, on a plus d'idées...
R - Attends, tu me raconte quoi là? Le manga contient largement de quoi faire deux séries. Vous pompez dedans et puis c'est tout! Là regarde, "le message en rouge" : c'est une super histoire, ça!
S - Ah oui oui, mais un peu convenu : on a en déjà fait, des épisodes où Madoka s'en va...
R - Et là, Akane : elle y est dans la série, Akane?
S - Non, mais on a fait un épisode tombe amoureuse de Madoka, donc ça fait un peu redite aussi. Ceci dit, on a un brouillon d'histoire, là.
R - Montre moi ça : "Alors là, y'a un kaiju qui sort de l'eau et en fait c'est Jingoro en très gros. Et pis, y'a des navions qui arrivent, et y font "piuu piuu piuu"! Et là, KABOOOOM, le monstre, il explose et..." Attends, c'est quoi cette merde, on dirait que ça a été écrit par un gosse de 5 ans!
S - C'est mon neveu Kazuya qui...
R - Non mais c'est pas du boulot ça, les gars! On fait une comédie romantique! RO-MAN-TI-QUE! Je sais bien qu'on a pas toujours écrit du Zola, mais faut être un minimum cohérent! On mélange pas des kaiju et des robots géants avec des triangles amoureux! Eh, Hideaki, tu m'écoutes, là?! T'écris quoi dans ton carnet?
Hideaki - euh non, rien rien...
R - Bon, d'un autre côté, j'ai rien d'autre et la prod attend les scripts pour midi. Alors faute de mieux...
S - Attendez, attendez, on a même pas trouvé de nom pour l'escadron des héros!
R - Mais on s'en tape, de ça !... T'écris quoi, là?
C'est donc partie pour "Tape Gun"... J'ai viscéralement détesté cet épisode la première fois que je l'ai vu. A cet époque, j'attendais que la situation de Kyosuke et Madoka progresse et on avait déjà eu pas mal d'épisodes fillers où il ne se passait pas grand chose. Et là, arrive "TAP Gun", un épisode totalement WTF qui n'a absolument rien à voir avec le reste... la déception était immense! Bon, avec les années et le recul, j'ai appris à l'apprécier un peu plus : la parodie est plutôt marrante, même si elle ne fait pas avancer l'intrigue. En un sens, Tap Gun est quand même dans le thème de la série qui, depuis le début, multiplie les références cinématographiques...
- La scène commence par une narration écrite avec l'anglais habituel de nos amis nippons (oui oui, les français sont pas bien meilleurs en anglais, alors qu'en plus on a la même racine linguistique) . Ainsi on apprend que l’escadron T.A.P. Gun (pour "Team of Anti Perdition") a été fondé 23 "Sepetenber" 1964, date de naissance de Bruno Solo. C'est une date très précise et du coup on ne comprend pas trop pourquoi l'instant d'après, on situe l'action en "196X" (procédé narratif que l'on utilise habituellement pour situer l'action à une époque donnée tout en laissant un flou sur la chronologie exacte).
- Le nom du pilote "Flt Hatta" est écrit sur le cockpit, et donc on voit très distinctement qu'il s'aligne et qu'il décolle... deux fois.
- le mécha-design des avions est assez réussi. Plus haut, on a cité le F-14 Tomcat (sorti en 1970), utilisé dans Top Gun sorti un an avant, mais l'inspiration est très libre : l'avant du cockpit est ressemblant et il y a deux moteurs et deux dérives. Mais en dehors de ça : les dérives sont au bout des ailes, ce ne sont pas des ailes delta, et surtout... il n'y a pas d'empennage arrière! Ah oui oui, ça décolle, pas de souci, c'est après que les problèmes arrivent.
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Le "Sylphide (esprit de l'air dans certaines mythologies) américain" piloté par le Black Fighter est plus classe mais n'est pas tellement meilleur en termes de stabilité (même si au moins, il a un empennage horizontal... à l'avant)
- Le porte-avion qui sert de base militaire à TAP gun est situé... dans une forêt au pied du mont Fuji. C'est terrible, les tsunami, dans le coin...
Le logo de TAP Gun semble être un "A" horizontal : on le voit sur les avions et sur les casques. Ce même logo est estampillé sur le casque et le blouson de Kyosuke, le "Black Fighter" : c'est un chasseur de primes japonais qui vole sur un avion américain. On peut en déduire qu'il s'agit d'un ancien pilote de TAP Gun qui a gardé ce logo par nostalgie.
Le casque de Hatta est marqué par les lettres "ABCD" (ça aurait pu être ABCB) et celui de Komatsu par les symboles masculins et féminins, parce que... euh... enfin vous savez, depuis l'épisode 33.
- L'appareil photo de Hatta est très daté, même pour 1964 : il fait plutôt photo reporter des années 30.
- Arrivés à la base, le Black Fighter se révèle être nul autre que Kyosuke, le "premier homme à avoir touché Madoka", qu'il appelle par son prénom, preuve de leur intimité. On n'en saura pas plus sur le tumulte de leurs amours passés (autre trope classique du cinéma : le retour de l'ancien amant)
- Pendant ce temps à l’École Orange (c'est ce qu'il y a écrit), la nurse Hikaru s'occupe d'orphelins : Kazuya et son insupportable bande. Leurs conditions de vie sont dramatiques : l'orphelinat est sous le métro et manque de s'effondrer à chaque passage, Hikaru sert du "lait écrémé en poudre" et elle range les jouets dans un carton ayant servi auparavant pour des mandarines d'Oita. Elle se réjouit du retour prochain de Kyosuke dont elle connait l'identité secrète du Black Fighter. (J'ai beaucoup aimé le flashback avec les répliques de Umao et Ushiko et la tenue très "Scarlett" d'Hikaru)
Le point commun avec la Hikaru du monde réel est qu'elle voue un amour et une admiration sans bornes pour Kyosuke, sans voir le caractère totalement dissymétrique et abusif de leur relation. Kyosuke semble gagner des fortunes avec son métier mais il n'en donne que des miettes à une Hikaru exagérément reconnaissante, tandis qu'il achète des jouets cheap aux enfants en espérant se faire bien voir. Les orphelins n'en sont d'ailleurs pas dupe, ce qui explique en grande partie l'accueil qu'ils lui réservent.
- Pendant ce temps , au QG de TAP Gun, le colonel Kasuga montre des photos des dommages occasionnés par celui que l'on appelle "Kaiju G" (se prononce "ji" comme "Jingoro") : mention spéciale pour la baleine dont il ne reste que l'arête! Kyosuke écoute à peine le briefing de celui qui se révèlera être son père (le piston...) et essaie de dérider une Madoka visiblement fâchée par le souvenir, l'attitude arrogante et la cupidité du Black Fighter.
- Au "Pavillon Bailu", le rendez-vous des as de l'air, les lieutenants Komatsu et Hatta profitent de leur notoriété pour draguer les serveuses en roller (très années 60 aussi), Manami et Kurumi. Kyosuke interroge Master sur Madoka, en faisant semblant de ne pas la connaître : il est ému de savoir qu'elle ne se réserve qu'à un seul homme, qu'il comprend être lui-même.
- Madoka espionne de loin la visite de Kyosuke à l'orphelinat (qui arrive dans une décapotable occidentale, volant à gauche). On comprend qu'elle est heureuse de voir qu'il a gardé un brin d'humanité en venant au secours financier de ces orphelins, mais son humeur s'assombrit quand elle voit sa proximité avec Hikaru.
- Mais le Kaiju G débarque sur terre, laissant un sillage de désolation (Jingoro se prend vraiment au jeu!). Le colonel Kasuga dit de lui qu'il s'agit d'un chat (neko) venu de la mer (umi), et fait un piteux jeu de mot autour de umineko (goéland), à la consternation de ses subordonnés.
En l'air, la tension est palpable entre Madoka, qui représente une forme de loyauté et de fierté patriote, et Kyosuke qui n'est qu'un mercenaire. Mais de par elle-même, elle dit qu'elle préférait le Kyosuke du débit, maladroit certes mais qui essayait de faire de son mieux.
Mais c'est le caractère du Kyosuke que l'on connaît, ça! OMG, cela voudrait dire que Tap Gun est situé... dans le futur?! ![:D](http://forumkor.fr/public/style_emoticons/default/biggrin.png)
- Malheureusement, l'attaque qui suit est un désastre et Madoka se fait abattre.
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Le cut que vous aviez déjà remarqué, avec le logo de la Toho, que l'on voit au début de tous les films japonais en export!
Désespéré, Kyosuke tente un assaut suicide avec son arme ultime, le Météore de Pégase mode hyper espace-temps, à la fois clin d’œil évident à un autre succès du moment et trope classique des genres "mécha" et "sentai" : l'arme ultime qui peut terrasser le méchant en un coup mais qu'on ne sort qu'à la fin (voir sur ce sujet une séquence mémorable de "Pacific Rim"!)
- Mais l'abominable G (c'était la VF) a survécu! Reconnaissant Jingoro, les deux serveuses se téléportent du bar, et revêtant leur tenue d'amazones, entonnent un chant pour calmer le matou. C'est à ce moment que Yuusaku, qui accompagne l'escadrille depuis le début de l'épisode mais qu'on ne voit qu'à ce moment-là (Yuusaku classique) donne une explication sur la venue de Jingoro le dieu de l'île venu récupérer les deux reines enfuies de l'île des amazones. Autre grand classique des films de série Z un peu bâclés : l'explication sortie de nulle part, relevée avec humour par Komatsu et Hatta.
Yuusaku en profite aussi pour se réjouir qu'avec la mort de Kyosuke, Hikaru sera à lui, ce qui lui vaut une réprimande de Komatsu qui lui demande de "rester dans son rôle", première allusion au fait qu'il s'agit d'un tournage.
- J'ai cherché sans succès la référence du Colonel Kasuga ("Je pense que ce Jingoro ne sera pas le dernier. J'ai toujours rêvé de dire ça!") : je suis sûr qu'il y a un clin d’œil derrière tour ça.
- Le film se termine sur un Kyosuke qui broie du noir, dépressif, un verre à la main, en discutant avec le barman. (Le nombre de clichés de ce film est hallucinant, mais c'est bien sûr intentionnel.) Mais une personne fait son apparition et Kyosuke réalise avec stupéfaction qu'il s'agit de Madoka, qui lui pardonne tout parce que, euh... pourquoi au fait? Parce qu'il s'est vautré comme un con en tentant une attaque suicide? Et qu'il a touché la prime après ça?
On va faire l'hypothèse qu'elle a entendu ses dernières paroles à la radio, qui expliquait qu'il faisait tout cela pour être un homme digne d'elle.
Et la scène se termine par un baiser final... interrompu par Hikaru! (l'hélico, brrr...) Hikaru qui se plaint d'avoir un rôle aussi léger, et que son Darling finisse avec Madoka!
On comprend alors qu'on est sur le plateau de tournage d'un film réalisé par Komatsu. Je me rappelle qu'à l'époque du premier visionnage, cela m'avait apporté une forme de révélation rassurante : non, la série ne partait pas complètement en c***!
- Alors au final, rêve ou tournage?
Et bien, lors du passage en VF, il semblait évident qu'il s'agissait d'un délire parodique, dont l'explication à la fin était donnée par le fait qu'on était sur un plateau. D'où d'ailleurs, la photo finale avec toute l'équipe du film. La seule allusion au fait qu'il s'agisse d'un rêve est dans le titre, mais on ne voit à aucun moment Kyosuke s’endormir ou se réveiller, alors que c'est le cas d'habitude : c'est un peu léger...
Alors certes, l'hypothèse du tournage réel n'est pas totalement cohérente : les moyens sont bien supérieurs à ceux habituels de Komatsu, et on voit les jumelles se téléporter devant la caméra! (Une question sur le sujet m'avait valu un point en moins lors d'une Coupe du forum, les larmes de l'amertume coulent encore sur mes joues meurtries...)
Mais pour un rêve, c'est trop ordonné et l'histoire est étonnamment juste! Jamais les héros ne se sont autant livrés. Kyosuke aime Madoka et aimerait se sentir plus digne d'elle. Il tombe même dans le travers de la sur-confiance de l'épisode 25, dans lequel l'auto-hypnose le rend macho et arrogant, et il perd l'affection de Madoka. Madoka, quant à elle, avoue son amour pour Kyosuke et en révèle les raisons : il est maladroit mais il fait de son mieux (et il a certaines qualités morales, comme le courage et la générosité). Hikaru se retrouve dans son rôle, amoureuse asymétrique, protégée d'un Kyosuke amoureux d'une autre mais attentionné vis-à-vis d'elle : elle se plaint du rôle sans comprendre qu'il s'agit vraiment du sien. Et Jingoro révèle sa nature de félin sauvage, après des mois d'oppression dans la famille Kasuga!
Jamais encore dans la série les protagonistes n'ont été aussi transparents sur ce qu'ils ressentent vraiment : TAP Gun est un révélateur de la réalité. Un tournage peut permettre aux acteurs d'être à la fois "autre chose" et "ce qu'ils sont vraiment" : il leur donne une licence pour exprimer ce que les conventions sociales et leur "image" ne leur permettent pas d'exprimer en temps normal (On en verra un autre bel exemple dans l'épisode 42.) Sous des dehors parodiques, une fiction peut être plus vraie, plus réelle que la "comédie humaine" dans laquelle nous vivons (Les Simpsons ou South Park en sont de très bons exemples).
C'est aussi une des originalités de l'anime KOR : c'est une déclaration d'amour à la photographie et au cinéma. L'histoire de cet épisode est un exercice de style : "Raconte KOR dans le style de..." La tendance apparaissait déjà dans le manga : certains épisodes, comme "Suspense à Hawaï" et "Les amoureux des neiges" ont clairement des influences cinématographiques, le film de gangster et le film d'horreur. Mais la série va encore plus loin. L'épisode 16, c’était l'histoire de KOR dans "Rencontres du troisième type". "Tap Gun", c'est KOR dans le genre du film de guerre. L'épisode 43, ce sera la même histoire dans le genre du film d'auteur. Et "le Lagon bleu", et "Big Wednesday", etc. etc., etc.
Bien sûr, il y a dans ces inspirations un peu de "facilité" : ce n'est pas simple de trouver autant d'histoires à raconter autour d'un simple histoire d'amour, alors on excusera les auteurs d'avoir cherché ailleurs. Mais KOR ne se contente pas d'une copie sans âme. La série est imprégnée de photographie et de cinéma (le métier de Takashi, les instantanés des moments marquants, les photos de fin d’épisode, les tournages de Komatsu, etc.) : alors la réinterprétation d’œuvres classiques ou populaires s'insère parfaitement dans cet ADN.
Sous l’œil de la caméra, ce qui serait sinon une banale histoire d'amour, la rencontre entre deux lycéens, comme il y en a tant, est transposé et magnifié La fiction rend la réalité plus belle.
"Tap Gun", nous sommes réconciliés!