« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 16 – Le Voyage
Les Kasuga se retrouvaient impuissants face à l’avancée inexorable de Kyosuke. Sa progression irrésistible le conduisit presque jusqu’à Madoka, qui le contemplait d’un air étrange, comme perdue dans ses pensées. La surprise, qu’elle avait manifestée quelques instants plus tôt, laissa place à une sorte de torpeur. Elle observait maintenant son ami, qui s’approchait dangereusement d’elle, prêt à tenter un baiser :
– Mado…
« BLONK ! »
Ce fut là le bruit d’une des chaussures que Madoka fit s'écraser sur la tête de Kyosuke. Elle venait de descendre l'escalier en chaussettes de sport, et d'un geste habile, elle fit tournoyer l'une des chaussures qu'elle tenait par les lacets, comme une fronde. Puis, d'un air calme et déterminé, tout en tenant fermement l’extrémité des lacets, elle la fit chuter sur la tête de son ami.
Ce dernier retomba à la renverse, et se retrouva au sol sur le dos, les yeux tournoyant, regardant des étincelles.
Les Kasuga regardèrent Madoka d’un air à la fois étonné et admiratif.
– Bien joué Madoka ! s’écria Kazuya, qui avait enfin trouvé un moyen de se venger par personne interposée du coup que Kyosuke lui avait porté sur la tête, peu de temps avant.
– C’est incroyable ! fit Akane.
Madoka s’approcha tranquillement de Kyosuke, toujours à terre. Un léger sourire sur les lèvres, elle prononça d’un air malin :
– Tu vois que je n’ai pas perdu la main, hein Kasuga ?...
Kyosuke semblait se réveiller comme d’un mauvais rêve. Il ne comprenait pas : sa sœur Kurumi lui avait fait quelque chose qui n’était pas prévu.
– Ayukawa… Que… que s’est-il passé ? demanda-t-il, en se relevant lentement, la main sur sa tête encore douloureuse.
– Je suis certaine que tu as encore été hypnotisé par ta sœur, énonça-t-elle, tout en regardant du côté de Kurumi.
Madoka savait que la sœur de Kyosuke avait ce don. C’était d’ailleurs la seule manifestation d’un pouvoir exercé ouvertement devant Madoka, avant que Kyosuke ne lui révèle plus tard que toute sa famille disposait de capacités très particulières.
Il y a quelques années, Kurumi avait en effet déjà hypnotisé son grand frère dans le but de l’obliger à faire en sorte que Madoka se déshabille. Tout cela s’était finalement retourné contre lui, car alors qu’il était bien redevenu conscient, il avait continué à feindre son état second devant son amie. Cela lui avait valu bien des ennuis bien par la suite. Les poings de Madoka s’en souvenaient encore comme d’un triomphe indélébile [Tome 12, NDLR].
Quelque peu tendue et toujours énervée par ce que lui avait fait subir Kazuya, Kurumi intervint :
– Nous allons t’expliquer, Madoka ! fit-elle en parlant vite. Cela fait partie du plan.
– Du plan ?
– Oui, pour faire paniquer Kyosuke à la demande, j’ai dû l’hypnotiser. Il pourra ainsi aller dans l’univers de Manami au bon moment.
– C’est ingénieux, reconnut Madoka, retrouvant le sourire.
– Mais… et moi ? se plaignit Kyosuke, qui avait l’impression de se retrouver tout seul face à ce qui venait de lui arriver.
Ignorant les complaintes de son ami, Madoka se rapprocha de Manami. Cette dernière l’informa :
– Dès que Kyosuke entendra des mots particuliers, il sera pris d’une panique telle, qu’il devra s’enfuir dans une autre dimension.
– C’est bien trouvé, admit Madoka. Mais es-tu certaine qu’il ne va pas essayer aussi après de… tu vois ce que je veux dire ?...
– Non-non-non ! Ça c’est purement marginal et ne se reproduira pas. Madoka, comme tu es du voyage, je dois maintenant te souffler les mots déclencheurs en question. Mais Kyosuke ne doit surtout pas les entendre. Approche-toi, je vais te les souffler à l’oreille.
Regardant Kyosuke d’un air méfiant, Madoka s’éloigna de Kurumi et se dirigea vers lui.
– Ayuka… ? commença-t-il par dire.
« BLONK !! »
Kyosuke retomba à nouveau sur le sol, martelé pour la seconde fois par une chaussure venue s’écraser bien plus fermement que précédemment sur sa tête, à la plus grande joie de Kazuya, au passage. Étendu sur le sol, Kyosuke se retrouva complètement évanoui.
– Madoka... Mais pourquoi l’as-tu encore frappé ? demanda Kurumi, incrédule.
– Je me méfie de la super-ouïe que ton frère possède, laissa tomber d’un air tranquille, la jeune femme aux yeux d’émeraude.
– Il.. il a un pouvoir dans son audition ? demanda Akane.
– Oui, il peut accentuer ses cinq sens. Cela fait partie des petits secrets concernant ses pouvoirs qu’il m’a révélés depuis peu.
Akane ressentit de l’admiration envers Madoka. Cette dernière savait se montrer toujours aussi confiante en elle-même, et savait gérer toutes les situations possibles. Cela rappela à Akane les années où elle était encore bien plus admirative envers Madoka qu’aujourd’hui…
– Maintenant qu’il dort, chuchote-moi les mots à l’oreille, demanda Madoka, revenue vers Manami.
– Bien sûr.
Kurumi vint se porter à l’oreille de Madoka, et prononça : « Kimagure Orange Road ».
À l’écoute de ces trois mots, quelque chose interpela Madoka. Cela lui semblait familier. Elle n’arrivait pas à se l’expliquer. Les mots choisis par Kurumi auraient pu être autres, sans la moindre importance, mais ces mots-là avaient une résonnance particulière en elle. Comme un souvenir lointain, mais qui n’était pas encore advenu… Comme si un message lui était destiné.
– Comment as-tu choisi ces mots ? demanda Madoka, intriguée.
– Cela m’est venu comme cela, répondit Kurumi.
– « Comme cela », dis-tu ?...
– Oui.
Takashi ne put s’empêcher de remarquer l’étrange trouble qui avait parcouru les pensées de Madoka durant quelques instants. Comment des mots venus subitement dans l’esprit de Kurumi, avaient pu intriguer aussi curieusement Madoka ?... Alors que tous les autres ont à peine eu ce même ressenti. Il laissa de côté cette observation et se concentra plutôt sur la mission principale, qui était de faire en sorte que Manami puisse regagner sa dimension d’origine, avec Kyosuke et Madoka.
Il s’avança vers Kyosuke, toujours étendu au sol.
– Bon, les enfants, il faut réveiller Kyosuke. On ne peut pas le laisser comme ça, tout de même.
– Oui, Papa, acquiesça Kurumi.
– Je m’en occupe, dit Madoka.
La jeune femme se dirigea vers lui d’un air serein, tandis que son ami était toujours évanoui. Elle l’avait vraiment bien sonné. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait fait cela. En ce temps-là, il fallait faire comprendre à un obsédé comme Kasuga, qu’il ne fallait pas lui chercher des ennuis par son comportement indécent.
Madoka s’accroupit et lui prit la main. Combien de fois avait-il fallut être confronté à Kyosuke de cette manière ? N’avait-elle pas d’autre solution que la violence pour le confronter ? Manquait-elle encore de confiance vis-à-vis de lui ? Kyosuke lui avait offert son amour, révélé ses sentiments malgré son indécision maladive et ses maladresses. Elle se remémora sur le moment l’instant où il lui avait révélé qu’il possédait des pouvoirs :
Il y a quelques semaines, tout en haut des marches du grand escalier…
Kyosuke (sérieux) : – Ayukawa, j’ai quelque chose d’important à te dire :
Madoka (sérieuse) : – Oui, Kasuga ?...
Kyosuke (sérieux, mais commençant un peu à surjouer) : – Quelque chose d’important…
Madoka (interloquée) : – À ce point là ?
Kyosuke (toujours sérieux, et en train de surjouer de plus en plus) : –Oui, il me faut te révéler un secret. Un secret très important que je ne pouvais pas te dire jusqu’à présent… Ayukawa…
Madoka (intriguée) – Et tu me dis cela maintenant ? J’espère que ce n’est pas quelque chose de grave, tout de même ?
Kyosuke (soudainement hésitant) : – Je… En fait…
Madoka (patiente) : – Oui ?...
Kyosuke (cherchant dans sa tête) : – En fait… Heu… Je…
Madoka (un peu moins patiente) : – Moui ?...
Kyosuke (perdu) : – Ano…
Madoka (commençant à faire la moue) : – Mhhh… ?!
Kyosuke (une perle de sueur coulant lentement sur sa joue) : – Je…
Madoka (impatiente) : – Mais accouche !
Kyosuke (tout en panique) : – J’ai des pouvoirs paranormaux !
Madoka (les yeux éberlués) : – Nani ?...
Fin du flashback
Madoka se remémorait cette scène avec une précision troublante. Elle y avait vu Kyosuke, doté de pouvoirs extraordinaires, se révéler dans toute sa vérité. Le mur de verre brisé n’avait pas altéré son essence profonde ; il était resté fidèle à lui-même, comme s’il portait en lui une lumière intérieure inaltérable. Ce moment avait renvoyé à Madoka sa propre image, comme si elle se contemplait dans un miroir aux facettes complexes. Elle aussi, depuis toujours, avait enfoui des secrets du passé, soigneusement préservés à l’abri des regards, en particulier au sein de sa propre famille. Son passé sombre l’avait contrainte à une authenticité réservée. Ce ton maussade et déconcertant, qui l’entourait au collège et au lycée, était le reflet de cette dualité. Mais Kyosuke avait tracé pour elle un chemin vers sa propre lumière intérieure. Certes, le Pouvoir demeurait encore secret pour elle, mais Madoka avait saisi l’opportunité de bâtir sa paix intérieure en côtoyant la famille Kasuga. Au final, elle considérait que même si Kyosuke n’avait jamais disposé de dons extraordinaires, ses sentiments à son égard demeureraient inchangés. Car, il avait su continuellement préserver ses dons paranormaux pour gagner petit à petit son amour.
Madoka sourit en regardant son ami, qui demeurait les yeux clos. En tenant la main de Kyosuke, elle accompagna son réveil.
– Que… ?
– Ça va, Kasuga ?...
– Ma tête… (Il mit sa main sur le haut de son crâne, cherchant une éventuelle bosse).
– Elle est solide, ta tête. Allez, lève-toi, Kasuga. Nous avons une mission à remplir pour Manami, souviens-toi.
Vacillant légèrement, le jeune homme se remit sur pieds, aidé par Madoka qui, se l’avoua-t-elle, avait cette fois-ci un peu forcé la mesure.
Revenu complètement à lui, Kyosuke prit alors conscience de sa situation.
– Ayukawa ! C’est toi qui m’as fait ça ! s’écria-t-il, en dardant sur elle un doigt accusateur.
– Bien sûr, fit Madoka, d’un calme imperturbable. Tu ne devais pas entendre les mots déclencheurs que Kurumi allait me dire. Je te rappelle que ton Pouvoir peut te faire entendre des murmures à distance. Aussi, te fallait-il ne pas écouter ce que l’on avait à me chuchoter.
Réfléchissant quelque peu, Kasuga acquiesça, conscient que Madoka avait pris la bonne décision. Le simple écho des mots déclencheurs à son oreille aurait suffi à le propulser vers n’importe quel recoin du multivers. Aucun risque ne devait être pris.
– Bon, déclara Takashi, rassuré sur l’état de santé de son fils. J’espère que vous êtes prêts.
– Oui, il est temps d’aller chercher Manami ! clama Kurumi.
– Ouais ! fit Kazuya.
– Entièrement d’accord, fit alter-ego de sa sœur.
Madoka se plaça au milieu du salon, là où il n’y avait pas de tapis et dans un espace dégagé. Comme elle ne voulait pas être dehors, dans le jardin, à la vue de n’importe quel témoin extérieur, il fallait que le voyage interdimensionnel s’effectue à l’intérieur de la maison, dans le grand salon. Sur le parquet, elle mit ses chaussures et attendit Kyosuke et Manami. Cette dernière, déjà chaussée depuis son arrivée dans cette dimension, se tint à ses côtés. Kyosuke, lui, s’éclipsa brièvement pour récupérer ses chaussures restées à l’entrée de la demeure. Puis, il revint, prêt à les porter.
Finalement, tout le monde se rassembla autour des trois voyageurs.
– Faites bien attention à vous ! fit Akane à leur adresse.
– Et ne faites pas de bêtises ! émit Kazuya tout sourire.
Takashi rappela à Madoka les conditions d’un bon retour :
– Madoka, souvenez-vous que seul Kyosuke a le pouvoir de vous ramener ici, tous les trois. Il est crucial que vous soyez en mesure de lui prononcer les mots déclencheurs que vous connaissez, tout en maintenant votre lien physique, en vous tenant par la main.
– J’ai bien compris. Merci, monsieur Kasuga.
Kyosuke, Madoka et Manami se placèrent alors tous les trois en cercle.
– Bon voyage à vous tous ! fit Kurumi, aux côtés de Takashi, Akane et Kazuya. Revenez sains et saufs !
Vint le moment où les trois voyageurs d’entre les dimensions devaient s’apprêter à se tenir par la main.
Mais alors qu’ils étaient tous sur le point de se toucher, Manami disparut dans le néant !
Tétanisés, Madoka et Kyosuke restèrent seuls. Takashi, Akane et Kazuya furent muets de stupeur.
Tout se passa alors en une fraction de seconde. À la vitesse de l’éclair, Madoka empoigna les mains de Kyosuke, resté paralysé. Celui-ci était certainement en train de penser qu’il n’y avait plus de moyens de rejoindre la dimension de Manami. Mais plus le temps de penser. Il fallait agir !
– Kasuga, fais-moi confiance ! lui hurla Madoka, en lui tenant fermement les deux mains.
– Que ?...
– « Kimagure Orange Road » !
Les sens de Kyosuke furent portés à leur paroxysme. La panique, la peur… Un sentiment irrésistible de partir… de fuir… Quant à Madoka, elle se sentit également partir. La vision des deux voyageurs fut floutée par la séparation des atomes et à leurs rassemblements dans la réalité qui les attendait.
Tout se passa en un instant.
Quand leur vision devint claire, l’instant qu’ils découvraient chacun, de leur côté, dépassa l’imagination.
Madoka se retrouva dans une pièce qui évoquait sa propre chambre, bien que légèrement différente. Devant-elle, elle entr’aperçut Manami qui lui faisait face. Elle était bien arrivée à destination car Madoka en reconnut les vêtements qu’elle portait. Mais dopée par un instinct de survie aguerri, l’attention de la jeune femme aux yeux d’émeraude fut immédiatement attirée à sa droite. Un homme à l’air enragé était sur le point d’attaquer Manami. Alors que celle-ci était restée sans défense, ce type était sur le point de lui asséner un mauvais coup !...
De son côté, Kyosuke ressentit une étrange privation d’air, ses lèvres captives, scellées par d’autres lèvres. Alors que sa vision retrouvait sa netteté, il réalisa qu’il était en train d’embrasser une jeune femme. Et quelle surprise inouïe ! Cette femme n’était autre que… Hikaru !...
Dans le salon, d’où Takashi, Akane et Kazuya avaient été témoins du départ précipité de Manami, juste avant que celle-ci ne tienne les mains de Kyosuke et de Madoka, la surprise persistait. À première vue, Kyosuke et Madoka semblaient n’avoir jamais quitté les lieux, malgré les mots déclencheurs prononcés par Madoka il y a quelques instants. C’était a priori normal, car aucun d’eux n’avait eu l’occasion de saisir les mains de Manami, avant sa mystérieuse disparition.
Mais ce qui défiait toute logique, c’était le changement de leurs vêtements. Alors qu’ils étaient tous deux restés immobiles et à la même place qu’au départ, leurs habits s’étaient en effet subitement métamorphosés !
« «
«
- tcv aime ceci