Aller au contenu


Photo

Les travaux de CyberFred


  • Veuillez vous connecter pour répondre
532 réponses à ce sujet

#481 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 25 août 2024 - 17h11

« La Première Marche »

par CyberFred

 

Épisode 32

Pour un cœur réconcilié

 

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

En tentant de revenir dans la dimension parallèle où résidait Madoka, Kyosuke tente le tout pour le tout pour la sauver d’un destin effroyable.

 

Les yeux de Hikaru s’écarquillèrent de stupéfaction, incapables de croire ce qu’ils voyaient. Son cœur battait la chamade, alors qu’elle observait la scène surréaliste devant elle. Bien qu’elle soit depuis peu familière avec les manifestations étranges du Pouvoir, ce spectacle la plongeait dans une confusion déstabilisante. Elle se sentit prise entre l’émerveillement et la terreur, comme si le temps s’était arrêté autour d’elle.

Malgré les chaînes qui restreignaient ses poignets, Hikaru se mouvait avec une agilité presque irréelle, son corps réagissant à l’urgence de la situation. Son regard, rivé sur Madoka devant elle, était empreint d’une anxiété poignante. La jeune femme à la combinaison noire moulante, était suspendue entre ciel et terre, immobile, les yeux clos, son corps tout entier défiant toutes les lois de la gravité. Le visage serein, les cheveux flottant derrière elle au lieu de retomber, les bras positionnés en arrière dans le prolongement de son corps penché vers le bas, Madoka était dans une position dangereusement proche du sol métallique du container, son crâne à quelques centimètres de l’impact fatal.

Un soulagement mêlé de panique demeurait toutefois en Hikaru en voyant que quelque chose, sans doute ce « Pouvoir », retenait Madoka d’une chute mortelle. Hikaru ressentit des émotions allant de la peur intense à un espoir désespéré.

Elle s’écria, sa voix vibrant avec détermination fervente :

– Madoka !… Tiens bon !!…

La jeune fille aux cheveux courts et dorés progressa vers son amie, toujours miraculeusement suspendue dans les airs, craignant que ce qui la maintenait ainsi ne cède d’un instant à l’autre. Elle s’efforça de protéger d’abord la tête de Madoka, mais lorsqu’elle tenta de tirer son corps tout entier vers elle, dans l’intention de la reposer en sécurité sur le sol, elle sentit une force invisible résister.

C’est alors que l’impensable se révéla à ses yeux : juste derrière Madoka, Kyosuke, haletant à quelques mètres, tendait une main dans sa direction. Il semblait concentrer toute son énergie pour maintenir la jeune femme aux cheveux bleu nuit en suspension. Hikaru le reconnut immédiatement. C’était bien lui, le Kyosuke qu’elle avait connu dans son propre univers. Il ne portait plus les vêtements de son alter ego, celui qu’elle avait rencontré sur le pont de Yokohama. Mais elle se figea, incapable de réagir. C’était lui, Kyosuke, qui contrôlait ce phénomène. Lui aussi possédait le Pouvoir, tout comme son double l’avait laissé entendre. Elle n’hallucinait pas ! Son ancien « Darling » était bel et bien doté du Pouvoir ! Malgré son incrédulité, Hikaru devait se rendre à l’évidence : elle était dans un autre univers, et Kyosuke venait de sauver Madoka d’une mort certaine… Madoka, son amie… celle qu’il aimait… À cet instant précis, elle réalisa qu’elle ne pouvait plus l’appeler familièrement en présence de Madoka.

– Kasuga !…

– Éloigne-toi, Hikaru, lui dit rapidement le jeune homme. Je… je vais poser Ayukawa à terre. Je m’en occupe…

– Hein ?…

Hikaru observa Kyosuke avancer de quelques pas, tendant toujours une main de plus en plus tremblante vers Madoka. Progressivement, le corps de celle-ci se tourna doucement dans les airs, comme une astronaute en apesanteur dans sa capsule en orbite le ferait, jusqu’à se retrouver en position horizontale. Grâce à son pouvoir télékinésique, Kyosuke la déposa délicatement sur le dos. Les yeux toujours clos, Madoka reposait enfin sur le sol ferme, hors de danger.

– Ayukawa ! s’exclama alors Kyosuke, essoufflé et soulagé.

Ayant presque épuisé ses dons issus du Pouvoir, il se précipita vers elle.

– Ayukawa !… Je suis là, maintenant…

Inquiet, il retira sa veste, l’enroula et la plaça sous la tête de Madoka, tel un coussin improvisé. Comme apaisé après tant d’efforts pour simplement parvenir en ce lieu, un léger sourire semblait se dessiner sur le visage de Kyosuke.

– Madoka est gravement blessée ! s’écria alors Hikaru en apercevant le sang qui s’échappait de sa plaie située au niveau de sa jambe gauche.

Elle resserra le garrot que son amie avait temporairement appliqué pendant la bataille, après avoir été violemment frappée par le médiator lancé par Sayuri Hirose.

– Kasuga, on ne peut pas la laisser comme ça ! clama-t-elle encore. Elle va perdre trop de sang si l’on ne fait rien. Il faut l’emmener d’urgence à l’hôpital !

Serrant les dents, Kyosuke constata en effet que la plaie à la jambe de Madoka continuait de saigner, malgré le garrot improvisé. Elle avait certainement aggravé sa blessure en puisant dans ses dernières forces pour vaincre Sayuri et son garde du corps, sans prêter attention à sa propre douleur et aux conséquences sur son corps.

Kyosuke savait qu’il n’avait pas la capacité d’arrêter définitivement l’hémorragie ou de cautériser la plaie à l’aide de son pouvoir. Le sang coulait toujours, menaçant d’envoyer Madoka dans un coma profond, voire pire, si rien n’était fait rapidement. Une rage sourde bouillonnait en lui. Il avait réussi l’impensable en se téléportant dans cet univers, franchissant un portail qui l’avait rejeté à maintes reprises pour une raison encore obscure. Mais maintenant, son pouvoir était presque hors de portée. Il était épuisé. L’effort pour atteindre cette dimension et prendre la place de son double avait été titanesque.

Hikaru remarqua à la fois la fatigue et l’hésitation qui se dessinait sur le visage de Kyosuke.

– Kasuga ?…

– Je suis épuisé, avoua-t-il. Je n’ai plus assez de forces pour la téléporter jusqu’à l’hôpital de Yokohama.

Le mot « téléporter » résonna profondément en elle. Kyosuke ne cachait plus qu’il possédait le Pouvoir, un secret qu’il avait gardé tout au long de leurs années au lycée. Une certaine admiration naquit en Hikaru pour cette facette de lui qu’il dévoilait enfin indirectement. Mais elle se rappela qu’elle ne devait plus se montrer aussi insistante et curieuse qu’autrefois. Elle devait accepter le fait que tout avait changé, y compris elle. Les amis qu’elle avait connus n’étaient plus les mêmes. Kyosuke et Madoka étaient désormais ensemble. Et l’inquiétude, visible sur le visage de Kyosuke à l’égard de la jeune femme inconsciente, révélait un amour indéfectible pour elle. Ceci rejaillit pleinement dans l’esprit de Hikaru.

« Tu l’aimes tant… », se dit-elle avec trouble intérieur.

– Kasuga… Peut-être que tu pourrais nous ramener chez nous, dans notre monde ? Ta famille pourrait ensuite emmener Madoka à l’hôpital.

Kyosuke porta son regard en bas du container, et aperçut Sayuri, inconsciente à terre, à côté de sa moto brisée, des lames de médiator encore plantées dans le guidon. Non loin de là, plus proche du container, un jeune homme en combinaison de motard noire, arborant l’insigne de son groupe de bikers, gisait également au sol.

« Kenji… », songea Kyosuke, apercevant enfin le visage de celui qui avait reçu l’affection du double de Madoka dans ce monde.

Kyosuke réalisa que Hikaru avait peut-être raison. Il était temps de rentrer à la maison, de laisser tout ce chaos derrière.

– Kasuga ! Tu m’entends ?…

La voix de Hikaru le ramena brusquement à la réalité.

– Kasuga, il faut rentrer maintenant ! insista la jeune fille.

Kyosuke secoua la tête.

– C’est impossible ! répondit-il fermement.

Hikaru fut déconcertée :

– Quoi ?!…

– Seule Ayukawa connaît les mots qui me permettraient de retourner dans notre monde. De plus… (Il fit silence un moment, puis reprit) Oui, tu n’es pas au courant… Je suis venu ici pour retrouver des membres de ma famille, enfin les doubles de notre monde… (Il marqua encore une hésitation) Hikaru, il y a une crise chez nous en ce moment. Si on rentre maintenant, on risque de mourir !

Les yeux d’Hikaru s’agrandirent de stupéfaction.

– Kasuga ! Ce n’est pas le moment de plaisanter ! Nous devons sauver Madoka impérativement !

Kyosuke, impuissant à se téléporter ou à revenir dans sa dimension, se concentra alors pour utiliser son pouvoir télékinésique et arrêter l’hémorragie. Il força à distance, la main placée à quelques centimètres au-dessus de la plaie de Madoka, à se refermer, ralentissant le saignement. Mais il savait que ce n’était qu’une solution temporaire. Toute son énergie restante était focalisée sur la blessure. Il lui fallait un autre plan, et vite.

– Mais qu’est-ce que tu fais, Kasuga ?… demanda Hikaru.

– J’utilise ma télékinésie pour empêcher Ayukawa de se vider de son sang, répondit-il, sans détourner les yeux de son travail.

– Mais ton… pouvoir ne permet pas de guérir les gens ?

– Non, et ma famille non plus. Pour l’instant, je ne fais que forcer la plaie à se fermer, mais ce n’est pas une vraie solution…

– Il faut que je me débarrasse de ces maudites chaînes ! déclara Hikaru en se rendant compte qu’elle était encore entravée.

Elle se traîna avec ses chaînes jusqu’au garde assommé par Madoka situé non loin de lui. En fouillant ses vêtements, elle finit par trouver la clé, puis se libéra, soulagée de se débarrasser de ses entraves. Se méfiant du garde qui pouvait se réveiller à tout moment, elle ligota les mains de celui-ci avec les mêmes chaînes, et garda la clé.

– Bravo, Hikaru, tu es formidable ! fit Kyosuke ravi. Si ce garde se réveillait, je n’aurais pas assez de forces pour le neutraliser.

Hikaru revint se placer aux côtés de Kyosuke et Madoka.

– Et si on essayait de cautériser la plaie de Madoka ? proposa-t-elle.

Kyosuke, surpris par cette idée, chercha rapidement le moyen de le faire.

– Il faudrait une forte source de chaleur, quelque chose comme une flamme pour chauffer une lame, ajouta-t-elle en scrutant l’endroit.

Son regard se posa alors sur Kenji, toujours inconscient au pied du container. Hikaru supposa que ce type avait probablement des cigarettes sur lui. Et donc un briquet dans une des poches de sa veste.

Elle commença à s’approcher du bord du container.

Kyosuke, en maintenant toute son attention sur la blessure de Madoka, remarqua le risque que prenait Hikaru.

– Hikaru, où vas-tu ?… Ne t’approche pas trop…

– Kasuga, je dois descendre en bas pour chercher un briquet sur ce type, rétorqua-t-elle sans hésitation.

Kyosuke, toujours concentré sur la blessure de Madoka, ne pouvait se permettre de relâcher son pouvoir. Il essaya de dissuader la jeune fille :

– Hikaru, on trouvera un autre moyen. Ne fais pas ça…

Trop tard. Elle enjamba déjà le bord du container.

– Hikaru ! S’il te plaît, non !… Ne fais pas…

La jeune fille ne prêta pas attention aux avertissements de Kyosuke. Toute son énergie était dirigée à présent vers Madoka. Elle devait absolument l’aider. Elle se sentait coupable de ce qui était arrivé à son amie d’enfance depuis son arrivée fortuite en ce monde parallèle. Madoka était venue la chercher et avait pris des risques incroyables pour la sauver des griffes de Sayuri et de ses sbires. Elle réfléchit à la vie qu’elle avait laissée à Otaru, loin de ses amis. Finalement, pourquoi cet exil ?… Pourquoi fuir Madoka, alors que celle-ci venait de revenir de Los Angeles avec les réponses qu’elle cherchait ?… Peut-être se détestait-elle trop pour accepter l’amour entre son amie d’enfance et Kyosuke… Kyosuke… celui qu’elle avait tant aimé. La fuite lui avait semblé être la seule solution pour ne pas gêner leur bonheur tant recherché, surtout après l’avoir si longtemps caché aux yeux de tous. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus de place pour la fuite ou le recul. Elle devait avancer, c’est-à-dire aider Madoka, qui avait besoin d’elle.

Elle n’était pas une experte en escalade, mais elle se lança dans la descente du container de près de trois mètres de hauteur, défiant la gravité.

En bas, Kenji émergea d’un sommeil lourd et difficile. Avant de se relever, il toucha sa nuque, où une douleur encore persistante l’avait plongé dans l’inconscience. Il se souvint soudainement des événements. C’était un coup porté par derrière qui l’avait mis hors jeu ! Madoka !… C’était elle qui l’avait frappé ! Encore !… Quelle ingratitude !… Une amie intime de longue date l’avait trahi au moment crucial, pour l’honneur de son groupe de bikers !

Autour de lui, il découvrit un champ de bataille chaotique. Quelque chose de très violent s’était déroulé dans ce hangar pendant qu’il était inconscient. Parmi les débris de sable et les restes de motos et de pièces mécaniques, gisait Sayuri Hirose, celle qui avait tenté de prendre le contrôle de son groupe par la trahison. Elle avait été vaincue… Certainement par Madoka. Mais où était-elle, d’ailleurs ?…

« Hikaru ! », s’écria-t-il intérieurement, se rappelant que Sayuri l’avait prise en otage tout en haut du grand container.

Il leva les yeux et vit Hikaru en train de descendre lentement de la structure. Comment avait-elle réussi à se libérer de ses chaînes, ainsi que du garde imposant ?… Pourquoi faisait-elle cela toute seule ?…

Inquiet, il se précipita prestement vers l’endroit où elle tentait de descendre. Il la vit continuer à s’agripper aux reliefs du container, essayant d’un geste pas très assuré de descendre prudemment, en utilisant les arêtes et les interstices pour se maintenir. Soudain, un cri perça l’air ! Hikaru perdit prise et chuta dans le vide ! Le sol dur situé en dessous était dépourvu de sable !

– Hikaru ! crièrent simultanément Kyosuke et Kenji.

Ce dernier était heureusement déjà prêt à la réceptionner. Il rattrapa Hikaru dans ses bras, s’effondrant d’un genou sous l’impact de la chute.

Du haut du container, Kyosuke, toujours au chevet de Madoka, fut soulagé de voir Kenji Hiyama intervenir à temps.

– Hikaru ! Ça va ? demanda Kenji en la redressant sur ses pieds.

Il essaya ensuite de la prendre dans ses bras, ému après tant d’années de séparation. Mais la jeune fille fit un pas de côté, comme pour éviter les démonstrations d’affection, ce qui surprit Kenji.

– Mais enfin, Hikaru, c’est moi, Kenji : ton frère !

– Quand comprendras-tu que je n’ai pas de frère ? rétorqua la jeune fille. Je ne suis pas de ton univers, tu comprends cela ?…

Les pensées tourbillonnaient dans l’esprit de Kenji.

– Mais que s’est-il donc passé à Otaru pendant ces deux années de ta disparition ? s’écria-t-il. Maintenant que je suis là, plus rien de mal ne t’arrivera.

– Donne-moi ton briquet, demanda Hikaru.

– Pardon ?…

– Ton briquet, donne-le-moi.

– Pourquoi en aurais-tu besoin ?… Tu ne fumes pas.

– Madoka est gravement blessée.

– Hein ?!… Où est-elle ?

Elle désigna le sommet du container.

Kenji aperçut alors la tête Kasuga. Il était en train de faire quelque chose là-haut, mais ne put distinguer ce dont il s’agissait.

– Kasuga ! s’écria-t-il avec colère.

Il se tourna vers sa sœur.

– C’est pour lui que tu fais ça ?

– C’est pour Madoka ! Ton briquet pourra cautériser sa blessure !

Kenji, agacé, se détourna mentalement de celle qu’il considérait déjà comme une ex-petite amie.

– Que cette folle aille au diable ! hurla-t-il. Elle m’a trahi !

– Tu ne comprends rien, espèce d’idiot ! cria Hikaru en retour.

– Ce que je comprends, c’est que Kasuga, toi et Madoka étiez tous complices ! rétorqua Kenji.

S’adressant à Kasuga, il ajouta :

– Toi, là-haut ! Si je te mets la main dessus, tu vas voir de quel bois je me chauffe ! C’est Madoka qui est avec toi ? Eh bien, garde-la ! (Puis se tournant vers sa sœur). Et toi, éloigne-toi de lui !

– Baka ! Combien de fois dois-je te répéter que Kyosuke, Madoka et moi ne sommes pas de ce monde ? insista Hikaru.

– Arrête ces absurdités, Hikaru ! Franchement, je ne comprends pas pourquoi tu me ressors encore cette histoire de science-fiction.

– Crois ce que tu veux ! mais donne-moi ton briquet ! Même s’il s’agit de ton ex, il faut quand même l’aider !

Kenji trouva étonnant que sa sœur, qui était censée détester Madoka, veuille maintenant l’aider. Et ce Kasuga, là-haut, agissait-il de la même manière envers elle ? Son esprit se troubla, alors qu’il se demandait pourquoi ils souhaitaient tous les deux venir en aide à celle qu’il considérait déjà comme son ancienne petite amie.

De son côté, Hikaru parlait plus pour elle-même, après ces derniers mots prononcés. Au fond, elle se rendait compte qu’elle projetait ses propres sentiments sur la présente situation. Kyosuke, qu’elle considérait maintenant elle-même comme son ex-petit ami, lui restait cher malgré tout. Et son instinct lui disait qu’elle devait l’aider, même si cela passait par Madoka. Ils étaient tous deux ensembles désormais, c’était un fait. Il n’y avait plus de place pour les questions ou les regrets. Si elle avait eu plus de temps pour analyser la situation avant le retour de Madoka des États-Unis, peut-être n’aurait-elle pas fui de cette manière. Le remords la rongeait à ce sujet comme une vague incessante. Elle savait qu’elle avait fait une erreur. Kyosuke était une personne extraordinaire, et il méritait d’être avec une femme tout aussi exceptionnelle. Malgré la douleur amère qu’elle avait endurée ces six derniers mois, Hikaru réalisait à quel point elle avait eu de la chance de croiser leur chemin.

Kenji serra les dents, mais il obéit à sa sœur aux comportements étrange… Il ne pouvait s’empêcher de remarquer à quel point elle avait changé depuis sa disparition. Elle restait aussi obstinée qu’avant, mais il y avait en elle une maturité nouvelle qu’il ne parvenait pas à appréhender.

– Comment va Madoka ? demanda-t-il d’un ton plus posé.

– Elle a une plaie assez grave qu’il faut cautériser. Sayuri l’a blessée avec l’un de ses médiators. J’ai besoin de chauffer une lame pour refermer la plaie.

– Et Kasuga ? Que fait-il là haut ?

– Il essaie d’arrêter le saignement comme il peut. Il faut que j’y retourne…

– Non, c’est à moi de m’en occuper, intervint Kenji. Toi, tu restes ici. Je ne veux pas que tu montes là-haut. Tu as déjà eu assez de mal à descendre de ce truc. Remonter sera encore plus difficile pour toi.

Hikaru sourit devant cette proposition, mais laissa immédiatement retomber ce sentiment joyeux pour le prévenir :

– D’accord, mais ne fais rien contre Kasuga ! avertit Hikaru.

Sans répondre, Kenji fit face au mur en tôles contre lequel était adossé le container haut de trois mètres. Il visualisait déjà son parcours, chaque mouvement bien en tête. Après une courte respiration, il s’élança avec détermination. D’un mouvement précis, il prit appui sur le mur de tôles, son pied gauche frappant la surface flexible sous un angle parfait. Le matériau plia légèrement sous la pression, mais c’était suffisant pour qu’il prenne appui et se propulse vers le container. Son pied droit rencontra la paroi métallique du container dans un léger bruit sourd se répercutant en écho à l’intérieur. Avec un mouvement fluide, il se servit de cet appui pour rebondir immédiatement vers le mur. Le rythme était rapide, presque instinctif. À chaque rebond, le mur de tôles vibrait légèrement sous son poids, tandis que le container restait solide, offrant un contraste dans ses sensations. Kenji alternait ainsi entre les surfaces, prenant appui d’un côté, puis de l’autre, en grimpant peu à peu. Puis, dans un ultime élan contre le mur, il se propulsa en hauteur, ciblant cette fois le sommet du container. Son corps s’éleva dans les airs, dans un parfait contrôle de ses mouvements, et il retomba avec légèreté, pieds joints, de manière précise, directement sur la surface plate. Kenji se redressa, sentant la satisfaction d’avoir réussi son enchaînement sans fausse note.

Il s’immobilisa, son regard se posant sur Kasuga, penché sur Madoka évanouie, sa main semblant appuyer sur la jambe blessée de la jeune femme. Étonnamment, malgré la rancœur qu’il nourrissait à son égard, Kasuga semblait faire preuve de noblesse en essayant de l’aider. Le sang de Madoka s’était répandu sur le sol métallique. Non loin d’eux, gisait le garde imposant de Sayuri Hirose, dont la taille dépassait les deux mètres, que Madoka avait réussi à vaincre. Elle avait bien mérité sa victoire. Quel combat cela avait dû être ! Kenji regretta ne pas avoir assisté à cela. Il ressentit alors une certaine fierté pour cette femme qui, après avoir combattu à ses côtés, avait continué toute seule à affronter des dangers inimaginables.

Kyosuke observa Kenji avec une expression étrange. Il détaillait son allure, notant en particulier sa veste sombre marquée par nombre de batailles passées, visibles sur sa combinaison de moto usée, arborant sur son cœur un insigne distinctif qui faisait sa fierté. Le visage de Kenji était indéchiffrable, oscillant entre doute, rage et une trêve tacite.

– Alors, c’est toi, Kenji Hiyama ? demanda Kyosuke.

Kenji s’étonna. Pourquoi Kasuga parlait-il de lui comme s’il le découvrait pour la première fois ?

– Visiblement, ces deux dernières années n’ont épargné personne, répondit Kenji.

– Hikaru a dit vrai, reprit Kyosuke. Nous ne sommes pas…

– Oui, oui, je sais, je sais, coupa Kenji, préférant éluder la discussion sur les univers parallèles. Montre-moi plutôt la plaie de Madoka.

Kyosuke écarta sa main, révélant une blessure d’au moins trois centimètres sur la jambe dénudée de Madoka. Elle s’était aggravée par des efforts de torsions extrêmes exercées sur sa jambe, ce qui avait peut-être ouvert et même déchiré une artère, d’où le sang qui s’échappait en abondance.

– Si l’on ne fait rien bientôt, sa tension va chuter et… murmura Kyosuke en pressant de nouveau sa main sur la plaie, mais en s’aidant discrètement du Pouvoir.

Kenji sortit un couteau de sa poche, en déplia la lame, puis alluma son briquet pour chauffer le métal. Kenji avait déjà dû faire cela auparavant pour lui-même et ses hommes. Les combats à l’arme blanche, il connaissait. Madoka, quant à elle, en sortirait avec une nouvelle cicatrice, mais elle survivrait.

« Cicatrice… »

Soudain, Kenji interrompit son geste.

– Que fais-tu ? demanda Kyosuke, inquiet. Il faut aider Ayukawa.

Kenji s’approcha du corps inconscient de Madoka. Sa jambe gauche, dénudée et bandée par un garrot improvisé, ne portait aucune cicatrice ancienne.

– Co… Comment est-ce possible ?… murmura-t-il, perplexe.

Kenji en était pourtant certain : Madoka avait déjà été blessée à cette jambe, il y a quelques années, lors d’un affrontement avec une bande rivale. L’un des assaillants avait réussi à entailler sa cuisse, laissant sur elle une cicatrice visible. Il s’en souvenait distinctement, car Madoka l’avait plus tard décrite comme une marque de sa victoire. Mais ici, à l’endroit où cette cicatrice était censée demeurer sur sa peau, il n’y avait plus rien. C’était impossible…

Précipitamment, il remonta alors la manche du bras droit de Madoka, là où une autre cicatrice ancienne demeurait. Là non plus, plus aucune trace de blessure. Pourtant, il était sûr de lui : il connaissait Madoka par cœur, et elle avait toujours eu une cicatrice à cet endroit.

Il recula, troublé.

– Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Kyosuke. Il faut cautériser la plaie d’Ayukawa avec ta lame chauffée.

– C’est impossible ?! répondit Kenji en reculant, l’air totalement désemparé.

Le biker ne pouvait en croire ses yeux. La femme allongée devant lui, celle qu’il savait être Madoka, semblait différente. Cette Madoka n’avait aucune cicatrice sur son corps. Comment cela pouvait-il être possible ?

– Ce n’est pas elle ! cria-t-il alors. Elle n’a plus les cicatrices que je connais !

Kyosuke fixa Kenji, sentant que celui-ci commençait enfin à comprendre l’inexplicable.

– Cette femme n’est pas l’Ayukawa que tu connais, dit-il calmement à Kenji.

– Hikaru avait…

– Elle avait raison, répondit Kyosuke. Nous venons tous les trois d’un autre univers.

– Je… je ne peux pas y croire !

– Pourtant, c’est la vérité, confirma Kyosuke avec assurance.

– Combien de fois faut-il que je te le dise ? résonna la voix d’Hikaru depuis le bas du container.

Kenji resta pétrifié, ses pensées prisonnières d’un tourbillon silencieux. Tout autour de lui semblait s’être figé, comme si la réalité elle-même hésitait entre deux mondes. Les mots de Hikaru résonnaient encore en lui, mais leur signification lui échappait, fuyant devant un mur de vérité insaisissable.

« Un monde parallèle ?… »

Son cerveau refusait encore obstinément de traiter cette évidence, préférant, comme il le faisait, s’enfermer dans le déni. Pourtant, une petite voix au fond de lui commençait lentement à éroder sa résistance. Madoka n’était pas Madoka. C’était physiquement évident. Celle qu’il avait crue connaître, celle dont le sourire et les gestes familiers lui étaient si chers, n’était plus celle qu’il avait connue. Cette femme qu’il regardait n’était pas de ce monde… Quelque part, il en était rassuré, surtout après tous les coups de traitrise qu’elle lui avait portés sans explication. Quant à Hikaru, sa sœur… enfin cette jeune fille tout en bas du container qui lui ressemblait tant, avait quelque chose de différent dans sa manière d’être qu’il n’avait jamais connue auparavant.

Maintenant, tout se rassemblait dans un tableau désorientant mais inévitable : Madoka et Hikaru venaient bien d’ailleurs, d’une dimension où les règles de son univers ne s’appliquaient pas. Une autre réalité où des versions alternatives des deux personnes qu’il aimait existaient, mais avec des différences subtiles, presque invisibles, dont ces cicatrices inexistantes sur le corps de Madoka. Kenji sentit son estomac se nouer dans un mélange de peur et de fascination. La vérité crue se frayait lentement un chemin à travers le brouillard de son esprit : l’impossible était possible. Ces trois-là : Kyosuke, Madoka et Hikaru, n’étaient pas des imposteurs, ni des illusions. Ils étaient réels, mais pas de son monde. Et cette vérité-là, aussi impressionnante soit-elle, ne pouvait plus être niée. La confusion qui l’avait d’abord submergé s’éclaircissait, laissant place à une sorte de fatalisme calme. Ils étaient d’un autre monde, un monde parallèle, et c’était la seule vérité logique qui tenait encore debout parmi les ruines de son incrédulité à l’œuvre depuis ce début de soirée. Un voile venait de se lever, et même s’il se sentait encore perdu, Kenji savait qu’il ne pouvait plus revenir en arrière. La réalité venait de s’élargir et de s’ouvrir sur un abîme inconnu. Mais dans cet abîme, il y avait une clarté nouvelle, une lumière éclatante où tout ce qui semblait impossible était finalement réel.

– Où… où sont ma sœur et Madoka ? demanda Kenji, visiblement préoccupé.

– Elles reviendront bientôt, répondit Kyosuke sans hésitation. Dès que nous retournerons dans notre propre dimension, elles reviendront automatiquement ici, à notre place.

– Pourquoi sont-elles parties d’ici ? demanda Kenji, intrigué.

– Lorsqu’on voyage vers une autre dimension, on remplace automatiquement les doubles présents dans cette réalité. Ceux-ci, à leur tour, prennent notre place dans notre propre monde.

Ce concept paraissait complexe pour Kenji, qui avait déjà du mal à accepter que les trois personnes ici présentes qu’étaient Hikaru, Madoka et Kasuga, n’étaient pas celles qu’il avait connues.

– Vas-tu nous aider ? demanda Kyosuke. Ayukawa est dans une situation critique.

Malgré la révélation bouleversante, Kenji savait qu’il ne pouvait laisser cette autre « Madoka » sans soin. Il reprit ce qu’il avait stoppé. Son couteau s’étant refroidi, il se réchauffa à nouveau à la flamme de son briquet. Il profita de ce petit laps de temps pour se renseigner.

– Alors, dans ton monde, Madoka est ta petite amie ? demanda-t-il.

– Oui, c’est bien le cas, confirma Kyosuke.

Kenji sentit qu’il disait la vérité.

– Voilà qui me parait bien étrange, lâcha-t-il. Et j’ai un « moi-même » dans ton univers ?

– Non. Hikaru que tu as rencontrée tout en bas n’a pas de frère.

– Ce qui explique sans doute sa personnalité différente. Et Hikaru, qui est-elle pour toi, dans ton monde ?

Kyosuke hésita un instant. La question était délicate, et il en était pleinement conscient. D’autant plus qu’Hikaru, restée au pied du container pouvait entendre chaque mot échangé entre lui et Kenji. Il devait donc choisir ses mots avec prudence, cherchant à éviter de blesser Hikaru ou de trahir les souvenirs qu’ils partageaient tous les deux. Elle, autrefois follement amoureuse de lui, était une personne pétillante, extravertie, débordante d’énergie, et toujours prompte à exprimer ses sentiments. Il se souvenait de sa dévotion, parfois étouffante. Mais pouvait-il vraiment partager tout cela avec Kenji, sans risquer de rouvrir d’anciennes blessures ou d’attiser des malentendus ?…

Il tourna alors la tête vers Kenji en tentant de murmurer doucement, presque pour lui-même, mais tout en sachant qu’il était incapable de baisser suffisamment sa voix pour qu’Hikaru ne puisse entendre :

– Écoute, Hiyama. Hikaru… Tu sais, il y a quelque chose de spécial chez elle… Quelque chose qui ne disparaît jamais vraiment, même avec le temps qui passe…

Il s’arrêta un moment, choisissant ses mots avec soin :

– Hikaru est restée elle-même. Pleine de vie et de lumière. Toujours cette boule d’énergie qui peut transformer la pièce la plus banale en un endroit vibrant de chaleur. Ce que j’admirais chez elle, c’était sa capacité à aimer sans réserve, à donner tout ce qu’elle avait, même si cela signifiait ne jamais vraiment recevoir en retour ce qu’elle espérait. Et je me rends compte aujourd’hui à quel point c’était courageux de sa part. Hikaru n’a jamais cessé d’être vraie et authentique, même quand les choses ne se sont pas passées comme elle l’aurait voulu entre nous.

– Ah… Elle était amoureuse de toi ?… Comme ici ?…

En entendant ces mots, Kyosuke marqua une pause, réalisant que dans chaque monde qu’il connaissait, une Hikaru avait toujours manifesté de l’amour pour un Kyosuke, contrairement à Madoka. Confronté à cette évidence, il chercha à mettre des mots aux sentiments qui avaient longtemps siégé en lui :

– Aujourd’hui, elle représente pour moi ce moment de la vie de notre jeunesse où tout semblait possible, exprima-t-il. Où l’innocence et la spontanéité dictaient nos choix… Elle était cette étincelle de folie douce dans ma vie, celle qui me faisait rire quand tout semblait trop compliqué. Hikaru, c’est l’âme de cette époque révolue, comme une incarnation de ce que nous étions à ce moment-là. Et bien que nos chemins se soient séparés, je suis heureux qu’elle ait continué à avancer, fidèle à elle-même.

Kyosuke marqua une nouvelle pause, se demandant comment il avait réussi à exprimer ses pensées avec une telle sincérité, se demandant également s’il avait lui-même évolué et grandi à travers ces mots qu’il parvenait à exprimer.

Un léger soupir s’échappa de ses lèvres, avant qu’il ne reprenne la parole :

– Je ne regrette rien de ce que nous avons vécu ensemble, même si, au final, nous n’étions pas faits pour être ensemble. Hikaru mérite quelqu’un qui l’aime pour tout ce qu’elle est, quelqu’un qui puisse suivre son rythme et la rendre heureuse à sa manière. Et je pense qu’elle le trouvera bientôt. Pour moi, Hikaru est un rappel de ce qu’est l’amour dans sa forme la plus pure et la plus sincère. J’avoue qu’elle a laissé une trace en moi, une trace positive, et je lui en serai toujours reconnaissant.

Un sourire doux, presque nostalgique, se dessina alors sur son visage.

– Oui, Hikaru et moi, nous avons pris des chemins différents. Mais je ne la verrai jamais autrement que comme une personne formidable, et qui m’a appris beaucoup sur l’amour, sur l’amitié, et sur la façon de rester fidèle à soi-même, quoi qu’il arrive.

Tout en bas du container, Hikaru avait retenu son souffle en entendant son nom prononcé à plusieurs reprises par Kyosuke. Pendant un instant, un tourbillon d’émotions contradictoires avait agité son cœur. Son nom, prononcé avec tant de douceur et de nostalgie, l’avait ramenée des mois et même des années en arrière, à une époque où son monde tournait autour de Kyosuke. Les mots de celui qu’elle avait autrefois aimé étaient honnêtes, emplis de respect et d’affection, mais aussi empreints de cette distance inévitable qui vient avec le temps. Avec une clarté nouvelle, elle sentait que cette affection était différente de celle qu’elle avait jadis espérée. Ce n’était plus le battement frénétique d’un amour adolescent non partagé. C’était quelque chose de plus stable, de plus tranquille, comme une mer qui s’était calmée après les tempêtes.

Son cœur se serra légèrement, mais pas de tristesse. C’était plutôt une forme de gratitude douce-amère qui montait en elle. Elle était touchée par ses paroles, par la façon dont Kyosuke avait parlé d’elle sans aucun jugement ni regret. Il l’avait vue, vraiment vue, pour ce qu’elle avait été : une fille pleine de passion et d’espoir, mais aussi pleine de courage, même si elle ne s’en était pas rendue compte à l’époque. Il n’y avait pas d’amertume dans ses paroles, pas de gêne. Juste une reconnaissance simple et sincère.

Hikaru sentit à son tour un sourire se dessiner sur ses lèvres. Un sourire léger, mais vrai. Elle n’était plus cette fille qui attendait désespérément que Kyosuke la remarque. Elle n’était plus cette fille naïve qui croyait que tout se résumait à conquérir son cœur. En fait, elle se rendit compte que, quelque part, au fil du temps, elle avait appris à se détacher de cette ancienne version d’elle-même. Elle avait grandi.

Elle inspira profondément, sentant un poids quitter ses épaules. Ce que Kyosuke venait de dire lui apportait une paix inattendue, là, étrangement, en cet autre monde lointain. Elle savait maintenant qu’il la respectait, qu’il avait toujours eu pour elle une tendresse particulière, même s’il n’avait jamais pu l’aimer comme elle l’avait voulu. Ce n’était plus important. Ce qui importait, c’était que leurs chemins avaient divergé de manière naturelle, sans regrets ni rancœur. Et cela lui apportait une sorte de clôture, une conclusion douce à un chapitre qu’elle avait peut-être inconsciemment laissé ouvert trop longtemps.

Elle passa doucement une main dans ses cheveux, repoussant l’émotion qui menaçait de la submerger. Il y avait une certaine beauté dans ce moment, une beauté dans la réalisation que tout allait bien. Elle pouvait enfin avancer, le cœur léger, sachant que tout ce qu’elle avait vécu autrefois avec Kyosuke n’était ni une erreur, ni une perte. C’était simplement la vie, dans toute sa complexité, et elle en ressortait plus forte.

Son cœur était empli d’une tendresse sereine. Ce que Kyosuke avait dit resterait avec elle, non pas comme une flamme d’un amour ancien, mais comme un souvenir précieux d’une époque révolue. Un sourire confiant éclaira son visage.

– Impressionnant, Kasuga, admit Kenji avec un regard empreint de respect et d’admiration. C’est rare de voir quelqu’un parler de son propre passé avec autant de respect et d’honnêteté.

Kyosuke se demanda si Hikaru avait entendu toutes ses paroles à son sujet. Tout ce qu’il percevait depuis sa position était le silence pesant qui régnait tout en bas, un silence qui en disait peut-être long sur l’impact de ses mots. De là où il était, il ne pouvait pas voir la réaction d’Hikaru, mais il espérait qu’elle avait perçu la sincérité de ce qu’il venait de dire. En quelque sorte, c’était ce qu’il aurait souhaité lui exprimer directement s’il avait eu l’occasion de lui parler en tête à tête… Ce qu’il n’avait jamais pu faire, depuis que Madoka avait décidé de partir seule aux États-Unis. Kyosuke espérait qu’Hikaru pourrait trouver une forme de réconciliation intérieure après le choc qu’elle avait ressenti il y a six mois, lorsqu’elle avait découvert ses sentiments pour Madoka. En fin de compte, seule Hikaru savait ce qu’elle ressentait réellement.

Kenji avait fini de chauffer son couteau avec la flamme de son briquet.

– C’est prêt, Kasuga. Tu vas pouvoir retirer ta main. Je vais faire ce qu’il faut pour cautériser la plaie de ton amie.

– Merci à toi, Hiyama.

Tandis que Kenji approchait la lame rougeoyante vers la blessure de Madoka, une voix impérieuse se fit entendre derrière eux.

– Non ! Arrêtez !

 

 

 

« «

«

 

--> Lire l'épisode 33


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#482 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 31 août 2024 - 22h20

« La Première Marche »

par CyberFred

 

Épisode 33

L'attente d'un cri

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Après avoir visité le parc du château de Takaoka, Manami arrive dans une dimension différente de toutes celles qu’elle a visitées précédemment. Une mystérieuse voix derrière elle lui souhaite la bienvenue.

 

« Pauvre Manami. Enfin… je dis "pauvre", mais elle ignore encore à quel point la richesse de ses voyages va considérablement contribuer à lui forger un destin sans pareil. Elle est à l’aube d’une destinée qu’elle n’ose encore entrevoir, aveuglée par l’écho de ce qui lui échappe, de ce qui se dresse devant elle. Là, comme elle vient d’arriver, elle est comme paralysée de surprise. Une stupeur qui la fige, ses yeux grands ouverts, ses lèvres entrouvertes, tremblantes sous le poids de questions silencieuses. En espérant que ce ne soit pas de peur… Je la comprends… Mais elle ne doit pas s’arrêter aux apparences, qui dissimulent souvent la vérité la plus douce.

Manami est une fille sensible, curieuse, rationnelle, mais tellement vulnérable face à l’inconnu. Ses émotions sont semblables à un fleuve impétueux, tantôt limpide, tantôt troublé par les remous de l’étrange. Comment lui en vouloir ?… Elle a réussi à parvenir ici, certes, un peu sous mon invitation, mais mon apparence a certainement de quoi la troubler. Elle est humaine. Ses yeux cherchent désespérément une explication, quelque chose de familier sur lequel s’accrocher. Elle cherche comme une main tendue dans la pénombre, alors qu’elle baigne dans la lumière douce qui règne ici. Et même si le Pouvoir a guidé ses pas depuis sa naissance, elle ne pouvait pas s’imaginer tomber sur quelqu’un comme moi. Pas maintenant, pas ici, malgré tous ses voyages étranges.

Je voudrais tant la rassurer, lui dire que tout va bien. Qu’elle ne doit pas s’inquiéter. Que tout ceci est logique. Enfin… "logique"… selon une logique qui dépasse les humains, une logique qui n’a de sens que pour ceux qui osent voir au-delà des apparences, une logique que seuls les voyageurs des dimensions peuvent effleurer du bout des doigts. Je dois être absolument rassurant… Dire à Manami qu’elle ne court aucun danger… aucun trouble… Que mon apparence n’est pas celle qu’elle doit regarder avec ses yeux, mais avec son cœur. Car c’est ici que se trouve la vérité, là où le visible s’efface pour laisser place à l’essence.

Et pourtant, je sais combien il est difficile de détourner le regard de ce qui est étrange, de ce qui est « autre ». Elle n’a pas détourné ses yeux. Son regard s’accroche à moi, oscillant entre crainte et fascination, comme si elle cherchait à décrypter ce que je suis… À lire en moi une histoire qu’elle ne connaît pas encore, mais que je lui conterai. Sa main se crispe sur son chat, cette petite créature qui, pour elle, est une ancre, un réconfort… Une petite boule de poils qu’elle a recueillis durant ses premiers voyages… Lui au moins ne semble pas inquiet de ma personne. Les animaux de son univers perçoivent au-delà de l’évidence. Ils savent ce qui est et ce qui n’est pas, sans avoir besoin de mots pour s’exprimer. Mais connaissant les félins, il est possible que s’il s’approche de moi alors que sa maîtresse est en état de surprise, son instinct, en osmose avec les émotions de celle qui l’a adopté, le pousse à se méfier de moi, ou à vouloir défendre Manami. Il me regarde de ses yeux perçants, comme s’il pesait chaque mouvement de ma part. Un petit gardien silencieux, une ombre attentive…

Manami n’a plus son chapeau de paille rouge sur sa tête. Elle est tellement inquiète de ne plus l’avoir avec elle. Ce simple accessoire, si anodin aux yeux du commun, est pour elle un talisman, une promesse de retour et de sécurité. Quand je pense qu’elle le recherchait fébrilement dans le noir quand elle est arrivée en ces lieuxi. Déjà, elle a mis pied ici avec crainte. Comme si ce chapeau pouvait la protéger, ou la guider désormais pour franchir les seuils des mondes parallèles. Il est pour elle une relique de tout ce qu’elle a laissé derrière. Je devrai tout lui expliquer. Lui faire comprendre que ce chapeau n’est pas perdu, qu’il est simplement ailleurs. En espérant qu’elle comprendra ce que je lui dirai. Il le faut !

C’est la première fois que j’invite un être humain ici. Manami était la seule à pouvoir comprendre l’importance de tout ceci. Elle sentait que quelque chose l’appelait, au-delà de sa compréhension. Un appel secret, un murmure entre les mondes qui résonnait dans son âme. Mais il faut d’abord qu’elle lâche prise sur mon apparence troublante selon son point de vue, et qu’elle trouve en moi quelqu’un de confiance. Quelqu’un en qui compter. Je ne suis pas à redouter. Manami a la chance d’être dotée du Pouvoir. Un don rare, précieux, qui lui permet de voir et d’agir au-delà du visible, de sentir ce que les autres ne perçoivent pas. En espérant qu’elle verra à travers moi et au-delà du visible que je ne lui suis pas hostile. Je pleure de ne pouvoir en dire autant des "autres". Ceux qui sont enfermés dans la cage de leur réalité. Mais en contrepartie, nous parviendrons à allumer un peu de Lumière ici et là. Une lumière fragile, vacillante, mais essentielle. Mais pour l’heure, il nous faut fêter ce grand jour. Un événement considérable vient de se produire. Nous allons célébrer cela. Tout est important désormais. J’en suis même un peu ému car il n’y aura pas d’autres occasions.

Manami me regarde toujours d’un air étonné. Ses grands yeux derrière ses lunettes sont pleins d’interrogations, et je peux presque entrevoir les rouages de son esprit tourner, cherchant des réponses à une situation qu’elle n’avait jamais envisagée. Des réponses qui se dérobent à elle, malgré ses tentatives de se hisser toujours dans le rationnel. À ses yeux, je ne suis pas rationnel… Je n’existe pas. J’espère qu’elle ne va pas hurler comme jamais, ou s’évanouir de peur ! Ce serait terrible !… C’est un moment fatidique, car elle peut quitter subitement cet endroit par la peur que son esprit peut lui suggérer, et rentrer chez elle, dans son univers. Un retour interdimensionnel précipité, direct et brutal, qui refermerait la porte… Sans possibilité de retour en ces lieux… Même ici, les lois du Pouvoirs peuvent s’appliquer. Kyosuke, son frère aîné, a compris que ses voyages accidentels pouvaient être possibles si une peur d’un niveau suffisant envahissait son esprit, au point de lui donner un signal de fuite. Il était impossible pour lui de venir ici. Il aurait eu trop peur d’entrée. Le risque était trop grand. Mais Manami, elle… j’ai confiance. Elle est différente. Sa curiosité est plus forte que sa crainte, et c’est cela qui la guide, même dans les ténèbres.

Il est important pour son destin qu’elle affronte avec succès la peur de cet instant… qu’elle parvienne à comprendre qu’il existe quelque part des êtres qui ne sont pas de constitution physique humaine. Aurais-je dû me déguiser en humain pour me présenter comme tel devant elle ?… Impossible… Je n’en ai pas le pouvoir. Je dois rester comme tel aux yeux des Hommes. Et quand bien même ?… Pourquoi cacher mon apparence naturelle aux yeux d’autrui ? Pourquoi devrais-je trahir ce que je suis pour plaire aux attentes d’un monde qui ne comprend pas ?… Je suis ainsi fait. Je suis ainsi. Je ne veux pas tricher. Ce n’est pas dans ma nature. Il faut que Manami parvienne à dépasser ce qu’elle considère comme impossible. Que l’impossible devienne possible dans son esprit. Que l’invraisemblable devienne une nouvelle réalité. Les émotions passées, nous pourrons enfin échanger, se mettre en confiance… Rire, chanter, danser, célébrer… Mais il ne faut pas en oublier la raison de sa venue. Tout ce qui nous entoure ici a un sens, même si elle ne le perçoit pas encore.

En même temps, j’ai quand même des scrupules… Si Manami est ici, sa sœur Kurumi est absente… et loin. Très loin… Elle est dans son univers d’origine. Deux sœurs jumelles séparées par les dimensions, par le hasard des destins croisés. Je suis conscient que ce qui est à l’œuvre, car c’est un éloignement hors norme qui peut aboutir à une catastrophe chez Kurumi. Je ressens le poids de cette distance et cette tension. Mais je compte sur Kyosuke pour résoudre le souci qui menace actuellement toute la famille de Manami. Je prie pour la bonne conclusion de tout ceci. Je suis dans l’attente, partagé entre mon devoir envers elle et la crainte de ce qui pourrait se passer ailleurs. Un équilibre précaire, où chaque instant compte, chaque décision pèse.

Je pense, je pense… Mais il faut bien que je dise quelque chose à Manami. Si je ne dis rien, elle est susceptible de penser que je suis hostile. Mais si je parle comme un être humain, sera-t-elle pour autant rassurée ?… Comment trouver les mots justes, ceux qui apaiseront sans effrayer, ceux qui construiront un pont entre nos deux mondes ?…

Elle est muette… Elle ne crie pas… Elle reste bouche bée… Est-ce bon signe ?… Mais pourquoi se poser toutes ces questions, alors que bien d’autres choses doivent être accomplies ?… Et dire que tout va peut-être dépendre d’un cri ou d’une frayeur… En un instant, suspendu dans l’attente… Je suis dans l’inconnu, comme jamais je ne l’ai été. Je suis sans doute plus dans l’inconnu que Manami en ce moment. Je prends tous les risques car je ne pourrai pas lutter contre le libre arbitre de Manami, son Pouvoir et ses peurs. Il me faut accueillir un être humain dans une réalité complètement différente de toutes celles qu’elle a visitées. Je me dois d’être un hôte incontestable. Il en va de beaucoup de choses. De son avenir, et de ce que nous pourrions accomplir ensemble.

Ce silence pèse. Chaque seconde semble s’étirer, comme un fil tendu entre deux mondes, qui se croisent enfin. Je regarde Manami, ses doigts serrant nerveusement le pelage du chat. Ses lèvres tremblent légèrement, hésitant entre un sourire et un cri. Je me dis qu’il suffirait d’un geste, d’un mot pour briser cette tension. Mais quoi ?… Mon souffle devient lourd. Je suis une énigme pour elle. Je suis d’Ailleurs, une silhouette étrange, le reflet d’un monde qu’elle n’a pas encore osé explorer. Nous sommes à la croisée des chemins… Que choisira-t-elle ?… Que ferons-nous, à l’instant où nos destins se croiseront enfin ?

Manami, c’est à toi… C’est à toi de décider !…

L’univers est suspendu à ta réponse ! Et moi, je suis là, prêt à accueillir ce que ton cœur choisira… »

 

 

 

« «

«

 

-> Aller à l'épisode 34


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#483 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 14 septembre 2024 - 16h56

« La Première Marche »

par CyberFred

 

Épisode 34

Le dernier espoir

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Kyosuke a réussi l’impossible, en réintégrant la dimension où Madoka et Hikaru se trouvent. Pendant ce temps, son double est propulsé en conséquence dans l’univers où Kurumi exerce une pression implacable sur l’alter ego de Madoka à l’aide d’un pouvoir devenu de plus en plus incontrôlable, menaçant de plonger toute cette réalité dans le chaos.

 

Kyosuke émergea lentement des profondeurs d’un sommeil lourd et troublé. Ses paupières encore closes, il sentait autour de lui une agitation sourde, comme si l’air lui-même vibrait des murmures inquiets qui flottaient dans la pièce. Les sons se mêlaient dans une confusion étouffée, mais une voix perça le brouillard de son esprit embrouillé, claire et familière : celle d’Hikaru.

– Kyosuke !… Kyosuke !… Est-ce que tu m’entends ? demanda-t-elle, une lueur de panique teintant ses mots.

Encore alourdi par la torpeur, le jeune homme essaya de rassembler ses pensées. Il sentait sous son dos la texture d’un canapé. Il ouvrit lentement les paupières, comme si le simple fait de soulever ce voile de ténèbres demandait une force qu’il ne possédait plus. Il se sentit étrangement épuisé. Son regard encore trouble se fixa sur un visage qu’il connaissait mieux que n’importe quel autre : Hikaru, penchée sur lui, les yeux remplis d’une anxiété qu’elle ne parvenait pas à cacher de son côté.

– Kyosuke… Enfin, tu es réveillé, murmura-t-elle d’une voix vibrant d’émotion.

Il la fixa sans un mot, ses pensées encore brumeuses se bousculant pour retrouver un semblant de cohérence. Un souvenir s’imposa alors dans son esprit : le pont de Yokohama, cette nuit où tout avait basculé. Une jeune femme totalement vêtue de blanc, telle une apparition fantomatique, lui avait lancé quelque chose qui avait piqué son cou. Il se souvint alors de la paralysie soudaine qui avait envahi son corps. Puis ce fut l’obscurité complète, comme si un anesthésiant fulgurant l’avait plongé dans une torpeur profonde. Combien de temps avait-il sombré dans l’inconscience ?…

En essayant de se redresser légèrement, il laissa son regard parcourir la pièce. Les contours lui étaient familiers, mais pas tout à fait… Comme un reflet déformé d’un lieu connu. Mais quelque chose clochait ici. Soudain, il comprit : c’était cet autre univers ! Le salon dans lequel il se trouvait ressemblait à celui qu’il avait vu de manière fugace quand il fut propulsé de force hors de sa téléportation immobile du pont de Yokohama.

– Qu’est-ce que je fais ici ? souffla-t-il, ses pensées encore embrouillées.

– Nous sommes dans l’univers de nos propres doubles, répondit Hikaru, son visage se durcissant légèrement.

Kyosuke tenta de se redresser brusquement, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Mais son action fut ralentie. Quelque chose n’allait pas. Une tension étrange et palpable flottait dans l’air, comme si les murs eux-mêmes étaient en alerte. Tendue, Hikaru l’observait avec inquiétude. Mais ce qui attira l’attention du jeune homme se trouvait derrière elle. Ce qu’il vit le glaça d’effroi : Ayukawa, celle de son univers, avec sa tenue moulante habituelle, était suspendue à quelques centimètres du sol, retenue par une force invisible, prisonnière d’une puissance qui émanait de celle qui ressemblait à sa propre sœur Kurumi ! Mais elle n’était pas la Kurumi qu’il connaissait… Non, celle-ci était bien différente, dominée par une énergie sombre et incontrôlable.

– Mais qu’est-ce qui se passe ici ? s’exclama-t-il, la voix teintée de panique.

Hikaru se tourna vers la scène dramatique qui se déroulait sous leurs yeux, son visage trahissant l’angoisse qui l’habitait.

– C’est Kurumi… Elle… Elle n’est plus elle-même, Kyosuke. Elle a perdu le contrôle… Et Ayukawa en fait les frais.

Kyosuke serra les poings, luttant contre l’envie de foncer tête baissée pour stopper Kurumi, qui y allait un peu fort, mais quelque chose le retenait. Ce n’était pas seulement la peur, c’était une sensation étrange… Son propre pouvoir semblait s’être éteint. Il tenta intérieurement de puiser en ses énergies, mais sans succès. Une froide réalité s’imposa à lui.

– Hikaru, je… je n’arrive plus à utiliser mon pouvoir ! Les aurais-je perdus en entrant dans cet univers ?…

La jeune fille montra des yeux empreints d’une tristesse profonde.

– Kurumi nous bloque complètement. C’est comme si toute l’énergie qui circule ici ou ailleurs était avalée par elle.

Kyosuke se leva alors d’un bond, une vague de frustration le submergeant.

– Mais pourquoi Kurumi agit-elle ainsi ? Que lui est-il arrivé ?…

Avant qu’Hikaru ne puisse répondre, une voix grave résonna derrière lui. Takashi, ou plutôt, le double de son père dans cet univers, s’approchait.

– Kyosuke, je suis heureux que tu aies pu arriver jusqu’ici. Cela prouve que mon fils a réussi à accéder à ton univers.

Kyosuke fixa cet homme qui ressemblait tant à son propre père, mais il savait qu’il n’était pas son père véritable. Le choc de cette réalité parallèle l’envahissait de plus en plus.

– Vous… Vous ressemblez vraiment à mon père, murmura-t-il, un frisson parcourant son échine.

– Oui, répondit Takashi, sans chercher à adoucir la vérité. Et je sais que cela doit te semble étrange. Cependant, il y a des choses bien plus graves que tu dois comprendre.

– Comme le fait que Kurumi est en train de… de torturer Ayukawa ?!

– Je sais. Mais la situation est bien plus compliquée que cela, admit Takashi, le visage empreint de gravité. Et ce que je vais te dire va peut-être encore plus te troubler : ta maman, enfin son double dans cet univers, n’a pas survécu à la naissance de Kurumi. Mais dans ton propre monde, elle est encore vivante, n’est-ce pas ?

Kyosuke sentit une vague de stupeur l’envahir. Sa mère ?… disparue, ici, dans cet univers ?… Il avait du mal à accepter cela.

– Oui, ma mère est vivante chez moi. Mais le double de maman… Elle n’est plus… ici ?… souffla-t-il, abasourdi.

Takashi hocha la tête, le regard grave.

– Oui, et c’est précisément pour cela que ton double est parti en urgence dans ton univers à la recherche de ta maman. Elle est la seule capable de nous sauver de cette crise. Comme tu le constates, le pouvoir de Kurumi est devenu ingérable. Si ta maman ne vient pas ici pour l’arrêter, nous sommes tous condamnés.

– Comment est-ce possible ?… Pourquoi ma mère ?

– Je sais que c’est difficile à croire. Mon fils n’avait que trois ans lorsqu’une crise similaire a éclaté pour la première fois.

Kyosuke sentit une vague de stupeur l’envahir.

– Comment ?… C’est… Que s’est-il passé ?…

Takashi laissa échapper un soupir lourd de souvenirs douloureux.

– La naissance de ma Kurumi a été compliquée. Elle a déclenché une crise dévastatrice. Pour la calmer, ma femme a dû utiliser tout son pouvoir, bien plus qu’elle n’en possédait… Cela l’a consumée…

Kyosuke baissa les yeux, profondément attristé par cette révélation. Il n’aurait jamais imaginé un tel drame dans cet autre univers.

Takashi pointa la scène chaotique où Madoka, prisonnière d’une bulle d’énergie, subissait la furie incontrôlée de sa fille cadette. La maison tremblait toujours sous l’assaut de cette force incontrôlable.

– Cette nuit, Kurumi a soudainement vécu une résurgence de la même crise qu’à sa naissance. Sa colère alimente son Pouvoir et inversement. Et elle menace de tout détruire autour d’elle, si nous ne faisons rien. Ce sera une catastrophe !

– Par les Cieux ! s’exclama Kyosuke, les yeux écarquillés. Vous voulez dire… que nous pourrions tous disparaître ?…

– Je ne sais pas précisément ce qui se passera, répondit Takashi. Car autrefois ma femme avait réussi à empêcher le pire. Mais maintenant, il n’y a plus qu’une solution : ton double doit impérativement ramener ta mère ici, pour qu’elle puisse stopper cette crise, grâce à ses connaissances et son Pouvoir. Rassure-toi, je ne souhaite pas que cela se passe mal pour elle.

Kyosuke passa une main nerveuse dans ses cheveux, l’esprit tourmenté. En cherchant dans ses souvenirs, sa mère n’avait jamais eu à affronter de crises similaires de la part de sa propre fille Kurumi.

– Comme tu le vois, Kyosuke, il est impossible de s’approcher de Madoka et Kurumi, ajouta Takashi. Kurumi s’est enfermée elle-même avec Madoka dans une bulle qui semble indestructible. Je sais que ton Pouvoir est très affaibli, tout comme celui de mon neveu Kazuya et ma nièce Akane. Tu dois savoir aussi qu’une autre bulle, englobant la première, grandit tout autour de la maison, nous emprisonnant tous à l’intérieur. C’est pourquoi, tu entends gémir les murs et les fondations de cette demeure.

– Vous voulez dire que nous tous sommes captifs ici ?…

– Exactement, répondit Takashi, le regard sombre. Nous ne pouvons plus fuir. C’est pourquoi nous n’avons plus qu’un seul espoir : ta mère et sa connaissance de crises similaires.

Kyosuke resta silencieux, son esprit assailli par des pensées tourbillonnantes. Le poids de la situation l’écrasait. Sa propre mère était désormais comme la clé du salut d’un univers entier.

– Et… si elle ne vient pas ? demanda-t-il d’une voix grave.

Takashi se tourna vers la scène chaotique où Madoka, toujours emprisonnée par la bulle de Kurumi, semblait toujours lutter contre des forces qui l’ont toujours dépassée. Le sol tremblait de plus en plus sous leurs pieds.

– Alors… nous n’aurons plus aucune chance, répondit Takashi, sa voix à peine plus audible qu’un murmure.

Hikaru prit soudain les mains de Kyosuke et les serra avec force.

– Peu importe ce qui arrive, je ne te laisserai pas ! lui dit-elle, ses yeux brillants de larmes.

Kyosuke la fixa un instant, sentant à quel point elle avait risqué sa vie pour être ici avec lui. Mais au fond de lui, une peur sourde continuait de croître. Le destin de tous ceux qu’il aimait était suspendu à un fil, et ce fil se trouvait à des dimensions de là, dans son propre monde.

Kyosuke serra à son tour les mains d’Hikaru, absorbant sa chaleur, comme si c’était la seule ancre qui le retenait encore à sa propre réalité. Mais son regard ne pouvait se détourner de la scène glaçante qui se déroulait sous ses yeux : Kurumi, emportée par une force incontrôlable, tenant à distance Madoka, isolée avec elle dans une bulle d’énergie invisible qui pulsait et vibrait avec une intensité croissante. Il pouvait presque sentir la colère et la confusion qui bouillonnaient en elle, prêtes à exploser.

À ses côtés, Takashi, son visage toujours marqué par une inquiétude palpable, prononça ces mots chargés de tension :

– Nous n’avons pas beaucoup de temps. Si ta mère n’arrive pas ici bientôt, cette situation va dégénérer au-delà de tout contrôle.

Kyosuke avait le cœur serré. Malgré la venue hypothétique de sa mère, il ne voyait pas comment elle pourrait forcer cette bulle. Tout était trop puissant, trop hors de contrôle…

Il regarda encore Madoka, qui semblait hurler de colère quelque chose à Kurumi à travers la barrière d’énergie, mais plus aucun son ne parvenait désormais jusqu’aux oreilles des spectateurs situés au-delà de la barrière. Kyosuke ne pouvait que regarder cette scène, impuissant, tandis que son esprit tournait en quête d’une solution, une échappatoire à cette situation cauchemardesque.

Akane, Kazuya et le couple Hamada s’approchèrent de lui. Akane fut la première à prendre la parole, son ton léger contrastant étrangement avec la gravité de la scène.

– Alors, c’est toi, le double de notre cousin Kyosuke ? demanda-t-elle, esquissant un sourire tendu. C’est vrai que tu sembles un peu plus jeune de que celui que je connais.

Kyosuke la fixa un instant, réalisant combien elle ressemblait à sa propre cousine, tout en étant légèrement différente.

– Oui, répondit-il. Et toi, tu ressembles vraiment à Akane… (Il regarda alors le petit garçon à ses côtés) Et toi, Kazuya, tu es le portrait craché de celui que je connais.

– Mais il doit y avoir quelques différences entre nous, non ? demanda Akane, un éclat de curiosité dans les yeux.

Kyosuke réfléchit un instant avant de répondre.

– Tu possèdes bien le pouvoir de projeter des illusions, n’est-ce pas ?

– Exactement.

– Et toi, Kazuya, tu es télépathe, c’est bien ça ?

– Oui, répondit Kazuya avec un sourire timide.

Kyosuke hocha la tête.

– Vous avez donc les mêmes pouvoirs que vos propres doubles dans mon univers. Mais en effet il y a une différence… Dans mon monde, vous vivez tous les deux à l’étranger avec vos parents.

Akane haussa un sourcil, surprise.

– Ah oui ?… Où ça ?…

– Aux États-Unis, à Hawaï.

– Incroyable ! fit-elle. Je me souviens que nos parents avaient envisagé un moment de partir vivre là-bas, à cause du travail de mon père, mais finalement, ils sont restés au Japon. Nous sommes finalement venus dans cette ville.

Madame Hamada, jusque-là silencieuse, prit alors la parole, son visage marqué par la fatigue, et s’adressa à Kyosuke :

– C’est bien beau tout ça, mais est-ce que tu vas nous aider à résoudre cette situation ?… Ma sœur Madoka ne peut pas rester ainsi sous l’emprise de cette Kurumi.

Elle prononça ces mots tout en pointant du doigt la scène chaotique.

– Mais, ma caille, ce n’est pas vraiment ta sœur, intervint son mari qui était à ses côtés. Et Kyosuke, ici présent, n’est pas non plus celui que nous connaissons.

Le jeune homme en question, surpris, tourna son regard vers madame Hamada.

– Vous êtes la sœur d’Ayukawa ? demanda-t-il.

– Oui… Mais même si cette jeune femme n’est pas vraiment ma sœur, je refuse de la voir souffrir ainsi ! Kurumi est devenue incontrôlable, et nous devons faire quelque chose, ajouta-t-elle avec désespoir.

Takashi intervint, la voix grave et solennelle :

– Kyosuke, tu connais à présent la situation. Penses-tu que si ta maman parvient jusqu’ici, elle pourra calmer Kurumi ?…

Tous les regards se tournèrent vers Kyosuke, comme si chacun d’eux plaçait en lui leur dernier espoir. Mais en son for intérieur, le jeune homme sentait le poids de la fatalité peser sur ses épaules.

Il prit une profonde inspiration avant de répondre.

– Je connais globalement les pouvoirs de ma mère, et je sais qu’ils dépassent largement tout ce que nous pourrions imaginer. Elle est d’une puissance extraordinaire… Mais ici, je crains qu’elle ne puisse franchir cette barrière d’énergie qui entoure Kurumi et Madoka. Ce champ de force est bien trop puissant.

Kyosuke marqua une pause, son visage grave, laissant son regard errer sur la scène dévastatrice devant lui.

– Un bref instant, j’ai même envisagé que si Kurumi apercevait soudainement le visage de ma mère apparaître dans cette pièce, cela pourrait suffire à la choquer, à lui faire reprendre ses esprits, et à briser cette folie qui la consume. Mais je crains que cela soit désormais impossible. Malgré la diminution de mes pouvoirs, je sens toutefois que cette barrière ne se contente pas de nous séparer physiquement. Kurumi s’est aussi peu à peu coupée du monde extérieur, visuellement et mentalement, refusant toute distraction qui pourrait perturber sa concentration.

– C’est vrai qu’on n’entend plus ce qui se dit dans cette bulle, remarqua Akane.

À l’attention de tous, Kyosuke désigna à nouveau la bulle qui enfermait les deux jeunes filles.

– Kurumi nous permet de voir ce qu’il se passe à l’intérieur, comme une vitre sans tain, expliqua-t-il. Mais de l’autre côté, elle a volontairement érigé un voile qui la maintient aveugle et sourde à tout ce qui pourrait provenir de l’extérieur. Elle s’est enfermée dans sa propre rage, et rien ni personne ne semble pouvoir atteindre cette forteresse mentale qu’elle a érigée. Je n’ai jamais vu cela avant.

Un silence pesant s’installa dans la pièce, comme si l’espoir venait de s’éteindre en même temps que les paroles de Kyosuke.

– Tu en es sûr ? demanda Akane d’une voix tremblante.

– Oui, répondit Kyosuke (Il se tourna vers Takashi). Monsieur Kasuga, vous m’avez dit tout à l’heure que cette crise était similaire à celle que Kurumi avait traversée à sa naissance, quand votre épouse a dû utiliser tout son pouvoir pour la calmer…

– Exact, confirma Takashi.

– Et à ce moment-là, votre femme était avec Kurumi, n’est-ce pas ? Elles étaient toutes les deux dans la même bulle ?

– Oui, elles étaient seules et ensemble. Ma femme a utilisé son pouvoir pour téléporter tout le monde le plus loin possible de la clinique, loin de toute bulle, et a utilisé directement tout le reste de son pouvoir sur Kurumi pour endormir sa crise.

Kyosuke hocha la tête, comprenant peu à peu l’ampleur de la situation.

– Mais ici, personne ne peut s’approcher de Kurumi, dit-il. Elle est complètement isolée dans cette bulle. Même ma mère ne pourrait pénétrer ce champ solide pour l’approcher.

Le silence dans la pièce se fit encore plus lourd. Chacun semblait pris dans un étau de désespoir.

– Si ma mère parvient à venir ici grâce à mon double, ajouta Kyosuke, elle perdra, tout comme moi, immédiatement tous ses pouvoirs. Car Kurumi les absorbe inlassablement à portée. Ma mère sera alors aussi impuissante que je ne le suis maintenant. Et quand bien même parviendrait-elle à garder le contrôle de ses pouvoirs une fois ici, comment agir avec sur Kurumi à travers sa barrière ?… L’équation est insoluble.

Takashi sembla comprendre la gravité de la situation. Ses épaules s’affaissèrent légèrement, comme si le poids de cette révélation venait de l’écraser.

– Donc… si je comprends bien, même si mon fils réussit à convaincre ta mère de venir ici, cela ne servirait à rien au final, murmura-t-il, les yeux perdus dans le vide.

Kyosuke hocha tristement la tête.

– Exactement. Et le pire, c’est que ma mère ne pourrait même pas repartir. Elle serait coincée ici, sans Pouvoir. Même si elle envisageait de repartir immédiatement dans le passé de ce monde pour empêcher Kurumi d’avoir cette crise, cela ne marcherait pas car elle n’aurait pas le temps de le faire.

Le silence qui s’abattit sur la pièce était glacial. Chacun réalisait à quel point la situation était désespérée.

Hikaru, incapable de retenir ses émotions plus longtemps, éclata en sanglots et se jeta dans les bras de Kyosuke.

– Peu importe, murmura-t-elle à travers ses larmes. Peu importe si tout doit s’effondrer… Je veux juste être avec toi, jusqu’à la fin…

Kyosuke serra Hikaru contre lui, sentant son cœur se nouer. L’idée qu’ils étaient peut-être tous condamnés, sans espoir de salut, pesait lourdement sur lui. Il caressa doucement les cheveux courts de la jeune fille, essayant de la réconforter, même si lui-même n’avait plus aucune certitude.

– On… On va essayer de trouver une solution, Hikaru… On doit la trouver, murmura-t-il tendrement.

Kazuya, jusque-là silencieux, exprima sa voix tremblante :

– On va tous mourir ? demanda-t-il, les yeux écarquillés de peur.

– Il est donc impossible de résoudre ce problème ?… De s’échapper d’ici ? fit de son côté monsieur Hamada, abattu.

Akane se tourna alors vers Takashi, cherchant désespérément une réponse.

– Oncle Takashi, si Ayukawa cède complètement face à Kurumi, est-ce que ça pourrait la calmer ?… Est-ce qu’elle va arrêter tout ça ?…

Takashi secoua tristement la tête.

– Non… Ce qui est en train de se passer va au-delà de ça. Kurumi n’est plus la même. Son esprit a été submergé par le Pouvoir qu’elle ne peut canaliser. Quelque part, elle ne fait plus qu’une avec cette énergie. Et elle continue à puiser le maximum de cette énergie dans le Pouvoir. Tôt ou tard, elle atteindra un point où elle ne pourra plus contenir en elle toute cette puissance. Et quand cela arrivera… il n’y aura plus rien pour l’arrêter.

Kyosuke sentit à nouveau une vague glaciale envahir tout son être. Le spectre d’une catastrophe imminente se dressait devant eux, et il n’y avait aucun moyen de l’éviter. Il serra plus fort Hikaru, comme pour se rassurer qu’au moins, dans cette ultime épreuve, il ne serait pas seul.

Takashi compris alors l’enjeu terrifiant, et l’impossibilité de résoudre l’équation. Il devait admettre que Kyosuke avait raison : même si son fils parvenait à convaincre le double de sa défunte épouse à venir ici avec lui, cela ne servirait à rien. Le résultat serait pire : il assisterait en direct à une nouvelle disparition d’Akemi, avec lui et tous les autres ici.

– Vous comprenez aussi qu’il ne faut pas que ma mère vienne ici, ajouta Kyosuke, relâchant l’étreinte sur Hikaru. Si cela était le cas, elle ne pourrait jamais repartir d’ici. De là où je serai, il sera impossible pour moi de revenir l’aider car je n’ai pas le pouvoir de traverser les dimensions.

Un nouveau silence glacial s’installa dans la pièce.

– C’est une situation impossible à résoudre ! admit Akane. Nous ne pouvons rien faire !… Et si cousin Kyosuke agit de l’autre univers, cela serait inutile. Et impossible de faire appel aux grands-parents, nous sommes coincés.

Les regards se tournèrent de nouveau vers Kyosuke, comme si tout reposait sur ses épaules, alors même qu’il était impuissant dans cette situation. Le poids de leur espoir lui sembla insupportable.

Le jeune homme prit une profonde inspiration, cherchant à maintenir un semblant de calme malgré la panique qui menaçait de le submerger.

– Mon double parviendra peut-être à trouver une solution avec ma mère… Mais encore une fois, même s’il réussit à revenir ici avec elle, je ne sais pas si cela suffira à résoudre la crise, avoua-t-il avec gravité.

Une nouvelle vague de silence s’abattit sur le groupe. Chacun semblait lutter contre le désespoir, tentant de trouver une issue là où il n’y en avait peut-être pas. Kurumi, toujours enfermée avec Madoka dans sa bulle, continuait à accumuler une énergie venue de nulle part et de partout, dont personne ne pouvait mesurer l’ampleur. Mais tous sentaient la menace qu’elle faisait peser sur eux. Les vibrations plus intenses que jamais que subissait la maison ne disaient rien qui vaille.

Hikaru releva la tête vers le visage de Kyosuke, les yeux rougis par les larmes, et murmura d’une voix tremblante :

– Kyosuke, même si nous n’avons plus beaucoup de temps… je suis heureuse d’être là, maintenant avec toi. C’est tout ce qui compte !

Kyosuke la fixa, serra à nouveau tendrement les mains de celle qu’il aimait, touché par sa sincérité et son amour inébranlable, malgré la situation.

– Moi aussi, Hikaru, répondit-il, la voix lourde de tristesse. Moi aussi.

 

 

 

« «

«

 

---> Lire l'épisode 35 


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#484 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 22 septembre 2024 - 02h29

« La Première Marche »

par CyberFred

 

Épisode 35

C'est cela !...

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Kyosuke a réussi l’impossible, en réintégrant la dimension où Madoka et Hikaru se trouvent. Ayant convaincu Kenji de ses origines, il doit s’efforcer de soigner Madoka, qui a été blessée gravement lors de son affrontement avec Sayuri. Une voix nouvelle derrière lui ordonne de cesser toute action.

 

En se retournant, Kyosuke et Kenji observèrent un étrange groupe de trois femmes qui se tenait à quelques mètres d’eux. Kenji, prompt à réagir dès que quelque chose n’allait pas, écarquilla les yeux. Il reconnut la première fille, celle qui portait normalement des lunettes, mais ne les avait plus. Deux autres personnes l’accompagnaient : une jeune fille de son âge, aux cheveux longs et soyeux, avec un regard à la fois tranquille et rêveur. Mais celle qui avait ordonné de cesser toute action se tenait devant elles, imposante par sa prestance.

Une femme d’une trentaine d’années, aux cheveux courts stylés, de couleur marron clair, et aux yeux d’un violet profond, empreints d’une vivacité d’esprit, se distinguait par son allure élégante. Elle portait une jupe beige midi qui tombait jusqu’aux mollets, une fine ceinture marron soulignant sa taille, et une blouse en satin noir à pois blancs avec un col lavallière. Ses escarpins blancs accentuaient la sophistication de sa démarche.

Kyosuke resta pétrifié. Cette femme… c’était sa mère ! Akemi Kasuga se tenait là, devant lui, bien vivante ! Il avait encore en mémoire son visage, celui avec lequel il avait échangé lors de son incursion dans l’espace entre les dimensions. Pourtant, avant qu’il ne puisse prononcer un seul mot, il comprit qu’il ne devait pas l’appeler « maman ».

Kenji, lui, n’essaya même pas de masquer son agitation :

– C’est quoi ce cirque ?!… Qui sont ces femmes ?!… Comment sont-elles parvenues ici ?…

De son côté, Hikaru, encore au pied du grand container, demanda :

– Que se passe-t-il, là-haut ?…

Akemi, quant à elle, regardait Madoka, allongée au sol, sa respiration faible.

– Il ne faut pas soigner cette jeune femme avec des moyens rudimentaires, même si vous avez fait de votre mieux, dit-elle d’une voix douce.

Akemi s’agenouilla à côté de Madoka, posa ses mains au-dessus de sa jambe blessée, puis ferma les yeux. Un souffle d’énergie subtile émana d’elle, enveloppant la jeune fille aux cheveux bleu nuit d’une lumière apaisante. Peu à peu, la plaie de Madoka se referma toute seule, puis ne laissa aucune cicatrice. Et bien qu’encore endormie, elle semblait désormais paisible. Enfin, d’une pensée, Akemi dénoua le garrot qui enserrait la jambe de celle qu’elle avait guéri avec tant d’aisance.

Kenji, abasourdi, recula d’un pas.

– Qu’est-ce que… Comment est-ce possible ?!…

– Elle doit encore se reposer un peu, déclara calmement Akemi en se relevant.

La femme fixa alors Kyosuke avec un regard perçant. Elle s’avança vers lui.

– Alors, c’est toi… le Kyosuke originaire de l’autre univers ? Que devient mon fils ?… Si tu es ici, cela signifie qu’il est actuellement à ta place, n’est-ce pas ?…

Kyosuke hocha la tête.

– Comment savez-vous…

– Manami m’a tout raconté quand elle est venue me voir à la maison, reprit Akemi. J’ai dû prendre du temps pour appréhender tout ce qui est arrivé. Je devais être ici maintenant.

Son regard se porta sur les scènes de désolation situées au pied du container et au-delà.

– Il semble que bien des troubles aient eu lieu ici, poursuivit-elle. Je vais d’abord demander à mes deux filles d’évacuer tous les blessés vers l’hôpital de Yokohama, en prenant soin de ne pas attirer l’attention. Les filles, pouvez-vous vous en charger ?

– Oui, maman ! répondirent-elles en chœur.

Kurumi posa une main sur le garde imposant que Madoka avait terrassé sur le container. En un instant, il disparut dans le néant, sous les yeux ébahis de Kenji.

– Oh !… Mince de mince !… s’exclama-t-il, incrédule.

Manami sauta à pieds joints du container, en contrôlant et ralentissant sa chute à l’aide de son pouvoir télékinésique, pour finalement atterrir proche de Sayuri Hirose, toujours évanouie à terre. Elle s’agenouilla à côté d’elle, et répéta les mêmes gestes de sa sœur. Sayuri disparut également. De son côté, Kurumi se téléporta dans la pièce voisine de l’entrepôt, pour s’occuper du groupe d’acolytes de Sayuri, évanouis ou gémissant encore au sol. Lorsque l’un d’eux était éveillé, la jeune fille l’endormait immédiatement d’un doigt avant de le téléporter de force ailleurs. Manami la rejoignit pour l’aider à compléter l’opération.

Bientôt, il ne resta plus aucune personne du groupe de Sayuri dans les environs. Les deux jeunes filles revinrent, se téléportant aux côtés de leur mère. Manami en profita pour ramener Hikaru avec elle, en la téléportant tout en haut du container pour rejoindre tout le monde.

L’incroyable spectacle impressionna Kenji, témoin de pouvoirs extraordinaires déployés devant lui sous ses propres yeux.

– Merci, les filles, dit Akemi, une fois qu’elles furent revenues à ses côtés. À quel endroit de l’hôpital les avez-vous transportés ?

– Ils sont tous dans la cafétéria, inconscients, expliqua Manami. À cette heure-ci, personne ne vient manger, mais j’ai lancé un signal d’alarme dans cette pièce pour que les urgentistes puissent les découvrir.

– Parfait ! Merci encore, les filles. Nous allons pouvoir discuter tranquillement sans être dérangés.

Akemi se tourna vers Kenji, qui manifestait silencieusement un visage incrédule, suite à tout ce dont ses yeux venaient d’être témoin.

– Ce que tu viens de voir ne doit jamais être raconté, même à tes proches, lui dit-elle. Est-ce bien clair ?

Kenji déglutit.

– Ou… Oui, madame, répondit-il après hésitation.

– J’aurais pu t’hypnotiser pour que tu oublies tout cela, mais je pense que tu es capable de changer et d’œuvrer pour rendre ton monde plus paisible, surtout si tu retrouves ta petite sœur, actuellement coincée dans l’autre univers.

Kenji parut troublé, mais acquiesça.

– Oui, madame. Ma sœur est… tout pour moi.

Akemi sourit légèrement.

– À la bonne heure. On va t’aider.

Un profond changement habita Kenji. Lui qui était si dur, semblait redevenir plus social.

Hikaru, qui jusque-là avait observé le silence depuis son retour en haut du container, se tourna vers Kyosuke, visiblement inquiète :

– Et maintenant, Kasuga ?… Est-ce que nous pouvons rentrer chez nous ?… Je ne veux pas rester ici. Mais… tu disais tout à l’heure que c’était compliqué ?…

Kyosuke baissa la tête, un air sombre se lisant à présent sur son visage. Il savait que le moment était venu de parler de choses sérieuses.

– C’est compliqué, effectivement, murmura-t-il.

Kenji, toujours sur le qui-vive, s’approcha d’eux, les sourcils froncés.

– De quoi parle-t-elle, Kasuga ?… Qu’est-ce qui est compliqué ? demanda-t-il, de plus en plus inquiet.

– Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, répondit Kyosuke d’une voix lasse.

Manami, qui écoutait en silence, intervint alors avec assurance :

– Si ce sont les mots-clés dont tu as besoin pour rentrer, je les connais, lui dit-elle avec calme.

Mais Kyosuke secoua la tête.

– Ce n’est pas ça, Manami. Ce n’est pas une question de mots-clés. Le problème vient de ma sœur, Kurumi… Elle a… piégé Madoka – celle de cet univers – dans une bulle où elle la torture avec grande colère. Je ne peux pas revenir chez moi sans apporter une solution à sa crise.

– Je vous en prie… Faites quelque chose pour ma Madoka ! implora Kenji.

Intriguée, Akemi, qui avait écouté Kyosuke avec attention, posa une main apaisante sur son épaule.

– Kyosuke… Je sens que ton esprit est déjà troublé par tant de choses, dit-elle d’une voix douce. Je ne veux pas que tu ravives ces drames en les exprimant à voix haute.

Kyosuke leva des yeux fatigués vers elle, reconnaissant, mais désemparé.

– Je suis ici pour demander votre aide, lui dit-il. Voilà pourquoi je suis revenu dans ce monde.

Akemi montra un signe d’étonnement :

– « Revenu dans ce monde » ?… Ce que tu as accompli est absolument unique. Tu ignores sans doute qu’il est normalement impossible de revenir une deuxième fois dans le même univers parallèle. Pourtant, tu l’as fait.

Kyosuke fronça les sourcils, intrigué.

– Impossible, dites-vous ?… Comment ça ?…

– Je veux comprendre ce qui a motivé un voyage aussi risqué, reprit Akemi. Et pour cela, je dois explorer tes souvenirs.

Kyosuke eut un léger mouvement de recul.

– Mes souvenirs ?… Vous pouvez faire ça ?…

– Oui. Cela m’aidera à comprendre ce qu’il se passe.

– Mais mon cousin Kazuya était incapable de lire les pensées de personnes issues d’autres mondes.

– Ton cousin, bien qu’il soit télépathe, ne peut pas encore lire à son âge les pensées des voyageurs d’autres dimensions, expliqua Akemi. Son don est encore limité aux fréquences de ton monde. Mais en grandissant, il saura ajuster son pouvoir au-delà des Sphères. Ce que je peux faire.

Hikaru, qui écoutait avec attention, fronça les sourcils.

– Vous voulez dire que vous pouvez lire dans l’esprit de Kasuga ? demanda-t-elle.

Akemi acquiesça.

– Seulement voir dans ses souvenirs récents, ce qui s’est passé depuis hier. Cela nous aidera à mieux comprendre la situation. Car je pressens que sa sœur Kurumi ne souffre pas d’une simple crise de colère.

Kyosuke hésita, mais il comprenait que la situation dans son univers était critique. Il soupira et accepta.

– Très bien. Faites-le.

Akemi s’approcha alors de lui, posant délicatement sa main sur son front, en fermant les yeux. Kyosuke sentit une vague de chaleur envahir son esprit. Il ferma les yeux à son tour, se laissant aller à cette étrange sensation. Le visage d’Akemi se tendit à mesure qu’elle explorait ses souvenirs. Ses paupières tremblaient légèrement, et ses lèvres, auparavant calmes, se crispèrent. Manami et Kurumi, observant leur mère, échangèrent un regard inquiet.

– Maman… est-ce que tout va bien ? demanda Manami, s’approchant doucement.

Akemi ne répondit pas immédiatement. Après quelques secondes, elle retira brusquement sa main du front de Kyosuke, reculant d’un pas, le souffle court.

– Maman ?! s’exclamèrent Manami et Kurumi en même temps, accourant toutes les deux vers elle avec inquiétude.

Kyosuke, encore sous le choc, ouvrit les yeux pour découvrir la femme vaciller légèrement.

– Que… Que s’est-il passé ?! demanda-t-il avec appréhension.

Akemi prit une grande inspiration et fit signe à ses filles qu’elle allait bien.

– J’ai bien fait de plonger dans tes souvenirs, Kyosuke, dit-elle enfin, la voix grave.

– Maman, qu’as-tu vu ? demanda Manami, le visage marqué par l’inquiétude.

Akemi détourna le regard, visiblement troublée.

– La situation est bien pire que tu ne l’imagines…

Un silence pesant s’installa alors. Kyosuke sentit son cœur s’alourdir, tandis que Kenji observait la scène avec une certaine méfiance.

– Mais… que voulez-vous dire ?… Qu’est-ce qui est pire ? demanda Kyosuke, la voix tremblante.

Akemi ferma les yeux, comme pour rassembler ses pensées avant de répondre, puis les rouvrit, en posant son regard sur Kyosuke.

– C’est bien Kurumi, ta petite sœur. Elle est en train de subir un « dévorement conflagrateur du Pouvoir ».

– Nani ?… Un… quoi ? balbutia Kurumi, sous le choc.

Le visage d’Akemi se fit plus sombre.

– C’est une crise extrêmement rare. Nos ancêtres, bien plus érudits que nous tous dans l’art du Pouvoir, en parlaient comme d’une légende. Je pensais jusqu’ici que cela n’existait que dans les théories les plus folles. Mais Kurumi absorbe le Pouvoir à un rythme incontrôlable et effroyable. Si cela continue, elle pourrait faire effondrer les barrières qui séparent les dimensions. Kurumi est désormais proche du point de rupture.

Le sang de Kyosuke se glaça.

– Vous voulez dire que… cette crise pourrait affecter tout le Multivers ?…

Akemi acquiesça gravement.

– Dans tes souvenirs, j’ai vu que Kurumi avait réussi à ouvrir une brèche dans l’Entre-Dimensions pour tenter d’absorber ton Pouvoir. Cela prouve que son mal se propage déjà à un rythme exponentiel. Si elle parvient à ouvrir un passage complet, et qu’elle ne peut plus continuer absorber toute cette énergie… alors oui, nous serons tous confrontés à une catastrophe.

Tout le monde resta figé. Manami et Kurumi se regardèrent, bouleversées par la gravité de la situation.

– Maman… est-ce qu’on pourrait arrêter Kurumi avec nos pouvoirs ? demanda Manami, d’une voix hésitante.

– Non, surtout pas ! répliqua Akemi fermement.

En pleine confusion, Kyosuke fronça les sourcils.

– Comment ça ? Pourquoi ne pas intervenir ?! s’exclama-t-il, incrédule.

Akemi se tourna vers Kyosuke, le regard lourd de gravité.

– Kurumi est devenue bien trop puissante. Si nous intervenons directement, elle pourrait aspirer nos pouvoirs et ainsi amplifier sa crise. Nous serions alors totalement impuissants face à elle.

– Kurumi… est devenue trop puissante, maintenant ? répéta Kyosuke, abasourdi.

– Oui, et elle s’est enfermée dans une bulle, tout comme à sa naissance, continua Akemi, son ton empreint de gravité.

Kyosuke fronça les sourcils en se rappelant les mots de sa mère.

– Une bulle ?… Ma mère m’en avait parlé…

Akemi hocha lentement la tête.

– Cette bulle est une sorte de dimension de poche mais toujours dans ta dimension. Si elle venait à « exploser », elle remplacerait instantanément toutes les dimensions du Multivers. Ce serait le point zéro d’un tout nouvel univers. Et pour nous tous… la fin de tout.

Kyosuke sentit un immense frisson parcourir son échine.

– Mais… mais ma mère avait réussi à calmer Kurumi à sa naissance, avec son Pouvoir, murmura-t-il, espérant trouver une lueur d’espoir.

Akemi le regarda avec douceur.

– J’ai vu ta mère dans l’Entre-Dimensions, Kyosuke. C’était une femme d’un courage exceptionnel, dit-elle avec admiration. À la naissance de ta sœur Kurumi, elle nous a tous sauvés ce jour-là. Elle a sauvé ton univers et tous les autres ! Elle a réussi à stopper la crise de Kurumi en sacrifiant sa propre vie. Alors qu’elle était avec sa fille, j’ai vu qu’elle t’a guidé à travers le Temps, pour que tu puisses trouver ton chemin jusqu’ici et sauver celle que tu aimes. Ta mère était une femme d’une grandeur infinie.

Kyosuke serra les poings, sa voix tremblant légèrement d’émotion.

– Ma mère n’est plus… Voilà pourquoi je me tourne vers vous… pour m’aider à résoudre cette crise. Avec votre Pouvoir, avec vos connaissances…

Akemi soupira doucement avant de secouer la tête.

– Cela ne suffira pas, Kyosuke. Il faut pénétrer à l’intérieur de la bulle pour avoir une chance d’arrêter Kurumi. Mais aucun Pouvoir ne peut traverser la barrière qu’elle a érigée autour d’elle. Pire encore, tout Pouvoir situé à l’extérieur sera immédiatement absorbé par Kurumi, aggravant ainsi sa crise… La rapprochant dangereusement du point de rupture conflagrateur.

La voix tremblante d’espoir, Manami se tourna vers sa mère :

– Maman, je suis certaine que l’on peut faire quelque chose !

– J’en suis certaine aussi ! fit Kurumi à ses côtés.

La voix pleine d’incertitudes, Kyosuke ajouta :

– Ma mère a donné tout son Pouvoir à ma sœur Kurumi pour parvenir à calmer sa crise…

Akemi acquiesça doucement :

– Oui, c’est vrai. Elle a tout donné. Et c’était la bonne chose à faire. Une fois encore, ta mère a été l’héroïne qui nous a tous sauvés. Il n’y a pas de femme plus courageuse qu’elle. Sois fier d’elle, Kyosuke, et de l’héritage qu’elle a légué à ceux qu’elle aimait. Elle est restée seule dans cette clinique avec Kurumi dans ses bras, et elle a pu lui transmettre son Pouvoir directement. La présence de ta mère et du Pouvoir qu’elle possédait a permis à Kurumi d’accepter cette guérison.

– Je ne comprends pas, fit Kyosuke perplexe tout en fronçant les sourcils. Si ma mère nous a quittés après avoir guéri Kurumi, pourquoi cette dernière n’a-t-elle pas eu d’autres crises similaires dans les années qui ont suivi ? Elle a toujours eu du mal à maîtriser son Pouvoir et a déjà subi des accès de colère. Et puis, les disputes entre mes deux sœurs étaient monnaie courante. Alors… pourquoi maintenant ?

Akemi regarda le jeune homme avec une grande patience.

– Kyosuke, il faut que tu comprennes quelque chose : ta sœur Manami n’est pas simplement la jumelle de Kurumi. Elle est bien plus que cela. Manami a, sans le savoir, toujours aidé Kurumi à canaliser son Pouvoir. Leur lien est très profond. Et c’est ce lien qui a permis à Kurumi de garder le contrôle, même en l’absence de ta mère durant toutes ces années. Mais aujourd’hui, ta sœur Manami a quitté ta dimension pour une autre, puis une autre encore. En s’éloignant ainsi à travers les Sphères, le lien qu’elle entretenait avec Kurumi s’est étiolé, laissant Kurumi perdre ses moyens pour maîtriser son propre Pouvoir, canalisé pour elle jusqu’ici par sa sœur aînée.

– Je… J’en reviens pas ! s’écria Kyosuke.

Manami, visiblement inquiète, s’exclama alors :

– Mais maman, je suis la jumelle de Kurumi ! Est-ce que cela signifie qu’elle pourrait subir une crise similaire, si je m’éloignais d’elle ?

Kurumi, qui observait la scène, répliqua avec un sourire ironique :

– Oh, toi, je te vois venir !

Akemi leva la main pour les rassurer :

– Doucement, les filles !… (Se tournant vers sa fille aînée) Manami, tu as déjà quitté ta dimension pour celle de Kyosuke, et tu en es revenue. Ta sœur a-t-elle eu pour autant un début de crise ? Non. Toutes les deux n’êtes pas concernées, je vous assure. Ce problème est spécifique à la dimension où vit Kyosuke.

Ce dernier, revenant au sujet qui le préoccupait, demanda avec insistance :

– Donc, ma sœur Manami… c’est elle qui a permis de canaliser durablement ce qui avait été endormi chez Kurumi par ma mère, n’est-ce pas ?

Akemi hocha la tête.

– En effet. Tant que Manami ne s’éloignait pas de sa propre dimension, Kurumi pouvait contrôler de manière normale son propre Pouvoir, comme tous les êtres disposant du Pouvoir dans le Multivers.

Kyosuke, le regard grave, poursuivit :

– Il faut donc que le Pouvoir puisse parvenir à Kurumi sans être absorbé brutalement par elle, mais qu’il soit d’une nature à l’apaiser et non à nourrir toujours plus sa crise…

– Oui, confirma Akemi.

– Mais… dans cette bulle ? insista Kyosuke.

Akemi soupira doucement avant de répondre.

– Oui, mais cela ne suffira pas. C’est plus compliqué encore.

Kyosuke fronça les sourcils, perplexe.

– Comment ça ?…

Akemi posa un regard désolé sur lui.

– Maintenant que je comprends la situation, je sais qu’il ne suffit pas d’entrer dans la bulle pour donner simplement du Pouvoir à Kurumi. Il faut que ce soit donné par ta mère !

Kyosuke, abasourdi, s’écria :

– Mais… vous êtes… « comme » ma mère !

Akemi secoua la tête doucement.

– Je lui ressemble, oui, mais je ne suis pas ta mère, Kyosuke. Je ne suis pas non plus la mère de ta sœur Kurumi.

Le jeune homme soupira, désemparé.

– Ce n’est pas ce que je voulais dire…

Akemi lui adressa un regard compréhensif.

– Je sais ce que tu voulais dire, Kyosuke. Tu crois que si j’arrivais à entrer dans la bulle où Kurumi s’est enfermée (et ça, ce serait déjà un immense miracle), je pourrais lui transmettre mon Pouvoir, tout comme ta mère l’a fait autrefois, et que cela suffirait, n’est-ce pas ?

– Oui, exactement.

Mais une fois encore, Akemi secoua la tête tristement.

– Non, ce ne sera pas suffisant.

– Même avec une quantité supérieure de Pouvoir ? demanda Kyosuke, l’espoir vacillant peu à peu.

– Non plus. Puisque ta mère n’est plus là, il faut maintenant que ce soit Manami, ta sœur, et non moi, qui fasse cela. Elle seule est désormais capable d’offrir le Pouvoir à Kurumi pour l’apaiser.

Kyosuke se montra désemparé :

– Mais… Manami a complètement disparu ! On ne sait absolument pas où elle est ! Il existe une infinité de dimensions dans le Multivers ! Il est impossible de la retrouver avant que Kurumi n’atteigne le point de rupture !

Akemi soupira profondément.

– Tu as raison, répondit-elle avec gravité. Et imaginons qu’elle parvenait à revenir chez elle, ignorant en plus ce qui se passe dans ton univers, son Pouvoir serait instantanément absorbé par Kurumi. Ce serait une catastrophe.

Kyosuke, luttant pour trouver une solution, releva soudain la tête.

– Et si c’était moi qui prenais la place de Manami ? Je suis son frère, après tout ! Je pourrais transmettre mon Pouvoir à ma sœur !

Akemi secoua la tête avec regret.

– Je suis désolée, Kyosuke. Ni toi, ni tes cousins, ni même ta tante ou tes grands-parents ne pourraient faire cela. Il faut que ce soit sa sœur jumelle, née le même jour qu’elle… Ou ta mère… Or, toutes les deux sont… hors de portée.

Kyosuke se passa une main dans les cheveux, désespéré.

– C’est… c’est insoluble ! murmura-t-il, la voix tremblante.

Akemi acquiesça tristement :

– La situation est désespérée… La bulle dans laquelle Kurumi s’est enfermée est à présent inexpugnable. Même si ta sœur Manami revenait maintenant dans ton univers, elle ne pourrait plus franchir cette barrière… Même son lien qu’elle entretenait depuis toujours avec Kurumi pour canaliser son Pouvoir ne pourrait plus avoir d’effet sur elle, du fait de cette barrière.

– Maman, je suis certaine qu’on peut faire quelque chose ! insista Manami, pleine d’espoir.

– Oui, je veux retrouver ma petite sœur Hikaru ! ajouta Kenji avec ferveur.

Kyosuke, désemparé, se prit la tête entre les mains en marmonnant :

– Mais pourquoi une telle malédiction s’est-elle abattue sur Kurumi ? Pourquoi elle ?…

Akemi le regarda avec compassion.

– Nous n’avons pas toutes les réponses, exprima-t-elle. Le Pouvoir est une force redoutable qui ne connaît ni Bien, ni Mal. Nous avons la chance d’en être dotés, mais tous ne sont pas capables de le maîtriser aisément. Kurumi est née dans ton monde avec la capacité de régénérer en elle le Pouvoir, comme tous ceux disposant du Pouvoir. Sauf qu’elle n’a pas de « mécanisme de sécurité ».

– De mécanisme de sécurité ?

– Je ne connais pas vraiment le mot car c’est inné. Ici, tous les membres de la famille Kasuga possèdent en eux ce mécanisme qui empêche une absorption excessive du Pouvoir. C’est inscrit en chacun. Mais dans le cas de Kurumi, étonnement, ce mécanisme n’existe pas en elle. En revanche, il est présent pour elle à travers Manami, sa sœur jumelle. Elle en possède deux !

Kyosuke écarquilla les yeux.

– Deux mécanismes ? C’est incroyable…

Akemi acquiesça.

– Oui, c’est ce qui a permis de maintenir l’équilibre de Kurumi jusqu’à maintenant. Mais nous devons non seulement résoudre cette crise, mais aussi anticiper pour que cela ne se reproduise plus jamais.

Kyosuke réfléchit un instant avant de répondre :

– Vous avez raison. Maintenant que je sais ce qui se passe avec Kurumi, nous devrons être plus vigilants à l’avenir.

Akemi posa un regard grave sur Kyosuke.

– D’autant plus que si tu quittes cette présente dimension, nous ne pourrons plus jamais nous revoir. Tu as eu une chance incroyable de revenir ici pour Madoka, mais il n’y aura pas de troisième opportunité. Si ta sœur Kurumi devait faire face à une nouvelle crise à l’avenir, nous serions incapables de vous aider. Il ne te restera que ta sœur Manami.

Kyosuke hocha la tête, pensif.

– Mais pour l’instant, il faut arrêter ce qui arrive à Kurumi, dit-il, résolu.

Akemi acquiesça silencieusement, puis s’éloigna de quelques pas, se plongeant dans une réflexion intense. Elle envisagea toutes les solutions possibles, mais aucune ne semblait satisfaisante. La situation était vraiment désespérée.

De son côté, Kyosuke observait cette femme qui ressemblait tant à sa mère. À quoi pensait-elle ?… Était-ce réellement la fin de tout ?… Comment une simple bulle de pouvoir isolée formée par Kurumi pouvait-elle menacer toute l’existence ?… C’était inconcevable, et pourtant… Akemi semblait si préoccupée. Manami et Kurumi la rejoignirent et elles discutèrent ensemble à voix basse. Kyosuke ne put entendre ce qu’elles se disaient.

C’est alors qu’Hikaru s’approcha de lui.

– Kasuga… tu crois vraiment à tout ce que cette femme vient de dire ? demanda-t-elle.

– Oui, Hikaru… Je crois que tout est possible.

Hikaru se mordit la lèvre, inquiète.

– Mais… comment faire pour rentrer maintenant ? Sommes-nous condamnés à rester ici ?…

Kyosuke la regarda un moment, avant de soupirer.

– Même ici, nous ne serions pas à l’abri. Ce que traverse ma petite sœur est bien pire que tout ce que je pouvais imaginer. Mais une chose est sûre…

Hikaru le fixa, anxieuse.

– Laquelle ?…

Kyosuke sourit faiblement.

– Si nous sommes encore là, en train de parler, c’est que Kurumi n’a pas encore atteint le point de rupture.

Hikaru esquissa un sourire en retour.

– Voilà une remarque rassurante… Mais tout ça est devenu tellement insensé. C’était si simple, autrefois…

Kyosuke fronça les sourcils, curieux.

– De quoi parles-tu ?

Hikaru eut un regard nostalgique en levant la tête pour regarder symboliquement le ciel.

– Je parle de l’époque où tu nous cachais l’existence de tes dons. Tes maladresses, tes excuses étranges, tes disparitions inexplicables… Tout ça, c’était à cause du Pouvoir, non ?… Avec le recul, je me rends compte que cela ne t’a pas aidé à conquérir Madoka.

Kyosuke sursauta.

– Conquérir ?…

Hikaru sourit doucement.

– J’exagère un peu. Mais je suis heureuse que tu n’aies pas utilisé ton Pouvoir pour forcer le Destin.

Kyosuke baissa alors les yeux, songeur.

– Ayukawa et moi…

– Oui, je sais… Madoka savait déjà ce qu’il en était pour elle-même, répondit Hikaru avec tendresse. Il n’y avait pas de Pouvoir entre vous, seulement l’amour. Il n’y avait que vous deux.

Kyosuke la regarda, touché par ses mots.

– Hikaru…

La jeune fille au regard azur sourit tristement et ajouta :

– Tu sais… j’ai maintenant un peu peur que ce soit notre dernier jour. Je n’avais jamais imaginé que le Pouvoir, cette énergie si spéciale, deviendrait une menace pour nous tous.

– Le Pouvoir n’est pas une malédiction, fit Kyosuke en secouant la tête.

Hikaru haussa légèrement les épaules et reprit :

– Kasuga, je voulais juste te dire… Il n’y a pas de problème entre nous. Il y a eu des souvenirs heureux qui nous ont rapprochés, des moments tristes qui nous ont éloignés, et un jour où nous nous sommes retrouvés. C’est cela que je retiens, maintenant. Même si nous ne devions pas voir l’aube après cette nuit, je veux garder cela en mémoire avec bienveillance.

Kyosuke la regarda en silence. Hikaru semblait transformée, comme si la prise de conscience de ce danger omniprésent et universel l’avait rendue plus sereine et plus réfléchie. Son sourire doux cachait une sagesse nouvelle, comme si en trouvant refuge dans un passé nostalgique et amer à la fois, elle pouvait enfin lâcher prise sur tout un poids qui pesait sur ses épaules.

– Tu sais, Kasuga, j’ai déjà vu une manifestation de ton Pouvoir, une fois…

Kyosuke, surpris, arqua un sourcil.

– Hein ?… De quoi tu parles ?…

– Le panier que tu as réussi à marquer de très loin, lors de ta première semaine à Koryô Gakuen… Je l’ai vu.

Hikaru lui fit un clin d’œil complice, tandis que Kyosuke écarquillait les yeux.

– Quoi ?!… Tu as vu ça ?… Je croyais que j’étais seul…

Hikaru tourna la tête en regardant droit devant elle, vers le fond du hangar.

– Oui, je l’ai vu. Et je me rends compte maintenant que c’est ton Pouvoir qui m’a fascinée au tout début. Bien sûr, tu étais déjà un garçon gentil, mais ce que tu as accompli ce jour-là m’a vraiment intriguée. Tu as accompli ce panier à l’abri des regards, sans jamais te servir de ton don pour obtenir ce que tu voulais devant un public. J’ai vu quelque chose que je n’aurais pas dû voir, et c’est ce qui m’a plongée dans cet émerveillement… qui n’a plus cessé ensuite…

Elle marqua une pause, de peur au passage que Kyosuke n’imagine des choses, avant de reprendre, pensive :

– Je veux dire que je n’ai pu me détacher de toi, parce que je suis tombée amoureuse. Mais tu dois savoir que Madoka, aussi exceptionnelle qu’elle est…. (Son esprit fut alors envahie par des images épiques)… Si tu l’avais vue combattre tout à l’heure pour me sauver… Madoka, est exceptionnelle. Elle mérite vraiment quelqu’un d’exceptionnel. Non pas parce qu’il est doté du Pouvoir… Mais parce qu’il est celui qui est resté toujours droit dans ses sentiments jusqu’au bout. Tu n’as pas failli, Kasuga. Malgré toutes les situations complètement folles que nous avons vécues autrefois, tu n’as jamais failli envers celle que je considère toujours comme ma grande sœur. Il était normal que…

Kyosuke sourit à ces mots. Il sentit aussi un poids se libérer en lui.

– Hikaru, je comprends à quel point Ayukawa est exceptionnelle et combien elle compte pour toi. Ce que tu dis sur elle et sur moi me touche énormément. Mais sache que tu n’as rien à te reprocher à toi-même. Tu n’as en rien démérité un bonheur qui t’attend quelque part. Nous serons toujours là, Ayukawa et moi, pour te soutenir.

Hikaru sourit tendrement, intégrant en elle les mots tout aussi tendres que venait de lui prononcer Kyosuke.

– Je me demande souvent comment les choses auraient été pour moi si je n’avais jamais vu ce panier… lâcha-t-elle alors, comme pour détendre l’atmosphère.

Kyosuke sourit.

– C’est tout un monde parallèle à explorer, peut-être. Il y a tout une myriade de possibilités, comme tu as pu le découvrir ici.

Hikaru acquiesça doucement.

– Oui… Ici, c’est un monde où toi et moi sommes ensemble. Tu te rends compte ?

Kyosuke la regarda tendrement.

– Je te rassure, Hikaru : ce qui s’est passé ici n’a rien à voir avec un panier. Cela démontre encore que le champ des possibles est infini. Il existe sûrement des tas de mondes où un autre « toi » est avec quelqu’un d’autre…

Hikaru eut un petit rire.

– Quand je pense à tous ces univers où nous sommes ensemble… Je me demande comment ils ont fait pour gérer leur couple ! Ha ! Ha ! Ha !…

Kyosuke rit à son tour.

– Au fait, Hikaru, je me souviens que Yusaku et Shinichi Harada s’intéressaient tous les deux à toi…

Hikaru éclata encore de rire.

– Mais tu plaisantes, Kasuga ! Tu me voyais vraiment avec l’un ou l’autre de ces deux-là ?

Kyosuke sourit à cette évocation. Mais il dût admettre quelque part qu’elle avait bien raison.

– Mais tu as eu des nouvelles d’eux, récemment ?

Hikaru hocha la tête.

– Harada a déménagé dans une autre préfecture. Là-bas, il a fini par trouver une copine. Il m’écrit moins souvent… preuve sans doute que tout va bien pour lui et elle…

– Et Yusaku ?…

Hikaru soupira légèrement.

– Il est toujours au lycée Koryô. Mais il s’ennuie depuis que j’ai déménagé à Otaru avec mes parents. Je lui ai dit de faire quelque chose de sa vie. Oui, je sais qu’il avait de grands espoirs avec moi. Mais je n’ai jamais souhaité construire ma vie avec lui. Il a toujours été comme le petit frère parfois turbulent… que je n’ai jamais eu.

– J’ai tout entendu ! fit Kenji de loin les bras croisés.

Hikaru lui tira la langue pour se moquer de lui.

Soudain, un soupir émergea des lèvres de Madoka, brisant ce rare moment détendu. La jeune femme aux cheveux de jais se réveillait lentement du long sommeil provoqué par le dard anesthésiant.

– C’est Ayukawa ! s’exclama Kyosuke. Elle revient à elle !

– Madoka ! Enfin ! s’écria Hikaru l’âme joyeuse.

Madoka ouvrit les yeux, cherchant à percer le brouillard qui se distillait à travers son esprit engourdi. Son regard légèrement troublé se posa sur des visages familiers qui l’entouraient. Elle jeta alors un œil inquiet à sa jambe blessée… Elle était totalement guérie, comme si rien ne s’était passé. Un frisson d’incertitude la traversa un moment. Était-ce là un rêve ou la réalité ?… Mais en voyant clairement Hikaru et Kyosuke s’approcher d’elle, sa conscience se reconnecta au monde (ou plutôt, au monde parallèle) qui l’entourait.

– Madoka ! Je suis si heureuse que tu ailles bien ! s’exclama Hikaru la première, l’enlaçant avec force.

La jeune fille aux cheveux dorés éprouvait le besoin de célébrer une amitié retrouvée, après tant d’éloignement et d’incertitudes.

– Hikaru… Tu es saine et sauve… émit Madoka encore faiblement, un sourire doux illuminant petit à petit son visage. C’est tout ce qui compte.

– Tu as été incroyable tout à l’heure ! clama Hikaru d’un ton presque larmoyant. Mais quelle frayeur tu m’as causée ! Ne recommence plus jamais cela !

Madoka lui rendit son sourire, ses yeux brillants d’une lueur sincère.

Hikaru relâcha son étreinte pour laisser place à Kyosuke, qui s’était approché. Le visage du jeune homme était marqué par une hésitation palpable.

– Ayukawa, je… Je ne sais comment…

Une pensée le traversa : était-il convenable de s’exprimer ainsi en présence d’Hikaru ?…

– Allez, Kasuga, aide Madoka à se relever ! incita Hikaru avec douceur.

– Oui, laisse-moi t’aider, Ayukawa. Est-ce que tu peux marcher ?

– Ma blessure… fit-elle. Elle a disparu… Je ne comprends pas…

Il sourit.

– Oui, c’est un petit miracle de la part des membres de la famille Kasuga.

Kyosuke prit délicatement la main de Madoka et utilisa son autre bras pour soutenir son dos, l’aidant à se redresser lentement.

– Est-ce que ça va, Ayukawa ? demanda-t-il, son regard empreint d’inquiétude.

– Je n’ai plus de douleur, observa la jeune femme. C’est comme si je n’avais jamais été blessée. J’avais une telle douleur avant…

– Regarde…

Kyosuke lui désigna Manami, Kurumi et Akemi Kasuga, qui se tenaient là, des silhouettes familières, mais étranges.

Madoka éprouva une surprise mêlée de compréhension en découvrant ou en redécouvrant ces visages de la famille de Kyosuke, mais appartenant à un univers parallèle. Manami portait les mêmes vêtements que tout à l’heure, tandis que Kurumi affichait un regard rêveur, bien plus sérieux que son alter ego. Une différence frappante. Cependant, la femme qui les accompagnait toutes deux éveilla en elle une stupéfaction sans précédent.

– Mais, c’est… ! commença-t-elle par dire.

– C’est ma mère dans cet univers, expliqua Kyosuke. Elle est vivante. C’est elle qui t’a soignée tout à l’heure, pendant ton sommeil. Elle possède des dons de guérison… Entre autres.

Hésitant tout d’abord, Madoka avança alors vers Akemi, son cœur débordant de gratitude.

– Madame Kasuga, je vous remercie infiniment pour ce que vous avez fait pour moi. Enchantée, je suis Madoka Ayukawa.

Elle s’inclina en signe de respect.

Akemi contempla cette jeune femme au regard émeraude qui était celle pour qui Kyosuke avait défié toutes les lois du voyage interdimensionnel.

– Madoka, tu as agi avec bravoure pour défendre la justice ici, répondit Akemi, sa voix empreinte de respect. Tu as pris des risques considérables pour sauver ceux que tu chéris.

– Je n’ai pas peur pour moi, mais pour les autres…

– C’est tout à ton honneur. Mais sache, Madoka, que je me dois de t’expliquer ce qui arrive à présent dans ton monde.

Madoka se figea.

– Comment ?…

– Ayukawa, nous allons t’expliquer, ajouta Kyosuke, prêt à la soutenir au moindre signe de faiblesse.

– Oui, Madoka, confirma Akemi. Dans ton monde, Kurumi, la sœur de Kyosuke ici présent, a déclenché une crise sans précédent qui pourrait…

Madoka eut du mal à entendre la suite. Est-ce le coup de l’émotion ?… Toujours est-il qu’un vertige la saisit soudain. Elle faillit perdre l’équilibre, avant que Kyosuke ne la retienne avec précaution.

– Ayukawa !…

– Madoka ! s’écria Hikaru, surprise.

Kyosuke, d’un bras protecteur, maintint la jeune femme sur ses pieds.

– Est-ce que ça va, Ayukawa ?… As.. as-tu besoin de t’asseoir un moment ?

Madoka retrouva rapidement ses appuis, bien que le malaise d’un instant ait laissé son empreinte dans les esprits.

– Non, merci, Kasuga. Je vais bien maintenant. Ne t’inquiète pas.

– Mais que t’est-il arrivé, Madoka ? demanda Hikaru, curieuse et inquiète.

– Je pense que tu manques de vitamines, Ayukawa, tenta Kyosuke pour détendre l’atmosphère.

Témoin de la scène, Akemi fut soudain traversée par une pensée funeste qui lui fait regarder vers le ciel. Si Madoka avait ressenti ce malaise soudain, c’était que la situation dans son propre monde prenait une tournure bien plus inquiétante. Akemi comprit alors avec effroi que la souffrance de l’alter ego de Madoka, prisonnière de Kurumi dans son monde, commençait à se répandre à travers tous les doubles de Madoka dans le Multivers ! Une catastrophe imminente ! Même si Madoka ici présente venait de guérir complètement de sa blessure à la jambe, une menace bien plus terrifiante était sur le point de fondre sur elle. Akemi choisit de taire cette révélation pour éviter de semer davantage de confusion et de panique. Il fallait agir… maintenant et vite !

Tournant à nouveau la tête vers Madoka, Akemi haussa soudainement les sourcils, un étonnement palpable illuminant son visage. Après le malaise de Madoka dont elle fut témoin, elle venait à l’instant de voir quelque chose d’inattendu.

– Attendez ! s’écria-t-elle brusquement.

Tous se tournèrent vers elle, intrigués par son expression soudainement frappée de surprise, juste après le petit malaise de Madoka.

– Par nos ancêtres ! s’écria encore Akemi, n’en croyant pas ses propres yeux. Est-ce possible ?…

Stupéfait, Kyosuke observa celle qui ressemblait à sa mère. Il ne l’avait jamais vue aussi déconcertée. Même Manami et Kurumi semblaient découvrir leur mère sous un jour nouveau.

– Maman ?…

– Mais enfin, madame Kasuga, que se passe-t-il ? s’étonna Hikaru, perplexe.

– C’est cela ! s’écria Akemi, ne prêtant aucune attention à la question. C’est cela !...

Elle ferma les yeux et inspira profondément, comme si une prière ou une illumination venait de lui être révélée.

Silencieusement, tous les autres restèrent figés sur le container, spectateurs d’un moment inattendu qui dépassait toute compréhension…

 

 

 

« «

«

 

-> Lire le chapitre 36 


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#485 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 13 octobre 2024 - 23h58

« La Première Marche »

par CyberFred

 

Épisode 36

La Première Marche

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Manami se retrouve dans un lieu étrange où se produit une rencontre inattendue. Comment va-t-elle réagir ?…

 

Manami n’avait jamais vu pareille créature. À première vue, elle crut distinguer un chat dressé sur ses pattes arrière, mais en s’approchant, elle remarqua des détails à la fois étranges et fascinants. L’être étrange, de la taille d’un grand chat domestique, arborait un pelage orange intense. Vêtu d’une chemise hawaïenne verte parsemée de motifs floraux rappelant les écailles d’une tortue, il portait également un petit bermuda bleu. Ses pattes arrière étaient chaussées de tongs, ajoutant une touche insolite à son allure. Ce qui frappait le plus, c’était le sommet de sa tête : plat, avec une cavité remplie d’eau cristalline. Ses immenses yeux ambrés, grands ouverts, évoquaient ceux d’un chat prêt à jouer un tour. Une large bouche souriante, encadrée de longues moustaches, contrastait avec ses oreilles pointues, complétant un visage fascinant et déroutant. L’étrange créature fixait silencieusement Manami.

Le chat dans les bras de la jeune fille se tortilla légèrement, mais ne sembla nullement effrayé. Au contraire, il paraissait tout aussi intrigué. Que se passait-il dans l’esprit de Manami ?… Jamais elle n’avait rencontré un tel être.

– Que… qu’est-ce que vous êtes ? murmura-t-elle enfin, les yeux écarquillés. Suis-je en train de rêver ?…

– Non point, répondit la créature, lui adressant un petit signe de sa patte avant.

Manami sursauta. Voir un animal, vêtu comme un humain, parler et se comporter de manière si familière, avait de quoi déstabiliser. Par inadvertance, elle relâcha le chat qu’elle tenait dans ses bras. Celui-ci atterrit souplement sur ses quatre pattes, reniflant dans la direction de la mystérieuse créature. À sa grande surprise, celle-ci demeura figée, comme tétanisée, alors que le chat s’approchait doucement. Ce dernier la fixait avec un regard étrange, puis miaula. La créature laissa échapper un cri de stupeur :

– Mais ?!…

Manami observait la scène avec perplexité : un grand chat étrange, debout sur ses deux pattes arrière, effrayé par un chat ordinaire bien plus petit que lui ?… Voilà une situation des plus inattendues.

– Peux-tu… Pourrais-tu rappeler ton chat, s’il te plaît ? balbutia-t-il nerveusement.

– Un chat te fait peur ?…

– Eh bien… mes cousins éloignés viennent souvent à moi lorsqu’ils ont soif, répondit la créature, visiblement embarrassée. Ils essaient de boire l’eau que je porte sur ma tête.

– Vraiment ?… Mais qu’es-tu au juste ? demanda la jeune fille en récupérant dans ses bras son animal adoptif.

– Un kappa neko. Comme tu peux le voir, je suis à la fois chat et kappa.

Manami fronça les sourcils, perplexe.

– Un kappa neko ou un neko kappa ? risqua-t-elle.

– Un kappa neko. Mais je suis plus chat que kappa. Batman est techniquement plus humain que chauve-souris !

– Tu es un être hybride ?… Mais qu’est-ce qu’un kappa ? Il me semble avoir déjà entendu ce nom…

– Bien sûr, acquiesça la créature. Cela fait partie du folklore de ton pays, le Japon. Les kappas sont des esprits aquatiques qui portent leur pouvoir sur leur tête. (Il désigna l’eau qui remplissait la cavité au sommet de son crâne.) Comme tu le vois, c’est cette eau qui…

Il s’interrompit en voyant Manami reculer avec une méfiance soudaine.

– Attends… tu es un yōkai ? [Esprit ou démon, NDLR] s’écria-t-elle, la voix tremblante.

De concert, son chat dans ses bras émit un feulement menaçant en direction de la créature.

– Non !… Attends, Manami ! Je ne suis pas ce que tu crois !…

La créature joignit les mains en un geste de prière, cherchant à apaiser la jeune fille.

– Es-tu dangereux ? insista-t-elle, toujours sur ses gardes.

– Pas du tout ! Je suis même tout le contraire des kappas non hybrides, qui sont… disons… imprévisibles. Mais comment pourrais-je te convaincre ?… Je suis au-dessus de tout cela.

– Que veux-tu dire ?…

– Je ne suis pas dangereux. Au contraire, je sers l’humanité.

– Je ne comprends pas, fit Manami avec scepticisme. Comment un être comme toi peut-il aider les humains ?

La jeune fille jeta un coup d’œil autour d’elle, troublée par l’étrangeté du lieu. Tant de questions lui venaient en tête en même temps.

– Où sommes-nous ? demanda-t-elle soudain. Quelle est cette dimension ?

Elle reporta son regard sur la créature, les sourcils froncés. Le kappa neko, nerveux, laissa échapper quelques gouttes d’eau sur sa joue velue.

– Manami, je sais que tu possèdes le Pouvoir, dit-il calmement. Et je dois avouer que tu aurais l’avantage si tu l’utilisais contre moi.

Surprise par cette franchise, la jeune fille décelait néanmoins une sincérité troublante chez la créature.

– Est-ce toi qui m’as amenée ici ? interrogea-t-elle.

– Euh… Oui et non… Disons cela comme ça…

– Je n’y comprends rien ! Tu vas tout m’expliquer ! s’écria-t-elle, la voix montant d’un cran.

– Bien sûr ! Bien sûr !… C’est précisément pour cela que tu te trouves ici, dans mon domaine !

Les yeux de Manami s’étonnèrent :

– Ton domaine ?… Je ne vois qu’un lieu plongé dans un blanc absolu, du sol jusqu’au ciel. Si tant est qu’on puisse appeler ça un ciel…

– Tes yeux et tes sens sont incapables de percevoir un espace qui échappe à ta compréhension humaine, répondit le kappa neko avec calme. Je ne mens jamais aux humains. Je suis à leur service.

– Tu parles par énigmes ! rétorqua Manami. As-tu au moins un nom ?

– C’est plus compliqué que ça…

Manami commençait à grincer des dents.

– Encore des énigmes ! (elle tourna le dos au kappa neko cherchant une sortie) Je perds mon temps dans cette dimension ! Fais-moi rentrer chez moi !

Effrayée, la créature écarquilla les yeux. Désespérée, elle se laissa tomber à genoux, inclinant la tête jusqu’à frôler le sol, risquant de laisser s’échapper un peu de son eau précieuse, en s’écriant :

– Je t’en supplie, Manami ! Reste encore un peu ! Je m’en remets à ta bienveillance et à ta compréhension. Il est crucial que tu restes ici quelque temps.

Se retournant, la jeune fille n’en crut pas ses yeux. Cette marque de soumission absolue, presque archaïque, la stupéfia. Lentement, elle s’approcha du kappa neko.

– Ma présence est-elle vraiment si nécessaire ? murmura-t-elle d’une voix plus posée. Après tout ce que j’ai traversé, tous ces voyages interdimensionnels…

Le kappa neko releva la tête sans quitter sa position agenouillée.

– Tu dois comprendre, Manami, que beaucoup de choses dépendent de toi. De toi seule…

– Tu crois vraiment que je vais te croire ? Tu dis ça uniquement pour me retenir ici, par désespoir. Que signifie tout ça, au juste ?

Acculée, la créature n’eut d’autre choix que de répondre :

– Je dis la vérité ! Regarde-moi, je t’en supplie ! Si je penche la tête plus bas encore, toute l’eau de ma cavité crânienne pourrait s’écouler ! Si cela arrive, je tomberai dans le coma ! Je serai à ta merci !

Manami fixa la créature avec une attention nouvelle. Derrière cette apparence étrange, elle percevait soudain une fragilité presque humaine. Elle recula légèrement pour ne pas paraître menaçante.

– Je suis désolée, souffla-t-elle. Je suis à bout de forces… Et dans ce cas, je peux m’emporter facilement. (Elle soupira) Tous ces voyages… (Puis, regardant la créature) D’accord, relève-toi, je vais rester un peu, en attendant qu’une nouvelle porte interdimensionnelle s’ouvre pour moi.

Le kappa neko esquissa un sourire en se redressant.

– Merci, Manami. Je te promets de tout t’expliquer. Mais avant cela, tu dois avoir soif et peut-être un peu faim ?…

– Si tu as un verre de jus d’orange, je ne dirais pas non. Et de l’eau et de la nourriture pour mon chat.

– Aucun problème, répondit le kappa neko.

Il tourna son regard vers un point situé à droite de Manami. En un instant, du néant, surgirent une chaise et une table élégamment dressée, ornée d’une nappe blanche, de verres et de pichets de jus d’orange fraîchement pressé, accompagnée d’un plateau de biscuits délicats. Au sol, deux gamelles : une remplie d’eau et l’autre contenant des croquettes pour chat.

– Comment fais-tu ça ? murmura Manami, stupéfaite. Tu possèdes le Pouvoir ?…

– Non point, répondit doucement le kappa neko. Je suis simplement maître de ce domaine. Mais ne t’en fais pas pour cela. Mange, repose-toi un peu, et ensuite, nous parlerons tranquillement.

Manami reposa son chat au sol et le laissa aller vers les gamelles. Puis, elle se laissa tomber sur la chaise. Elle saisit l’un des pichets et se servit un verre de jus d’orange qu’elle but lentement, savourant chaque gorgée. Tout en grignotant quelques biscuits, ses pensées vagabondèrent. Elle repensa à sa famille qui devait très certainement s’inquiéter pour elle. Elle pria pour que tout se passe bien dans son monde. Elle songea aussi à Kazuya, qu’elle avait rencontré au sommet des marches du parc de Takaoka. Il avait été la seule personne à échanger avec elle au cours de ses périples. Son chat, quant à lui, s’abreuvait avec reconnaissance. La pauvre bête en avait bien besoin. Manami pria pour que son odyssée touche bientôt à sa fin. Et dire que tout cela dépendait désormais de ce kappa neko énigmatique, seul maître de cet étrange lieu immaculé.

– Pourquoi habiter dans un endroit aussi vide et sans couleur ? demanda la jeune fille, en se servant à nouveau de jus d’orange.

– Ne t’inquiète pas pour cela, répondit le kappa neko avec un large sourire. Cet espace doit d’abord rester épuré, pour que tout ce qui s’y manifestera ait une vraie raison d’être à tes yeux. Mais bientôt, tu verras : le décor se remplira.

Perplexe, Manami fronça les sourcils. Qu’est-ce que cette créature voulait dire ?… Elle finit de boire son verre, puis le déposa sur la table, ainsi qu’un demi-biscuit inachevé, avant de fixer le kappa neko.

– C’est bon, décida-t-elle. Je vais laisser mon chat terminer son repas tout seul. A présent, nous devons parler.

– Tout à fait, approuva la créature. Viens par ici, je vais te montrer des images, tout en t’expliquant.

Manami s’avança, abandonnant son chat à sa gamelle. Le kappa neko leva une patte velue, pointant un espace situé devant eux. Soudain, une petite sphère tournoyante et palpitante, d’une trentaine de centimètres de diamètre, apparut dans les airs. À l’intérieur, il y avait une infinité de petits points lumineux palpitants se mouvant comme s’ils étaient tous plongés dans un liquide invisible.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Manami, surprise.

– C’est une représentation simplifiée du Multivers où tu vis, répondit la créature. Regarde bien : c’est une structure vaste, composée d’univers parallèles, chacun isolé des autres, coexistant côte à côte sans jamais s’entrelacer. Comme tu as pu le comprendre, ton propre univers fait partie intégrante de cet ensemble.

– Oui, j’avais saisi cela, acquiesça Manami.

– Pour passer d’un univers à l’autre, comme tu l’as fait à de nombreuses reprises, il faut traverser un espace transitoire particulier appelé « Entre-Monde ». Tous ces univers que tu vois ici sous forme de petits points à l’intérieur de cette sphère, baignent dans cet Entre-Monde.

– Étrange, je n’ai jamais remarqué cela durant mes voyages. Comment sais-tu tout cela ?

– C’est mon rôle de tout savoir, dit le kappa neko avec un sourire énigmatique.

– Sommes-nous ici dans cet Entre-Monde ? demanda Manami.

– Non point, répondit la créature. L’Entre-Monde est bien plus chaotique et déstabilisant que cet endroit-ci. Mais laisse-moi continuer, c’est important pour la suite.

À côté de la première sphère, le kappa neko en fit apparaître une autre, semblable, mais distincte.

– Et ça ? demanda Manami.

– Un autre Multivers.

Les yeux de Manami s’écarquillèrent.

– Mais je pensais que le Multivers était tout ce qui est !

– C’est ce qu’on croit souvent. Mais l’Omnivers contient deux Multivers, expliqua-t-il. Le tien, celui où le Pouvoir existe, et cet autre, que je viens de faire apparaître, où le Pouvoir est absent.

– Mais qu’est-ce qui existe alors dans ce deuxième Multivers ?…

– Rien, répondit le kappa neko calmement. Là-bas, aucun être ne possède le Pouvoir. Pourtant, tout comme chez toi, les gens aspirent à en avoir. Dans ton Multivers, le Pouvoir circule à travers cet espace commun dans lequel baignent tous les univers : l’Entre-Monde. C’est ainsi que la stabilité de ce Multivers est assurée. Mais dans l’autre Multivers, rien de tel n’existe dans l’Entre-Monde.

– Comment cet autre Multivers peut-il alors se maintenir ? questionna la jeune fille. Les deux sphères semblent pourtant identiques, en apparence.

– Tu touches à un point essentiel, répondit le kappa neko. Et je vais bientôt y répondre. Je complète ici…

D’un nouveau geste, il pointa l’espace entre les deux grandes sphères. Une petite sphère toute blanche, d’environ trois centimètres, apparut alors à égale distance des deux grandes.

– Et cette petite sphère ? demanda Manami intriguée.

– C’est ici que nous nous trouvons, révéla le kappa neko.

– Entre les deux Multivers ?…

– Exactement. Tu es dans « l’Exostral ».

– L’Exostral ?…

– Oui, l’Exostral, répéta la créature avec gravité. C’est la seule dimension qui relie les deux Multivers. C’est un espace immatériel dépourvu de matière, et qui ne se divise pas lui-même en dimensions parallèles. Il n’y a qu’une seule et unique dimension ici.

– Pourquoi un tel système existe-t-il ? s’interrogea la jeune fille.

– L’Omnivers « visible » se compose de deux Multivers distincts. Entre eux, se trouve l’Exostral. Manami, je ne veux pas t’embrouiller sur le pourquoi du comment de tout ceci. Je me contente de te résumer l’essentiel sur la cosmogonie de l’Omnivers dans lequel tu vis.

– Et l’Au-delà ?… Où sont les esprits des défunts ?…

Le kappa neko éclata de rire.

– Ce n’est pas le sujet ici ! Je ne te parle que des mondes des vivants.

– Et toi, alors ? s’enquit Manami. Qui es-tu dans tout ça ? Pourquoi es-tu là ? Et pourquoi suis-je ici ?…

– Que de questions… mais c’est normal. Commençons par mon rôle.

– Oui, il serait temps !

– Tu me vois comme un kappa neko, mais je suis en fait l’image souhaitée par quelqu’un.

– Hein ?… Comment ça ?…

– Comme je te l’ai déjà dit, Manami : l’Exostral est intangible. Tout ce qui s’y trouve l’est aussi.

– Mais moi je suis bien tangible ! J’ai même bu et mangé à cette table qui est là-bas !

La jeune fille la désigna du doigt.

– Oui, je le sais. Pourtant, ici, tu es dans un monde spirituel. Tu es bien présente, mais tu ne réalises pas que tu es intangible.

– Quoi ?! s’écria Manami effrayée. Je suis morte ? Je suis un fantôme ?!…

– Pas du tout ! répondit le kappa neko avec un sourire. L’Exostral n’est pas un endroit où la matière, propre aux Multivers physiques, peut se maintenir. Dès que la matière entre ici, elle est transmutée en une substance intangible, ou spirituelle, si tu préfères, le temps de son passage. Ne t’inquiète pas, tu conserves bien ta mémoire, ton Pouvoir… et même ta faim, comme si tu étais encore sous forme matérielle.

– Pfff !… À quoi bon manger ou boire alors ?

– Rassure-toi, Manami, les vitamines intangibles du jus d’orange que tu as bu agissent bien sur ton corps intangible. Regarde ton chat : il mange et boit comme si de rien n’était, sans percevoir la différence entre la matière tangible et intangible. Et pourtant, les chats ont une sensibilité située bien au-delà de celle des humains. Même ici, tu ressens tout comme si tu étais encore matérielle. Moi aussi, bien que je sois intangible, si tu me touches, tu auras l’impression que je suis réel.

– D’accord, j’ai compris. Donc, si je suis immatérielle ici, je retrouverai ma forme physique en regagnant mon Multivers, n’est-ce pas ?

– Exactement, acquiesça le kappa neko.

– Continue.

– Je suis donc celui qu’il me voit et me nomme ainsi.

– Quelqu’un t’a nommé ? Tu n’as pas de nom à toi ?

– Oui et non, répondit la créature.

– Mais alors, quel est ton nom ?

– Izumi Matsumoto.

– Quoi ?… C’est ton vrai nom ?

– Non. C’est le nom qu’on m’a donné. Je n’ai pas de nom à moi.

Manami resta perplexe, ses pensées embrouillées.

– Je ne comprends plus rien ! Tu dis que tu n’as pas de nom, puis tu m’en donnes un qui ne t’appartient même pas. Je suis perdue.

– Et le plus amusant, reprit la créature en riant, c’est que la personne à qui appartient ce nom n’en fait pas non plus son vrai nom !

– Argh ! rugit Manami, serrant ses poings comme pour agripper un vide invisible.

– Patience, jeune fille. Je vais te montrer quelque chose d’important maintenant, qui te dévoilera tout.

Le kappa neko effaça la représentation des deux Multivers et de l’Exostral. À la place, une large surface semblable à un écran plat apparut, montrant la scène où Manami avait rencontré Kazuya dans le parc de Takaoka. La vue plongeait sur eux, les entourant comme si des caméras invisibles captaient chaque mouvement sans qu’ils ne s’en rendent compte.

– Mais c’est moi !? s’exclama Manami. Et cet homme… Kazuya… C’est un souvenir d’avant mon arrivée ici. Comment fais-tu cela ?

– L’Exostral est hors du temps et de l’espace, expliqua le kappa neko. Je peux observer tout ce qui se passe ou s’est passé dans les deux Multivers, passé et présent.

– Et le futur ?…

– C’est là que réside la difficulté pour des êtres comme moi.

– Comment ça ?…

– Le futur ne se dévoile pas de la même manière que le passé. Dès que je suis lié à un être humain, dans son monde, son univers et son Multivers, ma perception du temps se réduit à son propre présent. Je ne peux pas voir au-delà de cet instant.

– Tu es donc attaché à Kazuya ici, à l’image ?…

– Oui… Kazuya est un humain qui aime me représenter sous la forme d’un kappa neko, empruntant aussi le pseudonyme d’Izumi Matsumoto. Mais il ne sait pas qu’il m’imagine réellement ainsi dans l’Exostral.

– Hein ?!... s’exclama Manami.

– Je suis une sorte d’avatar, si tu veux. Tout comme un humain rêve d’endosser la peau d’un personnage idéal, je prends cette forme selon sa vision.

– Mais alors… Suis-je dans un rêve ?… Est-ce que je dors depuis le début ?…

– Non point, Manami. Je suis un esprit bien réel. Mon rôle, ici dans l’Exostral, est d’adopter le corps, le nom et l’attitude que celui qui m’imagine, me confère. En l’occurrence, Kazuya.

– Donc, tu es une sorte d’ange gardien pour lui ? tenta Manami.

– Ha ah ! L’idée est amusante, mais la réalité est bien plus simple. Je pense et j’agis comme un kappa neko parce que c’est ainsi que Kazuya me perçoit dans son imaginaire. En vérité, je suis un esprit lié à l’intuition et à l’inspiration. Ma mission est d’inspirer un humain, et en échange, il me donne forme et nom.

– Mais c’est complètement fou ! laissa échapper la jeune fille ricanant presque.

– Pas tant que ça, rétorqua le kappa neko. Sache que ton Multivers n’est pas concerné. Seul celui où vit Kazuya et tous ses semblables est affecté par mon rôle et celui de mes pairs. 

Manami, surprise, s’interrompit :

– Attends… Que dis-tu ?!… Kazuya ne vit pas dans mon Multivers ?… Il est dans l’autre ?…

– Exactement !

– Mais… Comment ai-je pu voyager jusqu’à chez lui ?… C’est impossible…

– Et pourtant, tu l’as fait, révéla le kappa neko. Tu as traversé ton Multivers jusqu’à celui de Kazuya, sans passer par l’Exostral. C’est un exploit que personne de ta réalité multiverselle n’a accompli jusqu’ici, car il est normalement impossible de voyager directement entre les deux Multivers.

– Mais je n’ai pas le pouvoir de faire cela…

– Je te donnerai une explication, et bientôt tu comprendras.

Manami scruta encore l’espace autour d’elle, puis demanda :

– Tu disais ne pas être seul ici… Où sont les autres ?

– En effet, je ne suis pas seul, fit le kappa neko. Ici, dans l’Exostral, une myriade d’esprits comme moi, œuvre pour maintenir l’équilibre du Multivers de Kazuya.

Inquiète, Manami scruta les environs en tournant son regard partout :

– Mais je ne les vois pas… Où sont-ils ?…

– Tu ne peux les percevoir. Chacun de nous agit sur des plans différents de nous-mêmes, expliqua le kappa neko, presque avec détachement.

Manami vacilla légèrement :

– Attends… Tu veux dire que c’est ton esprit, et non ce lieu, qui se décline à l’infini, derrière cet avatar de kappa neko ?

– C’est exact. Les autres déclinaisons de moi-même possèdent des représentations autres, dépendant de l’imaginaire des liens qu’ils entretiennent chacun avec un humain ou un non humain. Pour ma part, seul Kazuya m’imagine en kappa neko. Mais tout ceci ne doit pas perturber nos échanges. Considère-moi ici comme unique. Les autres versions de moi-même sont ailleurs, bien que tout se passe dans l’Exostral.

– Tout devient si compliqué…

– Ne t’en fais pas, Manami. N’y réfléchis pas trop. C’est à moi seul que tu devras faire face, et à personne d’autre.

– Alors reprenons depuis le début : tu disais être lié à Kazuya d’une manière particulière ?

– En effet, jeune fille. Ma mission est de rester « connecté » à lui tout au long de sa vie humaine.

– Mais pourquoi faire cela ?

– Tu sais désormais que ton Multivers est maintenu en équilibre grâce au Pouvoir, précisa le kappa neko. Nul besoin de l’Exostral pour cela. C’est différent pour l’autre Multivers, celui de Kazuya. Des êtres comme moi sont nécessaires pour compenser là-bas l’absence du Pouvoir.

Manami, stupéfaite, ouvrit de grands yeux.

– Comment cela est-il possible ?

– Il en est ainsi depuis la naissance de l’Omnivers, il y a des éons. Ce n’est pas le Pouvoir qui maintient le Multivers de Kazuya, mais l’Inspiration Créative, une force invisible qui en assure l’équilibre. Moi et mes pairs la diffusons à travers toutes les strates de son Multivers, et donc son Entre-Monde.

– Alors, le Pouvoir et l’Inspiration Créative sont les deux forces qui maintiennent tout l’Omnivers physique ? murmura Manami.

– Exactement, fit le kappa neko. Et les forces fondamentales de chaque univers, comme la gravité, l’électromagnétisme, la force nucléaire forte et faible, sont aussi présentes dans les deux Multivers, ce qui explique pourquoi ils t’ont paru si semblables.

– Mais que viens-je faire dans tout cela ? demanda la jeune fille.

– Tes voyages entre les dimensions de ton Multivers ont suivi un certain « fil rouge », qui t’a finalement menée jusqu’ici.

– Ce n’est pas toi qui m’as transportée d’un monde à l’autre ?

– Non point, Manami. C’est parti du chapeau de paille rouge de Madoka.

– Quoi ? Son chapeau ?… (Elle temporisa alors sa surprise) Quoique j’en avais quelque part l’intuition… Tu connais Madoka ?…

– Bien sûr, répondit le kappa neko avec un sourire énigmatique. Mieux que tu ne le crois. N’oublie pas que je vois tout d’ici.

– Comment et pourquoi ce chapeau m’a-t-il fait voyager ? demanda la jeune fille. Je n’ai jamais voulu ça…

– Ce n’est plus un simple chapeau, répondit le kappa neko. Il a accumulé au fil des ans une énergie immense, mêlant Pouvoir et émotions humaines.

– Des émotions humaines ?…

– Exactement. Cet objet est entré en résonance avec toi lorsque Madoka est revenue des États-Unis. Tu n’imagines pas à quel point elle l’avait inconsciemment infusé d’émotions puissantes. Ses sentiments révélés se sont mêlés au Pouvoir déjà contenu dans cet objet. Et bien avant cela, Hikaru l’avait aussi tenu entre ses mains. Souviens-toi, Manami : elle était profondément bouleversée après avoir découvert la vérité sur la relation entre ton frère Kyosuke et Madoka. Elle l’a également porté à l’aéroport de Narita, le saturant encore d’émotions. [Tome 18, NDLR].

Manami se remémora ces moments intenses, lorsque Hikaru avait porté ce chapeau, avant de finalement le transmettre à Madoka, juste avant son départ pour Los Angeles. Pendant toutes ces phases d’émotions extrêmes, le chapeau en avait été le témoin silencieux.

– Mais… ni Madoka ni Hikaru n’ont le Pouvoir ! protesta Manami.

– Elles ne l’ont peut-être pas, mais cela ne les empêche pas de l’influencer à travers toutes leurs émotions, rétorqua le kappa neko. L’énergie accumulée dans ce chapeau, combinée au Pouvoir, a déclenché tes voyages interdimensionnels.

– Mes voyages ?…

– Oui, tes voyages, confirma le kappa neko. Ils sont le fruit de tout ce que le chapeau a absorbé. Mais avant de voyager, souviens-toi de tes visions étranges : Madoka, en haut des marches, perdant inlassablement son chapeau de paille rouge… Tu as vu ces scènes, n’est-ce pas ?…

– Comment le sais-tu ? C’étaient mes visions… dans mon esprit… Tu les as vues ?

– Je connais tes visions parce que j’ai vu celles de Kazuya.

– Encore des énigmes !

– Pas du tout. Tout est lié : toi, le chapeau, Kazuya et moi. Le chapeau t’a montré des visions, comme il l’a fait plus tard avec Kazuya. Tu dois comprendre que ce chapeau possède entre autre la faculté de « voir » ses propres alter-ego dans les dimensions parallèles à la tienne, à travers ton Multivers. Ainsi, en touchant le chapeau, les quelques visions que tu as eues provenaient de ces autres dimensions où Madoka n’a jamais retrouvé Kyosuke sur les marches du grand escalier. Pour diverses raisons, leur histoire a pris un tout autre chemin. Ce que tu as donc perçu, c’étaient des reflets d’univers parallèles au tien, vus à travers ce chapeau.

– Je n’arrive pas à y croire…

– Écoute bien, Manami : c’est ton propre Pouvoir, et ce chapeau désormais magique qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, t’ont permis de voyager jusqu’à l’univers de Kazuya.

– Tu en es sûr ?

– Oui. Tu as traversé l’Omnivers pour atteindre le monde de Kazuya, le mangaka en quête d’inspiration. C’est grâce à toi qu’il a trouvé matière à créer quelque chose de grandiose. À ce stade de ton périple, c’est le chapeau de Madoka qui l’a voulu.

– Mais Kazuya cherchait seulement l’inspiration pour une nouvelle œuvre !

– Manami, tu ne comprends pas, reprit le kappa neko. Il a dépeint la vie que tu mènes avec ta famille et tes amis !

La jeune fille écarquilla les yeux, abasourdie.

– Quoi ?… Comment ?… Mais c’est impossible !

– Kazuya garde ton chapeau depuis des années. Rappelle-toi : tu l’as laissé à ses pieds, dans son monde.

Le kappa neko fit apparaître à l’écran une scène où, seul, Kazuya ramasse le chapeau de paille rouge de Madoka, avant de quitter le parc de Takaoka.

– Alors, c’est vraiment là-bas que je l’ai perdu ! s’écria Manami.

– Pas vraiment perdu, jeune fille. Le chapeau a choisi de rester avec Kazuya. Cet homme est l’un des rares à percevoir certains mondes de ton Multivers. Tu te souviens de cette première dimension où tu es allée ?… Celle où tu as rencontré Kenji Hiyama, le frère aîné de Hikaru ?…

– Oui.

– C’est un des mondes que Kazuya a perçus, fit le kappa neko. Le chapeau a ressenti cet artiste unique, et l’a choisi pour l’aider à créer une histoire plus merveilleuse encore, celle d’un autre univers que Kazuya ne pouvait pas voir : le tien !

– C’est incroyable !… Mais alors… Depuis le monde de Kenji, le chapeau a donc cherché à atteindre Kazuya à travers mon Pouvoir ?…

– Exactement, acquiesça le kappa neko. Ce n’était pas simple à réaliser, mais le chapeau voulait vraiment rejoindre Kazuya pour l’aider à entrevoir la véritable histoire qu’il devait écrire, et non ce récit de motards dont il avait perdu le fil.

– Mais le chapeau précieux de Madoka… Il est toujours entre les mains de Kazuya ! Comment vais-je pouvoir le récupérer ?

– Tu ne le peux plus, Manami, et cela ne serait pas souhaitable. Le chapeau a définitivement choisi son nouveau propriétaire. Même si tu retournais là-bas et que tu parvenais à le reprendre, il resterait avec Kazuya. Tout est déjà en marche depuis des années, car son temps à lui ne s’écoule pas comme le tien dans son Multivers. Pour toi, seulement quelques minutes se sont écoulées, mais dans son univers, plusieurs années ont déjà passé après votre rencontre. Et je te le répète : ce chapeau que tu as laissé à Kazuya a été la source d’inspiration qui l’a conduit à créer son plus grand chef-d’œuvre !

– Son chef-d’œuvre ?…

– Oui, « Kimagure Orange Road » !

– Quoi ?… Tout ça… pour ça ?…

– Manami, tu n’imagines pas encore l’impact de ce que tu as accompli dans le monde de Kazuya.

– Mais de quoi parles-tu ?

Izumi, le kappa neko, planta son regard dans celui de Manami.

– Après votre rencontre, Kazuya a compris ce que le chapeau lui a révélé sur ta vie et celle de tes proches. Il a aussi réalisé que tu venais véritablement d’un autre monde. Est-ce que tu te rends compte qu’il a rencontré en chair et en os un des personnages qu’il allait dessiner ?… Pour quelqu’un comme lui, vivant dans un univers sans Pouvoir et sans magie, c’était comme une révélation divine. Il s’est vu confier un objet aux capacités extraordinaires. En dessinant, guidé par l’inspiration du chapeau, une lumière nouvelle s’est allumée dans son monde. « Kimagure Orange Road » était la réponse à bien des questions. Manami, tu ne mesures pas encore l’impact qu’a eu cette œuvre sur la jeunesse de son univers. Ton monde, ta famille, et tes amis ont laissé une empreinte indélébile chez Kazuya, et il a su la traduire en une œuvre immense qui a touché les cœurs aux quatre coins de sa planète !

Les yeux de la jeune fille restaient écarquillés, figés dans l’étonnement.

– Ne me dis pas que je suis… que nous sommes tous… dans un livre, dans l’univers de Kazuya ?!…

– Si, exactement. Et pas un seul livre : dix-huit tomes ! Regarde…

Devant une Manami stupéfaite, le kappa neko fit alors apparaître des images nouvelles : des planches en noir et blanc, défilant sous les yeux de la jeune fille. Elle reconnut Kyosuke, Madoka, Hikaru, Kurumi, son père, Takashi, Akane, Kazuya et ses grands-parents… tous dessinés dans un manga. Elle se vit elle-même, avec ses lunettes caractéristiques. Les visages, les expressions, les dialogues… tout était si fidèlement reproduit, comme s’ils avaient été transposés depuis leur propre monde. Les scènes racontaient les épisodes marquants de leur vie, se concentrant en particulier sur ce que Kyosuke, Madoka et Hikaru avaient traversé au fil des ans. Comment était-ce possible ?… Les planches du manga retraçaient chaque instant, depuis la rencontre de Kyosuke et Madoka sur les marches du grand escalier, jusqu’à leur dernier baiser en ce même lieu, scellant une conclusion heureuse. Kazuya, ou plutôt Izumi Matsumoto, comme il se nommait en tant qu’artiste, avait créé une saga exceptionnelle basée sur les aventures d’une véritable famille dotée du Pouvoir, vivant dans un autre Multivers.

Manami observait encore les planches défiler, reconnaissant les événements qu’elle-même avait vécus il y a quelques mois ou quelques années. Yusaku Hino, Master, Kazuya Hatta, Seiji Komatsu et Sayuri Hirose… ils étaient tous là ! Même des personnages qu’elle ne connaissait pas, prenaient également vie de manière dessinée.

Devant une jeune fille silencieuse, absorbée par le défilement des planches, le kappa neko adopta alors un ton solennel :

– Manami, tu dois comprendre que « Kimagure Orange Road » a profondément marqué la jeunesse, déclara-t-il. Cette œuvre a su capturer l’essence des émotions adolescentes à travers un subtil mélange de romance, d’humour et de fantastique, dont le monde de Kazuya avait tant besoin. Ce manga a permis à de nombreux jeunes de s’identifier aux dilemmes amoureux et aux défis de la maturité, tout en les divertissant avec ses situations cocasses et ses personnages attachants. Kyosuke, avec son Pouvoir et ses relations complexes avec Madoka et Hikaru, a incarné les tourments intérieurs et les choix difficiles qui définissent l’adolescence. En explorant des thèmes tels que l’amour, l’amitié et l’identité, Kazuya a contribué à façonner tout une génération, qui a trouvé réconfort et inspiration dans ses récits. Aujourd’hui, « Kimagure Orange Road » est un classique indémodable, qui continue d’influencer profondément la culture populaire, inspirant de nombreux mangaka et créateurs à explorer les émotions humaines fondamentales. Et tout cela, Manami, c’est grâce à toi. Sans cette œuvre, le visage de ce monde aurait été bien différent. Car, avant tout, c’est une jeunesse inspirée qui bâtit l’avenir.

Manami demeurait incrédule.

– Comment est-ce possible ? s’écria-t-elle sortant de son silence. Comment un simple chapeau a-t-il pu accomplir une pareille chose ?

– Tu sais déjà que ton grand-père possède des objets magiques, fit le kappa neko. Au départ, ils n’étaient que de simples artefacts, mais grâce à son Pouvoir, il les a investis de magie pour des raisons bien précises, que je ne détaillerai pas ici. Cependant, la magie du chapeau de paille rouge de Madoka s’est éveillée d’elle-même, sans intervention de ton grand-père. Ce sont vos aventures, à toi et à tes proches, qui ont conféré à ce simple chapeau sa propre magie, en l’imprégnant des forces émotionnelles qui vous entouraient et que vous ressentiez. En quelque sorte, il est devenu un enregistreur, un témoin rare de votre univers. Quand il l’a eu entre ses mains, Kazuya, avec sa sensibilité particulière, a été réceptif à cette mémoire. Lui seul pouvait saisir l’essence de ce que ce chapeau contenait. Et heureusement, pour le bien de tous.

– Grand Ciel ! s’exclama Manami. J’avais donc raison : c’est donc bien ce chapeau qui m’a emmenée dans d’autres dimensions !

– Oui et non, corrigea le kappa neko. Au début, il te donnait juste un cap, mais c’est toi qui as vraiment le pouvoir de voyager entre les dimensions. Comme ton frère Kyosuke, mais d’une manière différente. Tout comme ta mère l’avait fait avant vous deux, en son temps.

Manami se figea.

– Tu… tu connaissais ma mère ?…

– Oui, répondit Izumi. Lorsque tu es née, elle a sauvé le Multivers où tu vis.

Le regard de Manami s’emplit de stupeur.

– Hééé ?!… Comment ça ?…

– Je vais y venir, dit le kappa neko. Mais ici, nous sommes hors du temps et de l’espace. Nous avons tout le temps devant nous.

Manami s’inquiéta.

– J’ai perdu mon chapeau, dit-elle alors. Il est désormais entre les mains de Kazuya. Est-ce que cela signifie que je peux voyager sans lui ?

– Bien sûr, fit le kappa neko. Tu n’as plus besoin de ce chapeau pour cela. Regarde : tu es ici, malgré tout. Voyager entre les dimensions est simple une fois que tu sais comment faire. Mais il te faut toujours un cap, et le chapeau te l’a donné. Moi aussi, je t’en ai donné un pour venir ici.

– Pourrais-tu me guider afin que je retourne dans mon monde d’origine ?

– Absolument.

– Et je ne vais pas me perdre dans des dimensions semblables, comme cela m’est arrivé si souvent ?

– Il est vrai que tu as eu du mal à t’orienter, répondit Izumi. Tu crées des portails, bien que tu aies l’impression que d’autres les ouvraient pour toi. En réalité, c’est toi qui les formais sans t’en rendre compte.

– Vraiment ?!…

– Et tes voyages semblaient toujours te ramener au même endroit, comme si tu refusais de t’aventurer hors des sentiers battus. Tu ne savais pas encore utiliser les caps. Tu as donc dû malgré toi apprendre à maîtriser ce nouveau don. Il est dommage que ta mère soit partie si tôt. Elle t’aurait enseigné tout cela.

Manami réfléchit à tout ce qui venait de lui être révélé jusqu’ici.

– Maintenant, je comprends bien mieux ce qui m’est arrivé, dit-elle plus calmement. Mais tu ne m’as pas tout dit.

– En effet, reconnut Izumi. Tout ceci ne t’a pas donné toutes les réponses.

– Alors, pourquoi suis-je ici ?… Si le chapeau de Madoka a accompli sa mission depuis longtemps dans le monde de Kazuya, quel est mon véritable rôle en ce lieu, dans l’Exostral ?…

Izumi Matsumoto, le kappa neko, fixa Manami avec gravité.

– Manami, un grand destin t’attend. J’ai besoin de toi pour réaliser une tâche immense.

– Laquelle ?…

– Ce que tu as accompli avec le monde de Kazuya dans son Multivers était la « Première Marche » !

– La Première Marche ?…

– Oui, dit le kappa neko avec une énergie nouvelle. Maintenant, j’ai besoin que tu m’aides à aller jusqu’au sommet !

 

 

 

« «

«

 

-> Aller à l'épisode 37


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#486 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 31 octobre 2024 - 14h31

Joyeux Halloween 2024, les gars :)

 

halloween_2024.jpg


banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#487 Olivier

Olivier

    Fan pour la vie

  • Modérateur
  • Réputation
    390
  • 7 858 messages
  • Genre:
  • Localisation:Paris

Posté 31 octobre 2024 - 19h01

Merci
I'm looking for the red straw hat...

#488 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 01 novembre 2024 - 16h17

« La Première Marche »

par CyberFred

 

 

Épisode 37

Le cadeau d’Akemi

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Kyosuke, Madoka et Hikaru n’ont plus qu’à prier pour que leur destin puisse survivre à la catastrophe imminente qui pèse désormais sur eux.

 

Je ressens l’accélération, une force puissante qui m’entraîne vers l’inconnu. Je voudrais fermer les yeux, mais c’est impossible : mes pensées me retiennent. Ce qui m’entoure échappe à toute logique, même si, au fond, je comprends pourquoi il faut en passer par là. J’ai l’impression de tomber, de glisser d’un point sans fin vers un autre, poussée par cette force qui m’aspire sans répit. Je savais ce que j’acceptais en écoutant Madame Kasuga. Il n’y avait pas d’autre solution : tout un Multivers est en jeu. Comment pourrais-je abandonner maintenant ?… Ce soir, j’ai vu et vécu des choses que rien ne pouvait me préparer à affronter, mais j’ai accepté, pour une raison simple. Parce que ma place est désormais aux côtés de Kyosuke… quoi qu’il arrive. Il m’a sauvée tant de fois, sans hésiter. Ce soir encore, il a traversé les barrières de son propre univers pour moi, défait les lois mêmes de l’espace et du temps.

« Kyosuke… »

Dans mes pensées, je peux te nommer ainsi. J’aimerais tant pouvoir te le dire en face… T’appeler simplement de vive voix « Kyosuke »…

Le temps devient élastique, comme suspendu, dans cette chute sans fin. Autour de moi, il n’y a qu’un vide rougeoyant, une étendue étrange parsemée d’éclats d’or. Par moments, des spirales d’argent se dessinent et se rapprochent, illuminant le pourpre, puis s’éloignent. Je chute inexorablement vers mon destin… vers moi-même. C’est le moment ultime, celui où tout va se décider. Pour moi, pour Kyosuke, pour tout ce qui existe.

Je pense encore à lui. Il est peut-être là, tout proche, mais je ne peux pas le voir. Il s’est effacé, tout comme Hikaru, celle que je considère comme ma sœur, celle que j’ai retrouvée dans mon cœur. Elle aussi s’est évanouie dans cette immensité. Mais j’espère que mes pensées la rejoignent, qu’elles lui parviennent comme un écho pour la rassurer.

Les souvenirs affluent… C’était il y a des années… Je revois ce jour où tout a basculé, celui où j’ai rencontré la famille de Kyosuke. Avant eux, ma vie semblait paisible en apparence, mais en réalité, je cherchais désespérément des gens capables de me voir telle que j’étais. Papa… Maman… ma grande sœur… tous étaient partis, et je m’étais peu à peu enfermée dans mon propre univers. Hikaru et Yusaku étaient proches de moi, mais même eux ne pouvaient saisir ce que je portais intérieurement. Je voulais les protéger de mes ombres. Puis les Kasuga sont arrivés. Eux aussi cherchaient un endroit où se sentir acceptés, après tant d’années de déménagements. Nos chemins se sont ainsi croisés.

Avec l’arrivée des Kasuga, petit à petit, nous avons appris à nous « sauver » les uns les autres. J’ai découvert des êtres d’exception, porteurs d’un secret que je partage aujourd’hui. Et maintenant, leur vie est la mienne, comme jamais auparavant, même ici, au bord de l’infini.

Ce soir, cette nuit, c’est l’épreuve ultime. Je suis la seule à pouvoir mettre fin à cette crise… Sans le Pouvoir… Du moins, sans un pouvoir qui m’appartienne vraiment. Je sens des larmes couler doucement sur mes joues. Mes yeux pleurent, maintenant, à ce moment précis. Le poids de cette responsabilité est presque insoutenable… Mais tous comptent tant sur moi. Kyosuke, Hikaru, ma famille, mes amis, et même mes nouveaux alliés de cet autre univers, je ne peux les perdre.

Quant à mon double… Aurais-je pu être amie avec elle ?… Elle est tout ce que j’ai toujours voulu fuir, le reflet inverse de moi-même. Et pourtant, elle aussi doit être libérée de son supplice.

Je sais ce que j’ai à faire, je sais que ce moment restera gravé dans le Livre du Multivers. Car s’il devait s’en créer un tout autre, je sais que je n’y aurais plus ma place.

 

«

 

Les images d’un passé récent de cet autre univers m’envahissent… Je revois Madame Kasuga. Elle m’avait observée d’un regard étrange, juste au moment où tout espoir semblait s’éteindre autour de moi. C’était après que j’aie senti cette étrange faiblesse m’envahir. Sans Kyosuke, je serais tombée. Pour la seconde fois, il m’a retenue avant que je ne touche le sol. C’est alors que Madame Kasuga, celle qui avait soigné ma blessure à la jambe, a vu quelque chose qui semblait la troubler. D’un air à la fois étonné et inspiré, elle a pointé son doigt vers mon pendentif, celui-là même qui s’était révélé hors de ma combinaison de cuir, durant ma chute.

– Madoka ! Ce pendentif… Comment…

– C’est le pendentif que Kasuga m’a donné, répondis-je.

Madame Kasuga s’approcha davantage, comme pour vérifier qu’elle ne rêvait pas.

– Par le Ciel ! J’ai exactement le même ! s’écria-t-elle, ses yeux brillant de stupeur.

Évidemment, je me trouvais dans un univers parallèle où la mère de Kyosuke était en vie. Elle aussi avait épousé Takashi Kasuga. C’est au fil de leurs rencontres, durant leur jeunesse, qu’il lui avait offert ce simple pendentif à la place d’une bague de fiançailles. Un cristal rouge et plat, serti dans un cadre d’argent finement arrondi. Exactement le même geste s’était produit dans mon propre univers : Monsieur Kasuga avait donné ce même pendentif à Akemi, sa fiancée, devenue plus tard la mère de Kyosuke et de ses deux sœurs jumelles. Elle est décédée peu après la naissance de Kurumi, puis ce bijou a été confié aux grands-parents maternels de Kyosuke. L’été dernier, en rendant visite à ses grands-parents, il l’a reçu de leurs mains, comme un souvenir de sa mère.

Je pouvais sentir combien ce pendentif représentait pour lui. Je sentais qu’il était arrivé à un âge où il se posait plein de questions sur sa mère et sur l’absence qui pesait toujours en lui dans son cœur. Mais plutôt que de garder cet objet précieux auprès de lui, Kyosuke me l’a simplement offert, alors que nous étions tous deux sur une barque, glissant sur le lac où ses parents s’étaient retrouvés des années auparavant. Malgré tout ce que j’ai traversé depuis… les mystères, les dangers, l’éloignement… j’ai toujours gardé ce pendentif avec moi. Même lors de mon séjour aux États-Unis, il ne m’a jamais quittée. Le rouge semble me suivre partout : le chapeau de paille rouge, ce pendentif rouge… Les coïncidences se multiplient autour de moi, en ce moment. Comme ce ciel d’un rouge profond qui m’entoure, semblable au cristal de ce bijou, qui semble se dissoudre dans les profondeurs de cet espace où je chute.

Après la remarque de Madame Kasuga, Kyosuke s’approcha, son regard posé sur mon pendentif. Je crois que c’est la première fois qu’il redécouvrait ce bijou depuis mon retour des États-Unis. Il me regarda, visiblement ému.

– Ayukawa, tu l’as gardé sur toi tout ce temps, me dit-il, avec douceur.

– Je ne m’en suis jamais séparé, lui répondis-je, en souriant.

Il me rendit mon sourire avant de se tourner vers Madame Kasuga.

– C’est le pendentif que j’ai offert à Ayukawa, expliqua-t-il. Il appartenait autrefois à ma mère.

– Eh bien, voilà qui pourrait enfin résoudre notre immense problème ! dit-elle, ravie.

J’étais sidérée. Quel immense problème ?… Juste avant de perdre pied, j’avais cru entendre Madame Kasuga vouloir me dire quelque chose à ce sujet. Ses filles s’approchèrent alors.

– Maman, c’est exactement le même pendentif que le tien, remarqua Kurumi.

Elle parlait d’un ton bien plus posé et mature que celui auquel j’étais habituée dans mon propre univers, avec la cadette de Kyosuke.

– C’est bien le cas, confirma Madame Kasuga.

Elle tourna à nouveau son regard vers moi.

– Madoka, ce pendentif est d’une importance capitale, déclara-t-elle.

– Comment ça ? demanda Kyosuke, visiblement aussi surpris que moi.

La mère de Manami et Kurumi posa les yeux sur lui, une lueur de gravité dans le regard.

– Ce bijou porte en lui une mémoire, dit-elle. Il a été offert à ta mère, tout comme à moi, à un moment crucial de nos vies. Il est chargé d’émotions et d’une énergie intense.

Elle se tourna ensuite vers moi.

– Madoka, j’aimerais lire ton pendentif, pour voir s’il contient bien ce que je pense.

– Bien sûr, répondis-je.

Je m’apprêtais à retirer la chaîne de mon cou, mais Madame Kasuga m’arrêta d’un geste.

– Non, ne l’enlève pas ! Si ce que je crois est exact, tu dois le garder sur toi pendant que je le lis. Pose simplement le pendentif à plat sur ma main.

J’obéis, plaçant le cristal rouge sur la main qu’elle me tendait, la paume ouverte vers le ciel. À peine eus-je fait cela que les yeux de Madame Kasuga s’emplirent de surprise. Témoins de cela, ses deux filles restèrent figées, stupéfaites. De son autre main, leur mère recouvrit le bijou et ferma les yeux. Un sentiment étrange s’infiltra alors en moi. Devant moi, Madame Kasuga sondait le bijou. Je sentis alors qu’une énergie insolite envahissait mon esprit. Au début, je crus qu’elle venait de Madame Kasuga, mais j’avais tort : elle émanait du bijou lui-même. Une force qui sommeillait en lui venait de se révéler. Cependant, elle semblait disparaître en moi au bout de quelques instants.

À la fin de cette lecture intense, Madame Kasuga relâcha le bijou et recula légèrement, prenant une minute pour reprendre son souffle. Mais, face à l’urgence, elle s’efforça d’expliquer :

– C’est bien cela ! s’écria-t-elle, mue par une énergie nouvelle.

– Comment cela ? demanda Kyosuke.

– Qu’avez-vous vu, madame Kasuga ? fis-je.

Elle se tourna vers moi, les yeux remplis d’espoir :

– Madoka ! Tu vas tous nous sauver !

– Pardon ?… m’écriai-je

– Hein ? fit Hikaru, derrière Kyosuke.

– S’il vous plaît, expliquez-nous ! insista ce dernier.

– Kyosuke, il s’avère que Madoka possède le bijou que ta maman portait autrefois. Il est imprégné d’une énergie qui lui appartient.

– Ha ?… Il possède le Pouvoir ? s’écria-t-il.

– Non, pas le Pouvoir. Mais une sorte d’empreinte énergétique mémorielle.

– Hein ?…

– Oui, Kyosuke. L’énergie de ce bijou porte la signature de ta mère. Ce n’est pas la même fréquence que la mienne, mais j’ai enfin la solution à notre problème.

– Mais maman, que veux-tu dire ? demanda Manami.

– Cette énergie va être la clé qui pourra toucher Kurumi avec le pouvoir de sa mère, comme si cette dernière était vivante. Ce bijou va guérir Kurumi !

J’entendis un murmure de stupéfaction parcourir tout le groupe.

« Guérir Kurumi ?… », pensai-je. « Pourquoi la guérir ?… »

Visiblement, bien des choses avaient dû se produire dans mon univers, pendant que j’étais bien occupée ici.

– Est-ce que l’on pourrait enfin m’expliquer ce qui se passe ? demandai-je alors.

– Bien sûr, chère Madoka, intervint Madame Kasuga. Laisse-moi t’exposer la situation.

Alors, elle commença à tout m’expliquer. Elle me parla de ce qui se passait sur la Terre chez moi, dans mon univers, où seuls Monsieur Kasuga, ses deux neveux, Akane et Kazuya, demeuraient actuellement. Kurumi… Quelle tragédie ! Je compris alors avec effarement la menace d’une catastrophe aux dimensions cosmiques ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Tandis que j’écoutais, tout le monde autour de moi demeurait silencieux. Tout ce qui s’était passé ce soir, depuis que Manami avait disparu de chez moi et de notre dimension, avait mené à ce risque immense qui menaçait nos vies à tous. Mais à la fin de cette explication inimaginable, je sentis toutefois l’espoir renaître en moi, grâce au bijou que je portais. Pourtant, j’en savais si peu sur le Pouvoir que je peinais à bien saisir mon rôle dans tout cela. Je plongeai mon regard dans celui de Kyosuke, où brillait lui aussi une lueur d’espoir. Mais je devinais en même temps qu’il se sentait coupable de m’avoir entraînée dans cette aventure. Je n’aimais pas qu’il ressente cela, lui qui avait tant fait pour moi. Il faudrait que je le rassure.

– Mais, madame Kasuga, que souhaitez-vous faire, exactement ? demandai-je.

– Madoka, ton propre double est actuellement dans la bulle qu’a formée Kurumi tout autour d’elle. Quand tu réintégreras ton univers, tu reprendras sa place.

Je hochai la tête, admettant cela intérieurement.

– Tu te retrouveras donc dans la bulle, tandis que Kyosuke et Hikaru seront à l’extérieur, poursuivit Madame Kasuga. Tu seras coupée du monde… seule face à Kurumi.

Mon corps tout entier frissonna. Seule face à une Kurumi enragée… Qui le serait certainement encore plus en constatant que sa « prisonnière » lui aura échappé…

– À ce moment-là, ton cristal sera déjà chargé du Pouvoir que je vais y transférer. Il aura la fréquence de la mère de Kyosuke.

– Vous… vous pouvez faire cela ? demanda Kyosuke intrigué.

Madame Kasuga hocha la tête.

– Une fois Madoka arrivée dans la bulle, il est impératif que Kurumi ressente immédiatement les énergies du Pouvoir de sa mère, celle qu’elle a connue à sa naissance, même si ce n’était que quelques minutes. Son instinct reconnaîtra cette fréquence.

– Mais comment allez-vous stocker le Pouvoir dans ce bijou ? demanda encore Kyosuke.

– Je vais infuser mon propre Pouvoir dans cet objet. D’après ce que j’ai perçu dans le cristal, il sera réajusté pour correspondre à la fréquence des énergies de ta mère que j’y ai détectées. Grâce à ce qui réside dans ce bijou, j’ai maintenant connaissance de la fréquence à laquelle je dois le régler. Ainsi, lorsque ce Pouvoir sera libéré, il aura les mêmes caractéristiques que celles de mon autre moi. C’est précisément ce que Kurumi reconnaîtra quand elle l’absorbera, ce qui permettra de calmer sa crise !

Déterminée, Madame Kasuga me regarda intensément dans les yeux.

– Madoka, il est essentiel que tu avances vers Kurumi pour passer ce pendentif autour de son cou. Une fois sur elle, il calmera sa crise, puis endormira sa colère incontrôlable pour toujours. Elle devra continuer à le porter, jusqu’au retour de sa sœur Manami dans ta dimension.

– Vous… vous voulez dire que ce bijou est le seul moyen de remplacer l’absence de Manami ? demanda Kyosuke.

– Oui, confirma Madame Kasuga. N’oublie pas que ta sœur aînée canalisait constamment les résurgences des crises potentielles de ta petite sœur. Ce bijou est notre unique chance de l’apaiser en son absence.

– Je ne comprends pas, fit Kyosuke, visiblement troublé. Manami est née avant Kurumi. N’aurait-elle pas pu déjà canaliser la crise de ma petite sœur au moment de sa naissance, et éviter les drames ?…

– Hélas, à sa naissance, ta sœur Manami était encore trop jeune pour accomplir cela, expliqua Madame Kasuga. Elle n’a acquis ce don que dans les semaines suivantes, quand elle a commencé à capter les énergies du Pouvoir. Ta mère a donc dû intervenir toute seule lors de la naissance de Kurumi.

Je partageais à présent toute la tristesse que ressentait Kyosuke autour du terrible drame que sa famille avait vécu autrefois.

Le silence revenu autour de moi me fit prendre toute la mesure de la situation actuelle. L’espoir émanant de mon pendentif devenait pour moi une immense responsabilité pesant lourdement sur mes épaules. Tous me regardaient… J’étais la dernière chance pour sauver la situation, la seule solution face à une crise menaçant tout ce qui existe.

C’est ce que Madame Kasuga me rappela :

– Madoka, tu dois comprendre que tu dois absolument accomplir cette action avant que Kurumi ne déchaîne le point de rupture conflagrateur à travers le Multivers.

Était-ce possible que nous en soyons tous arrivés à ce constat ?… Je n’osais croire à ce que j’entendais, malgré mon acceptation de l’existence du Pouvoir.

Préoccupé par le fait que je reste dépassée par la situation, Kyosuke s’approcha de moi en s’adressant à Madame Kasuga :

– S’il vous plaît, je voudrais parler avec Ayukawa, quelques instants.

– Bien sûr, Kyosuke.

Elle et ses deux filles s’éloignèrent, suivies par Hikaru et Kenji, nous laissant seuls.

Kyosuke posa sur moi un regard mêlé de tendresse et de culpabilité.

– Ayukawa, pardonne-moi…

– Pardonner quoi ? dis-je d’une voix douce.

– Tout est de ma faute. Je suis responsable de tout cela, déclara-t-il, un air coupable dans ses yeux.

Il est toujours ainsi, portant ce fardeau invisible que je n’arrive jamais tout à fait à lui retirer.

– Mais que veux-tu dire ?… lui demandai-je.

– Honnêtement, je n’aurais jamais dû t’entraîner dans cette histoire de voyage interdimensionnel.

Je ne pouvais accepter cette culpabilité qu’il s’imposait. Ce n’était pas lui qui avait causé tout cela… C’était moi. Si j’étais restée dans notre monde, rien de tout cela ne serait arrivé. Kurumi n’aurait pas subi cette crise à cause de mon double. Mais en raison de tout cela, le poids de mes responsabilités pour réussir cette mission était devenu bien plus lourd sur mes épaules, désormais.

– Non, tu n’as rien à te reprocher, rétorquai-je. C’est ma faute. C’est moi qui ai insisté pour venir avec toi, souviens-t-en. Et souviens-toi aussi : j’ai même forcé ce voyage, afin de poursuivre Manami, quand elle est brutalement rentrée chez elle, ici, dans sa propre dimension.

– Mais tu as fait ce qu’il fallait, tenta de contrer ce jeune homme obtus. Ne t’en veux pas. Je ne te reprocherai jamais rien, Ayukawa. Tu le sais. Jamais !… Mais tu as été tellement bousculée, ces derniers temps…

Il ne croyait pas si bien dire… Au même moment, je songeai à ma dernière soirée à Los Angeles. Cette nuit-là m’avait définitivement convaincue de mes sentiments pour Kyosuke. Je devais à présent tout faire pour le rassurer.

– C’est un peu mon caractère délinquant qui veut cela, lui dis-je alors en plaisantant. J’aime l’aventure, et avec toi, je suis servie.

– Ayukawa ! protesta-t-il sur ce ton sérieux qui m’amuse toujours. Mais tu te rends compte de la tâche qu’on te confie ?

– De toute manière, je suis obligée de reprendre la place de mon double, répondis-je d’un air un peu maussade.

– Je voudrais… commença-t-il.

Je devais vraiment apaiser ce garçon au cœur tendre, toujours si inquiet.

– Tu n’y peux rien, Kasuga, dis-je en le coupant. Je dois le faire. Il y a une solution… Et il n’y en a pas d’autre.

Kyosuke resta silencieux, les sourcils froncés, son regard posé sur moi avec une inquiétude profonde. Il luttait visiblement contre l’idée de me laisser seule pour cette tâche, bien qu’il serait tout près, impuissant.

– Je n’aime pas ça, Ayukawa, dit-il finalement en prenant mes mains. Je n’aime pas l’idée que, même si je suis là, je ne pourrai rien faire pour t’aider.

Je hochai la tête. C’était la vérité la plus difficile à accepter, pour lui comme pour moi.

– Je comprends cela, Kasuga. Mais c’est ainsi. Même si tu es à mes côtés, cette tâche m’appartient. Je sais que tu as toujours voulu me protéger. Mais parfois, il y a des combats que je dois mener seule. Ç’a été le cas pour mon duel contre Sayuri Hirose. Et cette fois-ci, c’est un autre combat, peut-être le plus difficile…

Kyosuke baissa les yeux, ses mains tremblaient légèrement sur les miennes. Je sentais en lui ce besoin presque viscéral de me protéger, et pourtant, il savait qu’il n’aurait cette fois aucun contrôle, malgré tout son Pouvoir.

– Mais si tu échoues… murmura-t-il, comme si le simple fait de prononcer ces mots les rendait plus réels.

Je pris une profonde inspiration, puis, doucement, je serrai mes mains sur les siennes. Il devait comprendre que ses propres scrupules ne définissaient pas sa valeur à mes yeux.

– Je n’échouerai pas, dis-je avec une assurance que je voulais lui transmettre. Je ne peux pas échouer. Parce que je vous ai, toi et Hikaru. Même si vous ne pourrez pas m’aider directement, votre présence, là, si proche, sera mon soutien. Hikaru et toi serez mes ancrages… mes repères.

– Ayukawa…

Je vis à son regard une lueur de doute s’éteindre, remplacée par quelque chose de plus profond : la confiance. Je lui souris légèrement, serrant un peu plus fort ses mains. Sans un mot, Kyosuke me regarda encore un long moment, puis, lentement, il soupira. Nos mains enlacées se libérèrent alors, relâchant en même temps un peu de cette tension qui l’étreignait.

– Merci, Ayukawa… Mais promets-moi juste une chose…

Je haussai les sourcils, intriguée.

– Quoi donc ?…

– Promets-moi que tout cela se terminera bien. Que tu nous reviendras…

« Tu nous reviendras… »

Ces mots….

Je fus emportée soudainement dans mes propres souvenirs. Mes souvenirs tout proches.

Cette soirée sur les sables de la plage de Los Angeles vint encore traverser mon esprit :

« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! »

Je luttais intérieurement pour repousser cette image si précieuse, mais je savais que je ne le pouvais plus. On ne lutte pas contre ce sentiment si fort posé sur mon âme. Cette promesse, née sur les rivages de Los Angeles, est devenue en moi comme une étoile gravée dans la nuit, un serment intime, presque éternel. C’est bien plus qu’un simple retour au pays ou qu’une envie de serrer Kyosuke contre moi dans une étreinte de retrouvailles tout en haut des marches du grand escalier. Elle est devenue une certitude, aussi solide qu’une pierre profondément ancrée. Ni les tempêtes de l’espace, ni les incertitudes de la dimension où je me trouve ne sauraient ébranler ce point central silencieux qui demeure en moi. Cette promesse, c’est un lien invisible entre lui et moi, inaltérable et plus précieux que la simple présence physique… Une part de moi qui continuera de briller tant que je pourrai aimer. Tant qu’il y aura ce joyau, tant qu’il y aura Kyosuke, cette promesse restera en moi, comme une lumière indéfectible qui porte tout ce qui fait battre mon cœur et réjouir mon âme.

Émue, je repris le contrôle de mes pensées. Je souriais à Kyosuke, cette fois plus doucement, sincèrement.

– Je te le promets, Kasuga.

Cette promesse sembla enfin le rassurer. Son regard s’adoucit, puis il hocha lentement la tête.

– Alors, tout va bien, me dit-il en souriant.

Je replongeai silencieusement mon regard dans celui de Kyosuke. Son sourire, timidement confiant, éveilla en moi une chaleur nouvelle, une force douce qui me soutenait. Je voulais tellement croire qu’un avenir nous attendait, pour lui, pour moi, et pour tous ceux que nous aimions. Mais une idée m’effleura malgré moi, pesante et silencieuse : et si ces moments partagés étaient les derniers ?… Et si tout ce qui existe ne tenait qu’à ce que j’allais devoir accomplir ?…

Peut-être que sur l’instant, Hikaru avait pressenti mon trouble. Jusqu’alors silencieuse, elle finit par s’approcher de moi, incapable de rester en retrait. Son visage était empreint d’une inquiétude sincère, et pourtant, je savais qu’elle serait là, à mes côtés, quoi qu’il advienne. Tandis que Kyosuke s’éloignait pour nous laisser seules, Hikaru saisit ma main entre les siennes, plongea son regard dans le mien. Et je vis ses yeux s’embuer peu à peu, balbutiant avec difficulté :

– Madoka, je… Je t’en prie… Si jamais nous ne devions plus nous revoir…

– Pourquoi dis-tu cela, Hikaru ?… Ne t’ai-je pas promis autrefois de veiller sur toi ? répondis-je doucement.

Cette promesse, faite lorsqu’elle était encore une toute jeune fille, n’avait jamais quitté mon cœur, même si la vie l’avait sérieusement mise à l’épreuve depuis que Kyosuke était entré dans ma vie. Mais en cet instant, devant ce regard lourd de souvenirs, cette promesse me semblait encore plus précieuse, impérative même. Pour Hikaru, pour Kyosuke, pour ma famille, pour l’avenir… et pour ceux que j’aime, malgré la distance qui nous sépare, je n’abandonnerai rien.

Je serrai Hikaru alors contre moi avec toute l’affection que j’avais pour elle, consciente des épreuves qu’elle avait traversées et du lien unique qui nous unissait.

– Madoka… murmura-t-elle en larmes.

– Hikaru, promets-moi d’être forte. J’aurai besoin de ta force pour ce qui m’attend.

– Madoka, elle t’est acquise… ainsi que tous mes espoirs, ajouta-t-elle, d’une voix d’une douceur que je n’avais encore jamais entendue chez elle.

En cet instant, il n’y avait plus de faux-semblants entre nous, plus rien de non-dit. Nous étions tous arrivés à cette croisée des chemins, où chaque sentiment et chaque parole devait être authentique.

Nous nous détachâmes enfin. Les yeux larmoyant, Hikaru me regarda alors comme elle l’avait fait à l’aéroport de Narita, le jour où j’avais choisi de partir pour m’éloigner de tous. J’ai compris depuis longtemps que cette décision était une erreur. Mais cette fois, son regard ne reflétait plus la peine de l’abandon, mais l’espoir que cette fois-ci, nous nous retrouverions tous. Je fis miennes les larmes qu’elle laissait couler, puisant dans son courage une force nouvelle. Hikaru, si brave… Elle m’offrait, sans le savoir, plus de force que je n’en possédais moi-même.

Elle me souriait désormais, sereine, comme si elle avait reçu le plus beau des cadeaux : l’assurance d’avoir enfin une sœur qui l’aimait, et qui l’aimerait toujours. Émue, je gardai le silence, incapable de lui dire combien je ressentais la même chose. Mais dans ce simple échange de regards, tout était dit. Les erreurs et la douleur de ces derniers mois n’étaient plus que des souvenirs lointains. Je retrouvais une paix intérieure, sachant que nos âmes, enfin apaisées, avaient trouvé leur réconciliation l’une avec l’autre.

– Merci, Madoka… murmura-t-elle.

Madame Kasuga revint vers nous, avec une pointe d’impatience que je comprenais bien.

– Madoka, il est temps que je m’occupe de ton pendentif, dit-elle. La crise de Kurumi peut éclater d’un instant à l’autre.

– Oui, madame Kasuga. Je suis prête. Faites ce qu’il faut.

Hikaru céda sa place. Madame Kasuga approcha sa main de mon pendentif, qui se mit à luire d’une lumière étrange autour de ses doigts. C’était fascinant, presque irréel, de voir cela. La lumière se concentra sur la petite pierre rouge circulaire, symbole des fiançailles des parents de Kyosuke. Tandis qu’elle opérait, mon esprit vagabonda vers le souvenir de mon chapeau de paille rouge, lui aussi symbole de retrouvailles entre Kyosuke et moi, au sommet de ce grand escalier, il y a quelques années. Je portais sur moi un passé imprégné d’une promesse d’avenir, celle que Kyosuke ferait désormais partie de ma vie. Ce bijou, précieux et chargé de souvenirs, représentait un espoir immense pour nous deux. Je sentais presque mes mains trembler sous son poids, mais je devais garder un visage serein pour ceux qui comptaient sur moi.

Le processus achevé, Madame Kasuga retira sa main.

– C’est terminé, Madoka, annonça-t-elle. La pierre de ce pendentif contient maintenant une énergie harmonisée avec celle de mon double. Heureusement, il restait encore en elle quelques traces d’énergie personnelle dans ce cristal.

– Mais pour vous… êtes-vous sûre que ça va ? demandai-je.

– Sois rassurée, sourit Madame Kasuga doucement. Je sais que la mère de Kyosuke s’est épuisée au-delà de ses limites. Et qu’elle a donné tout d’elle-même pour nous sauver. Ce que j’ai versé dans ce cristal ne m’a pas affaiblie au point de m’inquiéter, je te l’assure. Souviens-toi, Madoka : cette énergie s’activera dès que tu parviendras dans la bulle de Kurumi. Mais il te faudra passer ce pendentif autour de son cou.

– J’ai compris.

Elle posa un dernier regard sur nous trois, Kyosuke, Hikaru et moi.

– Il est temps de nous dire adieu, dit-elle. Nous n’aurons hélas plus jamais l’occasion de nous revoir, même si vous réussissez cette mission.

Je vis alors Manami s’approcher de moi. Nos débuts avaient été un peu tumultueux, elle et moi, mais j’avais découvert chez elle une jeune fille profondément attachée à son frère, prête à tout pour le retrouver. Elle attendait désormais son retour avec tout l’espoir du monde.

– Madoka-san, je te souhaite de réussir pleinement ta mission, me dit-elle avec le sourire. Toute notre réalité dépend de toi, maintenant. Comme maman l’a dit, nous n’aurons plus jamais l’occasion de nous revoir, même si tu te servais à nouveau de ma mèche de cheveux comme cap. Merci pour tout ce que tu as déjà fait et pour ce que tu vas accomplir.

Elle s’inclina vers moi.

– Merci, Manami-san, répondis-je en faisant de même. J’espère de tout cœur que tu pourras retrouver ton frère très bientôt. Je sais combien tu l’as cherché. C’est une vraie satisfaction pour moi de savoir que toi, Kurumi, et ta mère allez pouvoir enfin le retrouver.

À côté, Kenji discutait en aparté avec Kyosuke et Hikaru. Je n’entendais pas ce qu’ils se disaient. Le frère de Hikaru dans cet univers, ce garçon un peu rebelle, s’était assagi avec le temps, un peu comme moi autrefois. Lui aussi se réjouissait de revoir bientôt sa petite sœur, après tant d’années. Au fond, j’espère qu’il retrouvera aussi une Madoka qui saura reconnaître qu’il existe une paix intérieure que l’on peut conquérir soi-même. Parce qu’on ne peut pas vivre éternellement dans l’ombre : la nuit doit, elle aussi, faire place à l’aube et à tous les espoirs qu’elle peut apporter aux cœurs qui sont prêts à changer. Kyosuke a été cette aube pour moi… puis il est devenu mon soleil.

– Tu vois, Madoka-san, tout le monde espère retrouver ceux qu’ils aiment, murmura Manami, tandis que je regardais Kenji.

– C’est ce que je souhaite aussi, dis-je.

Mon regard revint se poser sur elle.

– Et sois douce avec la Madoka qui reprendra sa place ici, dis-je. Elle mérite une seconde chance.

– Je suis sûre que nous deviendrons amies, elle et moi, répondit Manami. Si Kenji accepte que sa petite sœur reste aux côtés de mon frère, ton double trouvera sûrement la paix avec elle-même… et avec le monde.

J’émis un sourire à l’évocation de cette image.

– Au revoir, Madoka-san, me dit-elle, me faisant signe de la main, tout en rejoignant sa mère. Sois prudente !

– Merci Manami-san. Prends soin de toi.

Kurumi, plus réservée, me fit de sa main un signe encourageant de loin, en guise d’adieu.

– Tous nos espoirs reposent sur toi, Madoka, me dit Madame Kasuga à ses côtés. Nous prions pour ton succès. Adieu !

– Adieu, madame Kasuga, lui dis-je. Je vous souhaite un avenir des plus heureux.

– Ce sera grâce à toi, Madoka, sois en certaine, me lança-t-elle avec espoir.

Kyosuke et Hikaru s’avancèrent pour me rejoindre, après avoir dit leurs derniers mots à Kenji.

– Ayukawa, fais bien attention à toi ! me lança ce dernier, à distance.

– Et ne te laisse pas impressionner par « moi-même » ! lui répondis-je avec un certain sourire malicieux, en me souvenant de toutes les fois où il avait eu affaire à moi.

C’est alors que je vis une scène incroyable.

Tandis que Kyosuke s’approchait de moi, il hésita soudain à faire un pas de plus, avant de tourner les yeux vers Madame Kasuga. Je crus voir son indécision habituelle, mais cette fois ce n’était pas le cas. Il s’avança jusqu’à elle et l’enlaça tendrement de toutes ses forces, les yeux presque larmoyants. J’étais surprise, comme l’étaient ses deux filles sur le moment aussi, mais je ne pus m’empêcher de sourire. Même si elle n’était pas sa propre mère, Kyosuke devait voir en Madame Kasuga une présence qui lui manquait depuis si longtemps. Cette dame incroyable resta silencieuse, mais elle comprit le besoin qu’avait ce garçon si sensible d’accomplir ce geste. Ce n’était pas seulement pour la remercier d’avoir trouvé une solution grâce à son Pouvoir. Kyosuke apaisait aussi en lui quelque chose de bien plus profond, une blessure qui n’avait jamais vraiment cicatrisé. Ce moment lui permettait d’exprimer un adieu, simple, mais nécessaire, à sa mère perdue.

Après quelques instants, il relâcha doucement l’étreinte, essuya une larme, et murmura quelques mots à Madame Kasuga que je ne pus entendre. Puis il revint vers moi, le regard serein. Il prit ma main gauche, et me sourit d’un air tranquille, comme si ce qu’il venait de vivre venait refermer en lui une page importante. Sachant encore quelques larmes, Hikaru, elle aussi, vint se ranger à ses côtés pour saisir sa main gauche. Et nous étions là, ensemble, alignés les uns à côté des autres, nous tenant par la main, regardant droit devant nous, sur le point de quitter ce monde qui nous a tant mis à l’épreuve. Il ne me restait plus qu’à prononcer les mots qui nous ramèneraient chez nous, là où l’épreuve ultime nous attendait.

Kyosuke tourna alors sa tête vers moi.

– Ayukawa…

– Kasuga, répondis-je, en plongeant mon regard dans le sien.

Il n’ajouta rien, se contentant de me regarder avec une intensité qui ne laissait aucun doute sur ce que nous ressentions l’un pour l’autre. Cet instant était unique, et ses yeux me parlaient d’amour plus fort que n’importe quel mot.

Hikaru brisa alors le silence, un peu perdue :

– Heu… les amis ?… Au fait, je vais me retrouver à Otaru ou à Tokyo, quand on rentrera ?…

Je souris. Au fond, peu importait la destination, tant que nous étions là, ici, ensemble, tous les trois… Moi, Madoka Ayukawa, chanceuse d’être si bien entourée… Et toi, Kyosuke Kasuga, celui qui m’a fait découvrir tant de choses, même si je ne t’ai pas toujours rendu la vie facile… Et toi, Hikaru Hiyama, ma petite sœur de cœur, que j’ai finalement retrouvée.

C’est un instant que j’aurais aimé figer en une photo rare, celle où le passé et le présent se rejoignaient avec la même joie au fond du cœur. Peut-être que Monsieur Kasuga, qui avait apporté son appareil photo ce soir, lors de ce fameux dîner chez moi, accepterait de réaliser un beau cliché, comme celui d’une vraie famille.

Je tournai une dernière fois la tête en arrière. Madame Kasuga, Manami, Kurumi et Kenji nous regardaient, priant tous pour la réussite de ma mission et pour toutes les retrouvailles heureuses qui suivaient. D’un geste de ma tête, je leur adressai mes ultimes remerciements silencieux.

Puis je regardais à présent devant moi, comme si je cherchais à discerner l’avenir dont je devais déchirer le voile. Puis je serrai fermement la main de Kyosuke, prononçant :

– Kimagure Orange Road !

 

«

 

Depuis que j’ai crié ces trois mots étranges, je me retrouve seule, plongeant en chute libre dans cet espace rougeoyant. Ai-je échoué ?… Suis-je encore sur la voie du retour ?…

La traversée entre les dimensions aurait dû être instantanée. Pourtant, je suis ici, isolée… perdue… Et surtout, je ne sens plus la main de Kyosuke. Il a disparu, tout comme Hikaru. Où sont-ils ?… Mon cœur se serre d’angoisse. Je suis sûre de ne pas avoir lâché Kyosuke lorsque nous avons commencé notre voyage. Pourtant, je continue de tomber, sans fin, sans apercevoir ce qui m’attend au bout. Une pression m’étreint… Je pense à Kyosuke et Hikaru, qui ont apaisé mes doutes et mes craintes. Dans ma solitude, je me rends compte que j’ai bien plus besoin des autres que je ne voudrais l’admettre. Mais comment reprendre le contrôle de ce voyage ?… Je n’ai pas le Pouvoir, juste ce pendentif autour de mon cou, et je remercie le Ciel de ne pas l’avoir perdu. Sans lui, tout serait déjà perdu.

Le silence règne dans cet espace, un vide presque oppressant, bien que ce ne soit pas l’obscurité qui m’enveloppe.

Puis, j’entends quelque chose… Une voix… Lointaine… Humaine…

« Ma… »

Non… c’est impossible, il ne peut pas y avoir de son ici.

« Mado… »

Je suis sûre d’avoir entendu quelque chose, comme lorsque la voix de Kyosuke m’avait soudainement atteinte ce dernier soir sur la plage de Los Angeles. Cela résonne aussi dans ma tête…

« Madoka… »

J’en suis certaine, c’est une voix… féminine, cette fois.

« Madoka… Je porte… »

Une lueur d’étonnement s’allume en moi. Cette voix… c’est celle de Madame Kasuga !

Surprise, je réponds à haute voix :

– Madame Kasuga ?… Est-ce bien vous ?…

« Madoka… »

Que se passe-t-il ?… Comment pourrais-je l’entendre, alors que j’ai quitté son univers ?… Ai-je vraiment quitté cet endroit ?…

– Madame Kasuga ?… insistai-je.

« Madoka… écoute ma voix… »

– Où êtes-vous ?…

« Partout… »

Je reste interdite. Je reconnais bien la voix de Madame Kasuga, mais elle semble altérée, comme si elle provenait de lointains souvenirs…

« Madoka, écoute-moi… »

– Je vous écoute.

« C’est Akemi… en effet… »

– Madame Kasuga ?… C’est bien vous ?…

Je scrute les environs sans rien voir.

« La maman de Kyosuke… Ton Kyosuke… »

Le sol se dérobe sous moi… Ai-je bien entendu ?…

– La maman de Kasuga-kun ?…

Mais comment ?… Si elle me parle, elle qui n’est plus de ce monde depuis des années… Serais-je près du Royaume des Morts ?… Cette idée me glace, moi qui ai toujours eu une peur inavouée de l’inconnu et du surnaturel liés à l’Au-delà …

« … derniers mots… pendentif… », perçois-je faiblement.

Elle parle du pendentif ?… Je vérifie aussitôt qu’il est toujours là. Le soulagement me gagne de le sentir toujours autour de mon cou. Mais la voix continue d’émettre, consciente de mes difficultés à la percevoir clairement :

« Le pendentif… Il… »

J’ai le sentiment qu’un message télépathique tente désespérément de m’être transmis, mais il a vraiment dû mal à passer… Je ne dispose pas du Pouvoir, et je me sens incapable d’être réceptive, surtout en un moment et lieu pareil.

– Que dois-je faire ? criai-je, déboussolée. Où êtes-vous ?…

« Le pendentif… Il faut que… »

– Oui ?…

La voix s’affaiblit. Je tente de me concentrer.

« Il attire… »

Ai-je bien entendu ?…

– Il attire ?… Attire quoi ?…

Alors, un souvenir me revient… L’été dernier… Kyosuke m’avait offert ce pendentif, cet héritage de sa mère. Mais peu après, des forces surnaturelles s’étaient abattues sur nous. Des éclairs avaient frappé la barque où nous étions… Et plusieurs autres fois ensuite… Je frissonne. Ce même pendentif est avec moi maintenant. Ai-je entre mes mains un objet qui pourrait me causer à nouveau un tel danger ?…

– Que dois-je faire ?…

La voix dans mon esprit se fait de plus en plus lointaine :

« C’est le cadeau que je te fais… »

Puis tout s’arrête.

– Madame Kasuga ?… Madame Kasuga ?…

L’impensable se produit alors : le ciel devient entièrement rouge. Tout autour se forment des trous sombres, comme des vortex menaçants. Je manque de tressaillir… Chaque ouverture émet une lumière fulgurante et grandissante, accompagnée de grondements sourds… Partout, des points lumineux vibrent et rugissent, menaçants… Des éclairs ?… Oh ! Non, pas ça !… Comme cet été-là… Non !…

Je suis seule, et Kyosuke n’est pas là pour me protéger. Des éclairs jaillissent des vortex, pointant directement vers moi ! Je ne peux pas m’abriter !… Je ne peux pas esquiver !…

Un fracas inouï déchire le silence ! Les éclairs, comme des fouets de feu bleuâtres, se dirigent vers moi. Ils me traquent, impitoyables, cherchant à me foudroyer de toutes parts !…

Je suis seule… Impuissante… Kyosuke, pardonne-moi… Hikaru, pardonne-moi… Pardonnez-moi… Je vais mourir avant d’accomplir ma mission… Je vais disparaître à jamais avant d’honorer toutes mes promesses…

 

 

 

« «

«

 

-> Lire l'épisode 38


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#489 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 23 novembre 2024 - 14h27

« La Première Marche »

par CyberFred

 

 

Épisode 38

Le sommet

 

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Izumi Matsumoto, le kappa neko, fixa Manami avec gravité.

– Manami, un grand destin t’attend. J’ai besoin de toi pour réaliser une tâche immense.

– Laquelle ?…

– Ce que tu as accompli avec le monde de Kazuya dans son Multivers était la « Première Marche » !

– La Première Marche ?…

– Oui, dit le kappa neko avec une énergie nouvelle. Maintenant, j’ai besoin que tu m’aides à aller jusqu’au sommet !

« Oui, j’ai besoin de Manami pour qu’elle m’aide ! C’est très important !… Oups ! J’ai fait une gaffe ! Vous savez à présent que le narrateur de certains débuts de chapitre, c’est votre serviteur : kappa neko Izumi Matsumoto ! »

 

– Mais de quel « sommet » tu parles ? demanda Manami, visiblement agacée. Encore des énigmes ! Je te demande simplement d’être clair, pour une fois !

Le kappa neko esquissa un sourire, un sourire étrange, presque amusé. Il semblait prêt à se montrer tout à fait coopératif, comme s’il savourait déjà l’effet que ses révélations sur son plan allaient produire.

– Bien sûr. Je vais m’expliquer. Je serai simple. Je serai concis.

– Et pas de « Mister two hours » ! lança Manami, avec une pointe d’ironie mordante.

– OK, OK… Tu as ma parole.

– Alors je t’écoute.

Le kappa neko adopta alors un ton grave, presque solennel :

– Dans sa dimension, Kazuya est, hélas, le seul à avoir représenté ton univers à travers le manga qu’il a conçu. Quand je dis « le seul », ce n’est pas une exagération. C’est la vérité pure. Même si je suis ici lié à lui, je peux aussi voir les autres mondes… tous les mondes de son Multivers où vivent ses propres alter egos.

Manami cligna des yeux, soudain interloquée.

– Hein ?…

Le kappa neko reprit, imperturbable :

– Manami, comme tu le sais, le chapeau de paille rouge de Madoka est désormais entre les mains de Kazuya. Mais il faut que tu comprennes une chose : dans ton Multivers, il existe une infinité d’univers où ce chapeau existe aussi. Cependant, ces univers n’ont jamais vécu la rencontre entre Kyosuke et Madoka. Jamais. Tu l’as vu toi-même dans tes visions : dans ces mondes, Madoka perd inlassablement son chapeau, qui ne fait que retomber sur les marches du grand escalier, comme si tout s’arrêtait là. Sans Kyosuke.

Manami sentit un frisson étrange lui parcourir l’échine.

– C’est vrai… reconnut-elle à voix basse, plus pour elle-même que pour son interlocuteur.

Mais le kappa neko poursuivit, implacable :

– Souviens-toi de ton frère Kyosuke. Il a déjà voyagé autrefois dans certains univers parallèles. Et dans ces mondes, il a rencontré une Hikaru ou une Madoka qu’elles-mêmes ne connaissaient pas. Ainsi, dans ces univers, il n’y a pas de couple Kyosuke/Madoka. Aucun. Sauf dans ton univers.

Manami réfléchit un moment, les sourcils froncés, avant qu’une idée ne jaillisse dans son esprit. Elle releva les yeux vers le kappa neko, avec une certaine lueur de triomphe :

– Mais tu oublies quelque chose d’important, déclara-t-elle, son ton plus assuré qu’auparavant. Même si les Madoka que j’ai vues dans mes visions étaient seules sur le grand escalier, perdant leur chapeau sur les marches, il reste un détail important : il y a forcément eu la rencontre entre Madoka et Kyosuke dans le passé ! C’est une certitude. Sinon, comment mon frère aurait-il pu aller dans ce fameux passé pour lui offrir un chapeau de paille rouge ?… Donc, quoi qu’il arrive, il y aura forcément un moment où Madoka et Kyosuke se croiseront ! Parce que dans ces mondes, le chapeau est toujours entre les mains de Madoka ! Il n’y a donc que Kyosuke qui le lui a offert.

Manami s’attendait presque à ce que le kappa neko capitule devant cet argument redoutable. Pourtant, loin de paraître déstabilisé, il esquissa un sourire énigmatique, comme s’il savait depuis le début qu’elle en arriverait là.

– Excellente observation, jeune fille, admit-il en hochant lentement la tête. Mais tout cela s’explique très facilement.

Manami haussa un sourcil, intriguée, mais toujours sur ses gardes.

– Je t’écoute ?…

Le kappa neko reprit, avec une voix calme, mais teintée d’une étrange gravité :

– Comme je te l’ai dit, dans ces autres mondes, Kyosuke n’a jamais rencontré Madoka. Ni dans le passé, ni en haut des marches du grand escalier, ni même après. Je te rassure : ils coexistent cependant bien dans le même univers, mais leurs chemins ne se sont jamais croisés. Sauf dans de rares univers, comme celui de Kenji Hiyama. Où bien, quand ils ne se connaissent seulement que de vue, comme à l’école. Mais sans plus.

Manami resta sans voix un instant. Puis, comme pour s’accrocher à une logique qui lui échappait de plus en plus, elle demanda :

– Alors… comment expliques-tu que ces Madoka que j’ai vues aient eu chacune un chapeau de paille rouge ?

Le kappa neko plissa légèrement les yeux, son sourire s’élargissant comme s’il s’apprêtait à révéler un secret bien gardé.

– À un moment de leur vie, les Madoka de ces univers ont elles-mêmes acheté leur propre chapeau.

Manami écarquilla les yeux, bouche bée.

– Tu veux dire qu’à chaque fois Kyosuke n’y était pour rien ?

– Exactement. Aucun Kyosuke ne leur a offert de chapeau. Ce qui s’est passé, c’est que chaque Madoka a ressenti, inconsciemment, le désir d’acheter un chapeau de paille rouge, pour elle-même.

Les yeux de Manami s’écarquillèrent, abasourdie.

– Attends… tu es en train de me dire que ces Madoka ont toutes acheté leur propre chapeau à cause d’un… « appel » ?

– C’est bien cela, répondit Izumi. Un appel. Mais ce désir leur a été indirectement insufflé par le chapeau de paille de ton propre univers. Celui-ci, parce qu’il est magique, a influencé ses propres alter egos non magiques dans les autres mondes où vivent ces Madoka.

Manami secoua la tête, comme si elle essayait de rejeter une idée trop farfelue.

– Une seconde… Tu veux dire que chaque chapeau… a influencé la Madoka de son univers ? Qu’ils ont agi comme… des objets vivants ?

Le kappa neko acquiesça, toujours aussi calme face à l’agitation croissante de Manami. 

– Exactement. Ces chapeaux étaient connectés entre eux par le chapeau magique de ton univers, qui a transmis ce désir aux autres. Ce chapeau a influencé ses propres alter egos, agissant comme un écho à travers le Multivers. Naturellement, les Madoka ont répondu à cet appel : d’abord en achetant leur chapeau, puis en montant en haut des marches d’un grand escalier pour attendre. Malheureusement, elles pouvaient attendre indéfiniment, car Kyosuke ne venait jamais. Pire encore, l’influence exercée par leur chapeau n’a pas suffi à les pousser à chercher un Kyosuke dans leur entourage.

Manami fut complètement déconcertée.

– Des chapeaux qui influencent des Madoka à travers les univers… murmura-t-elle, presque pour elle-même. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?…

Elle avait beau tenter de rationaliser, tout cela défiait le bon sens. Et pourtant, au fond d’elle, une part de vérité semblait résonner dans ces mots. Elle tenta d’ouvrir la bouche, puis la referma, incapable de formuler clairement ses pensées. Tout cela… tout cela était trop absurde, trop grandiose, pour qu’elle puisse l’assimiler d’un seul coup.

– Pourquoi… pourquoi est-ce si important ? murmura-t-elle enfin, presque inaudible. Pourquoi tout ce chaos autour d’un chapeau, d’un couple… et d’univers entiers ?…

Son propre étonnement l’effrayait. Elle se sentait minuscule, comme une pièce dérisoire d’un puzzle dont elle ne pouvait comprendre la place au sein du jeu cosmique.

– Ton univers est donc d’une valeur inestimable, déclara le kappa neko après un silence chargé de gravité. Il est le seul qui offre la version la plus complète et la plus idéale de Kimagure Orange Road. Parce qu’il est le seul où ton frère a rencontré Madoka sur les marches du grand escalier… Et parce qu’ils se sont aimés.

Manami cligna des yeux, déconcertée. L’affirmation était si catégorique qu’elle ne savait comment la prendre. Tout semblait toujours tourner autour de son grand frère et de Madoka Ayukawa. Pourtant, une idée saugrenue s’insinua furtivement dans son esprit : et si elle-même avait son propre manga dans un autre univers ? Avec, peut-être, un garçon mystérieux qu’elle n’avait pas encore rencontré…

Elle secoua légèrement la tête, chassant cette pensée presque absurde, et rétorqua :

– D’une valeur inestimable, dis-tu ?… Tu exagères !

Le kappa neko lui lança un regard pénétrant, son large sourire énigmatique réapparaissant.

– Crois-tu ?… N’oublie pas le manga que Kazuya a offert à son monde… Il a transformé ce dernier. Il l’a inspiré, l’a guidé vers le meilleur, alors qu’il faisait face au pire. Tu n’as pas idée de l’impact que cela a eu. Je t’assure que c’est réel.

Manami plissa les yeux avec scepticisme :

– Et alors ?…

– Et alors, ce qui a été donné à Kazuya doit maintenant être offert aux autres mondes où lui-même existe, révéla Izumi, la voix soudain chargée d’une intensité presque solennelle.

Manami ouvrit de grands yeux, interloquée.

– Comment ?!…

Le kappa neko la fixa avec un calme qui contrastait avec le chaos qu’il venait de semer dans ses pensées.

– Manami, tu as compris que dans le Multivers de Kazuya, l’inspiration est la clé de sa stabilité. Mais cette stabilité est encore fragile, car beaucoup de mondes manquent d’inspiration. Elle doit donc être renforcée par une transformation majeure.

Manami arqua les sourcils, de plus en plus perdue dans ce discours habité.

– Une transformation ?… De quoi parles-tu ?…

Le kappa neko soupira doucement, comme s’il s’apprêtait à révéler une vérité douloureuse.

– Les Kazuya des autres mondes, ceux parallèles à celui où ton chapeau de paille rouge a laissé son empreinte, n’ont jamais créé Kimagure Orange Road. Ces mangaka ont orienté leur talent vers d’autres œuvres qui n’ont pas eu le même impact. Résultat : dans ces univers, ce manga n’existe tout simplement pas. Alors qu’il le devrait !

Manami ouvrit la bouche pour protester, mais Izumi la devança :

– Tous ces mondes méritent de connaître cette histoire, insista-t-il. Manami, j’ai besoin de toi. Tous les Kazuya de ces univers, même ceux qui ont perdu des années ou qui ont vu leur inspiration vaciller, doivent à leur tour se mettre à créer ce manga !

– Nani ?! Mais c’est complètement insensé ! s’écria-t-elle, abasourdie.

– Non point, Manami. Nécessaire ! C’est pourquoi je t’implore de m’aider. Après cette « Première Marche » accomplie dans le monde de Kazuya, le sommet ultime sera atteint lorsque chaque dimension, où vit un Kazuya, héritera de cette inspiration magnifique. Chacun devra alors offrir cette histoire tout aussi magnifique à son propre monde !

Manami resta figée, ses pensées tourbillonnant dans un chaos indescriptible. Tout ça… pour ça ?… Elle avait du mal à croire que ce qu’elle entendait pouvait être vrai, ou même réaliste.

– C’est absurde, souffla-t-elle enfin plus pour elle-même que pour son étrange interlocuteur. Tu prends tes désirs pour des réalités… Et tu t’attends à ce que je t’aide ?

Elle secoua la tête, incapable de réconcilier le poids de ces révélations avec le moindre fragment de logique.

– Attends, Manami ! se risqua alors le kappa neko. C’est crucial ! Et de toute manière, tu n’as pas le choix, j’en ai bien peur !

Le chat de Manami, ayant fini sa gamelle, s’approcha d’elle. Il semblait capter l’inquiétude naissante qui se formait dans l’esprit de sa maîtresse. Ses oreilles s’abaissèrent, tandis qu’il fixait le kappa neko, un léger feulement menaçant s’échappant de sa gorge.

Manami plissa les yeux, avançant lentement vers le kappa neko, les sourcils froncés.

– Pas le choix, dis-tu ?… Est-ce que tu insinues que je suis ta prisonnière ?

– Non, non ! Rien de tout ça, je t’assure ! répondit la créature en levant une patte comme pour apaiser la tension. Comme je te l’ai dit, tu es libre de repartir.

– Alors parle ! rétorqua la jeune fille avec une sévérité qui ne lui ressemblait pas. Que cherches-tu ? Et qu’est-ce que tu sais ?

Le kappa sembla hésiter un instant, avant de sourire légèrement.

– Nous allons devoir conjuguer nos talents, toi et moi.

– Encore des énigmes ! pesta Manami, agacée.

– Bien, soyons sérieux, concéda la créature. Je vais jouer cartes sur table. Ton voyage depuis la demeure de Madoka a provoqué… un incident majeur.

– HEIN ?!… Que veux-tu dire ? Montre-moi ! Vite !

Le kappa fit un geste vague, comme si le temps jouait en sa faveur.

– N’oublie pas qu’ici, nous sommes hors du temps et de l’espace. Nous avons tout le temps du monde, je te le rappelle.

– Montre-moi à l’écran ! ordonna encore Manami d’une voix plus forte.

– Oui, oui, j’allais justement te montrer tout cela.

Une image apparut devant la jeune fille, et ce qu’elle découvrit la glaça. Une scène étrange et oppressante était projetée, comme si des caméras invisibles étaient en train de filmer sous tous les angles l’intérieur de la maison de Madoka.

Kurumi, sa sœur jumelle, se tenait face à une Madoka figée dans une posture défensive, mais surtout, dans une position terriblement vulnérable. Elle était suspendue dans les airs, paralysée, oppressée par une force invisible. Manami la reconnut à sa tenue moulante sombre. Elle était celle qu’elle avait rencontrée dans l’autre univers. Que faisait-elle ici dans son monde ?…

Mais ce qui troubla Manami davantage fut l’expression de Kurumi. Son visage, ses yeux, déformés par une rage féroce, étaient méconnaissables. Une colère violente semblait s’être emparée d’elle, une haine qui dépassait l’entendement.

Manami resta pétrifiée. Que se passait-il ?… Comment ceci en était-il arrivé là ?… Kurumi… était-elle vraiment capable d’une telle cruauté ?

– Que… que se passe-t-il ?! s’écria-t-elle, abasourdie. Kurumi !… Que t’arrive-t-il ?

Le kappa neko répondit d’un ton grave :

– Ta sœur est en proie à ce qu’on appelle un dévorement conflagrateur du Pouvoir.

– Un quoi ?!…

– C’est un syndrome où le Pouvoir, incontrôlable, submerge l’esprit de quelqu’un dépourvu de régulateur naturel du Pouvoir à la naissance.

Manami secoua la tête, perdue.

– Je… je ne comprends pas…

– Ta mère – paix à son âme – a dû affronter ce problème à la naissance de Kurumi. Et tu sais très bien quelles en furent les conséquences.

Manami sentit une mémoire enfouie remonter à la surface.

– Maman… Je me souviens qu’elle était restée seule dans la clinique pour calmer la colère de Kurumi.

C’était flou, mais elle se rappelait vaguement les récits. Elle-même, venant de naître, avait été éloignée d’urgence avec le reste de la famille pour éviter un drame. Sa mère, cependant, était restée avec Kurumi, affrontant seule cette crise terrifiante.

– C’est exact, confirma le kappa. À ta naissance, tu disposais comme ton frère et tous ceux qui ont le Pouvoir, d’un régulateur du Pouvoir, ce qui n’a jamais été le cas de Kurumi.

Manami sentit un nouveau frisson lui parcourir l’échine.

– Mais pourquoi ?

Le kappa plongea son regard félin dans le sien.

– Pour une raison inconnue, ce régulateur, essentiel pour Kurumi, était en toi. Tu le portais pour elle, Manami. Aussi incroyable que cela puisse paraître, tu possèdes en toi deux régulateurs.

– Comment est-ce possible ?…

– Je l’ignore. Tout ce que je peux te dire, c’est que lorsque tu as quitté ta dimension, ceci t’a éloignée de ta sœur pour la première fois. Ainsi, tu n’étais plus là pour réguler à distance son contrôle du Pouvoir. Car tu dois savoir que c’est ta présence, dans ta dimension, auprès de Kurumi, qui apaisait ses colères, les rendant plus naturelles et plus humaines. Maintenant, elle est prête à déchaîner sa rage sur tout le Multivers, et tout sera balayé par une destruction totale.

Les bras de Manami « en tombèrent ».

– Quoi ?!… QUOI ?!…

Manami sentit la terreur lui saisir le cœur. Elle mesura soudainement l’ampleur de ce qui venait d’être révélé. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues. L’absence à ses côtés de Kurumi, l’incapacité d’apaiser ses colères… C’était un vide catastrophique. Il fallait agir… vite !

– Vite ! s’écria-t-elle, tirant le col de chemise de la créature avec désespoir. Ramène-moi dans ma dimension, immédiatement ! Je dois aider ma sœur !

– Il est trop tard ! annonça froidement le kappa neko.

– Que dis-tu ? hurla Manami bouleversée. Mais je vais t’obliger à le faire, moi !

Furieuse, elle leva la main sur la créature, prête à la frapper. Son chat adopté à ses pieds, tout aussi enragé, feula contre le kappa neko.

– Pas taper !… Pas taper !… hurla ce dernier. (Il se protégea la tête de peur que son eau vitale ne se perde).

– Je vais t’y obliger ! insista Manami, la voix tremblante de colère et de panique.

– Attends ! Attends, Manami ! Je t’ai dit : je sers l’humanité ! Je n’ai pas menti !

– Une humanité qui va disparaître si l’on ne fait rien ! Ramène-moi chez moi !

– Si tu te rends dans ton monde, tu ne pourras plus atteindre ta sœur ! Kurumi s’est enfermée dans une dimension de poche. Ton Pouvoir sera immédiatement aspiré ! Et ta présence ne peut plus la toucher, ni apaiser sa colère. Son régulateur, que tu portes en toi, n’y pourra rien. Vous deviez être ensemble dans la même dimension pour qu’il fasse effet. Maintenant, c’est trop tard. Kurumi est déjà ailleurs, dans une autre dimension !

Manami, impuissante, regarda les images défiler devant elle. Tout allait-il s’effondrer ?

– Mais… mais alors… que faire ?…

– Dans l’autre univers, celle où tu as rencontré Kenji Hiyama… Kyosuke et Madoka ont échafaudé une solution. Elle va marcher.

– Une solution ?…

– Madoka, que tu vois ici prisonnière à l’image que je te projette, est comme tu le sais, issue de l’univers parallèle où tu as rencontré Kenji Hiyama. C’est l’amie de ce Kenji. Elle a été échangée avec la Madoka de ton propre univers, afin qu’elle puisse te retrouver, avec Kyosuke.

– Ils… Ils sont partis à ma recherche ?…

– Bien sûr, répondit Izumi Matsumoto. Ta soudaine disparition a bouleversé ta famille. Kyosuke a décidé de partir à ta recherche avec Madoka. Tu n’imagines pas le chaos que cela a provoqué… Les échanges entre les dimensions…

– Ciel !

Impassible, le kappa neko présenta des images des événements passés, où les échanges entre dimensions avaient eu lieu, volontairement ou par accident. Chacune de ces révélations fit l’effet d’un coup de tonnerre dans le cœur de Manami. Elle vit cet autre univers, celui où son frère, Madoka, et même Hikaru avaient été. Et surtout, elle découvrit son propre double, et surtout le double de sa propre mère, qui était bien vivante dans cet univers !

– Ciel ! s’écria-t-elle en désignant Akemi Kasuga. Cette femme… C’est le reflet de ma mère !…

– Oui, ta mère est vivante dans cet univers, expliqua calmement le kappa neko.

– Elle a dix-sept ans de plus par rapport aux dernières photos que je possède d’elle.

– Sois chanceuse qu’elle ait été là pour aider ton frère et Madoka.

Un silence lourd tomba sur Manami, envahie par la révélation. Puis, petit à petit, la vérité s’imposa à elle : c’était l’alter ego de sa mère, dans l’autre dimension, qui avait donné son Pouvoir pour l’incorporer dans le pendentif que Madoka portait autour de son cou. Ce même pendentif qui venait de sa propre mère, et que Kyosuke avait offert à Madoka l’été dernier ! Les pièces du puzzle se mettaient en place, mais le tableau qui en résultait était insensé.

Témoin des échanges dans le hangar, Manami écouta attentivement les explications de celle qui ressemblait tant à sa mère. Au passage, elle remarqua que le timbre vocal, l’intonation, le rythme et prononciation d’Akemi différaient légèrement de ceux qu’elle gardait en mémoire de sa propre mère.

Quoi qu’il en soit, la jeune fille apprit qu’il fallait impérativement que ce pendentif, chargé du Pouvoir, soit porté par Kurumi pour éteindre sa crise. Tout cela semblait tellement absurde, tellement irréel ! Et pourtant, c’était la seule solution. Quelle folie… Mais quel choix restait-il ?

Quand elle entendit Madoka prononcer les mots « Kimagure Orange Road » au moment du départ, Manami se figea à nouveau. Ses yeux se tournèrent immédiatement vers le kappa neko, le cœur battant d’incompréhension et de surprise.

– Pourquoi Madoka a-t-elle prononcé le titre du manga de Kazuya qu’elle n’est pas censée connaître ?

– Ces mots sont nécessaires pour déclencher à la demande le passage entre les dimensions de ton frère. Il a besoin d’éprouver une peur profonde pour que son Pouvoir l’oblige à voyager.

– Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mais comment Madoka connaît-elle ces mots ?

Le kappa neko sembla légèrement embarrassé, son sourire maladroit contrastant avec la gravité de la situation.

– Durant votre soirée chez elle… j’ai… peut-être… à un moment donné… inspiré Kurumi, hé hé hé !…

– Tu… tu nous surveillais depuis le début ?

– Vu que ton univers est ultra précieux, bien sûr. Mais le soir de ton premier voyage interdimensionnel, je savais qu’un événement majeur allait survenir. Mais je n’étais pas encore certain de son évolution dramatique.

– Baka !

– M’insulter ne règlera pas les problèmes ! Mais j’ai aussi de mon côté une solution qui va tout arranger ! s’écria Izumi, une étincelle de fierté dans la voix.

– Quoi ?…

Manami sentit son esprit se brouiller face à la tournure des événements. Elle avait du mal à saisir la portée de ce qui se passait. Comment tout cela pouvait-il avoir un sens ?…

– Me crois-tu sans cœur ou insensible ? demanda le kappa neko. Je suis conscient que le danger est là, et que tout un Multivers peut disparaître en un instant.

– Mais j’ai compris que Kyosuke et Madoka avaient aussi une solution qu’ils vont mettre en pratique.

– Bien sûr. Mais n’oublie pas la raison de ta présence ici, Manami : tu vas sauver les deux Multivers !

Manami cligna des yeux, abasourdie, cherchant désespérément à rassembler ses pensées, à comprendre cette nouvelle révélation.

– Mais tu me parlais tout à l’heure de… d’inspirer les Kazuya des univers parallèles de leur Multivers…

– Justement, on va faire une pierre deux coups !

– Nani ?! Non ! La priorité est mon Multivers ! Ma sœur est prioritaire !

Le kappa neko la regarda droit dans les yeux, son expression étrangement sérieuse.

– Bien sûr, qu’elle l’est ! Manami, écoute-moi : d’un côté, dans le Multivers de Kazuya, il faut que tous les univers parallèles où existent ses propres doubles puissent créer le manga de Kimagure Orange Road. Pour cela, il faut une énergie considérable permettant aux chapeaux de paille rouges de ton Multivers de se transporter instantanément dans chaque univers parallèle de l’autre Multivers où un Kazuya non inspiré par Kimagure Orange Road puisse l’obtenir.

– C’est complètement tordu ton histoire !!

– Vraiment ?… Il se trouve que, par « chance », dans ton Multivers, une énergie infinie est sur le point de se déchaîner… C’est l’énergie dont j’ai besoin…

C’en était trop pour Manami, qui explosa :

– Que dis-tu ?… QUE DIS-TU ?!… Est-ce que tu suggères qu’on laisse détruire tout mon Multivers pour permettre à des chapeaux de paille rouge de rejoindre un autre Multivers ?!… Juste pour créer… des mangas ?… C’est tordu de tordu ! Tu es malade dans ta tête !… MALADE !!!…

– Non point ! Non point !!! se défendit le kappa neko, agitant ses mains dans un geste théâtral. Ce plan est parfaitement faisable ! Ton Multivers sera sauvé ! Tout est déjà en toi !

– Que dis-tu ?…

L’angoisse serra le ventre de Manami, la rendant presque nauséeuse. Ses pensées tourbillonnaient à toute vitesse, mais il y avait trop de choses à digérer, trop de questions sans réponses.

– Tu as réussi à voyager d’un Multivers à un autre par ton Pouvoir, rappela Izumi Matsumoto. Il te suffira d’aider ces chapeaux à faire de même !

– Mais je n’en ai rien à faire de tous tes chapeaux à la gomme ! hurla Manami, la voix brisée par l’épuisement et l’irritation. Seule ma famille compte ! TU COMPRENDS CELA ?

– Ne hurle pas ! J’essaie de te faire comprendre qu’il va t’être possible de faire une pierre deux coups grâce aux deux plans qui existent : ce qui va arriver à ton Multivers va aussi aider l’autre !

Manami ferma les yeux, une bouffée d’émotion la submergeant. Elle se sentait perdue, engloutie par la tourmente de ces révélations qui défiaient toute logique. Comment en était-elle arrivée là ?… Tout cela semblait irréel, comme un mauvais rêve dont il était impossible de s’échapper.

Elle eut alors une intuition, fugace mais puissante. Et si tout cela n’était pas le fruit du hasard ?… Si tout avait été orchestré d’une manière ou d’une autre pour la mener ici, dans cette dimension, face à ces situations insensées ?…

Plus calmement, ses mains serrant ses bras, elle murmura :

– Est-ce que… c’est le Destin qui m’a permise d’être ici ?

– Qui sait ? répondit le kappa neko. Mais tu dois me croire : tu es la seule dans tout l’Omnivers à pouvoir résoudre toute la crise.

Manami sentit une bouffée d’angoisse l’étreindre à nouveau, ses doutes ne cessant de la ronger.

– Mais tu disais que Kyosuke et Madoka avaient tenté d’appliquer une solution ? Ils sont bien en route, sur le chemin du retour, n’est-ce pas ?

– Oui, mais cela arrive trop tard. La conflagration va avoir lieu !…

Les mots du kappa neko résonnèrent dans la tête de Manami comme un coup de tonnerre. L’espoir s’éteignait. Une nouvelle vague de panique déferla sur elle.

– Mais… mais… mais… c’est trop tard ? Encore ?!…

– Non, mais il va falloir faire vite ! N’oublie pas que, du fait de ta présence ici, je ne peux agir que par rapport au temps présent de ta dimension.

– Bon, dis-moi quoi faire !

Le kappa neko fit apparaître devant lui et Manami un décor aussi surprenant que déroutant. À gauche, un empilement sans fin de chapeaux de paille rouges se dressait, chaque chapeau espacé de quelques centimètres, montant à l’infini. L’image semblait irréelle, une accumulation infinie, hypnotique. À droite, Manami aperçut des visages d’hommes qui ressemblaient tous à Kazuya, identiques et pourtant distincts, de différents âges, rasés de manières diverses, chacun avec des coiffures différentes… Le kappa neko avait créé une représentation infinie de chapeaux de paille rouges, chaque chapeau faisant face à un double de Kazuya dans toutes les dimensions de son Multivers. Au centre de cet enchevêtrement, l’image de Kazuya lui-même se dessinait, l’homme ayant créé le manga de Kimagure Orange Road. Son chapeau de paille rouge, celui qui appartenait autrefois à Madoka, flottait au-dessus de lui, suspendu dans les airs, immobile.

– Grand Ciel ! s’écria Manami, totalement abasourdie. Mais qu’est-ce que tout cela ?

Le kappa neko, avec une nonchalance qui tranchait avec l’ampleur de la situation, répondit :

– C’est une représentation symbolique visuelle de tout ce qui va se jouer avec ton Pouvoir.

Puis, sans un mot de plus, il fit apparaître de côté une autre image, étrange cette fois. Il montra la bulle où s’était retranchée Kurumi, mais bizarrement, cette fois-ci sans Madoka en face d’elle.

Manami se figea. Une étrange sensation de malaise l’envahit.

– Pourquoi Madoka n’est-elle plus là, face à Kurumi ? Elle était là, prisonnière, tout à l’heure !

Le kappa neko se montra perplexe, une brève étincelle de doute traversant son regard.

– Étrange… émit-il, une touche de confusion dans sa voix. Les choses ont changé depuis que tu as vu le passé. Kyosuke, Madoka et Hikaru ont bien voyagé pour rentrer dans leur dimension… Ce qu’ils ont fait. Mais je vois que cela a eu une conséquence inattendue pour Madoka…

– Quoi ?! s’écria Manami. Montre-moi où elle est !

Sans un mot de plus, le kappa neko fit apparaître un nouvel écran. Là, Manami aperçut Madoka, errant seule au cœur d’une dimension étrange. Tout l’espace y était d’un rouge inquiétant. Madoka semblait perdue, incapable de contrôler sa direction, flottant comme une âme égarée.

– Mais pourquoi n’est-elle pas avec Kyosuke et Hikaru ? demanda Manami, les yeux écarquillés, son cœur battant plus fort à chaque seconde. Mais quel est cet endroit ?…

– Ton frère et Hikaru sont bien rentrés dans leur dimension d’origine, comme tu le vois à l’image. Mais Madoka, elle, s’est retrouvée projetée… dans son propre pendentif.

Manami avait peine à croire ce qu’elle entendait :

– Elle est à l’intérieur ?… Comment est-ce possible ?…

Le kappa neko expliqua d’une voix calme, mais teintée d’une certaine gravité :

– En principe, elle devait se retrouver à la place de son double, dans la bulle formée par ta sœur. Mais quelque chose qui dépasse ma compréhension a fait que ce n’est que son pendentif seul qui a traversé la bulle, et pas Madoka elle-même. Celle-ci est désormais physiquement enfermée dans le cristal rouge du pendentif qu’elle porte elle-même. C’est incroyable !

Les images montrèrent effectivement que seul le pendentif flottait devant Kurumi, suspendu dans la bulle. Madoka elle-même était introuvable.

– Comment est-ce possible ?… C’est inconcevable ! s’écria Manami, la voix brisée par l’horreur. L’intérieur d’un cristal est solide ! Madoka court un danger immense si elle reste dedans !

Le kappa neko, presque distrait, haussa les épaules. Ses yeux brillaient d’une lueur étrange, comme s’il trouvait tout cela parfaitement logique.

– Avec le Pouvoir, tout est possible. Mais, d’après ce que je vois sur les images, il semble que Madoka ne soit pas vraiment dans le corpus atomique même du cristal, mais dans une réalité vibratoire située à l’intérieur de celui-ci où elle peut respirer. Tu vois qu’elle bouge.

Les images montraient Madoka, toujours vivante, se mouvant lentement à l’intérieur du cristal, comme si son corps était présent, mais séparé de la matière solide qui l’enfermait.

Manami, complètement désemparée, prit une profonde inspiration, son esprit refusant d’accepter cette réalité. Comment avait-on pu en arriver là ? Pourquoi Madoka s’était-elle retrouvée seule, prisonnière d’un cristal ?… Comment pourrait-elle en sortir ?…

Une voix douce, presque éthérée, jaillit du néant, résonnant avec une clarté qui semblait traverser le temps et l’espace :

« Ce que Madoka vit en ce moment, c’est la présence multiverselle.»

Manami et le kappa neko se figèrent, stupéfaits par cette voix inattendue. De son côté, la créature, en alerte, plissa les yeux comme pour détecter une intrusion invisible.

– Que ?… Qui êtes-vous ? demanda Izumi, sa voix teintée de méfiance, persuadé qu’aucun de ses « collègues » sur des plans parallèles ne pouvait communiquer ainsi.

Mais Manami, elle, eut son souffle coupé, son cœur s’emballant comme une vague prête à déferler. Elle se retourna vers là d’où provenait la voix. Elle connaissait cette voix. Chaque inflexion, chaque nuance résonnait en elle avec une familiarité déchirante. Une vague de souvenirs l’envahit, lui rappelant les enregistrements audio que son père possédait, où cette voix, douce et chaleureuse, habitait encore ses rêves d’enfant à leur écoute.

Son âme s’effondra avant même que ses larmes ne jaillissent.

– Maman ?… balbutia-t-elle, la gorge nouée. Ta voix, c’est… c’est bien celle dont je me souviens. Comment est-ce possible ?…

Au moment d’achever sa phrase, une apparition incroyable prit forme devant elle. Une silhouette lumineuse, une jeune femme vêtue de blanc éclatant, avançait lentement. Ses cheveux courts semblaient capturer la lumière de l’Exostral, et ses yeux violets, profonds comme l’univers lui-même, brillaient avec une intensité qui transperça le cœur de Manami.

– Par le Ciel ! Maman ?… Maman !…

Le choc se transforma en une explosion de sentiments. Sans réfléchir, Manami se lança à toute vitesse vers cette figure aimée, des larmes jaillissant et roulant sur ses joues pour se perdre sur son sillage.

– Maman !…

Chaque pas qu’elle faisait semblait l’amener plus proche d’un rêve, d’un miracle qu’elle n’aurait jamais cru possible. Mais alors qu’elle atteignait enfin Akemi, son élan fut brisé net. Sa main, tendue pour étreindre sa mère, traversa une matière intangible, un voile diaphane et irréel.

Manami recula, désorientée, incapable d’accepter ce qu’elle voyait.

– Maman ?… Mais… tu… tu es… immatérielle… Pourquoi ? Pourquoi ne puis-je pas te toucher ?…

Akemi, toujours souriante, ayant l’apparence de celle qu’elle était autrefois avant son envol, semblait irradier une douceur infinie, comme si son amour maternel transcendait cette barrière d’irréalité.

– Ma fille… murmura-t-elle d’une voix apaisante. Tu sais que je ne puis être ici matériellement, même si en ces lieux tout concourt à l’être.

Manami, tremblante, sentit son cœur se briser un peu plus.

– Parce que…

– Parce que j’appartiens à la Sphère de ceux qui ne sont plus dans le Multivers, ma chérie.

Ces mots résonnèrent en Manami avec un poids presque insoutenable.

– Maman ?… sanglota-t-elle, sa voix tremblant sous l’émotion.

– N’aie crainte, chère Manami, répondit Akemi avec tendresse. C’est ainsi que sont et vont les choses.

Manami baissa les yeux, les poings serrés. Tant de questions se bousculaient en elle, mais le simple fait d’entendre la voix de sa propre mère et de la voir, même sous cette forme diaphane, faisait naître un mélange d’extase et de douleur.

– Pourquoi es-tu là, maman ?… J’ai tant de choses à te demander, tant de choses à te dire…

Akemi s’avança légèrement, comme pour combler la distance entre elles, bien que son essence immatérielle la maintienne à jamais hors d’atteinte.

– Manami, il en va de même pour moi, répondit-elle doucement. Mais je n’ai que peu de « temps », même en ces lieux. Je suis venue pour t’encourager dans ce que tu vas accomplir.

– Ce que… je vais accomplir ?… Qu’est-ce que je dois faire, maman ?…

– Fais confiance à ton ami le kappa neko, dit-elle en jetant un regard bienveillant vers la créature, qui observait en silence au loin.

Manami secoua la tête, le doute et la peur se mêlant dans son esprit.

– Maman… dois-je vraiment faire ce qu’il dit ? Cela semble… si immense, si insurmontable…

Akemi, son expression emplie d’une sérénité infinie, répondit avec douceur :

– Il le faut, ma chérie. C’est la seule chance de sauver tout ce qui est. Ma Sphère a besoin de savoir que tu vas réussir ta mission.

Manami sentit son souffle se raccourcir, son cœur alourdi par l’ampleur de ces mots.

– Parce que… parce que le Multivers va disparaître ?…

Akemi secoua doucement la tête, ses yeux pleins de sagesse.

– Il ne doit pas en être ainsi. Tu dois réussir, ma chérie. Tu dois réussir pleinement.

Manami sentit une vague de désespoir l’envahir, ainsi que le poids immense des responsabilités qui pesait, mais aussi une étincelle d’espoir fragile, mais persistante. Elle regarda sa mère, cherchant dans son regard un dernier réconfort.

– Maman… Je vais faire de mon mieux. Pour toi. Pour nous tous !

Akemi sourit, une larme brillante roulant doucement sur sa joue immatérielle.

– Je le sais, ma fille. Je le sais depuis toujours.

Izumi s’avança doucement, brisant le silence tendu de l’instant.

– Akemi, je suis honoré de te recevoir en ces lieux, dit-il de manière solennelle. C’est une immense surprise. Je ne me doutais pas que l’Éther avait à cœur de dépêcher en ces lieux une représentante aussi renommée que toi.

– Ami kappa neko, onde inspirante, je suis ravie de te rencontrer. Tu as les salutations de l’Éther. Mais je ne veux pas perturber tes préparatifs.

Aux pieds de Manami, son chat adopté regarda Akemi d’un air étonné. Il n’avait jamais vu d’êtres diaphanes.

Le kappa neko se tourna alors vers la jeune fille, qui devait l’aider.

– Manami, tout est prêt, annonça-t-il. Je vais faire apparaître l’instrument final que tu vas utiliser.

Un peu dépitée, la jeune fille tourna la tête vers sa mère. Akemi lui offrit un sourire empreint d’une douceur infinie, un sourire qui semblait transcender la gravité du moment.

– Courage, ma fille, murmura sa mère, sa voix vibrante de sérénité et de force.

Ces mots, bien qu’apaisants, emplirent le cœur de Manami d’un mélange de terreur et de détermination. Silencieuse, elle s’avança alors lentement vers l’étrange structure située au centre de toutes les projections et écrans matérialisés précédemment par le kappa neko. Devant elle, apparût une petite sphère irisée, semblable à un arc-en-ciel capturé dans une bulle parfaite, d’une douzaine de centimètres de diamètre, brillant doucement en suspension dans l’air. Des filaments immatériels s’étendaient depuis sa base, se divisant en deux courants d’énergie. L’un plongeait vers la colonne infinie de chapeaux de paille rouges, l’autre serpentant vers les visages sans fin des Kazuya Terashima en quête d’inspiration.

Manami resta un instant immobile, fascinée par la complexité et la beauté de tout ce dispositif, mais aussi effrayée par son aura de puissance brute.

– Qu’est-ce que… qu’est-ce que c’est que cela ? demanda-t-elle, la gorge serrée, découvrant la petite sphère.

Izumi répondit d’une voix grave et mesurée :

– Tu dois approcher tes mains de la sphère. Dessous, ces filaments que tu vois relient directement les deux Multivers. Elle emmagasinera ton Pouvoir, tandis que la conflagration se produira.

Manami écarquilla les yeux, son cœur se serrant d’angoisse.

– Mais si elle se déclenche, tout est perdu ! s’écria-t-elle.

Akemi s’approcha alors de sa fille, son regard empreint d’une douceur rassurante, mais aussi d’une profonde gravité, et lui dit :

– Manami, le cristal de Madoka canalisera les énergies.

Sa fille se tourna vers sa mère, cherchant désespérément des réponses dans son visage lumineux.

– Maman… Mais il y a Madoka à l’intérieur. Tu parlais de « présence universelle » tout à l’heure, à propos d’elle. Que voulais-tu dire ?

Akemi posa un regard intense sur sa fille, son expression mêlant sagesse et regret.

– Ma chérie, commença-t-elle, l’idée initiale était juste. Madoka devait prendre la place de son double dans la bulle de Kurumi. Mais il était impossible qu’elle puisse se manifester seule, physiquement, devant ta sœur.

Akemi marqua une pause, comme si elle cherchait à choisir ses mots avec soin pour apaiser les craintes de sa fille.

– Alors, continua-t-elle, avec l’autorisation de mes pairs, je suis intervenue au tout début du voyage de retour de ton frère et ses deux amies. Dès l’entrée de Madoka dans l’Entre-Monde, j’ai intercepté son essence. Je l’ai placée dans son propre cristal tout en lui laissant porter ce pendentif. Ce paradoxe a déclenché une résonance unique : l’essence de Madoka s’est répliquée à l’infini dans le cristal. C’est cet état que l’on appelle « présence multiverselle ». J’ai personnellement tenté de la contacter télépathiquement pour la rassurer sur ce qu’il va se produire, mais j’ai bien peur qu’elle ne m’ait pas comprise.

Manami sentit un frisson lui parcourir l’échine.

– Maman… tu veux dire que Madoka est piégée là-dedans, dans ce cristal ?!… Mais elle ne peut pas rester ainsi !

Akemi posa une main immatérielle sur la joue de sa fille. Bien qu’intangible, le geste irradiait d’une chaleur maternelle qui fit vaciller Manami.

– Il le faut, chère Manami, répondit-elle avec une tendresse infinie. Les forces que Kurumi s’apprête à libérer seront bien trop vastes pour être contenues autrement.

Manami se recula légèrement, secouant la tête en signe de protestation.

– Mais… comment cela peut-il fonctionner ? Ces forces, elles vont…

Akemi l’interrompit doucement, sa voix douce mais ferme :

– Écoute-moi, Manami. Lors de la conflagration, le cristal, présent dans la bulle, chargé du Pouvoir transmuté de mon alter ego, absorbera l’énergie déchaînée. Cette énergie sera ensuite transférée au cristal que Madoka porte sur elle. À son tour, ce cristal redirigera l’énergie vers lui-même, ceci à l’infini. C’est le seul moyen de contenir des forces infinies, est-ce que tu comprends ?

Le kappa neko admit en effet que c’était la seule solution possible.

Manami, abasourdie, sentit pour sa part une vague de panique monter en elle.

– Une dimension cristalline de poche… se déclinant elle-même à l’infini, murmura-t-elle. Comment puis-je…

Akemi prit une inspiration profonde, son regard transperçant celui de Manami.

– Tu le peux, ma fille, dit-elle avec conviction. Parce que tu es forte. Parce que tu es née pour ce moment.

Ces mots résonnèrent comme un coup de tonnerre dans le cœur de Manami. Tremblante, elle approcha ses mains de la sphère irisée, ses pensées tourbillonnant entre peur et espoir.

Akemi resta immobile, observant sa fille avec un mélange de fierté et de tristesse.

– Je crois en toi, Manami. Tu réussiras, parce que tu n’as jamais cessé de croire en ceux que tu aimes, et qui t’aiment en retour.

Et, malgré l’angoisse qui étreignait son cœur, Manami regarda la lumière éclatante de la sphère, prête à affronter l’immensité du destin.

– Cela suffira-t-il à empêcher la destruction du Multivers ? demanda-t-elle, la voix tremblante.

– Oui, Manami, répondit le kappa neko avec assurance. Lorsque cette formidable énergie sera canalisée dans les dimensions infinies et imbriquées du cristal rouge, elle sera redirigée et transmutée vers l’Exostral et cette installation. Elle permettra alors d’initier le transfert de tous les chapeaux de paille rouges de ton Multivers vers celui de Kazuya. Ton Pouvoir, Manami, sera la clé de ce processus ! C’est pourquoi tu dois l’exprimer à travers cette sphère que tu dois tenir.

Manami fronça les sourcils, encore perplexe.

– Mais en quoi mon Pouvoir peut-il aider ?

Le kappa neko inclina légèrement la tête, comme s’il expliquait une vérité évidente.

– Tu portes en toi un codage unique, un souvenir gravé dans ton essence. Ce codage contient la connaissance de la transition entre les Multivers. Tu es la seule à posséder cela ! En extériorisant ce codage à travers ton Pouvoir, et en utilisant en parallèle l’énergie transmutée de la conflagration, chaque chapeau de ton Multivers pourra voyager vers l’autre et trouver son Kazuya.

– Attends… Tu veux dire qu’un chapeau de paille arrivé dans l’autre Multivers pourrait inspirer son Kazuya à créer Kimagure Orange Road ? C’est insensé ! fit Manami d’un ton abrupt. Ces chapeaux n’ont rien vécu de ce qui s’est passé dans mon univers, même s’ils ont été plus ou moins influencés. Comment pourraient-ils transmettre quoi que ce soit ?

Un éclat malicieux traversa les yeux du kappa neko.

– C’est là que réside la grande révélation, Manami. Le chapeau de paille que tu as laissé dans le Multivers de Kazuya est spécial. Il entrera immédiatement en résonance avec tous les autres chapeaux lorsqu’ils arriveront. Ce chapeau est devenu magique, je le rappelle. Il ressentait déjà la présence de ses alter egos dans ton Multivers d’origine. Une fois ses alter egos parvenus dans l’autre Multivers, il partagera toute sa mémoire avec eux. Ainsi, mon plan pourra se réaliser.

Manami secoua lentement la tête, toujours sceptique.

– Un plan complètement fou, murmura-t-elle pour elle-même. Le plus important pour moi est que cette conflagration soit évitée dans mon Multivers et que tous soient sauvés.

Elle détourna les yeux vers sa mère, Akemi, dont le regard calme lui donnait le courage de continuer.

– Il est temps, ma fille, dit doucement Akemi.

Manami sentit une étrange douleur dans sa poitrine. Elle était heureuse de revoir sa mère, mais ce moment crucial leur laissait si peu de temps.

Le kappa neko lui fit signe de s’approcher de la petite sphère iridescente.

– Merci, Manami. Grâce à toi, l’Inspiration pourra étendre toute sa force à travers le Multivers de Kazuya.

La jeune fille posa lentement ses mains de chaque côté de la sphère. Une chaleur douce et puissante émanait de l’objet, comme si celui-ci répondait à sa présence.

– Parfait, Manami. Concentre-toi sur le codage spécial en toi, et laisse-le s’exprimer à travers ton Pouvoir, guida Izumi Matsumoto d’un ton mesuré.

Fermant les yeux, Manami sentit son Pouvoir s’écouler vers la sphère, qui se mit à briller intensément. Les filaments reliant la sphère aux deux Multivers s’illuminèrent, vibrant d’énergie pure. Derrière elle, Akemi restait silencieuse mais présente, tel un pilier invisible de soutien.

– C’est bien, Manami, fit Izumi. Ton Pouvoir alimente désormais les circuits inter-multiversels. Ne cherche pas à donner tout ce que tu as. Harmonise le flux avec ce codage unique sans t’arrêter.

Manami ouvrit brièvement les yeux. Devant elle, des flux énergétiques dorés encadraient les représentations infinies des chapeaux et des Kazuya. Était-ce une manifestation de son Pouvoir ? Ou une simplification créée par le kappa neko pour rendre compréhensible une réalité autrement insondable ? Qu’importe à présent.

Une prière silencieuse s’éleva dans son esprit. Elle pria pour Kurumi, sa sœur, dont la folie risquait de tout détruire. Elle pria pour Kyosuke, son frère, qui avait traversé tant d’épreuves pour tenter de la retrouver à travers le Multivers. Puis, elle pria pour Madoka, seule dans un lieu où elle n’aurait jamais dû se trouver. Madoka devait être terrifiée, isolée, loin de la Terre, confrontée à des mystères qu’aucun être humain ne pouvait comprendre. Manami pria pour qu’après cette crise, Madoka ne cherche pas à fuir l’univers du Pouvoir… et Kyosuke. Pour ce dernier, ce serait plus que cataclysmique. Elle refoula vite cette idée.

Tout en continuant de canaliser son Pouvoir, Manami sentit des souvenirs enfouis remonter à la surface : les matins paisibles où elle préparait le petit-déjeuner pour que Kyosuke et Kurumi partent à l’école sans soucis. Les heures passées à ranger la maison après leurs disputes, tentant de préserver un semblant de normalité, malgré les déménagements inévitables. Ces moments, si simples et anodins, avaient été sa façon de maintenir l’équilibre familial.

Mais ici, loin de ceux qu’elle aimait, une étrange inquiétude s’insinuait dans son cœur. Qui s’occuperait d’eux s’il arrivait quelque chose ?

La sphère brillait désormais avec une intensité presque aveuglante.

– Ma fille, tiens bon, l’encouragea Akemi. Aie foi en ce que tu es en train d’accomplir.

Manami inspira profondément, rassemblant ses forces. Elle ne pouvait pas se permettre de faillir. Trop de vies dépendaient de cet instant.

Elle ferma de nouveau les yeux, laissant son Pouvoir circuler librement, jusqu’à ce que tout le Multivers soit en paix.

 

«

 

Sur Terre, tous les regards étaient fixés sur la bulle scintillante où l’on pouvait encore voir à travers. Kyosuke et Hikaru, à peine revenus de l’autre dimension, se figèrent en découvrant l’absence de Madoka dans la sphère de Kurumi. Cette dernière, stupéfaite de voir disparaître sa prisonnière, explosa de rage.

– Non ! hurla-t-elle, sa voix déchirant l’air.

Une lumière aveuglante s’échappa soudain de la bulle, forçant les témoins à se protéger les yeux.

– C’est trop tard ! cria Akane, l’effroi perçant dans son ton.

Hikaru, terrifiée, se jeta instinctivement dans les bras de Kyosuke.

– Kasuga ! fit-elle, les larmes ruisselant sur ses joues.

– Nous allons tous mourir ! hurla Monsieur Hamada, paniqué comme jamais.

– Que le Ciel nous vienne en aide ! supplia Takashi dans un dernier espoir.

Mais Kyosuke, lui, restait silencieux, figé dans une torpeur presque irréelle. La lumière ne l’effrayait pas. Ce qui l’angoissait, ce qui le déchirait à l’intérieur, c’était une seule question qui tournait en boucle dans son esprit : « Où était Madoka » ?…

Son cœur semblait broyé sous le poids de cette absence, en particulier en cet instant. Il ferma les yeux, non pour échapper à l’éclat insoutenable, mais pour tenter de se raccrocher coûte que coûte à l’image de celle qu’il aimait. Il la revoyait, debout sous la lumière dorée d’un soleil de printemps, tout en haut du grand escalier. Elle portait ce sourire rare et vrai, celui qui illuminait tout son être et faisait battre son cœur plus vite.

Il aurait voulu tant de choses. Lui dire qu’elle était son ancre, son refuge, sa raison d’avancer même dans les moments les plus sombres. Lui avouer qu’il admirait sa force, qu’il se sentait honoré de marcher à ses côtés, qu’il l’aimait d’une manière si profonde qu’il n’avait jamais trouvé les mots pour l’exprimer pleinement. Mais il avait attendu. Trop attendu. Et maintenant… maintenant il se demandait si elle était en sécurité, quelque part, ou si elle ressentait, comme lui, ce fil invisible qui les reliait se tendre jusqu’à se rompre.

Une larme silencieuse roula sur sa joue. La douleur de ce moment était insupportable : mourir sans avoir pu la revoir, sans avoir pu lui murmurer tout ce qu’il gardait enfoui en lui.

– Madoka…

Son souffle brisé laissa échapper ce nom qu’il aurait voulu lui offrir, un dernier cri du cœur noyé dans le tumulte. Ce fut sa dernière pensée, son dernier mot, avant que l’obscurité ne l’engloutisse, emportant avec elle le souvenir d’une lumière douce et d’un amour inachevé.

 

 

 

« «

«

 

-> Lire l'épisode 39


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#490 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 08 décembre 2024 - 15h32

« La Première Marche »

par CyberFred

 

 

Épisode 39

Le Pouvoir

 

 

 

Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »

Je suis seule, et Kyosuke n’est pas là pour me protéger. Des éclairs jaillissent des vortex, pointant directement vers moi ! Je ne peux pas m’abriter !… Je ne peux pas esquiver !…

Un fracas inouï déchire le silence ! Les éclairs, comme des fouets de feu bleuâtres, se dirigent vers moi. Ils me traquent, impitoyables, cherchant à me foudroyer de toutes parts !…

Je suis seule… Impuissante… Kyosuke, pardonne-moi… Hikaru, pardonne-moi… Pardonnez-moi… Je vais mourir avant d’accomplir ma mission… Je vais disparaître à jamais avant d’honorer toutes mes promesses…

 

Le champ de vision de Madoka se brouilla sous l’assaut des menaces qui surgissaient de toutes parts. Elle savait qu’il lui était impossible de se mouvoir à une vitesse surpassant celle de la lumière pour éviter les éclairs qui fusaient, prêts à la frapper.

« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »

Les yeux clos, elle perçut cette voix, claire et implacable, résonnant à la fois de partout et de nulle part. Elle resta immobile, son champ de vision toujours obscurci. Était-elle morte ?… Les éclairs l’avaient-ils atteinte ?…

Quand elle rouvrit les yeux, tout avait changé. Le vide… Une immobilité écrasante… Plus aucune teinte écarlate dans le décor, plus aucun éclair. Que se passait-il ?… Et cette voix gutturale qu’elle venait d’entendre ?… Ce n’était pas Akemi. Non, c’était autre chose… quelque chose qu’elle n’arrivait pas à nommer ni à définir.

La voix revint, insistante :

« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »

Elle balaya son environnement du regard. Soudain, elle ressentit sous ses pieds la présence d’un sol invisible, ferme comme une plaque de verre suspendue dans un espace infini. Ce contact la rassura. Flotter dans ce vide rougeoyant lui avait fait perdre tout repère.

Elle ferma un instant les yeux et fit le vide dans son esprit, tentant de retrouver son équilibre.

– Ma peur est pour tous ceux que j’aime, pas pour moi, répondit-elle à haute voix. Qui êtes-vous ?

Sa voix résonna, s’étirant dans des échos qui semblaient se disperser à l’infini. 

« Une part de cette peur t’appartient aussi, Madoka », reprit la voix, imperturbable.

Elle fronça les sourcils. Pourquoi cette insistance ? Pourquoi revenir sur la peur ?

– Qui êtes-vous ? répéta-t-elle, plus fermement. Que voulez-vous ?

« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »

La jeune femme serra les dents. Elle comprit que cette présence continuerait à poser inlassablement la même question si elle s’entêtait à répondre par d’autres interrogations. Il lui fallait être plus sincère. Cette voix, ou cette intelligence, semblait percevoir bien plus qu’elle ne voulait admettre.

– Montrez-vous ! cria-t-elle soudain.

« Me voir ne t’aidera pas à répondre à ma question : pourquoi as-tu peur ? »

Elle sentit que l’obstination ne lui apporterait rien. Cette présence exigeait une réponse honnête.

– J’ai peur, oui.

« Sois plus précise. »

– J’ai peur ! C’est ce que vous voulez entendre, n’est-ce pas ?

« Non. »

– Quoi ? Mais qu’attendez-vous de moi ? Je dois sauver une amie !

« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »

L’agacement céda à une sorte de lassitude mêlée de lucidité. La présence ne se contenterait pas d’une réponse superficielle. Madoka ouvrit la bouche, prête à répliquer, mais se ravisa. Elle comprit qu’elle devait descendre plus profondément en elle-même.

Car cette peur, elle l’avait toujours portée, sans jamais oser la nommer. Depuis trop longtemps, elle se protégeait derrière une façade : un mur d’indifférence, une barrière érigée contre ses propres émotions. Mais qu’y avait-il derrière ? Une peur d’être rejetée, montrée du doigt. La peur d’échouer, là où tout le monde la regardait. Être la meilleure, toujours, pour étouffer cette peur sourde.

Elle serra les poings. Oui, la peur était là, inavouée. Mais elle le savait : son amour pour Kyosuke avait repoussé ces ténèbres, ou du moins les avait tenues à distance.

Comme si cette présence invisible avait deviné les pensées de Madoka, elle déclara :

« Tu as répondu à ma question. »

– Je n’ai pas encore répondu, répliqua Madoka.

« Et pourtant, tu l’as fait. »

– Qui êtes-vous ?

« Je suis une présence qui éclaire ce que tu cherches à comprendre. »

– Vous parlez par énigmes ! s’indigna-t-elle. Qu’est-ce que vous voulez ? Où suis-je ?

« Écoute mes mots, Madoka. Je vais être direct. Je connais ton désir de tout savoir. »

– Bien sûr !

À ces mots, un torrent d’informations visuelles et sonores jaillit dans son esprit, s’imposant presque avec brutalité inouïe. Madoka hurla, surprise par l’intensité de ce flot. Elle comprit que ce mode de transmission était nécessaire, car ici, le temps semblait suspendu, sa logique humaine dépassée.

En un instant, elle sut. Elle sut que son corps physique résidait dans le cristal qu’elle portait autour du cou, et que, telle une poupée gigogne, son essence se démultipliait à l’infini à travers les strates de cette dimension. Comme dans un temps suspendu, les éclairs, eux, convergeaient sur elle. Elle sut aussi que ce lieu, hors du temps, avait été créé pour cette audience. Elle comprit ce qu’était l’Exostral. Elle sut que Manami jouait un rôle crucial dans cet effort pour sauver son Multivers et en revitaliser un autre. Elle apprit qu’Akemi Kasuga, sa mère décédée revenue de l’Éther spécialement pour cela, accompagnait sa fille dans cette mission, et qu’un être étrange, un kappa neko, animé d’ambitions insondables, œuvrait pour un autre univers, celui d’un mangaka inspiré par un simple chapeau de paille rouge… Son propre chapeau de paille rouge !

Madoka assista aux échanges entre Akemi et Manami, et son cœur se serra de bonheur à l’idée qu’une fille puisse retrouver sa mère, même dans ces circonstances extraordinaires. Elle hurla à nouveau, mais cette fois de joie, en découvrant que Kyosuke et Hikaru étaient revenus sains et saufs sur Terre. Cependant, l’inévitable catastrophe s’amorçait déjà.

Elle comprit enfin que son pendentif flottait désormais devant Kurumi, piégé dans une bulle interdimensionnelle que cette dernière avait créée. Tout cela était bien trop à assimiler, et pourtant insuffisant pour répondre à la question essentielle : comment tout cela finirait-il ?

Épuisée par cet afflux d’informations, Madoka tomba à genoux sur le sol invisible.

Haletante, elle finit par murmurer :

– Cela ne me dit rien sur ce qui m’attaque dans le cristal… ni sur qui vous êtes…

« Vraiment ? »

– Vous n’êtes ni une créature de l’Exostral, ni de l’Éther, lança-t-elle, cherchant à démasquer cette entité. Vous êtes autre chose… à moins que…

« Tu as deviné. »

– Le Pouvoir…

« Tel, je suis. »

– Êtes-vous une divinité ?

« Point du tout. »

– Dans ce cas, nous pouvons parler d’égal à égal.

« Bien dit, Madoka. »

– Alors, aidez-moi à sauver tout le monde !

« Sauver le Multivers… Sauver tout ce qui existe… »

– Oui, il le faut !

« Es-tu prête à en payer le prix ? »

– Vous voulez dire… mourir ?…

« Si cela s’avère nécessaire, l’accepteras-tu ? »

La jeune femme pensa à Kyosuke. Elle savait maintenant qu’il était en sécurité, sur Terre. Il était rentré chez elle, sain et sauf, avec Hikaru à ses côtés. Tous semblaient aller bien, en apparence. Car la menace de la conflagration était là. Madoka avait vu aussi, ces images de l’autre univers, celles leurs doubles respectifs qui étaient rentrés à destination. Kenji avait retrouvé sa petite sœur, ainsi que sa propre Madoka, guérie des souffrances infligées par Kurumi grâce aux soins de Madame Kasuga.

Malgré tout, Madoka devinait l’inquiétude de son Kyosuke. Il priait pour elle, rongé par la culpabilité de ne pas être là pour la protéger dans cette épreuve extrême. Une larme roula sur la joue de la jeune femme, une larme pour tous ceux qu’elle aimait et qui allaient bien. Mais elle savait qu’elle devait s’oublier. Si c’était là son destin, elle l’accepterait. Accomplir quelque chose de grand pour une cause infiniment plus grande qu’elle-même : voilà ce qui comptait désormais.

– J’accepte. Si ma vie peut sauver celles des autres, qu’il en soit ainsi.

« Je vais toutefois pimenter les choses, pour être certain que tu fasses le bon choix. »

– Quoi donc ?…

« Lorsque l’esprit d’Akemi Kasuga a tenté de communiquer avec toi, elle t’a offert un cadeau. »

– Un cadeau ?… Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris sur le moment.

« Quant à moi, je vais également t’en offrir un. »

– Décidément, c’est Noël avant l’heure. Quels cadeaux ?

« Madoka, le cadeau offert par Akemi, est un don que tu ne peux utiliser qu’une seule fois, quand tu le souhaiteras. »

– Un Pouvoir ?

« Oui, un Pouvoir. »

– De quel type ?

« À toi de le définir. »

Comment était-il possible de posséder ce qu’elle n’avait jamais eu ?

– Et si mon souhait était simplement d’empêcher la conflagration de se produire ?

« Elle se déroule déjà dans ton continuum. Crois-tu vraiment que cela suffirait ? Tu dois choisir avec soin. »

– Et cela ne vous gène pas que tout disparaisse ? Vous êtes aussi concerné.

« Penses-tu ? C’est un Pouvoir incontrôlé qui détruit tout. Ces énergies sont miennes. Je ne puis être détruit par ce qui me constitue. »

Madoka ne put appréhender les desseins de cette manifestation que constituait le Pouvoir. Elle se remémora plutôt les plans élaborés par madame Kasuga et ce kappa neko, qui assistaient Manami. Ces efforts seraient-ils suffisants pour contenir les énergies déchaînées de la conflagration ?

– Et votre cadeau ?…

« Lui aussi prend la forme d’un vœu. Un Pouvoir qui ne pourra s’exécuter qu’une seule fois également. Tu pourras l’utiliser dès ton retour dans le cristal, tout comme l’autre. Rappelle-toi que tu n’es ici que par l’esprit. Ton corps physique demeure là-bas, suspendu dans ce lieu hors du temps. »

Madoka serra les dents. Deux vœux… Bénie soit Akemi, dont la générosité et le courage s’étaient encore manifestés, même au-delà de la mort. Madoka admirait cette femme qui avait sacrifié sa vie pour sauver celles des autres.

– Je croyais que seuls les Kasuga possédaient le Pouvoir.

« Il demeure en eux parce que leur Souvenir du Pouvoir est inscrit dans leur cœur et leur esprit. Ces facultés existent aussi dans ton monde. Hélas, avec le temps, elles ont été oubliées. »

– Pourquoi m’offrir ces deux présents ? demanda la jeune femme.

« Deux ne sont qu’un miroir brisé en deux éclats. L’un reflète ton désir, l’autre ton devoir. Ce qui est donné n’est pas toujours destiné à celui qui le reçoit. »

– Je ne comprends pas…

Madoka comprit néanmoins que ces paroles cryptiques étaient un avertissement. Elle devrait user de prudence et de discernement pour employer ces Pouvoirs.

Une dernière question lui échappa :

– Ces éclairs qui me menacent… De quoi s’agit-il ? Je les ai déjà croisés autrefois. Ils me cherchent à nouveau. Est-ce lié au cristal que je porte ?

« Ces éclairs illuminent ce qui demeure caché. Leur lumière n’est pas un châtiment, mais un message. Leur feu dévore ce qui s’abandonne à l’absence et refuse de voir au-delà des ombres de l’âme. Si leur lumière devait t’atteindre, elle révélerait ce que ton cœur ignore encore, mais pas sans épreuve. Quant à ton cristal, il est la clé. Son prisme plie cette lumière en vérités que seuls les esprits lucides peuvent accueillir. Si tu oses regarder au-delà de son éclat, tu verras que le chemin n’a jamais disparu : il attend que tu le comprennes. »

Ces mots transpercèrent Madoka, plus profondément que tout ce qu’elle avait entendu jusqu’alors. Elle ouvrit la bouche, prête à protester face à ces énigmes incessantes.

« Tu cherches un éclairage ? Réfléchis à ton propre reflet. Celle qui, dans l’autre monde, a crié sous le poids des chaînes jusqu’à ce que la lumière l’éveille. Ce qu’elle a enduré n’a pas brisé son âme, mais l’a libérée. Et pour elle, tu es aussi un reflet. Ce qui détruit peut aussi guérir, si l’âme accepte de voir l’Invisible. Comme ce soir à Los Angeles, où la foudre dans ton cœur a éclairé ton chemin. »

Madoka frissonna. Le Pouvoir faisait allusion à son expérience à Los Angeles, ce moment charnière de son existence.

– Co… comment savez-vous ?… murmura-t-elle.

« Rien de ce qui est ne m’est caché. »

– Alors pourquoi avez-vous laissé Kurumi subir ce qu’elle a traversé ? Elle ne pouvait contrôler les dons issus de vos énergies.

« Ai-je jamais affirmé que le Pouvoir ou l’Inspiration étaient des forces parfaites ? Ce sont deux reflets d’un même éclat, deux polarités d’un unique souffle, et pourtant jamais tout à fait équilibrées. Ceux qui possèdent le Pouvoir sont rares, et, en eux, ces forces trouvent un réceptacle fragile, exigeant un contrôle constant. Mais si ce contrôle n’est point, alors, comme une note suspendue, l’un ne peut se maintenir qu’en s’appuyant sur l’autre, porté par un frère ou une sœur dans une harmonie imposée. »

Madoka songea alors à Manami qui régulait pour Kurumi le contrôle de son Pouvoir. Mais parler n’est pas agir.

– Cela suffit, trancha-t-elle, impatiente, et lasse des énigmes. Ramenez-moi où je suis.

Le Pouvoir marqua une pause. Lui qui répondait toujours promptement, même par des paroles sibyllines, sembla réfléchir. Puis, après un instant d’étrange silence, il déclara :

« Qu’il en soit ainsi, Madoka. Poursuis ton chemin et vois ton Destin s’accomplir. »

– Adieu et… merci.

La jeune femme ne pouvait toutefois pas ignorer les mots qu’elle avait entendus du Pouvoir. Elle songea que c’était peut-être la seule fois qu’elle aurait l’occasion d’avoir une audience avec lui. Le Pouvoir n’était pas une divinité, mais une énergie. Une force qu’il fallait canaliser en soi. Madoka ne possédait pas le Pouvoir. Et cela ne l’intéressait pas, car elle avait construit sa vie autour de sa propre force et de ses convictions. Cela lui suffisait. Mais elle avait aussi trouvé une autre force qui marchait à ses côtés : Kyosuke, qu’elle avait rencontré tout en haut des marches du grand escalier un beau jour de printemps. Et ce jour-là, elle ne le savait pas encore, mais le « printemps » avait aussi commencé à fleurir en elle, après de si longues années « d’hivers ». Elle portait depuis des années ce chapeau de paille rouge sur elle, et elle l’avait offert à cet inconnu. Pourquoi l’avait-elle fait ?… Elle ne connaissait pas ce garçon inconnu, mais son cœur et son âme avaient ressenti qu’au-delà des révélations d’un voyage dans le temps à venir, Kyosuke allait être spécial pour elle.

En songeant plus avant à ce qui lui était arrivé à Los Angeles, Madoka finit par découvrir un lien entre le foudroiement de son cœur qu’elle avait subi sur les sables de la plage, et le fait d’avoir laissé son chapeau de paille à Kyosuke le premier jour de leur rencontre. Au fond, elle savait, grâce aux révélations du Pouvoir, que son chapeau de paille rouge était devenu magique. Mais sa magie s’était-elle déclenchée quand elle a eu ce foudroiement ? Cet amour qui avait complètement foudroyé son âme ? Tout était lié à cet instant précis. Mais la réponse était peut-être là. En haut des marches du grand escalier, Kyosuke n’avait pas encore fait son voyage dans le temps pour lui offrir son chapeau. Elle ne pouvait donc pas avoir conscience que ce garçon ne lui était pas inconnu. Elle ne pouvait donc pas avoir de raison de lui donner son chapeau de paille. Elle n’était pas encore amoureuse de lui. À ce moment, Kyosuke n’étais juste qu’un inconnu qui n’avait fait que rattraper son chapeau… Et pourtant, elle lui avait donné son chapeau.

Alors que Madoka songeait à ce moment crucial de sa vie, tandis que sa vision présente la ramenait d’un plan à l’autre, vers ce ciel rougeoyant, vers les éclairs qui l’attendaient à son retour, elle chercha mystérieusement à comprendre l’engrenage des choses, sur un événement de son propre passé. Avant que Kyosuke ne tente de lui rendre le chapeau, il l’avait gardé sur sa tête durant quelques minutes. Il portait physiquement sur lui un objet qu’elle avait gardé durant des années que pour elle-même. Pourquoi le lui avait-elle donné ?… Pourquoi se poser cette question maintenant, en un moment pareil ? C’est là que venait le problème. Et, étrangement, Madoka s’accrochait à en débusquer la clé. Elle ne s’était jamais posé la question, même après tous les événements qui avaient surgi après son retour au Japon. Pourquoi avoir donné son chapeau à Kyosuke ?… Pourquoi tout se concentrait sur cela ?…

Elle eut la révélation au moment où son esprit réintégra l’espace dimensionnel du cristal rouge.

Cet instant précis fut la réponse.

La révélation.

Sur le bateau, l’été dernier, Kyosuke lui avait offert le pendentif de sa mère ciselé d’un cristal rouge : « Je te le donne. Il te va très bien ». Quelques années auparavant, elle lui avait donné son chapeau de paille rouge : « Je te le donne. Il te va plutôt bien ». Sous l’arbre des souvenirs, Kyosuke lui avait dit : « Je t’attendais, Ayukawa ». À Los Angeles, Madoka lui avait crié : « Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! » Tout était lié.

Elle comprit enfin, dans cet éclat de conscience que le cristal rouge lui insuffla, que rien n’était dû au hasard. Ce jour-là, sur le grand escalier, elle n’avait pas donné son chapeau de paille rouge à Kyosuke parce qu’il en avait besoin ou parce que c’était un acte purement altruiste. Elle l’avait fait parce que, quelque part, en elle, une part enfouie de son être savait déjà.

Non pas avec la clarté d’un souvenir, mais avec l’intuition profonde de l’âme. L’intuition de quelqu’un qui, sans comprendre pourquoi, ressent une présence comme un écho ou une brise. Kyosuke n’était pas qu’un inconnu : il était un fragment à la fois de son passé et de son futur qui venait d’éclore dans son présent. Et, même si elle n’avait pas encore vécu tout ce que ce futur leur réservait, son cœur avait déjà pressenti la puissance de leur lien. Donner ce chapeau, c’était une manière instinctive de sceller quelque chose, un geste d’attachement qu’elle ne pouvait pas nommer.

Elle réalisa que le chapeau était bien plus qu’un simple accessoire. Depuis des années, il l’avait accompagnée comme une carapace douce mais solide, un talisman rouge pour dissimuler ses émotions. Quand elle le portait, elle se sentait protégée, comme si cet objet pouvait adoucir ses tempêtes intérieures. Ce jour-là, en le donnant à Kyosuke, elle avait inconsciemment décidé de se dévoiler, d’abandonner cette part de contrôle qu’elle tenait si fermement. Il n’était pas encore celui qu’elle aimerait profondément, mais il avait capturé une brise légère dans son âme, et elle avait laissé cette brise l’emporter.

Elle comprit que le don de son chapeau avait ouvert une porte, une faille minuscule dans son propre mur de solitude. Ce jour-là, elle n’avait pas donné qu’un chapeau. Elle avait donné un fragment d’elle-même, une permission tacite pour qu’un inconnu puisse entrer dans sa vie. C’était un risque, mais un risque qu’elle avait pris sans réfléchir, parce que quelque chose au fond d’elle savait que Kyosuke n’était pas destiné à être un simple passant gravissant ces marches. Son geste, bien que spontané, était empreint de l’énergie du Pouvoir qu’elle venait de reconnaître comme un guide inconscient à travers Kyosuke, une force invisible reliant les âmes au-delà du temps et des dimensions. Cette même sensation qu’elle reconnut quand elle était en présence du Pouvoir.

Alors, tout devint limpide. Ce n’était pas un acte conscient, mais un appel lancé à travers les années. Un signal pour celui qui, elle le comprenait à présent, serait le porteur de ses rêves et de ses douleurs, l’ombre et la lumière de ses jours. Elle l’avait su au plus profond d’elle-même, même si son esprit n’avait pas encore saisi la portée de cet acte. Elle lui avait donné ce chapeau comme on sème une graine : avec l’espoir silencieux qu’elle germerait un jour.

Les éclairs autour d’elle se firent plus vifs, comme si l’espace dimensionnel lui-même saluait cette révélation. Ce chapeau, qu’elle n’avait plus, n’était pas seulement magique parce qu’elle l’avait porté. Il était devenu magique parce qu’elle l’avait donné, par un Pouvoir qui veillait quelque part et la guidait. Et en le donnant, elle avait permis à son amour de se déployer à travers le temps, de grandir sans qu’elle ne le sache encore. Tout était lié. Le chapeau rouge était le premier fil d’une tapisserie qu’ils tissaient ensemble, sans même en être conscients.

Madoka sourit légèrement, les yeux fermés. La réponse était là depuis toujours. Ce n’était pas le chapeau qui avait changé leur destin, mais l’élan du cœur qui l’avait poussé entre les mains de Kyosuke. Un élan qu’elle avait toujours eu en elle, qu’elle avait exprimé avec une émotion intense à Los Angeles : l’amour.

« Je n’ai plus mon chapeau, mais ce pendentif est désormais ma carapace pour me protéger des tempêtes ! »

Et puis, tout en gardant les yeux clos :

« Je lâche prise… »

Pour la première fois, Madoka abandonna toute résistance et toute confrontation. Les éclairs seraient la révélation, comme ils tentèrent de le faire sur la barque l’été dernier. Elle acceptait leur message.

Elle portait son pendentif avec fierté et conviction. Elle se souvint des mots du Pouvoir : « Si leur lumière devait t’atteindre, elle révélerait ce que ton cœur ignore encore, mais pas sans épreuve. »

Elle attendit. Elle portait le Pouvoir sur elle. Elle ne pria pas. Elle ne formula pas de vœux. Elle réserva cela pour après. Elle sourit. Elle avait confiance. Elle ne voulut plus se cacher. Elle n’avait plus peur. Elle s’en remit au Destin.

Comme attendus, sous un fracas intense, les éclairs en très grand nombre fouaillèrent sur Madoka.

La jeune femme avait encore conscience d’elle-même. Elle avait eu cet acte de foi ultime dans sa survie. Les éclairs bleus l’avaient atteinte. Elle aurait pu mourir mille fois sous leur feu dévastateur. Elle ne ressentit pas de chaleur intense, pas de douleur, pas de souffrance. Au contraire, un sentiment de paix. En rouvrant les yeux, elle vit comme un champ de protection autour d’elle. Cela avait l’apparence d’une bulle couleur azur et intense. C’était merveilleux. Les éclairs n’étaient pas là pour détruire, mais pour protéger. Ils voulaient protéger celle qui était la détentrice du cristal et qui en acceptait ses bienfaits. Cette pierre était la gardienne qui avait autrefois unis Akemi et Takashi. Désormais, Madoka était détentrice de la même pierre qui l’unirait, elle, à Kyosuke.

« Kyosuke… »

Elle aperçut, l’espace d’un instant fugace, une vision délicate : le feuillage d’un arbre, d’un vert paisible, s’élevant sous un ciel d’azur où l’on entendait au loin le chant timide d’un grillon. La scène présentait seulement de manière très rapprochée ce feuillage, qui semblait vibrer d’une clarté singulière. Que signifiait-elle ?… Pourquoi cette image, et pas une autre ?… Madoka en était sûre : ce n’était pas un simple écho des flots d’informations que le Pouvoir avait projetés en elle. Était-ce une épreuve ?… Était-ce l’épreuve ?… Puis, comme une brume dissipée par le vent, l’image disparut. Il n’y eut pas d’autres manifestations. Tout cela était étrange…

Revenant à la réalité du moment présent, Madoka se laissa toujours porter dans ce champ protecteur. Elle savait que son destin devait la mener quelque part. C’est alors qu’autour d’elle, provenant de partout dans cette dimension, une immense lumière fusa de partout. Ce n’était pas d’autres éclairs, mais une énergie immense, une conflagration. Occupant tout l’espace. C’était la conflagration finale. Kurumi avait finalement déclenché cela. Le point de non retour était franchi ! Le pendentif, situé devant elle, avait-il pu capter toutes les énergies ?…

Voyant cette immensité destructrice s’approcher, Madoka devait à nouveau faire acte de foi, se laisser porter… Lâcher prise. Ne pas résister. Songer à l’amour qu’elle portait en elle pour Kyosuke, à son amitié éternelle pour Hikaru, à sa reconnaissance pour madame Kasuga, dont le Pouvoir en ce cristal participait au miracle de sa survie. Tout le monde l’aidait et offrait leur force et espoir pour cette épreuve dont l’enjeu était tout le Multivers. Elle ne souhaitait pas formuler de vœu. Elle s’en remit encore au Destin le regardant droit en face d’elle.

L’immense vague énergétique frappa la bulle qui l’entourait. Celle-ci résista, se laissa emporter par un flot intense.

Mais étrangement, un point précis de la bulle fut particulièrement frappé par cette énergie. Mais Madoka continuait à lâcher prise. Il semblait que cette bulle était son alliée et qu’elle était en osmose avec elle. Mais elle oublia tout cela. Elle fit le vide dans son esprit, éloignant ses peurs et ses doutes. Une petite ouverture à travers la bulle se forma, et permit à l’énergie terrifiante de passer ! Était-ce un danger immense pour elle ? Madoka continua à lâcher prise. Un rayon de lumière fusa directement sur le cristal du pendentif qu’elle portait. Un bref instant, elle eut pour réflexe de couvrir son pendentif, de le protéger, telle la gardienne qu’elle était devenue. Mais elle se ravisa car elle admit que cela faisait partie du plan. Elle se souvint qu’il fallait que la conflagration soit canalisée. Qu’elle passe de pendentif en pendentif, de cristal en cristal, cela à l’infini… Madoka savait qu’elle existait simultanément dans son propre cristal et ainsi de suite. Que cette énergie incommensurable devait passer par son cristal et par les autres ensuite. Cette chaîne infinie formait une ligne d’énergie tout aussi infinie, mais domptée, qui allait, comme le Pouvoir lui avait montré, former une source d’énergie permettant de satisfaire au plan d’Izumi Matsumoto dans l’Exostral.

Madoka resta ainsi immobile dans sa bulle, portée par le flot des lumières de la conflagration, avec ce trait de lumière qui dardait en permanence le cristal de manière intense. Comme précédemment, elle ne ressentit ni chaleur, ni douleur, ni souffrance. Elle fut transportée dans la lumière qui recouvrit la bulle, et ne savait pas où ce flot énergétique aveuglant allait déboucher. Elle sentit bientôt des remous comme un vortex se former derrière elle, tandis que la bulle passa à travers.

Soudain, une étrange sensation lourde s’immisça dans tout son corps. C’était comme si ses atomes éclataient, se réassemblaient complètement, et reprenaient immédiatement une densité naturelle, jusqu’à en ressentir la gravité des alentours. Elle ne vit rien de ce qui se passait en dehors de la bulle. Le trait de lumière qui avait dardé sur son cristal, disparut.

Fin de l’accélération. Le silence. Madoka n’était plus dans le cristal. Immobile, elle était à présent sur un sol dur, immaculé, un genou à terre. Elle haletait, comme si cela était devenu difficile de revenir à une densité. Elle sentit le froid sur elle. Elle était nue. Ses vêtements n’étaient plus sur elle. Le pendentif au cristal rouge était le seul objet qu’elle portait. Adieu la photo de son double de l’autre dimension qu’elle avait jusqu’ici gardé sur elle.

Sans se lever, Madoka releva la tête, et regarda tout autour d’elle. Elle vit les images d’une infinité de chapeaux de paille rouge flotter chacun au-dessus de la tête d’un homme d’apparence jeune qui se déclinait lui-même sans fin.

La jeune femme se souvint alors de ce que le Pouvoir lui avait montré mentalement. Ici, c’était l’Exostral !

– C’est impossible ?!… Madoka ?… Madoka !… C’est bien toi ?!…

La jeune femme aux cheveux de jais tourna la tête en direction de la voix qui venait de crier son nom. À quelques mètres d’elle, derrière une sorte de mécanisme sphérique, elle reconnut Manami ! Avec cet étrange kappa neko à ses côtés. Le regard de ce dernier semblait comme amusé de voir Madoka toute nue.

– Mais habille-là, Izumi ! Fais quelque chose ! ordonna Manami au kappa neko.

– Oui ! Oui !

Aussitôt, Madoka fut revêtue d’un serafuku bleu, l’uniforme marin typique scolaire au Japon. Ce vêtement se matérialisa en épousant la forme physique de la jeune fille.

– Mais non ! protesta Manami en secouant fébrilement l’épaule d’Izumi Matsumoto. Elle n’est plus au lycée !

– Oui, oui ! Voila !…

Madoka fut alors habillée d’un blue jean moulant et d’une veste bleue.

Elle se remit sur pieds.

– Manami ! reconnut-elle soudain. C’est bien toi !?

Les deux jeunes femmes se rapprochèrent et s’enlacèrent avec toute la joie de se retrouver enfin.

– Si tu savais combien nous nous inquiétions tous à ton sujet ! fit Madoka.

– Comment as-tu fait pour venir ici ? demanda Manami toujours étonnée par la présence de Madoka. Tu étais dans le cristal que tu portes, et je sais que Kyosuke est sur Terre.

– Oui, c’est une longue histoire. Je suis un peu fatiguée pour en révéler tous les détails pour le moment.

– Avons-nous réussi ? demanda Manami. Est-ce que notre univers est sauf ?

– Nous sommes toujours là, semble-t-il, fit Madoka avec sourire.

Le kappa neko s’approcha des deux jeunes filles.

– Je suis très honoré de faire la connaissance de Madoka Ayukawa, dit-il.

Voir cette créature féline habillée d’un short et d’une chemise hawaïenne impressionna Madoka au premier abord, mais son esprit fut tranquillisé par la présence de Manami, qui semblait avoir tout sous contrôle.

– Vous êtes l’avatar de Kazuya Terachima, dit-elle. Celui qui se fait appeler Izumi Matsumoto.

– En effet. Mais tu en sais, des choses. Comment est-ce possible ?…

Madoka sut que son audience avec le Pouvoir ne pouvait pas avoir été décelée par les êtres de l’Exostral.

– Comme dans les mangas que tu inspires, je suis toujours mystérieuse, n’est-ce pas ?

– Hééé ?!… Mais comment ?…

– Je vois que tu as réussi ton plan, déclara encore Madoka avec malice. Tous les doubles de mon chapeau de paille rouge sont désormais dans l’autre Multivers, avec un Kazuya prêt à dessiner le manga de Kimagure Orange Road.

– Mais comment sais-tu que nous avons été dessinés dans un manga ? fit Manami étonnée. Tu en sais des choses, dis donc !

Madoka sourit.

– Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas moi-même, dit-elle sous un voile de mystères.

– D’accord, Madoka. Mais à présent laisse-moi te présenter ma mère.

Manami s’approcha et prit la manche de la veste de la jeune femme aux yeux émeraude, la guidant ainsi vers une femme à l’apparence semi-translucide. Cette dernière était restée immobile depuis qu’elle avait encouragé sa fille à suivre le plan d’Izumi Matsumoto.

« Akemi Kasuga… la mère de Kyosuke… », reconnut Madoka.

– Maman, laisse-moi te présenter Madoka. C’est un miracle qu’elle soit là.

Les deux femmes se regardèrent en silence quelques instants, comme si elles s’étaient toujours connues. Leur point commun physique ayant été le pendentif au cristal rouge, qu’Akemi regarda un moment avec des yeux chargés de souvenirs. De son côté, Madoka songea qu’autrefois elle aurait eu peur d’être en présence d’êtres fantomatiques, mais là, c’était comme si tout cela était devenu naturel pour elle.

– Madame Kasuga, je suis heureuse de faire enfin votre connaissance, dit-elle au bout d’un moment. J’imagine la joie que Manami a dû ressentir quand elle vous a retrouvée.

Madoka salua en s’inclinant selon la coutume.

– Nous pouvons enfin parler sans interférence, fit Akemi avec sourire. Madoka, c’est grâce à toi que le Multivers a été sauvé.

– Vraiment ? Mais c’est le cristal de votre pendentif qui a canalisé la conflagration. Votre double que j’ai rencontré dans l’autre univers a…

– Oui, Madoka. Je sais. Mais quelque chose d’imprévu s’est produit et a permis un miracle. Tu peux m’en dire plus ?…

– Oui, que s’est-il passé ? demanda Manami.

– Les éclairs m’ont protégée.

– Tu as lâché prise, expliqua Akemi. Cela a permis l’ouverture d’un passage dans la bulle pour que les énergies immenses de la conflagration puissent passer à travers et fondre dans le cristal, cela à l’infini. Il fallait que le rayon conflagrateur puisse tracer un chemin dans le pendentif, sans blocage de ta part.

– Si je n’avais pas laissé ce rayon entrer dans ma bulle protectrice…

– Il aurait été impossible de canaliser ce rayon jusqu’ici. Les conséquences auraient été catastrophiques pour tout le Multivers.

Madoka ne répondit pas, songeant au poids immense de ses responsabilités dans ce qu’il s’était passé dans la bulle protectrice, mais son silence hésitant valait acquiescement.

– Je ressens aussi que tu n’as pas encore utilisé le cadeau que je t’ai offert, dit Akemi. Tu t’es complètement fait confiance face à des dangers immenses.

– Madame Kasuga, je vous remercie du fond du cœur pour ce que vous m’avez offert.

– Que comptes-tu en faire maintenant ?

– Je crois… votre plus grand souhait.

– Madoka, tu as reçu un cadeau de la part de maman ? demanda Manami.

– C’est exact. C’est un Pouvoir que je ne pourrai exécuter qu’une seule fois. À notre retour dans notre univers, je sais déjà comment je l’utiliserai.

– Quoi que tu fasses, Madoka, je sais que tu accompliras un nouveau miracle, fit Akemi. Je suis heureuse d’avoir rencontré une jeune femme aussi extraordinaire que toi. Mon fils ne peut qu’être heureux de te savoir à ses côtés.

– Madame Kasuga, votre fils, c’est lui la lumière dont j’avais besoin. Je ressens le souhait de vous le dire en face. Sans lui, je…

– Le plus important, coupa Akemi avec respect. C’est que vous soyez heureux tous les deux. Même si je semblerai loin, vous resterez dans mon cœur, toi et mes enfants.

– Je vous remercie, madame Kasuga. Je suis triste de vous connaître que maintenant.

– Et je suis triste de devoir bientôt partir. Ma tâche est accomplie ici.

– Tu dois partir, maman ? fit Manami l’air apeurée.

– Il le faut, chère Manami. L’Éther me rappelle.

– Tu… Tu ne peux pas rester un peu plus ?

– Il est temps pour toi, ainsi que pour Madoka et pour ton nouvel ami adoptif de rentrer chez vous, tous les trois. Vous ne devez pas inquiéter plus longtemps toute la famille. Takashi doit être très inquiet. Envoie-lui tout mon amour. Dis-lui que je pense à lui tout le temps, et qu’il a ma gratitude éternelle pour avoir su prendre soin de vous en mon absence.

– Maman… Viens avec nous !

– Je ne le puis, hélas, ma tendre fille. Mais je peux t’offrir un petit cadeau.

– Un cadeau ?… Mais c’est toi mon cadeau.

– Un nom…

– Un nom ?…

– Un nom pour ce petit animal qui me regarde toujours étrangement.

Madoka remarqua ce chat qui semblait très proche de Manami. L’aurait-elle trouvé durant ses voyages interdimensionnels ?

– Il est vrai que je ne lui en ai pas encore donné un, admit cette dernière.

– Jingoro, fit Akemi.

– Jingoro ?…

– Jingoro est un nom que j’ai découvert durant mon enfance, quand j’avais ton âge, dans les récits et les chansons traditionnelles que me racontaient tes grands-parents. Ce nom, pour moi, a toujours évoqué une chaleur et une familiarité rassurantes. Je trouve qu’il convient parfaitement à ce chat espiègle. Il porte une élégance teintée de nostalgie, et comme tu le sais, j’ai toujours eu un lien profond avec la nature. En choisissant ce nom, j’aime l’idée qu’il reflète une histoire ancienne, qu’elle soit humaine ou animale, et qu’il soit empreint du temps qui passe, tout en symbolisant une nouvelle aventure à vos côtés.

Madoka remarqua le sourire de son amie se redessiner sur son visage.

– Alors, c’est adopté, maman ! fit Manami, les yeux pétillant.

Elle se tourna vers son animal adoptif.

– Qu’en penses-tu ? lui demanda-t-elle. Tu veux que je t’appelle Jingoro ?…

Le chat à ses pieds inclina la tête avec curiosité, en fixant Manami de ses grands yeux dorés. À l’entente du mot « Jingoro », il émit un miaulement sonore, presque interrogatif, comme s’il cherchait à comprendre ce qui venait de se passer.

Manami éclata de rire et tendit la main pour le caresser derrière les oreilles.

– Ah, tu sembles approuver ! Oui, tu es Jingoro désormais, dit-elle avec un sourire rayonnant.

Le chat, visiblement satisfait, se frotta contre la paume de Manami, ronronnant de plus en plus fort. Il sautilla et fit quelques tours sur lui-même. Il s’étira de tout son long avant de fixer Manami et Akemi d’un regard mi-serein, mi-malicieux, comme s’il s’amusait déjà à incarner pleinement ce nouveau nom.

– On dirait qu’il sait qu’on parle de lui, murmura Akemi avec un sourire attendri.

Jingoro leva la patte comme pour confirmer les paroles d’Akemi. Puis, il se roula en boule, visiblement ravi, et émit un ronronnement grave et apaisant. Manami, les mains posées sur ses genoux, le regarda un instant, émue par la simplicité de ce moment. Cet instant présent.

– Bienvenue dans la famille, Jingoro, chuchota-t-elle doucement.

Le chat, dans un dernier élan, ouvrit un œil paresseux et cligna lentement en sa direction, un geste qu’elle choisit d’interpréter comme une approbation définitive.

– Merci maman, ajouta-t-elle en se relevant, se tournant vers sa mère. C’est un beau cadeau que je vais emporter avec moi et présenter à toute la famille. Tu seras quelque part comme la marraine de Jingoro.

Manami regarda sa mère, les yeux brillants d’émotion. Akemi haussa un sourcil, surprise par l’expression.

– La marraine ?…

Manami hocha la tête avec un sourire.

– Oui, pas au sens religieux ou traditionnel, bien sûr. Mais… tu lui as donné son nom. Et ce nom, il porte une part de toi, de tes souvenirs et de ton lien avec la nature. C’est toi qui l’as accueilli dans cette famille, en quelque sorte.

Akemi observa le chat, qui s’étirait paresseusement, puis elle regarda sa fille avec tendresse.

– Je vois… Alors, si je suis sa marraine, cela veut dire que je dois veiller sur lui, n’est-ce pas ?

Manami éclata de rire.

– Oui, mais ne t’inquiète pas, je m’occupe des croquettes !

Akemi sourit en silence. Elle savait que ce chat, comme tant d’autres choses, symbolisait bien plus qu’un simple animal adopté. Il représentait un lien, une continuité entre elle et sa fille, et entre deux mondes qui semblaient pourtant si éloignés.

– Sois gentil avec Manami, Jingoro, prononça-t-elle.

Le chat miaula de joie et regarda Akemi d’un air amusé.

Cette dernière regarda sa fille et sourit.

– Je dois à présent te faire mes adieux, ma tendre fille.

Les yeux de Manami s’agrandirent d’inquiétude.

– Maman, tu… tu dois vraiment partir ?…

– Je le dois. Ne sois pas triste. Je sais que tu seras heureuse dans la vie. Tu as encore beaucoup à découvrir, mais je sais que tu es droite et fidèle dans tout ce que tu accomplis, et que tu seras la joie de tous. Je sais que Madoka saura veiller, tout comme moi, sur toi, ton frère et ta sœur. Dis à Kurumi que tout ira bien.

– Maman… Je t’en prie…

– Madoka, merci pour tout. S’il te plaît, aide ma fille et sois heureuse en tout.

– Je ferai tout pour cela, madame Kasuga. Mes pensées vous accompagnent.

– Tu peux m’appeler « mère », car tu fais partie de la famille, maintenant.

– Mère…

Manami s’inquiéta de plus en plus :

– Maman !….

– Adieu, ma fille, murmura Akemi en la regardant, sa voix teintée d’une tendresse infinie. Embrasse toute la famille. Je ne vous oublie pas, car je vous aime tous.

Manami sentit son cœur se briser de plus en plus sous le poids de ces mots. Une douleur insoutenable envahit alors son âme, comme si une partie d’elle-même était arrachée. Ses jambes tremblaient, son souffle se coupait, et pourtant, ses larmes continuaient de couler, comme si elles cherchaient à exprimer l’inexprimable.

Akemi devenait de plus en plus transparente, son corps s’effaçant doucement dans la lumière irisée qui dansait autour d’elle. Pourtant, son sourire restait intact, radieux, comme un dernier geste pour apaiser la peine de sa fille.

– Maman ! Ne pars pas ! hurla Manami, incapable de contenir son désespoir.

Elle se mit à courir, ses bras tendus vers la présence vacillante de sa mère, refusant de la laisser disparaître. Mais lorsqu’elle atteignit enfin l’endroit où Akemi se tenait un instant plus tôt, elle ne trouva que le vide et l’absence. Elle s’effondra à genoux, ses mains tremblantes sur ses yeux. Les larmes ruisselaient sur ses joues, et son sanglot déchirant semblait résonner dans tout l’Exostral et sans doute au-delà.

Jingoro, Madoka et Izumi Matsumoto restèrent tétanisés face au désespoir de Manami.

C’est alors que cette dernière sentit une chaleur douce, presque imperceptible, envelopper son cœur. Une présence invisible, mais réconfortante, pénétra son être, comme si Akemi la touchait une dernière fois. Manami porta instinctivement la main sur son cœur, là où la chaleur semblait pulser, apaisant peu à peu la tempête en elle.

Une voix douce, presque un murmure porté par le vent, résonna dans son esprit :

« Je suis là, Manami, dans ton cœur. Chaque fois que tu auras besoin de moi, ferme les yeux, et je te répondrai. Mon amour est éternel, et il vivra en toi. Sois heureuse… »

Manami resta immobile quelques instants, le souffle court, les yeux clos. La douleur s’était atténuée, remplacée par une étrange sérénité. Elle comprit que, bien que sa mère ne soit plus là, une partie d’elle resterait toujours vivante, comme un ultime cadeau précieux qu’elle avait laissé derrière elle.

Manami se releva doucement, son regard se posant sur Jingoro, qui s’était approché d’elle pour la consoler, et frottait sa tête contre ses chevilles. Le chat, comme s’il avait compris la gravité du moment, fixait l’horizon, là où Akemi avait disparu, ses yeux brillants d’une lueur presque humaine. Manami sourit à travers ses larmes, serrant son nouvel ami baptisé par sa mère tout contre elle.

– Merci, maman, murmura-t-elle. Je ferai honneur à ton amour.

Madoka resta en retrait, observant Manami avec une attention silencieuse.

– Manami… murmura-t-elle à quelques pas d’elle.

La jeune fille, de deux ans de moins qu’elle, semblait si frêle dans l’immensité de l’Exostral. Pourtant, quelque chose en elle brillait, une lueur discrète mais tenace, comme une flamme qui refusait de s’éteindre.

Madoka sentit son cœur se serrer à son tour en voyant Manami essuyer ses larmes d’un geste lent. Elle connaissait la douleur de perdre quelqu’un qu’on aime, cette brûlure vive qui semble tout ravager. Mais Manami, malgré son chagrin, avait trouvé une manière de transformer ce vide abyssal en une force nouvelle qu’elle portait déjà en elle.

C’était une force douce, silencieuse, mais indéniable. Madoka percevait dans le regard encore embué de Manami une profondeur nouvelle, une maturité qui n’avait rien à voir avec l’innocence de l’adolescente qu’elle connaissait. Ce n’était pas seulement du courage, mais une forme d’acceptation paisible, une compréhension presque instinctive que l’amour pouvait survivre, même après une douloureuse séparation maternelle.

Madoka sentit une vague d’admiration l’envahir, mêlée d’une étrange culpabilité. Aurait-elle eu cette résilience à l’âge de Manami ? Elle n’en était pas sûre. Elle, qui avait toujours lutté contre ses propres tempêtes intérieures, voyait en cette jeune fille un exemple inattendu, presque une leçon de vie.

Un frisson lui parcourut l’échine. Peut-être était-ce cela, l’héritage d’Akemi. Pas seulement son amour, mais cette capacité qu’elle avait transmise à sa fille : aimer, même dans l’absence, avec une force qui transcendait le chagrin.

Madoka détourna brièvement le regard, submergée par une marée d’émotions qu’elle ne cherchait plus à repousser. Elle avait toujours su que Manami voyait en elle une source d’inspiration, une figure à admirer. Mais à cet instant, tout semblait s’inverser. Une nouvelle perception naquit en elle, comme une révélation : c’était désormais Manami qui devenait un exemple à suivre. Madoka éprouvait un respect profond et inattendu pour la force qui venait d’éclore chez Manami, une force silencieuse mais vibrante, forgée dans la douleur.

Pour Madoka, c’était une évidence. À cet instant précis, Manami devenait quelqu’un d’extraordinaire à ses yeux. C’était aussi la preuve que Madoka avait aussi lâché prise sur ses propres convictions ancrées.

Elle s’approcha, et vint serrer Manami dans ses bras, laissant son propre cœur s’apaiser au contact de la jeune fille.

– Ta mère était si fière de toi, dit-elle doucement. Moi aussi, je le suis. Tu es incroyable, Manami.

La jeune fille ferma les yeux un instant, savourant cette étreinte réconfortante. Jingoro, fidèle à lui-même, poussa un petit miaulement et frotta sa tête contre leurs jambes, comme pour s’assurer qu’il faisait partie de ce moment intime.

Madoka esquissa un sourire à travers le flot d’émotions :

– Allez, dit-elle au bout d’un moment, desserrant doucement son étreinte. Il est temps de rentrer. Tout le monde nous attend et doit s’inquiéter. Et je suis certaine qu’ils seront tous ravis de rencontrer Jingoro.

– Oui, il est temps, admit Manami avec le sourire.

– Mais, mais, mais !… vous allez aussi partir ? s’inquiéta le kappa neko qui s’approcha d’elles.

– Hélas, oui, confirma Manami. Nous devons rentrer tous les trois.

Comme affolé par le prochain et irrémédiable départ, le kappa neko bondit alors vers Madoka pour lui présenter le résultat à l’écran de son plan :

– Madoka ! Regarde ! Regarde ! Dans le Multivers de Kazuya, tous ses doubles ont décidé, grâce à ton chapeau magique, de se consacrer à une œuvre encore plus magique ! Kimagure Orange Road est désormais l’ouvrage le plus connu de tout ce Multivers ! J’en suis fier ! Et c’est aussi grâce à toi, Madoka !

– Je n’aurais jamais imaginé qu’une telle chose puisse se produire, fit l’intéressée. C’est complètement fou.

– Par contre, ton chapeau de paille rouge est désormais chez Kazuya. Il l’inspire toujours. Il inspire aussi tous ses autres doubles.

Madoka sourit.

– S’il peut servir à diffuser quelque chose de positif à bien des mondes, qu’il en soit ainsi, fit la jeune femme. Je n’ai plus besoin de ce chapeau. J’ai sur moi, sur mon cœur et en moi-même, bien des talismans des plus précieux.

– Alors, Madoka, tout est parfait. Mais avant que tu nous quittes, je t’offre ce petit cadeau !

Soudain, entre ses mains, Izumi fit apparaître du néant une petite pile de livres, chacun d’eux pas plus grands qu’un format de poche.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Madoka.

– C’est le manga Kimagure Orange Road, créé et édité dans l’univers de Kazuya ! C’est cela qui a changé son monde et tous les univers parallèles ! Désormais, cette œuvre fait aussi partie de votre vie car c’est aussi la vôtre. Vous devez en avoir un exemplaire. Car votre Multivers n’en possède aucun.

Intriguée, Madoka prit le tome 1 qui était en haut de la pile et consulta les premières pages. Il y avait la photo en noir et blanc de ce jeune mangaka qui se surnommait Izumi Matsumoto sur son monde. Et dire que son avatar existait bel et bien ici.

En découvrant le premier chapitre, « Le chapeau de paille rouge », elle fut surprise de découvrir en dessins ses propres souvenirs de a scène qu’elle avait vécue quand elle rencontra Kyosuke tout en haut des marches du grand escalier. Elle se demandait si ce jour-là elle avait vraiment porté ce chemisier à fleur ainsi ce petit short. Avait-elle aussi cette coiffure aussi taquinée, il y a quatre ans ? se demanda-t-elle. Mais qu’importait. Le plus important était la rencontre. Elle sourit de se voir en train de discuter du nombre de marches qui composait cet escalier. 99 ou 100… C’est cela qui, entre autre, avait attiré Madoka face à ce garçon curieux. Il semblait si sûr de lui. Et si loin de toute indécision. Il l’était devenu, par le fait que Hikaru avait décidé de jouer son rôle d’amoureuse autour de lui. Madoka sourit en voyant la manière de présenter ces scènes cocasses entre Hikaru et Kyosuke, lequel ne savait plus comment réagir face à une Hikaru bien décidée à le séduire.

Madoka prit un autre tome de la pile, et découvrit que ce manga présentait aussi pas mal de choses autour des pensées des personnages. Elle sourit en voyant le pauvre Kyosuke qui désespérait sans arrêt. Mais elle fut soulagée de constater que cette œuvre avait pris le parti de ne quasiment jamais montrer ses propres pensés à elle. L’ouvrage respectait l’aspect secret de son personnage sur les dessins qui la représentait. Mais c’est quoi tous ces mini-posters d’elle, entre les chapitres où elle apparaissait en différentes tenues et poses improbables ?… Il y avait aussi des cases un peu osées d’elle, tout de même. Ce mangaka, qui avait créé cette œuvre, était parfois plus inspiré par sa propre imagination délirante que par les visions de la réalité issue de son univers. À moins que ces Madoka pleine page n’aient été des visions d’elle issues de dimensions parallèles ?… Elle se demanda si son propre chapeau de paille rouge, à présent entre les mains de Kazuya, n’avait pas fait exprès d’y aller un peu fort. Après tout, Kyosuke était un peu obsédé sur les bords. Elle ne pouvait pas l’ignorer. Un peu de ses fantasmes à lui avaient dû se perdre dans la mémoire de ce chapeau… Et bien sûr, le mangaka, au contact de l’objet, avait dû capter cela et trouver cela assez vendeur. « Grrr !!… » Madoka trouvait aussi que son visage changeait pas mal d’un chapitre à l’autre. C’était étrange.

– C’est votre vie à vous tous depuis ces 4 dernières années, de 1984 à 1988, commenta le kappa neko enjoué.

Madoka effaça son sourire. Elle eut alors une appréhension. L’année 1988 était aussi celle de son séjour à Los Angeles. Elle savait que ce manga ne révélait pas ses pensées, mais, à Los Angeles, ses propres mots avaient dépassé de loin ses propres pensées. Elle reposa le tome qu’elle avait entre les mains, et extirpa directement le tome 18 qui était à la base de la pile. Elle pria pour que la scène de la plage n’ait pas été dévoilée dans ce volume ! Frénétique, elle feuilleta ce tome du début jusqu’à la fin. Elle reconnut d’abord les chapitres qui s’étaient déroulées l’été dernier, avec le lac des souvenirs. Elle trouva au passage que les traits de son visage étaient bien mieux dessinés. C’était quasiment cela. Allez !… Encore des scènes de quasi-nudité dans le bain ?… Et puis celles, terribles, de la tempête d’éclairs sur les eaux du lac étaient bien reproduites. Tiens ? Kyosuke avait parlé à sa grand-mère durant son sommeil ?… Intéressant. Il allait l’entendre à son retour. Puis, elle revit la scène de l’hommage rendu à la mémoire d’Akemi, la maman de Kyosuke, sur sa tombe. Elle revit avec émotion les événements qui ont vu la crise subie par Hikaru quand elle a découvert la vérité à propos de Kyosuke et d’elle. Elle fut gênée de voir Hikaru dessinée dans des moments si tristes, si intenses et si dramatiques. Mais elle savait que les chapitres du manga devaient apprendre aux lecteurs que l’on ne jouait pas avec l’amour. Madoka se demandait s’il fallait montrer ces livres à Hikaru à son retour. Mais elle l’avait juré à celle qu’elle considérait comme sa petite sœur : pas de secrets cachés.

Vint la scène la scène située tout en haut d’un immeuble du centre-ville. La promesse de Kyosuke de l’attendre, la déclaration qu’il lui exprima… la fin de son indécision. L’effet inverse sur elle, sa propre indécision. Comme quoi la vie renverse les choses par rapport aux cœurs trop ancrés dans les certitudes. Ce manga le montrait de manière claire, et révélait que les règles strictes ne pouvaient pas tenir dans l’esprit et le cœur qui bat.

La scène du départ pour Los Angeles. Le cœur de Madoka battit la chamade, se demandant si ce manga allait vraiment présenter la scène de la plage de Los Angeles. Seulement l’autre Multivers pouvait voir cette édition, mais tout de même. Tout d’abord, l’aéroport, et sa scène déchirante… Le chapeau rendu par Hikaru. Ce chapeau déjà magique, chargé de mémoires et d’émotions. Madoka partait loin, laissant tout le monde triste et incrédule. Elle regretta encore ce moment. Mais le passé était le passé.

« Je t’attendrai pour l’éternité, Ayukawa ! »

La scène du grand escalier… À son retour… À l’image, Madoka était là, souriante, tout comme celle qui lisait ce moment. Pas de scène de Los Angeles. Soulagement intérieur de Madoka. Aucune allusion sur ce qu’il s’est passé là-bas. Le mangaka avait-il vu quelque chose et avait décidé de rien révéler de tout cela à ses lecteurs ?… Elle ne le saura jamais. Ce n’était pas sur ces pages, en tous les cas. Madoka n’aurait pas souhaité que tout un Multivers découvrit la scène la plus dévoilée et la plus extériorisée de son cœur et son âme.

« Like ou love ? »

Ce baiser final… Madoka contempla avec tendresse la scène du dernier moment. Ce moment qui lui avait rendu son cœur perdu. Car c’était Kyosuke qui l’avait gardé en lui. À Los Angeles, elle s’est aperçue qu’une partie d’elle manquait terriblement. Et qu’elle n’avait plus d’autre choix que de revenir la chercher auprès de celui qu’elle aimait.

« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! »

Kyosuke était le gardien de son cœur, tout comme elle était devenue la gardienne du pendentif au cristal rouge qui unifiait désormais le destin de toute une famille atypique. Une larme coula le long de sa joue. C’était vraiment l’éternel été. Cet été qui faisait briller l’autre talisman, cette promesse qu’elle avait pour toujours en elle.

Elle reposa le manga tout en haut de la pile.

« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! »

Ses mots résonnèrent encore en elle.

« On ne lutte pas contre ce sentiment si fort posé sur mon âme. »

Silencieusement, elle posa alors sa main sur ses yeux embrumés de larmes.

« … Une part de moi qui continuera de briller tant que je pourrai aimer. »

Madoka resta ainsi quelques instants.

Manami et Izumi Matsumoto s’inquiétèrent de voir leur amie soudainement si émue, au point de cacher ses yeux. Était-ce ce manga qui l’avait mise dans cet état ?

– Madoka, tu vas bien ? demanda-t-elle.

Après quelques instants d’hésitation, la jeune femme aux yeux émeraude sécha ses larmes, puis regarda Manami.

– Oui, tout va bien, maintenant, répondit-elle avec le sourire.

– Ah, je suis soulagé, fit Izumi.

– Est-ce que quelque chose dans le manga t’a rendue triste ? demanda Manami.

– Au contraire, répondit Madoka en secouant légèrement la tête. Il m’a rappelé combien Kyosuke me manquait tant.

Elle se surprit de s’entendre dire cela aussi ouvertement. Mais elle savait que ses sentiments étaient devenus clairs en elle.

Manami sourit prononçant :

– Je comprends parfaitement. Alors, il nous faut rentrer au plus vite !

Elle se tourna alors vers Izumi, qui était en train de placer tous les tomes du manga dans un petit sac au dos qu’il lui confia.

– Merci,Izumi. À présent, aide-nous à rentrer chez nous, lui demanda-t-elle en plaçant le sac sur son dos.

– Bien sûr, Manami, fit le kappa neko. Bien que tu en aies les capacités, je vais toutefois te donner le cap, et vous rentrez tous sains et saufs.

– Merci Izumi. Es-tu heureux d’avoir renforcé l’Inspiration dans le Multivers de Kazuya ?

– Très heureux. C’est grâce à vous deux. Un immense merci !

– Est-ce que Kazuya va continuer à dessiner la suite de Kimagure Orange Road ? demanda encore Manami. On va être encore dans une suite de ce manga jusqu’à nos vieux jours ?

Le kappa neko hurla de rire.

– Non. Kazuya doit aussi mener sa vie vers d’autres œuvres. Un fragment, une tranche de vie dans ce livre, c’était ce que recherchait son auteur. Vous devez aussi mener votre vie de votre côté. Le plus important est d’avoir posé la « Première Marche » à tout l’édifice multiversel. Et tous Terriens passionnés de son œuvre pourront gravir à leur tour cet escalier fabuleux, en imaginant toutes sortes de suites à ce qui est la vérité de ton monde et du cœur.

– C’est joliment dit, fit Manami tout en attrapant Jingoro dans un de ses bras.

– Adieu, petite créature, fit Izumi à l’adresse du chat qui ronronna, heureux de changer bientôt d’environnement.

– Adieu, Izumi, fit Manami. Si j’ai la possibilité, je…

Elle s’interdit alors d’aller plus loin. Une émotion soudaine coupa court à la prononciation.

– Oui ?…

– Le Destin décidera de la suite, se contenta-t-elle de dire.

Manami prit la main de Madoka.

– Si je prononce à cet instant les trois mots du titre du manga, cela va nous mener dans une autre dimension ? demanda cette dernière avec sourire.

– Ah, quelle imagination, Madoka ! Mais aussi quelle perspicacité ! fit le kappa neko Izumi Matsumoto. Kimagure Orange Road invite toujours à un voyage quel qu’il soit !

Puis, Manami, Madoka et Jingoro disparurent de l’Exostral.

 

 

 

« «

«

 

 

 

--> Aller au chapitre 40 (final) 


  • tcv aime ceci
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#491 tcv

tcv

    KORiste

  • Modérateur
  • Réputation
    608
  • 8 685 messages
  • Genre:
  • Localisation:Région parisienne

Posté 08 décembre 2024 - 16h46

La fin est proche. Un petit détail, c'est "Terashima" et non "Terachima".


Sky is the only limit

#492 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 08 décembre 2024 - 16h52

Merci, TCV, en effet, c'est bien Terashima. L'épisode 40 sera le dernier de ce roman. 40 ans du manga, 40 épisodes, qui en font l'hommage. Voilà l'objectif 2024.


banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#493 Olivier

Olivier

    Fan pour la vie

  • Modérateur
  • Réputation
    390
  • 7 858 messages
  • Genre:
  • Localisation:Paris

Posté 08 décembre 2024 - 17h14

Je n'ai pas suivi cette fanfiction, j'ai du m'arrêter au chapitre 7 de mémoire, mais bravo pour avoir fait vivre les 40 ans de KOR toute l'année au travers de cette fanfiction !
I'm looking for the red straw hat...

#494 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 08 décembre 2024 - 22h38

Je n'ai pas suivi cette fanfiction, j'ai du m'arrêter au chapitre 7 de mémoire, mais bravo pour avoir fait vivre les 40 ans de KOR toute l'année au travers de cette fanfiction !

 

Merci, Olivier. Mais comme je suis sur le point de publier le chapitre 40, qui sera le dernier, peut-être que cela t'incitera à poursuivre ta lecture. Tu sais, je respecte bien l'univers de KOR dans cette fanfiction, même si je m'accorde certaines liberté à propos d'Izumi Matsumoto, que je présente de manière respectueuse. Je vais faire un grand final qui marquera de manière durable cette histoire. Je te rassure, cela ne finira pas comme dans le live action de Cat's Eyes, ha ha :D 


banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#495 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 21 décembre 2024 - 15h06

« La Première Marche »

par CyberFred

 

 

Épisode 40

Comme une brise printanière

 

 

 

Tout le monde était figé, comme tétanisé par ce qu’ils venaient de vivre. Takashi, Kyosuke, Hikaru, Akane, Kazuya, les époux Hamada… Tous demeuraient silencieux, les yeux écarquillés, encore éblouis par la lumière intense qui avait enveloppé la pièce durant de longues minutes. Maintenant dissipée, elle laissait place à un calme étrange, presque oppressant. Le salon, encore chargé de ce mélange d’inquiétude et d’attente suspendue, semblait respirer difficilement.

Lorsque leurs regards s’ajustèrent, ce fut pour constater l’étendue des dégâts : les murs, lézardés et craquelés, témoignaient de la violence passée. Les meubles, renversés et éparpillés aux quatre coins de la pièce, semblaient porter la marque d’un souffle immense, comme si une tempête s’était abattue au cœur même de la maison. Seule la lumière du jour apportait l’apaisement, s’invitant à travers les fenêtres et carreaux brisés. Et pourtant, ce chaos matériel n’était rien comparé au danger extrême… qui semblait s’être dissipé.

Au centre de la pièce, là où se trouvait auparavant la mystérieuse bulle formée par Kurumi, il ne restait plus rien. Le pendentif, suspendu dans le vide quelques instants plus tôt, avait disparu, emportant avec lui cette aura menaçante. La bulle s’était évanouie. Et pourtant, au sol, recroquevillée comme une coquille brisée, Kurumi restait là, prostrée, ses sanglots étouffés par ses bras repliés sur son visage.

Autour d’elle, le silence persistait, pesant, presque irréel. Personne n’osait bouger, comme si la moindre parole pouvait briser cet instant suspendu. Était-ce le début d’un rêve ou la fin d’un cauchemar ?… La fin du monde avait-elle réellement été évitée ?…

– Kurumi ! s’écria soudain Hikaru, brisant la torpeur.

Elle s’élança vers la jeune fille, suivie de près par Takashi.

– Ma fille ! hurla ce dernier, la voix tremblante. Est-ce que tu vas bien ?…

Hikaru, agenouillée devant Kurumi, tenta de poser ses mains sur ses épaules, comme pour la ramener à elle.

– Kurumi, c’est moi : Hikaru. Tout va bien maintenant. Tout va bien.

Mais Kurumi ne bougeait pas. Ses pleurs, ininterrompus, semblaient venir d’un gouffre trop profond pour être atteint.

– Est-ce qu’elle va bien ? murmura Madame Hamada, le visage marqué par l’angoisse.

– Je ne ressens plus de barrière dans son esprit, intervint Kazuya, concentré sur les pensées de la jeune fille. Sa colère a disparu. Mais son niveau de stress est encore très élevé. Elle est en état de choc.

– C’est normal, petit frère, répliqua Akane, décontenancée. Elle a vécu un véritable enfer…

Kyosuke, jusque-là silencieux, s’approcha de Kurumi. Mais avant qu’il n’atteigne sa petite sœur, un bruit léger résonna depuis l’étage supérieur.

Un craquement presque imperceptible sur le plancher.

Intrigué, Kyosuke se tourna instinctivement vers l’escalier menant au premier étage, vers la chambre de Madoka.

Le bruit se répéta, plus clair cette fois : des pas ! Réguliers… lents… mais porteurs d’une étrange promesse. Une promesse d’apaisement, peut-être…

– Grand Ciel ! murmura-t-il, la gorge nouée par l’espoir.

Tous les regards se tournèrent alors vers l’escalier. Le suspense était presque insoutenable.

Et puis, enfin, une silhouette apparut.

La première fut celle de Manami. Ses cheveux étaient légèrement en désordre, mais son visage rayonnait d’un soulagement éclatant. Elle portait un étrange chat roux dans ses bras, ainsi qu’un petit sac sur son dos.

– Manami ! s’écria Takashi le premier. Ma fille est revenue ! Elle est revenue !

– Cousine Manami ! firent de concert Akane et Kazuya.

– Manami ?! s’écria Kyosuke, à son tour, abasourdi. C’est bien toi ?…

Mais avant qu’il n’ait pu en dire davantage, une autre silhouette émergea de la lumière diffuse qui baignait l’escalier.

Madoka…

Elle descendait lentement, chaque pas empreint d’une grâce silencieuse. Elle n’avait plus son sombre uniforme de moto. La lumière douce du jour, filtrant à travers les fenêtres brisées, effleurait ses cheveux bleu nuit, auréolant sa silhouette d’une lumière presque irréelle.

– Ayukawa ! s’écria Kyosuke, sa voix tremblante d’émotion.

Son hésitation s’évanouit. Il se précipita vers elle, bousculant presque Manami dans son élan.

– Grand-frère ! Mais… protesta sa sœur, à peine audible.

Arrivé à la hauteur de Madoka, Kyosuke s’arrêta, les mains tremblantes. Il posa doucement ses paumes sur ses épaules, puis sur ses mains, comme pour s’assurer qu’elle était bien réelle. Et soudain, dans un élan irrésistible, il l’embrassa.

Le geste surprit Madoka, mais elle ne recula pas. Cette fois-ci, Kyosuke n’avait pas besoin de recevoir une paire de chaussures sur la tête.

Sur les marches de cet escalier, dans sa propre demeure, elle n’aurait jamais imaginé un tel moment. Les secondes semblèrent s’étirer à l’infini.

Pour Madoka, ce baiser n’était pas seulement un geste spontané. Il était le symbole de tout ce qu’ils venaient de traverser. La fin du Multivers évitée valait bien cet instant suspendu, où seul comptait leur lien. Et pourtant, derrière ses paupières closes, une image surgit subitement dans son esprit : ces feuillages immobiles, baignés d’une étrange lumière… Un signe ?… Un appel ?… Puis ces images disparurent aussi vite qu’elles étaient apparues.

Lorsque les deux jeunes gens se détachèrent enfin de leurs lèvres, le salon avait changé. Ce n’était plus la peur qui emplissait les regards, mais une stupéfaction générale de la part de l’assistance. Personne n’imaginait assister à un tel spectacle. Puis une reconnaissance muette et un soulagement profond naquit dans les esprits.

Madoka croisa les yeux de Kyosuke et, malgré la fatigue, lui adressa un sourire. Leur monde n’était pas parfait, mais il était à eux.

– Kasuga…

À la vue d’une telle scène, Hikaru éclata d’un rire nerveux, presque libérateur, comme si ce moment d’euphorie contenait en lui tout le poids des tensions passées.

– Vous êtes incroyables, vous deux ! Je savais que vous vous retrouveriez, que vous reviendriez, mais là… franchement, quelle entrée !

Entendant cela, Kyosuke fit un geste instinctif presque inné : celui de s’écarter rapidement de Madoka en cas de surgissement inopiné de Hikaru. Un réflexe du passé sur lequel il devait certainement encore devoir travailler.

Manami, déjà entourée par les autres membres de la famille, tenait contre elle Jingoro, dont le miaulement semblait traduire une pointe de surprise face à l’apparition de visages qu’il n’avait jamais vus.

Takashi, les traits alourdis par l’émotion, contempla longuement le tableau qui s’offrait à lui.

Sa voix se fit murmure, empreinte d’une profonde gratitude :

– On dirait qu’un miracle s’est produit… Manami nous a été rendue.

Manami déposa Jingoro à terre et vint alors au chevet de sa petite sœur.

– Kurumi ! Kurumi ! C’est moi : Manami. Je suis de retour ! Je suis là !

Sa sœur semblait ne plus vouloir entendre les appels. Elle continuait à pleurer à chaudes larmes.

– Madoka ! s’écria Madame Hamada, la voix tremblante d’étonnement et d’émotion mêlés, en s’avançant vers l’escalier où sa petite sœur se tenait encore. Te voilà enfin rentrée !

– Grande sœur ?… Quelle surprise de te voir ici ! répondit-elle, partagée entre la stupeur et le bonheur.

Un regard circulaire suffit à la jeune femme pour constater l’état chaotique de la pièce, témoignage des événements récents. Les murs lézardés, les tableaux à terre, les meubles renversés, les vitres brisées… Des traces irréfutables de la manifestation du Pouvoir que sa sœur avait dû voir.

– Alors… tu sais… maintenant, murmura Madoka avec une émotion contenue.

La jeune femme aux yeux couleur émeraude se promit plus tard de tout expliquer à sa grande sœur, à propos de ce qu’elle savait à présent. Pourtant, au fond d’elle, une part de son esprit était étrangement apaisée par l’idée que sa sœur aînée puisse désormais partager le secret des Kasuga.

Madoka tourna son regard vers Kurumi, toujours prostrée, puis vers Kyosuke, son expression devant soudainement plus grave, presque solennelle :

– Kasuga, tout n’est pas encore terminé, lui dit-elle d’une voix douce, mais ferme.

Kyosuke, troublé par le ton employé, balbutia :

– Que… que veux-tu dire, Ayukawa ?…

Au milieu de la pièce, Kurumi restait recroquevillée, prisonnière d’une détresse si profonde qu’elle semblait vouloir disparaître de la surface de la Terre. Tremblante, incapable de soutenir les regards, ses sanglots refaisant surface, étouffés mais poignants, imprégnaient à nouveau l’atmosphère d’une lourdeur oppressante.

Silencieuse, Madoka s’avança lentement vers elle. La gravité de son expression n’entamait en rien la douceur qui émanait de chacun de ses gestes.

– Écartez-vous, je vous prie, demanda-t-elle simplement à tous.

S’agenouillant avec une délicatesse infinie devant la jeune fille, elle posa son regard empli de compassion sur elle.

– Kurumi, regarde-moi, dit-elle d’une voix calme, presque murmurée.

Mais la jeune fille, le visage ravagé par la culpabilité, secoua la tête avec véhémence :

– Laisse-moi… Laissez-moi ! s’écria-t-elle dans un éclat de désespoir. Je ne mérite pas votre pardon… Je suis dangereuse ! Tout est ma faute… Partez ! Fuyez !

Un torrent de larmes jaillit, emportant avec lui toute résistance. Madoka, imperturbable, posa une main rassurante sur son épaule. Inspirant profondément, elle parla avec une sérénité contrastant avec la tension ambiante :

– Écoute-moi, Kurumi : rien de ce qui est arrivé n’est de ta faute. Ce Pouvoir incontrôlable… il t’a dépassée. Mais désormais, tu n’es plus seule.

Décontenancée, Kurumi leva vers elle des yeux rougis et baignés de larmes.

– Mais j’ai failli détruire tout le monde !… Même toi… (En hurlant) J’ai peur de recommencer !!

Les pleurs redoublèrent, mais Madoka, imperturbable, serra un peu plus son épaule. Son sourire, empreint d’assurance et de bienveillance, sembla illuminer l’espace entre elles.

– Et si tu laissais ce poids derrière toi ? Je suis venue t’offrir ce qui va te permettre d’avancer, libre et apaisée.

Kurumi, les traits figés par l’incompréhension, la fixa alors intensément :

– Comment ?!…

Autour d’elles, le silence était total. Chacun retenait son souffle, pris entre l’étonnement et l’attente.

Ignorant leur curiosité, Madoka se releva doucement, aidant Kurumi à se redresser. La main ferme sur sa hanche pour l’aider à tenir debout, elle se tourna vers Manami, avant de lui tendre la main.

– Viens, l’invita-t-elle d’un geste doux.

Avec une expression empreinte d’appréhension et d’espoir, Manami comprit immédiatement, un frisson de nervosité visible dans son regard. Les paroles de Madoka dans l’Exostral résonnaient encore dans son esprit. Elle comprenait désormais. Elle devinait quel extraordinaire présent Madoka s’apprêtait à offrir à Kurumi. Déposant son sac à dos à terre, elle s’approcha en silence, comme investie d’une mission sacrée.

Madoka, d’un geste mesuré, posa sa main gauche sur le sternum de Kurumi, tandis que sa propre paume droite rejoignait celle de Manami. Une lumière argentée, douce et apaisante, émana de ses mains, enveloppant les trois jeunes filles dans une aura presque surnaturelle.

La pièce fut soudain envahie par une stupeur vibrante, un immense « Oh ! » échappé en chœur de la part des Kasuga, Hamada et Hiyama, témoins abasourdis de ce qu’ils découvraient, tel un souffle unique résonnant quelques secondes.

Déconcerté, Kyosuke s’écria :

– Ayukawa, que… qu’est-ce que tu fais ?… Comment… ?!

Les paupières closes, Madoka répondit calmement, la lueur argentée émanant toujours de ses paumes :

– J’utilise le don que ta mère m’a confié.

Kyosuke, abasourdi :

– Ma mère ?!…

Takashi réagit également :

– Akemi ?…

Madoka acquiesça doucement, sa voix sereine :

– Le Pouvoir de Kurumi est comme une rivière déchaînée. Elle a besoin d’un régulateur pour en maîtriser le cours. Manami possède en elle le régulateur de sa petite sœur. Je vais le transférer vers Kurumi, chez qui il aurait toujours dû être. J’utilise le cadeau de ta mère pour accomplir cette tâche.

Les mots de Madoka foudroyèrent Kyosuke. Comment Madoka pouvait-elle accomplir un miracle aussi énorme ?

– Ayukawa…

Un silence stupéfait régna.

Takashi, comme figé, murmura :

– Akemi t’a donné cette possibilité ? Mais… Comment est-ce possible ? demanda-t-il.

Akane, encore sous le choc, ajouta :

– C’est complètement fou… même pour nous, les Kasuga.

Hikaru était estomaquée :

– Madoka… mais je rêve !?…

Kazuya, les yeux écarquillés, clama :

– Kurumi va devenir comme Manami, alors ?… Trop cool !

– Pourquoi Manami ne pouvait pas le faire elle-même avec son Pouvoir ? demanda Kyosuke, surpris.

Sans ouvrir les yeux, Madoka répondit calmement :

– Parce que Manami est elle-même porteuse originelle des deux régulateurs du Pouvoir. Elle ne pouvait pas intervenir directement elle-même pour accomplir cela. Il fallait qu’une personne extérieure agisse.

Manami baissa la tête, émue.

– C’est vrai… je ne pouvais rien faire… Merci, Madoka.

Madoka devait à présent accomplir l’impossible. Et ce ne serait qu’une seule fois. Elle fit appel à Akemi et implora d’utiliser pleinement le cadeau, pour le souhait qu’elle désirait formuler à présent. Une lumière vive plus vive que précédemment répondit à sa demande. Elle s’intensifia dans la pièce, mais elle n’était pas agressive. Elle enveloppa les trois jeunes filles d’une énergie bienveillante.

Kurumi, d’abord tendue, sentit soudain un apaisement profond l’envahir. Sa respiration se calma, ses muscles se détendirent, et ses traits marqués par la peur s’adoucirent.

Un silence stupéfait s’installa.

Takashi murmura, ému :

– Akemi… Elle a rendu cela possible…

Peu à peu, la tension disparut du corps de Kurumi. Ses larmes s’arrêtèrent, remplacées par une expression d’émerveillement :

– Je… Je ne ressens plus cette peur ! s’écria-t-elle estomaquée. Plus cette douleur ! C’est… incroyable !…

Madoka lui sourit :

– C’est terminé, Kurumi. Tu es libre.

La jeune fille, bouleversée, hésita un instant, puis sauta dans ses bras :

– Merci… merci pour tout, Madoka !

– Remercie plutôt ta maman, dit-elle avec une douceur empreinte de gravité. C’est comme si c’était sa propre main qui avait accompli cela. Elle possédait le don de guérison. Le vœu que j’ai formulé a invoqué un Pouvoir qui m’a permis de me laisser guider par elle, pour te guérir enfin. Chose qu’elle n’a pas pu accomplir de son vivant, car affaiblie.

Une émotion palpable se diffusa parmi les spectateurs. Hikaru applaudit doucement, des larmes d’admiration dans les yeux :

– Madoka, tu es vraiment extraordinaire !

Takashi, levant les yeux au ciel, une larme à l’œil, murmura une prière silencieuse :

– Merci, ma tendre Akemi… Merci pour ce cadeau à nos enfants. (Il se tourna de gratitude vers la jeune femme aux yeux émeraude) Merci, Madoka.

Même Monsieur Hamada, jusque-là silencieux, laissa échapper un commentaire :

– J’ai du mal à croire ce que je viens de voir… C’est irréel.

À ses côtés, Madame Hamada croisa les bras, observant sa sœur d’un air à la fois étonné et admiratif :

– Petite sœur, tu m’étonneras toujours.

Madoka lui répondit avec un sourire en coin accompagné du clignement d’un œil :

– Tu sais bien que je suis pleine de surprises.

Elle croisa alors le regard de Kyosuke, chargé d’une admiration profonde. Dans ce regard, elle trouva toute la reconnaissance qu’elle espérait. Elle lui adressa un sourire. Oui, elle avait fait ce qu’il fallait, et, plus important encore, elle avait rendu à Kurumi une sérénité qu’elle n’avait jamais connue. Il n’y aurait plus jamais de risque de danger. En retour, Madoka pouvait garder pour toujours avec elle le pendentif au cristal rouge, cadeau inestimable de Kyosuke et d’Akemi.

Hikaru s’avança vers Madoka et l’enlaça dans ses bras.

– Madoka, je suis si heureuse que tu sois revenue saine et sauve. Je me suis tellement inquiétée pour toi quand tu n’es pas rentrée avec nous !

– Tout va bien, Hikaru. Tout va bien, maintenant.

Hikaru, relâcha son étreinte, en ajoutant :

– Et maintenant, je connais comme toi le secret de la famille Kasuga.

– Bienvenue au club, oserais-je dire ! lança malicieusement Madame Hamada.

– Je t’expliquerai tout plus tard, grande sœur, lui dit Madoka. Promis.

– J’y compte bien ! (elle regarda le désordre dans la pièce) Mais regardez-moi ce chaos… Si papa et maman voyaient ça, ils seraient… Oh… je n’ai même pas les mots…

Elle s’interrompit, troublée, alors que le silence pesant laissait encore planer un écho de leurs épreuves.

Hikaru, elle, n’avait pas l’intention d’attendre :

– Madoka, je veux tout savoir ! Pourquoi tu n’es pas revenue avec nous de l’autre dimension ? Et comment as-tu retrouvé Manami ?

À cet instant, Jingoro, resté tapi sous un meuble renversé, se montra enfin. Avec un miaulement sonore, presque autoritaire, il sembla leur reprocher d’avoir tant tardé à remarquer sa présence.

Hikaru éclata de rire en ajoutant :

– Oh, voilà un chat venu d’ailleurs qui tient absolument à raconter l’histoire à sa façon !

Cette remarque déclencha une salve de rires, brisant la tension qui les avait tous oppressés. Alors que l’atmosphère s’allégeait, Manami s’avança vers l’animal, le prit tendrement dans ses bras et déclara :

– Je vous présente Jingoro. Il fait désormais partie de la famille. 

– Jingoro ?… s’étonna Akane, intriguée.

– Quel drôle de nom, ajouta Kazuya, perplexe.

– C’est maman qui l’a choisi, expliqua Manami.

Kurumi haussa un sourcil :

– Maman ? Vraiment ?…

– Oui, reprit sa sœur avec une pointe d’émotion dans la voix. Ce nom est un souvenir d’elle.

Takashi, pensif, intervint alors d’un ton calme :

– Jingoro… Ce nom me dit quelque chose. Il me semble qu’il était mentionné dans les récits liés à la maison familiale de votre mère, dans les montagnes. Vos grands-parents en parlaient parfois, entre deux légendes. Peut-être un détail marquant pour qu’elle ait voulu s’en souvenir.

Manami acquiesça doucement :

– Il faudra que je demande un jour à grand-père et grand-mère.

Le calme s’installa peu à peu dans la maison. Chacun tâchait de reprendre ses esprits, encore marqué par l’épreuve qu’ils venaient chacun de traverser. Les jumelles s’étaient retirées pour se reposer sur le sofa, qu’on avait tout juste remis en place.

Dans la confusion, personne n’avait remarqué le sac à dos de Manami qu’elle avait laissé à terre juste avant le transfert du régulateur du Pouvoir pour sa sœur. Le sac gisait presque ouvert. Ce fut Kazuya, toujours curieux et remuant, qui s’en approcha.

– Hé ! C’est quoi, ça ? lança-t-il soudain, en extirpant un objet rigide du sac.

Entre ses mains, il tenait un livre à la couverture colorée, décorée d’illustrations intrigantes, avec des pages en noir et blanc.

– Un manga ?... dit-il, les sourcils froncés en ouvrant le livre. Ça m’intéresse.

Intrigué, il commença à feuilleter les premières pages.

Son commentaire attira l’attention de son cousin Kyosuke, qui, malgré les récentes émotions, tourna la tête vers son jeune cousin.

– Qu’est-ce que tu lis, Kazuya ? demanda-t-il en s’approchant. Ce sont les affaires de Manami. Laisse ça !

Kazuya, captivé par les images, répondit distraitement :

– C’est drôle… ces dessins me rappellent quelqu’un. Regarde, on dirait toi, cousin Kyosuke… et Madoka… là…

– Hein ?…

Intrigué, Kyosuke se pencha au-dessus de Kazuya. Il lui alors prit le livre des mains, ses yeux immédiatement attirés par une scène dessinée dans le premier chapitre de ce livre.

Le sang de Kyosuke se glaça lorsqu’il reconnut les personnages.

– Non… c’est impossible… murmura-t-il.

Les pages tournaient sous ses doigts tremblants. Ce n’était pas qu’une vague ressemblance. Ces dessins retraçaient précisément des moments qu’il avait vécus. Lui, Madoka, le grand escalier, le chapeau de paille rouge, sa famille emménageant… Le collège… Hikaru… Hatta et Komatsu… Tout était là !

Madoka, qui discutait en aparté avec Hikaru et sa sœur ainée, s’aperçut alors que Kyosuke tenait le manga de KOR entre ses mains !

– Kasuga ! hurla Madoka les yeux de terreur.

– Mais pourquoi tu hurles ainsi, Madoka ? demanda sa sœur de nature plus calme.

– Kasuga ! hurla encore Madoka.

Mais Kyosuke ne l’entendait pas. Il était trop absorbé par ce qu’il découvrait. Il parcourait frénétiquement les pages, ses mains tremblant de plus en plus.

– C’est nous… Les mêmes noms… Toute notre histoire est ici… Depuis le début… balbutia-t-il, complètement déstabilisé. Mais c’est quoi ce manga ?…

Affolée, Madoka s’approcha précipitamment de lui.

Ses yeux s’écarquillèrent :

– Kasuga, arrête de lire ça ! lança-t-elle avec urgence.

Elle tendit son bras pour attraper des mains ce que tenait son ami.

Trop tard ! En refermant brusquement le manga pour en lire le titre, le regard du jeune homme tomba sur la couverture. En lettres distinctes, claires comme un coup de tonnerre, il lut mentalement les trois mots inscrits : « Kimagure Orange Road » !

Le choc fut instantané. Un vertige le saisit, et il perdit l’équilibre.

– Non ! s’écria Madoka, affolée, le bras tendu vers lui.

Mais Kyosuke, abasourdi, recula, trébucha sur le tapis, perdit l’équilibre et tomba lourdement à terre. Sa tête heurta le sol. Le manga qu’il tenait à la main retomba de même sur le côté.

– Kasuga ! hurla Madoka, terrifiée.

Le silence qui suivit fut assourdissant. Mais alors que Madoka se précipita toujours vers lui, ses mains ne rencontrèrent… que le vide.

Kyosuke avait disparu dans le néant.

Incrédules, les regards s’échangèrent dans la pièce. Tous étaient emplis d’effroi.

– Qu’est-ce qui vient de se passer ? demanda Takashi, sa voix cassée par l’émotion.

– Il a disparu… Comme ça… balbutia Kazuya, pétrifié, témoin de la scène.

– C’est impossible ! protesta Akane, refusant de croire à ce qu’elle venait de voir.

Incrédule, Madoka pris entre ses mains tremblantes le manga qui restait sur le sol. Elle fixa à nouveau les mots « Kimagure Orange Road » inscrits sur la couverture. Ils semblaient presque la narguer.

– Ce livre… il est à l’origine de tout, murmura-t-elle, une flamme de détermination s’allumant dans son regard.

– Il… il est encore parti dans une autre dimension ? demanda Akane, abasourdie. À cause d’un livre ?… Je n’ai pas entendu les mots clés.

– C’est un manga, précisa son petit frère. On est dedans, aussi toi et moi, tu penses ?…

– Qu’est-ce que tu racontes, toi ? fit sa sœur.

– Je vous expliquerai, leur dit Manami. En attendant, ne touchez pas à ces livres !

– L’ambiance dans cette famille Kasuga est vraiment sidérante, remarqua monsieur Hamada, hein, ma colombe ?

Il regarda sa femme avec un sourire des plus évocateurs de son esprit perdu entre absurdité et inquiétude.

– Ne me regarde pas ainsi, chéri. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Un livre qui fait disparaître les gens ! Mais dans quel monde on vit ?

Madoka tendit le tome 1 du manga à Manami, puis celle-ci le plaça dans son sac à dos avec tous les autres volumes.

– Je vais aller chercher mon frère, annonça-t-elle. Puis Kurumi annulera pour toujours son état d’hypnose.

– Tu peux faire cela, Manami ? demanda Takashi. Tu sais voyager entre les dimensions, maintenant ?

– En tous les cas, Kyosuke, n’est pas allé vers une dimension où se trouvait un double de lui, remarqua Kazuya. Sinon, il aurait immédiatement surgi ici.

– Ou alors, il n’y a jamais eu de double de Kyosuke dans l’univers où il vient de se rendre, remarqua Akane.

– Mais il faut faire quelque chose ! s’inquiétait Hikaru.

Madoka se tourna vers Manami, sa voix chargée d’une énergie nouvelle :

– Non, Manami, c’est à moi d’y aller. Donne-moi vite un cap.

– Madoka… Tu veux vraiment y aller toute seule ?…

– Oui, c’est ma responsabilité.

– Mais comment allez-vous revenir ?…

– Les mots clés. Quand je les prononcerai à Kasuga-kun, nous reviendrons ici.

Manami, bouleversée, hésita, mais face à l’intensité du regard de Madoka, elle hocha lentement la tête.

– Je vais te guider… Mais fais attention à toi, Madoka, murmura-t-elle. Surtout que c’est la première fois que je fais cela moi-même… Sans chapeau, sans kappa neko pour m’aider…

Madoka lui fit un signe bref et déterminé. Rien ne pouvait désormais l’arrêter.

– J’ai confiance en toi, lui dit-elle finalement.

Madoka portait envers Manami une dette immense : celle de rétablir la paix au sein de cette famille, comme l’avait souhaité Akemi, leur mère. Le souvenir du déchirement ressenti par Manami, contrainte de se séparer pour toujours de sa mère, partie rejoindre l’infini, demeurait gravé dans son esprit. Jamais plus Manami ne devra pleurer à cause d’une séparation liée au Pouvoir. Jamais.

Hikaru vint à Madoka, inquiète :

– Tu dois vraiment y aller, Madoka ? N’y a-t-il pas un autre moyen de ramener Kyosuke ?

– J’y tiens absolument, Hikaru.

– Alors, revenez sains et sauf, toi et Kyosuke. Je tiens à vous deux.

– Je le sais, petite sœur, lui dit Madoka avec le sourire. Merci pour tout. N’aie crainte.

Hikaru se sentit rassurée à la fois par les mots de celle qui avait toujours été une figure forte et protectrice dans sa vie, et par la tendresse de ce sourire qui semblait capable de dissiper les pires tourments. Pourtant, une ombre d’inquiétude persistait dans son regard, comme si elle pressentait que l’épreuve à venir pour Madoka dépasserait tout ce qu’elle avait affronté jusqu’à présent.

– Promets-moi que tu ne prendras pas de risques insensés, Madoka ! ajouta-t-elle.

La jeune femme aux cheveux noirs de jais posa une main légère sur l’épaule de Hikaru, son regard émeraude devenant un mélange d’assurance et de gravité.

– Je te le promets, Hikaru.

Hikaru hocha la tête, les lèvres serrées, consciente que ces paroles contenaient une vérité qu’elle ne pouvait pas contester.

– Vous êtes ma famille, toi et Kyosuke, lui dit-elle. Je veux que vous reveniez… ensemble.

Hikaru avait conscience, en prononçant ces mots, que la vie avait définitivement lié Madoka à Kyosuke. Depuis longtemps, ce n’était plus une question d’espoir ou de rivalité, mais une certitude lumineuse qui s’inscrivait au plus profond de son âme. En cet instant, une page se tournait dans son cœur. Elle comprit enfin que ce lien entre eux dépassait tout ce qu’elle avait pu imaginer, quelque chose de plus vaste que leurs histoires personnelles, quelque chose de prédestiné.

Une telle volonté de sauver Kyosuke… Une telle force pour l’aimer malgré tout… Ce n’était pas une simple affection, ni même une passion éphémère. C’était une connexion vitale, unique, qui semblait avoir traversé les âges et les dimensions, et que les derniers événements avaient accentués. Hikaru, en repensant à ses propres sentiments, sentit ses yeux picoter, non pas de jalousie ou de tristesse, mais d’une émotion douce-amère qui s’apaisa peu à peu en un profond soulagement.

Elle se remémora les moments à Otaru où elle avait rêvé d’être à la place de Madoka, d’être celle que Kyosuke aimait ainsi. Ces souvenirs, autrefois si douloureux, lui apparurent soudain sous une nouvelle lumière. Ce n’était pas une défaite, mais une libération. Elle comprit qu’il n’y avait jamais eu de véritable rivalité entre elle et Madoka. Il n’y avait que l’évidence d’un amour qui était fait pour être, et qu’elle-même, peut-être, avait toujours su au fond d’elle.

Un sourire timide mais sincère fleurit sur ses lèvres.

« Ils sont faits l’un pour l’autre », pensa-t-elle, « Et cela me rend heureuse. »

Hikaru sentit alors une chaleur bienveillante se répandre en elle, un sentiment de paix qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps. Elle n’avait plus rien à envier, plus rien à prouver. Elle pouvait enfin laisser partir ce poids et cette attente.

Elle était libre, désormais. Libre d’aimer différemment, d’être elle-même, et d’accepter que leur bonheur à eux était aussi, d’une certaine manière, le sien.

Madoka la serra brièvement dans ses bras, une étreinte silencieuse, mais chargée de tout l’amour qu’elle éprouvait pour celle qu’elle appelait tendrement sa « petite sœur ».

En regardant Madoka rejoindre Manami, prête à affronter l’inconnu pour Kyosuke, Hikaru sentit une vague de fierté monter en elle. Une fierté d’avoir Madoka comme grande sœur, d’avoir été témoin de cet amour qui traverserait toutes les épreuves, et d’avoir enfin trouvé sa propre place dans cette histoire.

Manami toucha la main de Madoka.

– Tu as accompli un miracle aujourd’hui, lui dit-elle. Peut-être en accompliras-tu un autre encore ?…

– Qui sait ?… fit Madoka le sourire aux lèvres.

Puis la jeune femme aux yeux émeraude disparut dans le néant.

– C’est pas possible !? s’écria sa grande sœur, étonnée par cette scène. Encore une disparition ?… À peine de retour, déjà repartie ?!…

Une lumière aveuglante enveloppa le champ de vision de Madoka. Son cœur battait à tout rompre. Un frisson glacé lui parcourut l’échine.

« Kyosuke, c’est moi qui reviens vers toi ! », répéta-t-elle comme un mantra, espérant que le destin puisse la guider au bon endroit.

Puis son champ de vision revint à la normale. Elle se retrouva dans un endroit apaisant.

C’était le printemps. Le soleil dorait délicatement les feuillages des arbres au-dessus et autour d’elle. Les chants d’oiseaux résonnaient, familiers, presque mélodieux. Un grillon lointain parvenait à se faire entendre en cette saison…

Quel univers parallèle était-ce là ? se demanda Madoka.

À quelques mètres devant elle, toujours sous les arbres, se tenait Kyosuke, allongé sur l’herbe verte, l’air sonné.

Il releva la tête, abasourdi, comme s’il sortait d’un cauchemar. Il vit Madoka qui marchait vers lui et lui criait :

– Kasuga !…

– Ayukawa ?… murmura-t-il, sa voix brisée par la confusion.

La jeune femme accourut alors vers lui :

– Kasuga ! Tu vas bien ?... Je…

Elle hésita à dire, mais il le fallait :

– Je devais venir te chercher…

– Je ne comprends pas comment tu fais, Ayukawa. Comment es-tu venue dans cette dimension toute seule ? Explique-moi.

– Plus tard, fit Madoka en aidant son ami à se relever.

– Et c’est quoi ce manga avec nous dedans ?…

– Allez, lève-toi.

Tandis qu’elle aidait Kyosuke, le regard de la jeune femme fut alors attiré par autre chose.

Derrière les arbres, les bosquets et le garde-corps, des marches… C’était le grand escalier qui avait marqué leur destin.

Madoka ne savait pas pourquoi ni comment, mais elle et Kyosuke étaient revenus là où tout avait commencé pour eux. Là où la jeune fille avait rencontré ce garçon timide pour la première fois.

Le silence entre eux était lourd.

Elle et Kyosuke tenaient une position assez discrète derrière les troncs d’arbres et les bosquets, à quelques mètres du niveau de la première marche du haut de l’escalier que, debout, Kyosuke fixa.

– Sommes-nous dans une autre dimension ? demanda-t-il. J’ai plutôt l’impression que nous avons été téléportés de ta demeure… jusqu’ici.

Madoka regarda le paysage autour d’elle. Tout semblait être à sa place, comme cela était dans sa propre mémoire, un jour de printemps lointain. Les mêmes types de feuillages, les mêmes températures, les mêmes marches du grand escalier…

– C’est également le printemps… dit-elle avec hésitation. Comme pour notre saison actuelle…

Tout deux restèrent ainsi, immobiles, le cœur alourdi par une étrange mélancolie.

– Comment être sûr que nous sommes bien dans un univers parallèle ? demanda Kyosuke avec un léger doute.

Madoka se souvint alors des informations que lui avait transmises le Pouvoir lors de sa courte audience avec lui. Manami avait déjà été témoin de nombreux univers parallèles où un double de Madoka se rendait vers le grand escalier et perdait son chapeau de paille rouge soulevé par le vent. Et ce chapeau retombait inlassablement sur les marches, sans Kyosuke pour rattraper l’objet en plein vol.

Madoka se demanda alors si elle et Kyosuke n’avaient pas tout simplement été projetés dans un de ces univers-là, où le printemps était également en cours. Cependant, s’il avait été question d’univers parallèle, pourquoi se retrouvait-elle avec Kyosuke au sein de cette végétation ?… Leurs propres doubles, qu’ils ont remplacés, étaient-ils là dans cet endroit ?... Pourtant, Madoka sentait quelque chose de très familier en elle.

– On fait quoi ? demanda Kyosuke. On rentre chez nous ? Tu prononces les mots clé ?

– Chut ! fit soudain Madoka, en se baissant.

– Heu ?…

– Baisse-toi, Kasuga !

Kyosuke se baissa afin de ne laisser que sa tête visible au-dessus des bosquets.

Un détail venait en effet d’attirer l’attention de la jeune femme. Sur le sentier allant du parc vers l’escalier, à leur gauche, elle aperçut de loin une silhouette familière.

Madoka fit les gros yeux ! C’était elle-même ! Elle-même, plus jeune de quelques années ! Une jeune Madoka, portant ce chapeau de paille rouge qu’elle affectionnait tant, marchait paisiblement vers l’escalier, ignorant tout de ce qui l’attendait. Plus de doute : ceci n’était pas un univers parallèle !

À cette vision, Kyosuke ouvrit la bouche, incapable de formuler une pensée cohérente, sauf :

– C’est toi !…

Le cœur du jeune homme lui confirma que c’était bien elle. Originellement, Kyosuke ne savait pas exactement d’où Madoka était venue quand il l’avait vue la toute première fois. Il la rencontra lorsqu’elle le regarda du haut de l’escalier, après qu’il eût rattrapé son chapeau de paille rouge. Hormis à l’aéroport en partance pour Los Angeles, puis à son retour des USA, c’était la troisième fois qu’il voyait Madoka avec son chapeau porté sur la tête. Il en fut presque hypnotisé.

Tout à l’heure, il était retombé la tête la première en arrière sur le sol du salon des Ayukawa. Il avait déjà voyagé dans le temps, mais en tombant des marches [Tome 5, NDLR]. Tomber violement sur le sol, c’était voyager dans le temps.

Il confia ses réflexions à Madoka :

– Si vous êtes là toutes les deux, c’est que nous sommes dans le passé ! dit-il C’est bien notre univers.

Ceci expliqua à Madoka qu’elle ait ressenti ces lieux de manière plus familière que d’habitude.

– Je voyage dans le temps quand je tombe à terre violement, ajouta-t-il.

La jeune femme se rappela alors combien Kyosuke avait été bouleversé en ouvrant le premier tome du manga. En découvrant la scène dessinée du grand escalier, il avait eu comme un choc, si intense qu’il en perdit l’équilibre. Ce moment, ravivé sous forme d’images, avait agi comme une clé sur son subconscient, déclenchant un véritable voyage dans le temps, plutôt qu’une simple traversée entre les dimensions. Elle se demanda si la lecture des mots clés et non leur écoute valaient comme déclencheur d’un tel voyage.

Quoi qu’il en soit, Madoka sentit son cœur battre la chamade. Elle suivit du regard son alter ego quatre ans plus jeune, toujours coiffée du chapeau. Elle était en train de quitter le parc, pour se diriger comme prévu vers l’escalier, dans le but de redescendre la colline. Encore quelques mètres, et son chapeau s’envolerait avant d’atteindre la première marche. Madoka reconnut à présent les vêtements qu’elle avait elle-même portés ce jour-là. Ce chemisier rouge à fleurs. Oui, plus aucun doute. C’était bien un voyage dans le passé. C’était sa réalité. Mais pourquoi ressentait-elle malgré tout de l’inquiétude ?

Les images du passé qu’elle avait en sa mémoire, et celles qu’elles vivaient en ce moment en direct, se mélangeaient. Son esprit voulut lui montrer quelque chose de précis. En une fraction de seconde, Madoka eut une vision.

« Pas maintenant ! », hurla-t-elle en silence.

Les feuillages reposants et fixes sous un ciel d’un bleu éclatant, bercés par le chant léger des oiseaux. Mais l’image s’effaça aussi vite qu’elle était apparue. Pourquoi cette vision était-elle revenue subitement ?… Pourquoi lui imposait-elle ce trouble inattendu ?…

La jeune Madoka s’approchait de plus en plus du grand escalier. Son chapeau était toujours sur la tête. Mais que se passait-il ?…

À l’abri derrière les troncs d’arbre et les bosquets ceinturant les marches, Madoka posa une main sur la bouche. Elle comprit la vision qu’elle venait d’avoir. Le feuillage y était fixe. Il n’y avait pas de vent. Cette vision, issue d’on ne savait où, insistait sur les feuilles immobiles. Fébrilement, Madoka observa attentivement autour d’elle. Également aucun vent. Aucun souffle. Tout semblait figé en équilibre précaire.

Une révélation effroyable se présenta à l’esprit de Madoka.

Sa vraie plus grande peur.

« Pourquoi as-tu peur, Madoka ? »

La question était la réponse. Voilà enfin ce qui se cachait en elle. Le Pouvoir savait déjà.

C’était bien son passé, unique et précieux. C’était bien elle, Madoka, plus jeune, qui marchait vers la première marche du grand escalier. Le bonheur était pourtant là, bientôt par cette rencontre imminente.

Pas encore de vent… Pas encore de chapeau qui s’envole…

« Si elle continue son chemin avec son chapeau… », pensa-t-elle.

Madoka termina sa phrase, la boule au ventre :

« Kyosuke et moi ne ferons que nous croiser… et resterons à jamais des inconnus… »

La peur de n’avoir jamais commencé ce bonheur.

La jeune femme sentit ses jambes trembler et sa gorge se nouer. Tout ce qu’elle avait traversé, tous les sacrifices qu’elle avait faits pour revenir jusqu’à cet instant précis…

Elle regarda un instant Kyosuke, comme pour lui exprimer :

« Je dois provoquer le destin ! »

Tout convergeait vers une seule décision. La plus grande décision de sa vie.

C’était à elle d’agir.

Des années de souvenirs défilèrent sous ses yeux en une fraction de seconde. Les souvenirs et les émotions se bousculèrent encore en tourbillon dans son esprit. Sa rencontre avec Kyosuke, leurs disputes, leurs éclats de rire, leurs peines et leurs espoirs… Tout cela dépendait de ce moment. Pour ce seul et unique « instant » crucial !

Mais comment agir sans attirer l’attention ?…

« Pas de vent… »

Madoka ferma les yeux, se concentra plus que jamais, sentant encore la chaleur d’un don, celui de l’ultime cadeau offert par le Pouvoir en personne… Ne pouvant servir qu’une seule et unique fois. Il était encore là, en elle, prêt à servir une dernière fois.

« C’est maintenant ou jamais… »

Ne pas intervenir, c’était condamner son propre univers… C’était oblitérer tout ce qu’elle avait vécu… C’était ne plus ressentir l’amour… Redevenir comme avant… Des larmes roulant sur ses joues, elle exprima de toute son âme son unique Pouvoir. Transcendant tout, le Pouvoir répondit à son appel. Une brise printanière s’éleva, douce d’abord, puis plus insistante. Elle sentit l’énergie vibrer en elle, se propageant dans l’air autour de la jeune Madoka marchant vers l’escalier.

La jeune femme qui avait lancé son ultime espoir pour ce seul moment, pour cette seule brise printanière, les larmes coulant sur ses joues, ouvrit les yeux à cet instant précis.

Soudain, le chapeau de paille rouge s’envola, emporté par la vigoureuse brise qu’elle avait créée. Il tourbillonna légèrement avant de filer vers le grand escalier.

La jeune Madoka s’arrêta net, les yeux écarquillés de surprise. Sans perdre un instant, elle se lança à la poursuite de son chapeau, commençant à descendre quelques marches. Mais avant qu’elle ne puisse l’atteindre, elle aperçut quelqu’un qui l’avait rattrapé au vol. Elle marqua une pause, les lèvres s’étirant en un sourire soulagé.

– Bien attrapé ! clama-t-elle, à la fois joyeuse et reconnaissante.

Le jeune Kyosuke se tenait là, le chapeau dans les mains, comme une réponse inattendue à son appel intérieur.

Un poids invisible sembla alors se dissiper dans la poitrine de Madoka, cachée derrière les bosquets, témoin de la scène. Épuisée par l’intensité de ce moment, elle sécha doucement les larmes qui avaient perlé sur ses joues. Le cœur enfin apaisé, elle sentit une profonde gratitude envers le Pouvoir. Ce dernier lui avait offert un précieux cadeau : il avait guidé cet instant décisif, l’amenant à provoquer cette rencontre tant attendue entre elle et Kyosuke. Un instant où, pour la première fois, elle força le destin de ses propres mains.

Et là, tout se déroula comme dans ses souvenirs : la rencontre…

– Une rafale de vent me l’a arraché, expliqua la jeune Madoka à celui qui avait rattrapé son chapeau.

Le sourire maladroit de Kyosuke… Le teint rouge qui monta à ses joues… Le nombre de marches… quatre-vingt-dix-neuf ou cent ?…

Depuis sa cachette, Madoka observa avec intérêt toute la scène, tout comme Kyosuke à ses côtés, resté silencieux et fasciné par ce qu’il voyait et entendait devant lui. Les mains de la jeune femme tremblaient encore, mais cette fois, ce n’était pas de peur. C’était un mélange d’émerveillement et de soulagement. C’était elle qui avait réalisé tout cela.

Elle et Kyosuke virent enfin la jeune Madoka redescendre l’escalier, quand elle se retourna vers le sommet des marches, interpellée par le jeune Kyosuke voulant lui rendre son chapeau qu’il lui tendit :

– Hé ! Ton chapeau !

D’un sourire, la jeune fille répondit :

– Je te le donne, il te va plutôt bien.

Derrière sa cachette, Madoka comprit… Le passé avait rejoint son présent dans son esprit. Elle comprit enfin pourquoi elle avait offert son chapeau à Kyosuke.

Précédemment, lorsqu’elle avait réintégré le cristal rouge après son audience avec le Pouvoir, Madoka s’était surprise à méditer étrangement et longuement sur cette question, qui revenait en elle comme une vague incessante : pourquoi s’était-elle séparée de son précieux chapeau de paille ? Sur l’instant, elle avait vaguement attribué son geste à un élan spontané du cœur, une impulsion inexplicable. Pourtant, ici et maintenant, alors que les pièces du puzzle s’assemblaient enfin, la vérité plus profonde lui apparut.

La brise printanière que Madoka avait provoquée avec sa seule tentative, n’était pas qu’une simple rafale de vent guidée par un pouvoir télékinésique. Non, c’était bien plus que cela. Cette brise était accompagnée par ses espoirs, par l’amour profond qu’elle portait pour Kyosuke. Cette brise printanière était habitée par une émanation d’elle, ressentie par l’esprit de la jeune Madoka. Ce souffle était comme un message que son futur soi lui apportait déjà dans son propre présent. Enveloppée un instant par cette brise, la jeune Madoka avait ressenti à ce moment précis dans son cœur et dans son âme que ce jeune Kyosuke était celui qu’elle devait rencontrer.

De son côté, Madoka comprit que ce n’était pas le hasard, ni une simple intuition. Quelque chose de puissant avait agi en elle, une force qu’elle n’avait jusqu’alors pas su nommer. Mais désormais, tout devenait clair. La réponse qu’elle cherchait depuis si longtemps ne se trouvait pas ailleurs. Elle était en elle, tapie au plus profond de son être.

Elle était celle qui avait forcé la main du destin. À l’approche du voyage dans le passé, cette main invisible semblait l’avoir appelée, l’alertant de manière croissante par des signes mystérieux : cette question qui revenait sans cesse en elle, ces visions troublantes du feuillage figé dans un silence énigmatique…

Profondément bouleversée, Madoka recomposa alors le tableau des événements qui, à travers le passé, le présent et le futur, s’étaient entrelacés pour culminer en cet instant précis. Une vérité éclatante s’imposa à elle : Kyosuke avait œuvré dans son propre passé lorsqu’il lui avait sauvé la vie en 1981. Et aujourd’hui, en ce jour du 13 mars 1984, c’était à son tour d’agir, de protéger l’avenir, cet avenir où tout ce qui comptait pour elle – Kyosuke, leurs amis, leur vie commune - trouvait sa place.

Jamais la lumière des choses ne lui avait paru aussi nette qu’en cet instant. Le cercle se refermait. Elle comprenait maintenant que sa présence ici n’était pas fortuite. Le Destin, elle le voyait clairement, n’était pas l’œuvre d’une divinité capricieuse dictant le cours des vies. Non, elle était ce Destin. Elle incarnait ce fil tendu entre les choix, où les décisions les plus lourdes se révélaient nécessaires.

Elle se tourna vers Kyosuke, jusqu’ici resté figé devant la même scène qu’il venait de revivre, comme autrefois. Tout comme dans le manga qu’il avait entr’aperçu dans le salon des Ayukawa.

– Tu vois ? dit-il au bout d’un moment. Nous avons toujours été destinés à nous rencontrer.

Madoka hocha la tête, maintenant incapable de prononcer un mot, ses yeux à nouveau brillants de larmes. Kyosuke ne semblait pas s’être aperçu qu’elle avait invoqué le Pouvoir pour faire naître cette soudaine brise printanière. Intérieurement, Madoka décida de garder ce secret. Ce moment devait rester pour lui un souvenir magique, et, au fond, il l’était réellement. Tout dans cette scène était empreint de magie : la rencontre, les premiers émois partagés, cet instant intime où, seuls, sur le seuil de la première marche d’un grand escalier baigné de lumière printanière, leurs cœurs s’étaient éveillés l’un à l’autre.

Une étrange sérénité s’installa en Madoka. L’absence désormais définitive des dons conférés par le Pouvoir la laissait libre. Libre de vivre sans crainte, sans redouter un futur incertain, sans la peur d’une force qui lui échappait. Elle conservera toutefois une profonde gratitude envers Akemi Kasuga et le Pouvoir, reconnaissante pour tout ce qu’ils lui avaient permis de vivre. Du bout des doigts, elle effleura le pendentif au cristal rouge suspendu à son cou, le symbole tangible d’un pacte ancien qui avait transcendé les limites du réel et ouvert les portes de tous les possibles.

« Tout est à sa place, maintenant », songea-t-elle, le cœur plus apaisé que jamais.

Après avoir été les témoins discrets de cette rencontre décisive entre leurs jeunes versions, Kyosuke et Madoka attendirent en silence que les silhouettes de leur passé s’effacent enfin. Madoka, l’œil attentif, balaya une dernière fois les environs d’un regard, vérifiant qu’ils étaient bien seuls.

– Ils sont… nous sommes partis, dit Kyosuke, sa voix empreinte d’un léger soupir de soulagement… Les événements sont restés les mêmes. Tout est en ordre, non ?…

Madoka hocha doucement la tête. Elle s’avança à découvert avec Kyosuke vers les abords de l’escalier. La jeune Madoka avait bien disparu, tandis que le jeune Kyosuke était bien rentré chez lui, dans sa nouvelle demeure située plus loin, dans le quartier résidentiel de la colline. Leurs yeux restaient fixés sur cet escalier qui s’étendait devant eux. Chaque marche semblait les appeler.

– Nous avons été témoins de quelque chose que je n’imaginais pas du tout vivre, admit Kyosuke, encore impressionné. Notre rencontre… C’est quand même quelque chose d’extraordinaire.

– Dis, Kasuga, tu ne t’es jamais demandé pourquoi la jeune Madoka t’avait donné son chapeau, ce jour-là ? Tu as dû penser, sur le moment, qu’elle te voyait simplement comme un inconnu, quelqu’un qui s’était contenté de rattraper ce qu’elle avait perdu.

Le jeune homme réfléchit un instant.

– C’est vrai que j’ai trouvé étrange que tu me l’aies offert. Normalement, tu ne pouvais pas te souvenir que c’était moi qui t’avais offert autrefois cet objet. Mais il était précieux. Mais maintenant que tu en parles, peut-être que tu vas me le dire ?

Madoka fit les gros yeux. Elle ne pouvait pas révéler ce qu’elle avait fait il y a quelques minutes avec le cadeau du Pouvoir. Mais elle avait toujours une bonne excuse en réserve. Elle plissa les yeux d’un air faussement suspect :

– Tu sais, maintenant que j’y pense… Peut-être que c’est toi qui m’as ensorcelée pour que je te le donne. J’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose de bizarre chez toi, ce jour-là.

– Ayukawa ! Tu n’es pas sérieuse ?! grommela Kyosuke.

Madoka se mit à rire à pleine voix, comme pour se décharger d’une tension résiduelle. Et Kyosuke la suivit dans sa joie de partager de concert avec elle ce moment de paix, après toutes les épreuves passées ensemble dans l’autre dimension.

Ils restèrent ainsi tous deux figés sur la première marche, regardant encore l’escalier s’étendre vers le bas de la colline.

– Ça paraît étrange aussi, mais je me demande toujours… commença Madoka avant de s’interrompre.

– Quoi donc ? demanda Kyosuke, intrigué.

Elle tourna son regard vers lui, avec un sourire énigmatique. 

– Combien de marches cet escalier possède-t-il vraiment ?… Depuis tout ce temps, nous n’en avons jamais eu la certitude absolue… Quatre-vingt-dix-neuf ?… Cents ?…

– On s’était mis d’accord pour quatre-vingt-dix-neuf marches et demi. Tu l’as même encore réentendu tout à l’heure.

– Oui, je sais. Mais je suis tout de même curieuse…

– Tu avais déjà compté les marches en montant, n’est-ce pas ?

– Oui, il y en avait quatre-vingt-dix-neuf.

– Et moi aussi, j’ai compté en montant. Il y en avait cent.

Madoka émit un sourire évocateur :

– Et moi je te dis qu’il y en avait quatre-vingt-dix-neuf, dit-elle en taquinant son ami.

– Mais… Tu me refais le même truc ?…

– Et tu ne voudrais pas vérifier ? rétorqua la jeune femme. Maintenant qu’on a le temps, pourquoi ne pas s’en assurer ?

Kyosuke fronça les sourcils, réfléchissant.

– C’est vrai… Pourquoi pas… Après tout, qui sait si on aura une autre chance de revivre tout cela, tu ne crois pas ?

– Absolument. Dans notre présent, en 1988, ce grand escalier peut avoir eu des marches rajoutées, rénovées ou manquantes. C’est aujourd’hui le bon moment.

– D’accord, Ayukawa. Donc, on est bien d’accord pour dire que nous voilà tous deux positionnés sur la première marche, n’est-ce pas ? 

– Oui, c’est bien la première marche, confirma Madoka, un éclat de malice dans les yeux.

– Et l’escalier descend tout en bas, sans compter la surface du trottoir, évidemment.

– Bien sûr… Tu comptes me donner un cours de géométrie, maintenant ? se moqua Madoka, son rire léger flottant dans l’air.

– Un prétexte pour réviser les maths ensemble, comme au bon vieux temps, répondit Kyosuke avec un sourire complice. 

Le rire du jeune homme se mêla à celui de Madoka. Elle se sentit soudain envahie par une douce vague de souvenirs, des échos d’un passé révolu, mais toujours vivant dans son cœur. 

– Eh bien, ne pense même pas à t’échapper pendant cette révision, ou à t’endormir, lui lança-t-elle d’un ton espiègle.

Ceci raviva en Kyosuke beaucoup de souvenirs, dont la plupart assez cocasses.

– Je te donne un moyen de m’empêcher de m’éclipser, répliqua Kyosuke, le sourire en coin.

Il lui tendit la main, une tendresse silencieuse dans son geste.

– Alors, allons compter ensemble vers le bas, annonça-t-il.

Madoka sourit et enfouit ses doigts dans ceux de Kyosuke, une sensation douce et familière qui lui réchauffa l’âme. Ils étaient là, juste là, dans cette fraction de temps suspendue. Main dans la main, ils posèrent un pied ensemble sur la seconde marche, en parfaite harmonie. Les deux jeunes gens prononcèrent presque instinctivement de concert :

– Deux !…

Puis, avançant vers la troisième marche, chaque voix s’exprimait de manière nette et précise, sans se laisser déconcentrer :

– Trois !…

Leurs voix se mêlaient dans une douce cadence, chaque chiffre résonnant comme un écho de leur lien profond et indéfectible.

– Quatre !…

Les marches se succédaient, et à chacune d’elles, des souvenirs affluaient. Madoka se rappelait les éclats de rires, les silences pleins de sens, et les innombrables choix qu’ils avaient faits ensemble au cours de ces quatre dernières années. Kyosuke, lui, observait son visage avec une tendresse discrète, gravant dans son esprit cet instant unique.

– Dix-sept !… Dix-huit !… compta Madoka à voix haute, accompagnée de celle de Kyosuke.

Aux marches suivantes, elle ralentit légèrement, laissant son esprit vagabonder. Chaque pas la ramenait vers les souvenirs des personnes qu’elle avait croisées au fil de son voyage extraordinaire entre les dimensions. Ces rencontres, elle le savait, étaient à la fois des leçons et des cadeaux. Elles avaient laissé une empreinte indélébile sur son cœur.

À la trente-deuxième marche, sur un des paliers, ils s’arrêtèrent un instant, Madoka levant les yeux vers l’horizon lointain qui s’offrait à elle.

– Tu sais, dit-elle. Je crois que cet escalier symbolise beaucoup plus que ce que j’avais imaginé.

Kyosuke haussa un sourcil :

– Comment ça ?…

La jeune femme marqua une pause, cherchant ses mots.

– Il représente nos débuts, nos incertitudes… et maintenant, il marque une fin. Mais une fin qui nous appartient…

Kyosuke lui sourit, son regard brillant d’une émotion sincère.

– Ce n’est pas vraiment une fin, Ayukawa. C’est une étape de notre vie qui s’achève… Une ère nouvelle qui s’ouvre… Juste un autre commencement.

Elle rit doucement, secouant la tête.

– C’est bien toi ça… Toujours à croire qu’on peut réécrire l’histoire, hein, Kasuga ?…

Alors, tous deux sourirent et continuèrent à descendre, leurs voix comptant les marches dans une harmonie parfaite, se tenant toujours par la main.

– Trente-sept !…

Leur rythme ralentit légèrement. Le soleil était au plus haut de cette journée printanière.

– Trente-huit !…

Madoka sentit une étrange sérénité l’envahir, comme si chaque marche franchie dissipait en même temps les doutes et les peurs accumulés.

– Trente-neuf !…

Madoka hésita une fraction de seconde avant de poser le pied sur la pierre de la marche suivante. Kyosuke la regarda, un sourire complice éclairant son visage.

Ils comptèrent à l’unisson :

– Quarante !…

Ils échangèrent ensemble un regard empli de compréhension, unissant dans ce mot simple tout le poids de leur histoire, de leur parcours, de leur amour… et de ce que l’avenir leur réservait.

Un vent naissant souffla légèrement, emportant avec lui les échos de leur rire, tandis que Kyosuke et Madoka s’éloignaient main dans la main de la quarantième marche, comptant les suivantes, disparaissant plus bas, derrière un coude de l’escalier, hors de vue.

L’escalier resta silencieux, baigné dans une paix éternelle, témoin d’une histoire qui, bien qu’écrite à l’encre du passé, ne cessera jamais de résonner dans le cœur de ceux qui s’en souviennent.

 

 

 

« «

«

 

 

 

Épilogue

 

 

 

Jingoro dormait paisiblement sur le rebord de la fenêtre, son corps rond et chaud étalé sous la lumière douce de l’après-midi. Je suis assise à mon bureau, un journal personnel ouvert devant moi. L’encre de mon stylo glisse sur le papier, laissant des traces qui tentent de capturer ce que je ressens. Mais parfois, les mots me manquent.

Je fais une pause, levant les yeux vers Jingoro… Il faisait partie de notre famille désormais, témoin silencieux de nos joies et de nos peines quotidiennes. Un compagnon fidèle, à sa manière… Et qui a trouvé le foyer qu’il recherchait.

Je continue d’écrire :

« Il existe des histoires qui prennent forme dans les méandres des jours passants, entre rires, silences et regards échangés. La nôtre, représentée par celle de Kyosuke et Madoka, est une histoire d’instants suspendus, de décisions prises dans l’ombre d’un souvenir et de chemins parallèles qui, parfois, se croisent entre joie et tristesse. C’est une histoire qui ne se termine jamais vraiment, car elle persiste dans chaque souffle du vent, dans chaque souvenir d’un été lointain. Une histoire qui, même dans le temps qui file, continue de s’écrire en nous, à travers l’écho d’une promesse, et l’infini d’un amour indélébile. »

Je marquai une pause, les doigts suspendus. Mes yeux s’embrouillèrent un instant, et je sentis une larme glisser doucement sur ma joue. Je souris, me remémorant chaque éclat de rire, chaque regard échangé, chaque hésitation, chaque pas franchi.

Mes pensées dérivent encore vers Kyosuke et Madoka. Que dire d’eux, sinon qu’ils sont la preuve vivante que l’amour peut triompher de tout ?

J’écris encore :

« Kyosuke, mon grand frère… Et toi, Madoka, ma sœur de cœur… Vous m’avez donné tant de forces… Vous deux m’avez appris tant de choses. À croire, à aimer, à ne jamais abandonner, même face à l’inconnu. Vous avez affronté des épreuves qui ont dépassé l’entendement… Mais vous les avez surmontées ensemble. Et grâce à vous, je sais que l’avenir, aussi imprévisible soit-il, est un terrain où tout peut encore fleurir. »

La pointe de mon stylo sur le papier résonne doucement dans la pièce, comme une musique familière qui m’apaise.

« Hikaru m’a annoncé qu’elle quittait Otaru pour revenir à Tokyo. « Manami, je veux revenir là où tout a commencé », m’a-t-elle écrit. J’ai vu dans ses yeux cette lumière qui la rend si spéciale. Elle a toujours été forte, libre et lumineuse comme un feu d’artifice. Je suis heureuse pour elle. Elle est enfin en paix avec elle-même. »

Un soupir m’échappe. J’ai toujours admiré Hikaru pour sa capacité à rebondir dans la vie.

Je me rappelle aussi de maman. Son souvenir si précieux vibre toujours en moi.

« Maman… Tu veilles sur nous, n’est-ce pas ?… Je sens ta présence dans chaque instant de lumière, dans chaque souffle de vent qui traverse la maison. Tu es là, dans nos cœurs, gardienne invisible de nos espoirs. Nous avançons, mais jamais sans toi. »

Je m’arrête, laissant ces pensées m’envahir. Une nouvelle larme coule sur ma joue, mais ce n’est pas une larme de tristesse. C’est une larme de gratitude et de sérénité…

Je reprends mon stylo, inspirée par une vision plus large de ce que nous étions.

« Nous sommes une famille liée par des fils invisibles, tissés à travers les dimensions et les années. Ce n’est pas qu’une histoire de pouvoirs étranges ou d’événements extraordinaires. C’est une histoire d’amour, de résilience et de transmission. Je crois en notre chemin, en cette destinée qui nous lie, au-delà des mystères. Je crois que, chacun à sa manière, nous avons tous un rôle à jouer dans cette aventure sans fin. »

Une idée me traverse alors l’esprit. Une certitude, presque :

« Izumi Matsumoto… Ce Kappa neko ineffable… Je suis persuadée que je le reverrai un jour, là-bas, campant dans l’Exostral. Avec mon tout nouveau pouvoir, je sais que je pourrai voyager à travers les dimensions, sans crainte de bouleverser quoi que ce soit. »

Je resonge à Kurumi, qui avait trouvé la paix en elle, grâce au cadeau que Madoka lui avait offert. Elle est guérie de toute crainte, pour notre plus grande joie à tous.

J’écris :

« Kurumi est bien en sécurité. Plus rien ne pourra lui arriver. Cependant, récemment, elle m’a parlé d’un souhait : celle d’envoyer dans l’autre univers un message à la Madoka Ayukawa, amie de Kenji Hiyama. Elle cherche à s’excuser pour tout le mal qu’elle lui avait causé durant la crise. Je crois que son esprit ne sera définitivement libéré que si elle parvenait à entendre le pardon de Madoka. J’ai désormais le pouvoir de voyager entre les mondes sans crainte. Mais puis-je franchir une seconde fois le seuil du même monde parallèle ?... Ce sera un défi immense que je sais que Kyosuke a déjà réussi à accomplir. Et un jour, je parviendrai peut-être à obtenir une réponse à la demande de ma petite sœur. »

Mes pensées dérivent alors vers Kazuya Terashima, ce jeune homme que j’avais rencontré dans l’autre Multivers.

« Kazuya… Nos chemins se sont croisés brièvement, mais je n’oublierai jamais ce qu’il m’a apporté. Parfois, les rencontres les plus courtes laissent des empreintes indélébiles. »

J’ai lu tout le manga de Kimagure Orange Road qu’il a créé :

« Cette histoire de notre vie, que Kazuya a traduite dans ce manga, ne m’appartient pas entièrement. Elle appartient à ceux qui, un jour, croiseront cet escalier et y graviront leurs propres marches. Elle appartient à ceux qui choisiront de suivre leurs émotions, même quand elles semblent impossibles. Elle appartient à chacun de nous, porteurs de rêves et d’espoirs, connectés par ce qui nous rapprochent. »

Je me lève, inspirant l’air frais qui venait de s’engouffrer par la fenêtre entrouverte. En observant le ciel, je me sens légère et libérée. Derrière les arbres du parc situé devant notre résidence, je vois au loin ce grand escalier que je venais d’évoquer.

Je retourne à mon bureau pour écrire les derniers mots sur ces pages :

« La vie est comme cet escalier, parfois vertigineux, parfois incertain. Mais si nous avons le courage de descendre ou de monter, nous découvrons, tel un chemin initiatique, qu’il mène toujours quelque part. Il n’y a pas de fin, seulement de nouveaux commencements. »

Je souris doucement, essuyant les larmes qui coulaient encore sur mes joues. Je pris une profonde inspiration. Le journal est presque plein, comme si ces pages avaient absorbé une part de mon âme.

Je referme le journal, symbole du passé magnifique que je quitte, et le place dans le tiroir secret de mon bureau.

Je me lève doucement, prenant Jingoro dans mes bras. Une chaleur réconfortante envahit mon cœur.

– Allez, viens, Jingoro, murmurai-je.

Je franchis la porte de ma chambre, m’avançant dans le couloir inondé de lumière. Chaque pas semble m’entraîner plus loin dans un avenir encore flou, mais d’une éclatante intensité. Ce n’est pas simplement un chemin qui s’ouvre devant moi, c’est un vaste horizon à embrasser, où les possibilités se multiplient à l’infini. Un frisson parcourut mon être, une énergie nouvelle qui m’envahit, comme si l’univers tout entier s’apprêtait à me révéler ses secrets. Et dans le silence de ce moment, une certitude s’installa profondément en moi : je ne fais que m’élancer vers l’immensité d’une destinée radieuse, prête à la façonner à ma manière.

 

 

 

FIN

 

 

 

« «

«


banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#496 Punch

Punch

    inKoruptible

  • Modérateur
  • Réputation
    650
  • 5 622 messages
  • Genre:
  • Localisation:Paris

Posté 21 décembre 2024 - 16h40

Ça y est, c'est la fin ?

Je vais peut-être pouvoir reprendre la lecture depuis le début à mon rythme 😅

En tous les cas, bravo pour avoir mené ce projet épique à son terme !

#497 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 21 décembre 2024 - 22h10

En effet, Punch, c'est terminé.

Je vais enfin me reposer, tandis que tu liras plein de pages nostalgiques.

Allez courage pour lire les 300 pages restantes :)
banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 

#498 tcv

tcv

    KORiste

  • Modérateur
  • Réputation
    608
  • 8 685 messages
  • Genre:
  • Localisation:Région parisienne

Posté 22 décembre 2024 - 11h10

Vas-tu mettre "La Première Marche" sur ton site ?


Sky is the only limit

#499 Olivier

Olivier

    Fan pour la vie

  • Modérateur
  • Réputation
    390
  • 7 858 messages
  • Genre:
  • Localisation:Paris

Posté 22 décembre 2024 - 12h31

On aura sûrement un pdf unique plus facile à lire.
I'm looking for the red straw hat...

#500 CyberFred

CyberFred

    Modérateur

  • Modérateur
  • Réputation
    750
  • 7 311 messages
  • Genre:
  • Localisation:France

Posté 22 décembre 2024 - 15h09

Oui.


banner_kor.jpg  logo_facebook_forum.jpg
 
 
 




1 utilisateur(s) li(sen)t ce sujet

0 membre(s), 1 invité(s), 0 utilisateur(s) anonyme(s)

  • Loading Countdowns