Bravo Fred, c'est magnifique !
Les travaux de CyberFred
#442
Posté 13 avril 2024 - 19h19
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 21 – La rencontre
Manami était présentement « propulsée » au sein d’un voyage qui semblait s'étirer interminablement à ses yeux. Pourquoi n'avait-elle pas encore atteint sa destination ? Qu'était-il en train de se passer ?
Son esprit s'attarda sur le chapeau de paille rouge qu'elle portait sur la tête avant que sa vision ne se trouble entièrement. Un nouveau voyage… Provoqué par le chapeau ?... Initié par elle-même ?... Les mêmes questions persistaient, toujours sans réponse. Cette fois-ci, il y avait quelque chose de nouveau. Quelque chose qui n’était pas « prévu au programme ».
Elle revisita les événements récents dans son esprit. Quelques temps auparavant, elle s’était retrouvée dans une situation où un danger immédiat l’avait menacée. Kenji Hiyama et la Madoka Ayukawa de l’univers parallèle étaient tous deux sur le point de fondre sur elle, afin de la neutraliser avant qu’elle ne puisse utiliser son Pouvoir contre eux. Leur prudence était justifiée. Pourtant, curieusement, bien qu'elle ait eu les moyens de se défendre, elle détourna son attention du danger, attirée par le chapeau de paille rouge posé désormais sur sa tête. Ce chapeau l'avait incitée à réagir autrement, loin de la violence.
Juste avant de disparaître de la réalité de cet univers alternatif, Manami avait encore entr’aperçu des flashes avec son et images provenant d’un « ailleurs » qu’elle espérait probablement atteindre par ce présent voyage interdimensionnel.
Cependant, quel sens pouvait-il y avoir à se perdre dans un univers où Madoka égarait sans cesse son chapeau, le laissant choir sur le sol, sans qu'aucun Kyosuke ne vienne finalement à elle ? À travers ses visions, Manami avait contemplé une multitude de scénarios où Madoka perdait son couvre-chef, chaque réaction de la jeune fille variant à chaque fois par la suite. Manami allait-elle se retrouver dans l'un de ces univers où tout était déjà scellé ? Car une fois que Madoka avait égaré son chapeau et que personne ne venait à sa rencontre, quelle signification pouvait bien revêtir une telle réalité « inachevée » ? En effet, même si Manami se retrouvait plongée au sein d’un tel univers, comment pourrait-elle alors intervenir pour changer le destin de cette rencontre tant espérée entre Madoka et Kyosuke, au sommet de cet imposant escalier, et la reproduire ? Alors qu'à chaque occurrence, Madoka avait toujours quitté seule ce grand escalier, d’autant que Kyosuke n’était jamais là.
Manami ne parvenait pas à saisir pourquoi les choses se déroulaient de la sorte. Son esprit était obsédé par cette rencontre inéluctable qui scellait le destin de son frère et de son amie, Madoka. Elle désirait ardemment que cette rencontre se produise (ou se reproduise) au sommet de cet escalier majestueux. Et que tout ce qui adviendrait par la suite entre ces deux jeunes gens, malgré les obstacles rencontrés, se déroule comme ils l'avaient eux-mêmes vécu. Manami souhaitait simplement les laisser vivre leur vie en paix.
Et Hikaru ? Qu'en était-il d'elle dans tout ceci ? Pauvre Hikaru, celle qui avait nourri tant d'espoirs de lier son destin à celui de Kyosuke. Manami se sentait souvent déchirée entre la culpabilité et une profonde empathie pour cette jeune fille, qui avait toujours été si bienveillante et attentionnée envers son frère. Bien qu'Hikaru eût parfois recours à des démonstrations excessives pour témoigner de son amour, elle demeurait loin, à présent, tout comme Manami elle-même.
Un jour, elle eut l’idée de se rendre par elle-même à Otaru, pour parler à Hikaru. Elle voulait lui exprimer ses regrets concernant l'incident du chapeau et les conséquences qui en découlèrent. Cette révélation fatidique où un simple chapeau détermina le destin de chacun, scellant l'avènement officiel d'un couple au prix d'une douleur profonde. La douleur de Hikaru, bien sûr, mais aussi celle de Manami, qui, sans le vouloir, avait déclenché une terrible réaction en chaîne. Elle en assuma pleinement cette culpabilité, qui désormais faisait partie intégrante d'elle-même, et ceci à jamais. Elle souhaitait désormais confier à Hikaru que tout espoir n'était pas perdu pour elle. Car la Vie, en sa sagesse, trouve toujours son chemin, et façonne, pour celui qui ose et espère, une voie vers un bonheur inattendu.
Mais à présent, Manami se tenait à la croisée des chemins, cherchant la voie qui l'appelait inévitablement. Qui donc l'appelait ? Était-ce elle-même ? Le chapeau ? Ou bien quelque force mystérieuse ?...
Ce périple s'étirait vraiment en longueur, à l'opposé du précédent qui s'était plutôt déroulé à vive allure. Pourquoi ne pas trouver un lieu où se reposer un instant, voire se restaurer ? Manami commençait à ressentir la faim. Dans son monde, tout avait basculé lors de ce dîner que Madoka concoctait dans sa cuisine. Elle avait savouré d’avance la spécialité américaine qui mijotait dans son four. Mais en cet endroit de « transition » vers une autre réalité, les ressources alimentaires étaient absentes. Il fallait patienter. Si sa sœur Kurumi avait été à sa place, elle aurait déjà vacillé, tant son impatience pour se nourrir eût été plus importante. Quoi qu'il en soit, Manami devait avant tout se concentrer sur son voyage immédiat. Elle s'efforça donc de mettre de côté les tiraillements de son estomac pour se focaliser vers sa destination, quoi qu’il arrive.
Soudain, elle ressentit une décélération, et son champ de vision s'éclaircit, revenant progressivement à la normale. Que se passait-il ? Elle sentait déjà le souffle d'un air frais extérieur caresser son visage.
Elle put alors contempler son environnement avec une clarté retrouvée. C'était le jour, un soleil printanier éclairant les arbres alentour. Mais quelque chose d'incroyable se produisait : elle reconnaissait cet endroit. Impossible... C'était LE lieu...
Le grand escalier !
Elle se trouvait au sommet des marches. Étonnée, Manami ne put s'empêcher de marquer un temps d'arrêt. C'était bien la Colline avec son grand escalier, situé dans le quartier où elle et sa famille résidaient. Tout était identique. Elle pouvait même distinguer le petit jardin d'enfants situé quelques mètres plus haut, entre la résidence Green Castle et la dernière marche (ou peut-être était-ce la première ?), emplacement d’où elle se tenait présentement. Mais était-ce réellement le même endroit ? Son voyage l'aurait-il vraiment ramenée dans son propre univers ?... Était-elle enfin de retour ?... Il était difficile de le dire. Normalement, si elle était revenue dans son univers d'origine, il ferait toujours nuit, et non jour. La date du jour restait donc un mystère.
Quoi qu'il en soit, l'endroit semblait figé dans le temps. Manami repensa encore à la rencontre entre Madoka et Kyosuke sur les marches du grand escalier. Son voyage actuel lui offrirait-il l'opportunité d'assister à cette scène emblématique en direct ? Était-elle revenue dans le passé ? Madoka allait-elle bientôt faire son apparition en ces lieux ? De son côté, Kyosuke était-il déjà en train de gravir et compter les marches ? Manami serait-elle le témoin privilégié de ce qui s'était déroulé des années auparavant pour son grand-frère ? Néanmoins, elle réalisa qu'en cas de rencontre, elle serait une simple intruse. Dans un élan de retrait, elle décida de se replier discrètement vers l'aire de jeu, offrant ainsi un point de vue idéal sur la situation.
Mais un coup de vent printanier vint interférer avec ses intentions. Les larges bordures du chapeau qu’elle portait sur sa tête ne purent résister à la pression de l’air. Il s’envola !
– Non ! s’écria-t-elle, saisie d'effroi. Oh non ! Pas maintenant !...
Impuissante, elle vit le chapeau s'élever et disparaître vers les marches inférieures de l'escalier, hors de sa vue. Il était impossible de laisser ce chapeau se perdre où que ce soit, car elle le considérait comme son « guide » dans ses voyages interdimensionnels. Elle se précipita alors pour tenter de le rattraper, avant qu’il ne disparaisse… et surtout avant qu'une tierce personne n'intervienne.
Soudain, une vision stupéfiante captiva son regard...
Le chapeau, posé en apparence sur l'une des marches en contrebas, amorça de lui-même une lente remontée vers elle, escaladant chaque marche de manière autonome. Manami ne put en croire ses propres yeux. Comment cela était-il possible ?...
En s'approchant du sommet, l'objet volant, qui présentait à Manami sa face supérieure, glissait sans effleurer le sol, comme animé d'une vie propre. Ce n'était ni le vent, ni même une force mystique qui le propulsait vers elle.
Un frisson d'inquiétude parcourut Manami. Il était manifeste que ni Kyosuke, ni Madoka, ne viendraient ici et maintenant. Manami ne revivait donc pas le même instant magique qu'autrefois en ce lieu, du moins si c'était bien le même univers.
Le chapeau, arrivé au sommet, sur la première marche, présentant toujours son côté pile, s’arrêta alors devant la jeune fille. Avec précaution, Manami se risqua à essayer de récupérer son bien le plus précieux, étendant lentement la main vers le rebord le plus proche. Un miaulement retentit derrière le chapeau, surprenant la jeune fille.
– Que ?... Qu’est-ce que c’est ?...
Le chapeau se tourna alors vers le ciel, révélant qu'un chat beige aux yeux orangés s'était coiffé de l'objet. Assis sur la première marche, l'animal la fixait, tout en poussant un autre petit miaulement.
– Un chat !?... C'est donc sur ta tête que le chapeau a choisi de retomber !
Voilà qui expliquait le fait qu’elle ait eu l’impression qu’il remontait tout seul, comme par magie. Cette découverte éclairait le mystère de l’impression qu’elle avait eue de le voir remonter de lui-même, comme par enchantement. Les larges bordures du chapeau avaient enveloppé tout le corps de l'animal, rendant difficile sa présence, alors qu'il grimpait les marches.
S'agenouillant devant le félin, qui se révélait être aussi inoffensif qu'adorable avec sa frimousse, Manami interrogea doucement :
– Que fais-tu ici, tout seul ?
Elle ôta délicatement le chapeau de l'animal pour le reposer une nouvelle fois sur sa propre tête.
Manami attendit une réponse du chat, ses yeux orangés fixant intensément ceux de la jeune fille. Un léger miaulement s'échappa de lui, suivi d'un regard furtif vers les environs, comme s'il cherchait quelque chose ou quelqu'un.
– Tu as l'air un peu perdu, toi aussi, dit-elle doucement, en essayant de rassurer l'animal.
Manami observa le chat avec des yeux doux, cherchant à comprendre sa situation. Le félin la fixait toujours, ses yeux orangés brillants d'une lueur à la fois curieuse et méfiante. Il miaula doucement, comme pour répondre à ses interrogations.
– Tu as besoin d’aide ? demanda encore la jeune, sa voix remplie de compassion.
Le chat émit un petit miaulement plaintif, se frottant doucement contre la main de Manami, comme cherchant réconfort et protection auprès d’elle.
– Tu es bien perdu… tout comme moi d’ailleurs, murmura Manami.
Elle caressa doucement la tête du chat, appréciant tout à la fois ce moment de paix retrouvée, après le voyage mouvementé qu’elle avait subi précédemment. Le chat ronronna doucement en réponse, ses yeux fixés sur Manami avec une confiance naissante. Il semblait apprécier l'attention qu'elle lui portait, cherchant instinctivement la chaleur et la sécurité.
Elle examina le chat de plus près, en quête de tout signe d'identification, mais il n'avait ni collier ni étiquette. C'était un chat visiblement bien soigné, ce qui lui fit penser qu'il avait dû être abandonné récemment.
– Tu as été abandonné ?...
L’animal émit alors un miaulement assez triste, comme s’il confirmait aux yeux de la jeune fille ce triste fait.
– Tu es bien trop mignon pour subir un tel sort, dit-elle en caressant doucement le chat.
Elle sourit doucement, touchée par la situation :
– D'accord, je vais t'aider, dit-elle en se levant, tout en prenant le chat dans ses bras.
Ce dernier miaula à nouveau, plus doucement cette fois-ci, comme pour confirmer qu'il était effectivement seul et désorienté.
– Je vais m'occuper de toi, promit Manami, en souriant tendrement au chat. Tu veux venir avec moi ?...
Le félin frotta doucement sa tête contre le cou de Manami, émettant un petit ronronnement apaisé. Il semblait apprécier l'attention et le contact chaleureux de la jeune fille.
– On dirait que c'est un « oui », dit-elle, en riant légèrement. Alors, qu'en dis-tu ?... Et si on y allait ensemble ?
Le chat se blottit plus que jamais contre elle, comme s'il avait trouvé en Manami une nouvelle amie et protectrice. Elle sentit son cœur se serrer d'affection pour ce petit être qui avait l'air si vulnérable et perdu.
– Tu vas venir chez moi, petit chat, annonça-t-elle. Je vais bien m'occuper de toi, tu verras.
Le chat émit un dernier miaulement doux, comme pour remercier Manami de sa gentillesse et de sa décision de l'adopter. Elle sourit, le serrant un peu plus fort tout contre elle, heureuse d'avoir pris la décision de le recueillir. Elle n’avait jamais eu d’animaux domestiques durant sa vie. Les déménagements incessants empêchaient une présence stable pour un animal au sein du foyer. Elle se demanda comment allaient réagir son père, Kyosuke et Manami, à la vue de cet animal, qui allait venir s’installer chez eux.
– Allez, en route, dit-elle doucement.
Et ainsi, Manami prit la direction de Green Castle, le petit chat blotti tout contre elle. Ne sachant pas si cet univers était bien le sien ou non, elle voulut savoir si sa famille habitait bien la résidence, située non loin. Elle s’apprêta à quitter les lieux, emportant avec elle une nouvelle amitié.
Était-ce enfin l’achèvement de son voyage mouvementé ?...
Elle n’eut pas le temps de se poser la question plus avant : juste avant d’arriver à l’aire de jeux, un portail circulaire se forma devant elle. Elle s’arrêta net. Jamais cela n’était arrivé jusqu’ici. Elle ne rêvait pas : il y avait vraiment une sorte de vortex qui venait de s’ouvrir et qui semblait l’attendre. Il ondulait doucement, comme une surface d'eau agitée par une brise légère. Sa brillance était hypnotique, une lueur bleuâtre parsemée d'éclats d'argent qui scintillaient comme des étoiles lointaines. Un doux bourdonnement émanait de cette porte vers l'inconnu, tel un chant mélodieux qui appelait Manami à s'approcher.
Intangible et pourtant si réel, il semblait insaisissable, comme s'il était fait d'une substance située à la frontière entre la matière et l'énergie. L'air tout autour semblait vibrant, chargé d'une énergie électrique qui faisait légèrement frissonner la peau de la jeune fille.
Manami ne comprit pas. Lors de ses deux précédentes incursions interdimensionnelles, elle avait cru à l'émergence d'un tout nouveau pouvoir en elle, catalysé par la « participation » plus ou moins volontaire d'un objet énergisé, à savoir le chapeau de paille rouge de Madoka. Ici, tout se produisait devant elle, sans les flashes annonciateurs présentant Madoka cherchant toute seule son chapeau envolé. Il était évident que quelque chose d'autre était présentement à l’œuvre.
Manami devait-elle franchir ce seuil, et ainsi accéder aux réponses tant attendues à ses interrogations ? Ou bien devait-elle trouver refuge dans l’appartement de la résidence dont elle apercevait les fenêtres au loin ? Si, bien sûr, il s'agissait réellement de son propre univers d’origine...
Hésitante, la jeune fille regarda le chat toujours blotti dans ses bras. Ses yeux ambrés la fixaient avec une confiance silencieuse, comme s'il savait que le vortex ne représentait aucun danger pour eux. Elle sentit une vague de tranquillité l'envahir, une certitude que cette porte mystérieuse la conduirait là où elle devait aller.
Se rapprochant lentement du portail interdimensionnel, elle inspira profondément, rassemblant tout son courage. Oui, c’était différent, mais était-ce la fin du voyage ?...
Puis, sans plus d'hésitation, Manami franchit le seuil du vortex, le petit chat toujours blotti contre elle, ce qui l’aida à préserver son courage. En un instant, ils furent tous deux engloutis par la lumière éblouissante du portail, et disparurent de la réalité.
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#447
Posté 20 avril 2024 - 16h38
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 22 – NANI ?!!!
Hikaru eut le souffle court. Elle ne pouvait y croire : Kyosuke se tenait bel et bien à ses côtés. C’était vraiment lui, l’auteur de cet acte héroïque qui l’avait sauvée d’une situation aussi inimaginable que périlleuse.
Le jeune homme, visiblement éreinté, posa ses yeux sur celle qui avait l’apparence de son amour. Pourtant, il savait pertinemment qu’elle n’était pas la véritable Hikaru.
La jeune fille, déboussolée, le fixa. Que se passait-il ?... Pourquoi Kyosuke était-il là, à ses côtés, dans ce lieu improbable ?... Les questions se bousculaient dans son esprit, mais elle n’osa pas les formuler à voix haute. Le mystère était trop grand, et la réalité semblait peu à peu se dissoudre autour d’elle.
– Hikaru…
Le jeune homme s'efforça de parler avec une sérénité à toute épreuve, soucieux de ne pas dérouter ou bouleverser cette Hikaru issue d'un univers parallèle. Avant de revenir ici, il avait rapidement entr’aperçu un lieu de l’univers de cette autre Hikaru… Un vaste salon, où se tenaient des gens ressemblant à des membres de sa propre famille, mais qui lui semblaient trop étrangers pour les reconnaître véritablement. Kyosuke avait l’art de distinguer le vrai du faux. Il savait que l’Hikaru présente à ses côtés provenait de cet autre univers, tandis que la sienne devait y demeurer. Il ne comprenait pas pourquoi les choses s’étaient déroulées ainsi. Il se demanda si cela n’était pas un « effet secondaire » de la perte de contrôle de sa bulle de téléportation immobile. Il se demanda ensuite si Hikaru connaissait bien la nature du Pouvoir au sein du clan Kasuga. Mais au regard perdu qu’elle affichait, il était évident qu’elle n’était pas familiarisée avec tous ces mystères et secrets. Il se rendit compte que lui expliquer tout cela ne serait pas une mince affaire.
– Hikaru… Écoute-moi attentivement… C’est très important…
Désorientée, la jeune fille balaya du regard les alentours, cherchant des repères familiers pour s’orienter.
– Je… Est-ce là le pont de Yokohama en construction ?... demanda-t-elle.
Des poutres métalliques s’élevaient vers le ciel, semblant défier la gravité.
Hikaru ne comprenait pas ce qui venait de lui arriver. Elle avait vécu des aventures mouvementées aux côtés de ses anciens amis, Madoka et Kyosuke. Et voilà que ce dernier réapparaissait, surgissant de nulle part, dans ce lieu situé à des centaines de kilomètres de chez elle.
– Oui, c’est bien ici.
– Madoka est-elle là, aussi ? demanda-t-elle, scrutant toujours autour d’elle.
Pourquoi cette Hikaru parlait spécifiquement de Madoka, et non pas aussi de son propre frère Kenji ? se demanda Kyosuke.
– Non, répondit-il, avec une pointe d’amertume. Et c’est préférable, car cela provoquerait des remous.
Hikaru s’arrêta net, l’air surpris.
– Pourquoi dis-tu cela ? s’enquit-elle.
– Elle ne verrait pas d'un bon œil notre présence ici.
Hikaru se montra perplexe. Elle avait du mal à comprendre. Madoka prendrait ombrage à la voir en présence de Kyosuke ?... Tout était pourtant clarifié depuis longtemps.
Devant la confusion que manifestait la jeune fille, Kyosuke commença à se dire qu'il ne fallait pas trop en dire. Il ne connaissait pas la Hikaru qui se tenait ici. Et il était clair qu'elle réagissait par rapport aux événements de l'univers qu'elle seule connaissait. Après tout, de son côté, il avoua lui-même ne pas connaître la Madoka de son univers à elle.
– Écoute, Hikaru… Je dois d'abord t'expliquer…
– Expliquer quoi ? coupa Hikaru, ses yeux fixant intensément ceux du jeune homme. Je me retrouve ici sur ce pont en construction de la baie de Yokohama, alors que j'étais tranquillement chez moi à Otaru.
« Otaru ?... »
La Hikaru de cet autre univers habitait-elle vraiment si loin de Tokyo ? se demanda Kyosuke. Pourquoi vivait-elle là-bas ?... Que s'était-il passé dans son univers ?... Le jeune homme savait qu'il devait faire preuve de plus grande prudence dans ses propos, car les événements vécus par cette jeune fille devaient être très différents. Mais il n'eut pas d'autre choix. Cette malheureuse ne devait pas être induite en erreur plus longtemps.
– Écoute-moi, Hikaru… Je ne sais pas, comment te le dire… mais tu n’es pas d’ici…
– Pardon ? commença par dire Hikaru avec méfiance. J’ai vécu longtemps ici, tu le sais bien.
– Je veux dire… tu viens d’un autre univers !
Le silence… Hikaru en eut le souffle coupé. Que venait de dire Kyosuke ?... Que se passait-t-il ?... Serait-il devenu fou ?... De quel « autre univers » parlait-il ?...
– Hé, Kyosuke, tu ne serais pas en train de me faire une blague, là ?
Hikaru esquissa un petit ricanement, mais son air était teinté de nervosité. Elle avait été transportée ici de manière si soudaine... Et Kyosuke, lui-même, semblait différent, et plus sérieux dans ses propos. Elle remarqua ce changement, mais peinait à comprendre ce dont il parlait.
– Comment et pourquoi suis-je ici ? demanda-t-elle avec sérieux. On m’a droguée et kidnappée ?
– Non, aucunement, fit le jeune homme avec le même sérieux que la jeune fille. Tu viens de voyager de ton univers vers le mien. Ici !
Hikaru le fixa, incrédule.
– Tu… tu parles… d’un voyage entre les dimensions, comme dans les films de science-fiction ?...
– Exactement.
Elle émit un sourire nerveux.
– Balivernes ! Je ne crois pas !
– Pour une raison que j’ignore, tu as été échangée contre ton double, qui résidait ici, dans mon univers. Elle est maintenant dans ta dimension.
Hikaru éclata d'un long rire sonore, si caractéristique de sa voix, qui résonna jusqu'aux lumières scintillantes de la ville lointaine. Kyosuke s’était soudainement couvert les oreilles tant la voix particulière de la jeune fille était incroyablement forte.
– Hikaru, je suis très sérieux, reprit Kyosuke. Je ne crois pas que tu connaisses l’existence du Pouvoir dans ton univers, mais tu dois me croire.
– Mhh ?... Comment puis-je te croire, après tout ce que nous avons vécu ? Il y a quelques mois, toi et moi, étions des amis très proches. Et soudainement, toi et Madoka, avez révélé au monde que vous étiez ensemble !
– NANI ?!!!...
Kyosuke ne put s’empêcher de hurler de la sorte, au point que Hikaru dût se protéger les oreilles à son tour. Un choc incommensurable vint frapper l’esprit du jeune homme. Que… que venait-elle de dire ?... Dans son univers, son propre double était en couple avec Ayukawa ?... Ayukawa, son ennemie jurée, en même temps que Kenji Hiyama.
– Hé ! Ne crie pas comme ça ! fit Hikaru offusquée. Ne joue pas les étonnés avec moi, ça ne marche pas !
La mine de Kyosuke s’assombrit. Cette Hikaru vivait vraiment dans un univers radicalement différent du sien.
– Tu veux dire qu’Ayukawa et mon alter ego sont ensemble dans ton univers ? demanda-t-il.
– Baka ! Pour qui tu me prends ? rétorqua Hikaru. Tu es devenu fou, ma parole ! Quel alter ego ?... Tu m’as plaquée pour elle !
Cette fois-ci, Kyosuke éclata de rire. Bien qu'il eût déjà entendu parler des univers parallèles par d'autres membres du clan Kasuga, il n'avait jamais imaginé que l'un d'entre eux puisse être le pire qui soit selon son point de vue.
– Hé bien, je plains mon double… murmura-t-il en reprenant son sérieux, mais pas suffisamment bas pour qu’Hikaru ne l’entende pas.
– Ton double ? fit la jeune fille d’un ton assez renfrogné. De qui tu parles ?... (elle se ressaisit) Écoute, Kyosuke, nous ne pouvons pas rester ici. Tu dois me ramener à Otaru et oublier tout cela, d'accord ?
– Je ne suis pas la cause de ta présence ici, Hikaru. C’est le Kyosuke de ton univers qui a fait cela !
– Mais arrête de me parler d’un autre ! Tu es là ! rétorqua-t-elle, exaspérée.
– Tu ne me laisses pas le choix, se résigna-t-il.
Inquiète, Hikaru se mit en garde. Elle ne reconnaissait plus le Kyosuke qu’elle avait côtoyé autrefois. Plus il réagissait, plus il paraissait étrange.
– Je dois te parler du Pouvoir, dit-il.
– Ça y est… encore ce « truc-Pouvoir »… Mais tu vas cesser tes enfantillages ?
Sans prêter attention à la remarque, Kyosuke s'évapora littéralement sous les yeux de la jeune fille. Le vide laissé par ce phénomène produisit une brusque aspiration d’air venue le combler, balayant au passage les cheveux cours de la jeune fille. La disparition soudaine de Kyosuke dans le néant laissa Hikaru sans voix. Elle scruta fébrilement les alentours. Puis, tout aussi soudainement, le jeune homme réapparut devant elle.
– KYA !!...
Elle hurla de surprise. Elle n’avait pas rêvé ! Kyosuke était là, puis plus là, et fut de nouveau là ! Par quel trucage avait-il réussi à faire cela ?
– Que… Que… Quoi ?!... balbutia-t-elle, les yeux hagards.
Elle regarda alors Kyosuke droit dans les yeux.
– Mais que se passe-t-il, ici ?! hurla-t-elle.
– N’aie crainte. C’est un des pouvoirs que j’ai.
– J’ai dû rêver ! C’est pas possible ! Je suis encore sous le coup de la drogue qu’on m’a administrée !
– Non point, rétorqua Kyosuke. Je viens simplement de me téléporter devant toi. Pour te démontrer que le Pouvoir existe… Et que je suis très sérieux quand je te dis que tu as voyagé d’un univers à l'autre.
Les yeux couleur azur d’Hikaru s’assombrirent… ses dents se serrèrent. Quelle était cette étrange folie ?... Comment Kyosuke possédait-il un tel don ?...
– Je peux aussi faire de la télékinésie, ajouta-t-il.
– Télékinésie ?...
– Oui, déplacer des objets à distance, par la seule force de ma pensée.
Cette autre révélation inattendue fit surgir un souvenir lointain dans l’esprit de la jeune fille, un moment précis plongé durant sa première année de collège. Elle se souvint d’un événement singulier, un instant qui allait bouleverser sa vie. Alors qu’elle s’était cachée pour fumer une cigarette, Hikaru s’était retrouvée dans la salle de gymnastique de l’école. Pensant être seule, elle s’apprêtait à allumer sa cigarette, quand ses yeux se posèrent sur un garçon, rencontré depuis peu, Kyosuke. Il était assis seul à l’autre bout de la salle. Il tenait un ballon de basket dans sa main droite. Son regard semblait lointain, comme perdu dans une rêverie qui semblait le transporter ailleurs. Puis, sans la moindre hésitation, il lança d’une main le ballon. L’objet s’éleva dans les airs, défiant la pesanteur, et vola directement vers le panier d’en face, marquant sans la moindre hésitation. Aux yeux pétillants de la jeune fille, c’était là quelque chose de prodigieux… « Il est prodigieux ! » [Tome 1, NDLR] Hikaru resta figée, fascinée par cette scène irréelle, dont elle seule fut témoin. Même si elle avait déjà croisé ce garçon depuis peu, qui était-il vraiment, avec ses gestes si assurés, et à l’aura si mystérieuse ? Pourquoi avait-il choisi cet instant précis pour accomplir cet exploit ?... Les questions tourbillonnaient dans son esprit… Le destin venait de les réunir, et rien ne serait plus jamais comme avant. La vie de Hikaru était désormais liée par ce geste divin, cette trajectoire parfaite tracée dans l’air, comme une promesse d’amitié à venir assurée, et plus encore.
Une sirène portuaire lointaine la rappela à la réalité. Laissant de côté ce souvenir précieux, Hikaru se mit alors à penser que, peut-être, Kyosuke avait déjà pratiqué la télékinésie par le passé.
– C'était donc grâce à ce pouvoir que tu as réussi ce panier au collège depuis l'autre bout du terrain ? demanda-t-elle, une goutte de sueur glissant sur sa joue.
– Je n'ai jamais fait cela, fit Kyosuke. À cette époque, nous ne venions pas de la même ville, et encore moins du même établissement scolaire. N'oublie pas que tu viens d’un univers où les événements que tu as vécus ont divergé par rapport à ceux de mon monde !
– Mais tu t’entends parler ?... Je ne te reconnais plus !
– À juste titre ! Je te répète que je ne suis pas le Kyosuke que tu as toujours connu ! Tu te trouves dans un univers parallèle au tien !
– Un univers où tu possèdes des pouvoirs…
– Oui... Je suis désolé de te confronter à tout cela… Mais pour t'aider, je dois te dévoiler tous les aspects des problèmes.
– Si ce que tu dis est vrai... si tu n'es pas le Kyosuke que je connais... est-ce que celui que je connais a également des pouvoirs ?
– Très probablement, car c'est lui qui est à l'origine de ta présence ici.
Les yeux de Hikaru s'écarquillèrent, frôlant l'exorbitation, tant la surprise la saisit :
– Que... que dis-tu ?... Il aurait fait cela ?... Pourquoi ?...
– Je l’ignore. La possession du Pouvoir au sein du clan Kasuga varie d'une personne à l'autre, dans mon univers. Cette règle doit certainement s'appliquer dans le cas des alter egos interdimensionnels résidant à travers tout le multivers.
Tous ces termes étrangers à son vocabulaire étaient trop techniques pour Hikaru. Mais elle retint le fait que probablement, tous les Kasuga de son propre univers posséderaient aussi… le Pouvoir ?... Donc, Manami ?... Donc, Kurumi ?... C’était trop pour Hikaru.
– Je veux rentrer chez moi ! hurla-t-elle à l’adresse de Kyosuke.
– Je ne peux pas !
Elle saisit alors fermement le col de chemise du jeune homme.
– Tu dis avoir des pouvoirs ! Ramène-moi chez moi !
– Écoute, Hikaru : je dispose de dons qui pourraient encore te surprendre, mais le voyage d'un univers à l'autre, ça, je ne sais pas faire. C'est hors de mes capacités.
– Je... je suis donc coincée ici ? dit-elle, en relâchant prise, l’air perdu.
– Je vais t'aider, car je dois retrouver ma Hikaru.
– « Ta Hikaru » ?...
– Oui, elle et moi, on est ensemble !
– NANI !!!
– Ce n’est pas la peine de hurler comme ça ! fit le garçon se bouchant ses oreilles.
Hikaru pouvait tout entendre : univers parallèles, pouvoirs extraordinaires, tout… Mais l'affirmation de Kyosuke selon laquelle il vivait normalement en couple avec une version d'elle-même dans cet univers-ci, la laissa totalement stupéfaite. C'était inconcevable, même presque trop beau pour être vrai. Qu'avait donc fait Madoka ici ?
– Et Madoka ?...
– Mais pourquoi me parles-tu encore d’elle ? rétorqua Kyosuke, l’air agacé d’entendre ce prénom.
– C'est mon amie d'enfance. Comme je suis fille unique, je l'ai toujours considérée comme ma grande sœur.
– Hein ?!... Tu plaisantes ? s’étonna Kyosuke à son tour.
– Je ne plaisante pas avec ces choses-là…
– Par le Ciel… je comprends… Dans ton univers, tu n’as pas de frère ainé, mais à la place, tu as comme une sœur ainée…
– Nani ?!... Tu… tu viens de dire qu’ici j’ai un frère ?!... Comment cela est-il possible ?...
– Oui, c’est hélas la réalité… Et il doit te chercher depuis…
Il ne dit plus un mot… Kyosuke s'arrêta net, le regard inquiet, scrutant les alentours. Le temps... Il avait omis ce paramètre crutial. La construction du pont lui paraissait à présent nettement plus avancée qu'à son arrivée sur la structure. Il posa ensuite les yeux sur Hikaru. Bien qu'issue d'un autre univers, elle semblait différente. En réalité, elle paraissait avoir le même âge que lui, alors qu’en principe, deux années les séparaient tous les deux.
– En… en quelle année sommes-nous ? demanda-t-il.
Hikaru leva un sourcil, amusée :
– Toi, qui prétends avoir des pouvoirs, tu ne sais plus en quelle année nous sommes ?
– C'est essentiel. Tout à l'heure, j'étais avec ma Hikaru, dans une bulle de téléportation immobile.
– Une quoi ?...
– Peu importe. Nous y sommes restés un certain temps pour échapper à ton frère Kenji et sa copine Ayukawa. Mais à l’extérieur, le temps s’est accéléré.
Hikaru manifesta encore des surprises :
– Que… Comment ?... Il s’appelle Kenji ?... Et lui et Madoka... (elle fit les gros yeux) Mais c'est quoi ce délire ?!!...
– Ils sont ensemble ! acheva Kyosuke.
Hikaru aurait pu clamer un nouveau et vif « Nani ! » d'une intensité plus ou moins comparable aux précédents, mais elle se ravisa. Au fond d'elle-même, elle sut qu’elle devait impérativement lâcher prise, et définitivement admettre qu'il y avait bien tout une « dimension surnaturelle » calquée à sa propre réalité.
– Quand la bulle a disparu, j'ignore si le temps a avancé normalement ou pas, ici, poursuivit Kyosuke. Nous étions en 1986...
– On est en 1988, laissa tomber Hikaru.
Le jeune homme semblait désorienté, au point de tâter son propre visage, histoire de savoir s’il avait vieilli lui-même aussi vite.
– Ciel !... Oh non... Deux ans ! J'ai fait un saut de deux ans ? Deux ans ont passé…
Hikaru ne put s’empêcher de penser que ce Kyosuke avait vraiment des problèmes. Il ne fallait pas qu’elle se montre trop sévère envers lui.
– Cela fait donc deux ans qu'ils me recherchent tous. Ma famille... et son frère, murmura-t-il encore, l'air abattu.
Hikaru se trouva désemparée à son tour, sans mots pour répondre. Ce Kyosuke paraissait si différent de celui qu'elle connaissait. L'autre ne se serait jamais laissé submerger par le désespoir comme celui-ci. Il aurait cherché une solution. Néanmoins, ce nouvel aspect de Kyosuke pourrait peut-être, d'une manière qu'elle ignorait encore, vraiment l'aider à retrouver son véritable chez-soi.
– Nous devons quitter cet endroit, trancha alors Kyosuke, au bout d’un moment. Chez moi sera plus sûr. Ma mère saura me dire comment nous aider.
Intérieurement, Hikaru était une fois de plus frappée par les contrastes entre cet univers et le sien. Ici, la mère de Kyosuke était en vie… Quelle chance pour lui. Elle se surprit alors à imaginer Kenji, ce frère qu’elle n’a jamais eu, et que Kyosuke semblait détester. À quoi ressemblait-il ? Qu’était-ce que de grandir avec un frère ? Ces pensées vagabondes intriguèrent Hikaru. Et si Kenji était présentement chez Madoka, à l’heure actuelle, puisqu’ils sont censés être ensemble ?
Elle n’eut guère le temps de s'interroger davantage.
Un vrombissement de moto se fit entendre, lointain d'abord, puis se rapprochant rapidement. Une unique moto convergeait vers eux, plein phare.
– Qui est-ce ? s'enquit Hikaru, se mettant sur ses gardes.
Kyosuke, intrigué, ne reconnut pas les signes ornant la cylindrée qui approchait de plus en plus. Les motos de la bande de Kenji arboraient tous un emblème circulaire, symbole de leur appartenance. Mais ici, c'était différent. Il s'agissait d'un pilote appartenant à un autre groupe. Et il était bien seul.
– Je l'ignore, répondit-il. Ce n'est pas une moto de la bande de Kenji.
La moto coupa ses moteurs à une dizaine de mètres d'eux. Kyosuke et Hikaru se positionnèrent côte à côte, prêts à faire face à cet adversaire inconnu, qui, manifestement, démontrait une confiance telle qu'il venait seul à leur rencontre.
Il était clairement évident qu’il s’agissait d’une jeune femme qui se trouvait aux commandes de cette machine. Son casque de moto masquait ses traits et sa chevelure, mais Hikaru la vit descendre de moto avec une élégance certaine. Sa combinaison moulante en cuir blanc immaculé dévoilait une silhouette athlétique qui aurait fait pâlir bien des gymnastes de haut niveau. Sans compter l'audace de sa veste en cuir décolletée, un peu trop osée à son goût, selon Hikaru.
Chaussée de talons hauts assortis à sa combinaison, la mystérieuse jeune femme s'avança vers le couple immobile avec une démarche à la fois assurée et agile. Elle s'arrêta à quelques pas d'eux, puis ôta lentement son casque, révélant son visage, ainsi qu’une chevelure particulière qui se déployait pour onduler aussitôt au grès de la brise naissante soufflant à ce moment précis sur le pont suspendu.
– Qui es-tu ? interrogea Kyosuke, à la vue de cette jeune femme, toujours muette.
Les yeux et les lèvres de cette inconnue témoignaient d'une volonté affirmée et d'une parfaite maîtrise de ses actes.
Mais de son côté, Hikaru fut tétanisée. Elle réalisa alors que l'homme à ses côtés, ce double de Kyosuke, n'était en rien celui qu'elle avait toujours connu. Elle comprit que ce monde était radicalement différent du sien. En effet, dans son univers, il aurait été impensable que « son » Kyosuke ne reconnaisse pas celle qui se tenait présentement devant elle.
– Je te connais ! s'écria Hikaru, n’en croyant pas ses propres yeux. Toi ?!...
– Nani ?! s’exclama Kyosuke, stupéfait, en tournant la tête vers Hikaru. Tu la connais ?...
Il aurait dû savoir qu'il ne fallait pas commettre une telle erreur.
Distrait pendant une fraction de seconde, il offrit une opportunité parfaite à la jeune femme qui lui faisait face. D'un geste vif, défiant presque les lois de la physique, elle projeta une sorte de dard qui se ficha dans le cou de Kyosuke. Il s'effondra au sol, totalement pris au dépourvu par la rapidité et l'agilité de son agresseur, une inconnue pour lui, mais certainement pas pour Hikaru.
– Kyosuke ! hurla-t-elle, horrifiée de voir son compagnon inerte sur le sol.
Avant même qu'elle puisse lui porter assistance, une piqûre aiguë la frappa au cou. Elle s'effondra à son tour.
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#450
Posté 05 mai 2024 - 14h16
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 23 – Attention à Manami !
Précédemment, dans Kimagure Orange Road…
Or donc, les jeux étaient faits. La confusion entre les deux univers battait son plein, au grand dam de nos héros, la plupart propulsés dans une étrange course interdimensionnelle pour retrouver Manami, disparue on ne sait où, ignorant au passage que Hikaru était déjà aux mains d’une puissance inconnue. Pour ainsi dire, tout concourait à une situation inextricable où les apparences étaient trompeuses entre tous les protagonistes. Égarée dans un autre univers, Madoka ne pouvait plus rentrer chez elle, où moment où sa pire menace était précisément chez elle. De son côté, Kyosuke, accablé de remords, pleurait avec désespoir devant l’alter ego de sa bien-aimée inconsciente ! Hikaru, celle qui provenait d’un monde parallèle, et qui l’accompagnait, assistait impuissante à cette scène, croyant son destin à jamais tracé sur les pavés de l’Enfer, persuadée d’avoir été victime de la trahison de son amour.
Comment tout cela finira-t-il ?...
Les mains tremblantes, les yeux figés dans l'horreur, Hikaru se trouva muette, enveloppée par un silence glacial, tandis que Kyosuke se penchait vers celle qu'il avait proclamée être son amour. C'était pire que tout ce qu'elle aurait pu imaginer, dépassant même les limites de ses cauchemars les plus sombres. La réalité, implacable et cruelle, frappait l'âme de la jeune fille, la laissant pétrifiée face à cette soudaine folie. Jamais auparavant tel moment n'avait été aussi terrifiant, à l'exception de la disparition de ses parents. Que pouvait-elle faire face à cela ? Était-ce la fin de tout ?...
Elle ne remarqua pas tout de suite le groupe de personnes rassemblées à quelques pas d'elle, sur le côté du salon. L'une d'entre elles s'avança précipitamment vers Madoka et Kyosuke.
– Par les Cieux, Kyosuke ! Mais qu'as-tu fait ? demanda Akane, son visage exprimant toute son inquiétude pour son amie.
Akane n'aurait jamais imaginé voir Madoka se retrouver dans une telle situation. Kyosuke, son ami le plus cher, venait de porter un coup si dur à sa compagne, que celle-ci sombra instantanément dans l'inconscience. Quelle démence avait traversé l'esprit de son cousin ? Que s'était-il passé dans l’autre univers ?
– Kyosuke, écarte-toi, je m’occupe d’elle.
Le jeune homme, toujours pétrifié par l'audace de son geste insensé, resta muet devant sa cousine, incapable de l'empêcher de vérifier si Madoka avait subi un préjudice plus sérieux qu'il ne semblait.
De son côté, Kurumi avança vers Hikaru, qu'elle retrouvait pour la première fois depuis son départ de Tokyo pour Otaru. Elle réalisa à quel point elle avait changé en quelques semaines seulement, une transformation inévitable pour quelqu'un contraint à l'exil par le retour de Madoka des États-Unis, déterminée à reconquérir un Kyosuke qui la désirait ardemment. Cependant, Hikaru paraissait plus jeune que dans ses souvenirs.
– Hikaru ?!... interrogea-t-elle.
Kurumi n'avait jamais vu son amie arborer une expression aussi sombre et triste. Hikaru était pourtant consciente de la situation entre son frère et Madoka. Comment expliquer ce visage éteint et replié sur lui-même ?
– Hikaru… tout va bien ? insista-t-elle.
Accablée, la jeune fille observait en silence Kyosuke, toujours prostré près du corps inconscient de Madoka.
Akane interrogea son cousin, tout en soulevant les paupières de Madoka :
– Kyosuke, pourquoi l’as-tu frappé ? C'est une folie, ce que tu viens de faire !
Il sortit enfin de son silence.
– Je… En fait, ce n'était pas moi… balbutia-t-il.
– Que me racontes-tu là ? J'ai moi-même assisté à la scène. Nous en sommes tous témoins, ici.
– Je te certifie que ce n'est pas ma faute ! s'exclama Kyosuke avec véhémence. Je n'ai jamais eu l'intention de lui porter la main. Mais je me suis retrouvé dans l'incapacité de retenir mes gestes... Je ne comprends pas…
– En tous les cas, tu l'as rudement secouée, coupa Akane. Elle est complètement sonnée. Viens m'aider à la déposer sur le canapé. Vite !
Poussé par l'impulsion de sa cousine, Kyosuke souleva la jeune femme par les épaules, tandis que sa cousine maintenait ses pieds. Au passage, Akane ne put s'empêcher de remarquer la fascinante combinaison noire et moulante de Madoka qui mettait en valeur des courbes, qui ne la laissaient pas indifférente.
Pendant ce temps, de leur côté, Takashi et son petit neveu ne restèrent pas indifférents non plus face à la situation.
Kazuya sortit le premier de son silence :
– Attendez ! s'écria-t-il soudainement. Ce n'est pas Hikaru et Madoka !
Cette déclaration inattendue attira l'attention de tous vers le petit garçon.
– Que veux-tu dire par là ? demanda Kyosuke, tandis qu'il terminait de déposer Madoka, toujours endormie sur le canapé.
– Kazuya, tu exagères, n'est-ce pas ? fit Kurumi, intriguée, se demandant ce que son jeune cousin voulait dire.
– Pas du tout, cousine. Je ne peux pas lire dans leurs pensées à toutes les deux. Mais lui, ton frère, c'est bien lui.
Takashi s'approcha à son tour. Après avoir regardé Madoka allongée sur le canapé, il se tourna vers Hikaru, toujours immobile, le regard perdu dans le vide, semblant ignorer jusqu’ici les discussions qui se déroulaient autour d'elle.
– Hikaru, il faut que vous reveniez à vous, lui dit-il. Est-ce que vous m'entendez ?...
Elle tourna finalement la tête vers celui qu'elle considérait comme le père de Kyosuke.
– Hikaru, est-ce que vous m'écoutez ? insista-t-il.
– Papa, laisse-la respirer ! implora Kurumi. Je comprends le choc qu’elle a dû subir.
– Monsieur Kasuga, pourquoi dites-vous que nous ne semblons pas être qui nous sommes ? demanda soudainement Hikaru, comme émergeant d'une torpeur.
Un sourire se dessina sur les lèvres de Takashi :
– Ne vous inquiétez pas, Hikaru. Tout va s’arranger. Maintenant, rassurez-vous déjà sur Kyosuke, ici présent : il n’est pas celui que vous connaissez.
La jeune fille exprima sa perplexité :
– Que dites-vous ?...
– Ce n’est pas lui, continua Takashi. Lui, c’est mon fils. Il est de ce monde. Mais vous, vous provenez d’un autre univers parallèle.
Hikaru se sentit alors abasourdie :
– Je… ce n’est pas possible ! J’ai… j’ai été seulement téléportée du pont…
– La réalité est bien plus compliquée que cela, fit Takashi. Accompagnez-moi, je vais parler à tout le monde. (À tous) Rapprochons-nous, pour que je puisse expliquer.
Dans le silence, Hikaru jeta un regard curieux à Kyosuke et, quelque part, se sentit intérieurement soulagée. Il n’était donc pas son Kyosuke ?... Vraiment ?... Si tel était le cas, comment pouvait-il être avec cette Ayukawa en ce monde ? Cette fille pouvait-elle voyager à volonté voir le Kyosuke ici dans cet univers, tandis qu’elle était avec Kenji dans son propre monde ? C’était bizarre.
Laissant Madoka sur le canapé, Akane interrogea son cousin, tandis qu’ils se dirigeaient tous deux vers le petit groupe qui se rassemblait.
– Kyosuke, que s’est-il passé quand toi et Madoka êtes partis d’ici ?
Le jeune homme raconta alors sa brève interaction avec l’autre monde :
– J’ai été séparé d’elle. Je me suis retrouvé en train de tomber dans le vide avec Hikaru. Je ne sais pas pourquoi. Cela m’a désemparé. J’ai eu la peur de ma vie. Je tombais avec elle ! Je ne savais pas où nous tombions ! C’était sombre ! Je n’avais pas le choix. J’ai décidé d’emmener Hikaru avec moi et de fuir cet endroit.
Akane réfléchit un instant :
– Mais si Madoka n’était pas là avec toi pour prononcer les mots-clés que Kurumi a choisis, comment es-tu revenu ici ?
– Justement la peur du vide, confirma Kyosuke, les yeux empreints d'une confusion sincère. Mon père avait raison dans ses explications. C'est bien la peur seule qui m'a guidé pour revenir ici. Mais je devais entraîner Hikaru avec moi pour la sauver du danger. Pourtant, je ne saisis pas comment j'ai pu frapper Ayukawa en revenant ici.
– Je répète qu’elle n'est pas ta Madoka, insista Kazuya, qui avait entendu la conversation. Elle appartient à l'autre univers. Je ne peux lire son esprit.
Bien que rassuré par ces mots, Kyosuke ne put réprimer un sentiment de culpabilité, en songeant à cette jeune femme dont le visage était identique à celle qu'il aimait.
– Mais pourquoi est une autre Ayukawa qui est ici ? s'interrogea-t-il, plongé dans ses pensées.
Takashi semblait prêt à éclaircir ce mystère :
– Écoutez-moi tous, entama-t-il solennellement.
Mais Akane, dans un élan d'inquiétude, l'interrompit :
– Pardon, oncle Takashi, et si nous réveillons Madoka ?
Hikaru, la voix chargée d'appréhension, prévint vivement :
– Non, ne faites surtout pas cela ! Elle est dangereuse !
La vision d'une Madoka menaçante sema le doute parmi l'assemblée.
– C’est une méchante Madoka ? demanda Kazuya.
– Pire que cela, confirma Hikaru. Elle est la source de tous les maux. Si jamais elle se réveille, vous devrez tous utiliser votre pouvoir pour parvenir à la neutraliser.
Les regards perplexes se croisèrent, alors que Kurumi, étonnée, s'exclama :
– Hikaru… Tu... tu es au courant du Pouvoir ?...
– Oui, fit Hikaru en acquiesçant. Depuis ma rencontre avec Kyosuke.
Étonnée par les subtilités des univers parallèles, où chaque événement peut diverger, Kurumi, rassurée, ajouta :
– Heureusement que notre Hikaru est loin de tout cela, à Otaru.
– Non, elle n'est plus à Otaru, fit Takashi, dans un soupir contrarié qui fit taire toutes les illusions.
– Tu plaisantes, papa ? s'exclama sa fille avec incrédulité.
– Je ne plaisante pas. Elle est désormais dans l'univers parallèle d'où provient Hikaru ici présente, annonça son père, laissant planer un silence lourd de significations.
Face à l'incompréhension générale, il se sentit dans l'obligation d'apporter plus d’explications :
– Tout ce que j'ai appris des voyages de Kyosuke et tout ce que j'ai observé de mes propres yeux m'ont convaincu d’un mécanisme fondamental qui régit les voyages entre les dimensions : chaque déplacement provoque un échange entre deux alter egos.
Des regards interrogateurs pointèrent alors vers lui, chargés d’incompréhensions, face à tout ce dédale de mystères autour des réalités parallèles.
Takashi reprit alors, sa voix empreinte de gravité :
– Quand Kyosuke a franchi pour la première fois les frontières de notre réalité pour explorer par accident une autre dimension, il s'est substitué à un autre Kyosuke, qui a fait de même en se rendant dans notre propre monde.
– Dans le nôtre ?... murmura Kurumi, sa voix teintée d'incrédulité.
– Tout à fait, confirma Takashi. Notre Kyosuke n'est resté que très peu de temps de l'autre côté, de sorte que son double, ayant pris sa place ici, n'a pas eu l'occasion d'interagir avec nous.
– Mais c’est fou ! s'exclama Kyosuke, exprimant aussi le trouble des autres membres de sa famille et de Hikaru.
– Non, c'est un fait, répliqua Takashi d'un ton calme. Apparemment, le Pouvoir veille à équilibrer les énergies vitales entre les univers, pour éviter tout vide quantique et les instabilités de continuum.
Kyosuke reprit alors la parole :
– Mais, papa, dans le cas des voyages dans le temps, il y a bien eu des situations où deux personnes identiques, mais d’époques différentes, se sont retrouvées toutes les deux au même endroit.
– Dans un seul et même univers, cela ne pose aucun problème, expliqua Takashi. Mais entre des sphères séparées par des vibrations distinctes, une loi spécifique, édictée par le Pouvoir, régit les interactions entre des individus identiques.
– Ainsi, voilà pourquoi c’est une autre Ayukawa qui est ici, laissa tomber Kyosuke. La nôtre est toujours dans l’autre univers.
– Ceci explique aussi pourquoi la Manami que nous avons rencontrée ici provenait d'un autre univers, enchaîna Kurumi, cherchant à saisir la complexité de la situation. Parce que nôtre Manami avait quitté notre propre monde.
– Exactement, confirma Takashi.
– Vous avez rencontré la sœur de mon Kyosuke ? demanda Hikaru, son visage exprimant la surprise.
– Oui, répondit Kurumi. Elle n'a eu de cesse de vous chercher, toi et Kyosuke. Pour elle, vous aviez disparu pendant deux ans !
Hikaru eut des yeux ronds d'étonnement.
– Deux ans ?...
– Oui, nous sommes en 1988.
– Par les Cieux !... Je n'ai passé que quelques minutes dans la bulle de téléportation de Kyosuke... et deux ans se sont écoulés !... Cela explique pourquoi ton frère paraît plus âgé que celui que je connais !... Mais au fait, où est mon Kyosuke maintenant ?
Takashi répondit à cette question, toujours avec son tact habituel :
– Hikaru, nous savons, grâce à la Manami de votre univers, que vous avez rencontré votre Kyosuke alors qu'il résidait dans une ville voisine de la vôtre. Et que tous deux avez disparu en sautant du pont de Yokohama.
– Oui, c'est exact, acquiesça Hikaru. Mais je veux savoir où il est, maintenant. Je comprends le concept de Pouvoir, mais je suis perdue dans ces histoires d'univers parallèles…
– J’y viens : à partir du moment où les alter egos s'échangent lors de ces voyages, votre Kyosuke est forcément toujours là-bas, dans votre univers... mais avec votre propre double !
Un murmure d'étonnement parcourut les Kasuga, incapables de saisir pleinement l'ampleur de cette révélation.
– Oui, je suis désolé de le dire, dit Takashi, mais c’est obligé, puisque vous, Hikaru, êtes ici présente.
– La pauvre Hikaru ! s'exclama Kyosuke avec angoisse, songeant à la dernière fois qu’elle l’a vue et entendue. Elle qui devait trouver la quiétude à Otaru, elle a dû être tirée brutalement de son sommeil et... Mais… Mais alors… (Il fit alors les gros yeux à son tour, se rendant compte de quelque chose de plus terrible encore) Ciel !... Elle a dû chuter dans la baie de Yokohama sans prévenir, pendant que je revenais ici avec Hikaru ici présente !
– Oh non, ne dis pas cela, grand-frère ! s'inquiéta Kurumi de plus en plus stressée. C'est affreux !! Pas Hikaru !
– Ne cédons pas à la panique, tempéra Takashi. Si notre Hikaru a été précipitée dans cette chute, je suis convaincu que l'autre Kyosuke a dû la secourir avec son pouvoir. On a bien vu, à ses vêtements différents, qu’il est bien apparu ici, puis a disparu promptement pour rejoindre son propre univers. Il s'est forcément retrouvé en compagnie de notre Hikaru, qui venait juste de terminer son voyage entre les dimensions.
– En es-tu certain, papa ? demanda son fils, son inquiétude à peine apaisée. Je dois retourner là-bas pour en avoir le cœur net. Prononcez-moi les mots-clés !
– Pas si vite, Kyosuke ! intervint Takashi. Il nous faut d’abord bien réfléchir avant d'agir.
– Donc, pour résumer, notre Madoka est actuellement bien dans l’autre univers ? intervint Akane, dont l’esprit semblait préoccupé par son sort.
– Effectivement, elle a bien remplacé celle qui est allongée sur le canapé, expliqua Takashi. Elle est toujours de l’autre côté, dans une demeure identique à celle où nous nous trouvons.
– Et que dire notre Manami ? questionna Kurumi. Où est-elle passée ?... Pourquoi n'est-elle pas revenue ici lorsque l'autre est repartie ?
– Je n'en suis pas certain, répondit Takashi, perplexe. Nous avons en effet tous vu que celle que nous avons rencontrée est repartie brusquement d’ici dans son propre univers, avant même que ne débute le voyage prévu avec Kyosuke et Madoka. Mais au lieu de revenir automatiquement ici, notre Manami a probablement été dirigée vers un tout autre univers. C'est précisément parce qu'elle est partie ailleurs que nous avons vu subitement son double repartir seule pour réintégrer sa propre dimension.
– Mais alors, Madoka est en train de rechercher inutilement Manami, qui n'est déjà plus dans cet autre univers ! fit Kurumi, la terreur s'insinuant de plus en plus dans ses paroles. C'est terrible !
– C'est pourquoi je dois y retourner immédiatement ! déclara Kyosuke avec détermination. Je ne laisse pas Ayukawa toute seule là-bas !
– Attends, Kyosuke, je t'en prie ! insista son père. Ton double doit être sur le pont de Yokohama, mais pas avec Madoka. Si tu voyages maintenant, tu seras quand même éloigné d’elle.
– Mais au moins, je serai dans le même espace-temps qu’elle.
– Cela devient compliqué tout cela ; j’ai besoin de faire un dessin, ajouta Akane, dépitée. J’espère qu’on retrouvera notre Manami dans tout ceci.
– Écoute, grande sœur, le plus important est de savoir que Manami va bien, dit Kazuya. Mais on ignore si en allant dans un nouvel univers parallèle, elle a fait des échanges avec d’autres de ses alter egos.
– Là où elle est en ce moment, il n’y avait pas de double à destination, sinon, nous l’aurions vue apparaître ici, répondit Takashi, laissant planer une lueur d'incertitude chez les autres.
– Pas dans l’univers précédent où elle s’était d’abord rendue ?...
– Non, Kazuya. Pour préserver tous les équilibres, le Pouvoir veut que celui qui initie le voyage interdimensionnel oblige son alter ego de se rendre seulement dans l’univers d’origine du voyageur, en lieu et place d’où il est parti, c'est-à-dire : ici pour le cas de notre Manami. Or, nous n’avons pas vu d’alter ego d’elle surgir ici. Notre Manami est donc présentement dans un univers où il n’existe pas de double d’elle-même.
Kyosuke, perplexe, s’interrogea :
– Mais pourquoi fait-elle tous ces voyages ? On dirait bien que c’est elle qui les initie, et non pas une de ses doubles qui en a le pouvoir.
– En effet, c’est encore un mystère, admit Takashi.
Une révélation soudaine émergea alors dans l'esprit d'Hikaru.
– Attendez ! s'exclama-t-elle. Je me rends compte d’une chose inquiétante : si mon propre double est avec mon Kyosuke, est-ce celui-ci va se rendre compte qu’il n’est pas avec moi ?
– Pourquoi t’inquiéter de cela ? demanda Kurumi se demandant si cette Hikaru, issue d’un univers parallèle, surjouait un peu.
Akane, teintée cette fois de malice, ne fit qu'accentuer le malaise :
– Oh mais j’en suis certaine, déclara-t-elle. Ton Kyosuke est bien trop intelligent et perspicace. Ce qui n’est pas le cas du nôtre !
– Akane !! Ça suffit les bêtises ! fit l’intéressé sur un ton énervé.
Dans un éclat de rire incontrôlé, Kazuya rompit la tension palpable.
Mais soudain, les yeux d'Hikaru s'écarquillèrent une nouvelle fois, révélant en elle une terreur nouvelle. Inexplicablement, elle pointa un doigt accusateur en direction de Kyosuke.
– Toi !!! hurla-t-elle de sa voix très vivace, comme si elle émergeait d'un cauchemar pour en vivre un autre. C’est toi !!...
Le jeune homme, décontenancé, se demanda si malgré toutes les explications de son père, Hikaru demeurait encore confuse sur qui est qui :
– Hein ?... Quoi ?... Moi ?... Attention, je ne suis pas ton Kyosuke. Je suis son double. Ton Kyosuke est…
Mais visiblement, Hikaru ne l'écoutait plus, dardant toujours sur lui son doigt accusateur.
– Toi ! répéta-t-elle avec insistance. C’est bien toi qui m’as embrassée tout à l’heure !
Une telle révélation tétanisa tout le monde dans un silence horrifié, confrontés à l'impensable. Un tourbillon cauchemardesque inonda l’esprit de Kyosuke ! Le baiser ! Oui, il se souvint avoir embrassé…
– Ah oui, « en lieu et place », disais-je, fit Takashi d'un ton paisible.
Kyosuke se sentit désemparé. Il était pris entre deux cauchemars : celui de Madoka qu'il avait blessée et celui du baiser accidentel reçu de Hikaru.
– Mais-mais-mais... Attends !... Ce n'est pas ce que tu crois ! balbutia le pauvre Kyosuke.
– La plus belle soirée de toute ma vie ! s'exclama Kazuya, n’en pouvant plus de rire de voir son cousin se ridiculiser.
– Kyosuke ! Tu… tu as osé embrasser la malheureuse Hikaru, alors que Madoka avait confiance en toi ? s'indigna Akane.
– C'était pas moi qui l’ai voulu ! se défendit Kyosuke.
– Tu as dit la même chose quand tu as frappé Madoka !
– C'est Hikaru qui m'a embrassé !
– Arrête et avoue, insista sa cousine. Tu pensais mourir en chutant du pont, et tu as fait ce… geste désespéré !
Agacé par toutes ces accusations insensées, Kyosuke se tourna vers Hikaru, l’air énervé :
– Mais dis-leur, enfin !
– Hé ! Pas de menace, toi qui préfères les filles louches ! répliqua Hikaru d'un air méfiant.
– « Filles louches » ?... Ayukawa n'est pas une « fille louche » ! s'insurgea-t-il.
– Kyosuke et Hikaru, arrêtez de vous chamailler ! intervint Kurumi, qui semblait, sous le stress, vouloir prendre une position neutre. Nous devons agir. Il y a des gens de l'autre côté qui auront besoin de notre aide.
Kyosuke et Hikaru croisèrent alors les bras, chacun de leur côté, se regardant en chiens de faïence.
– En effet, nous devons ramener Madoka et Hikaru, ajouta Takashi avec calme. Toutes deux doivent être paniquées.
– Mais qu'en est-il de Manami ? s'inquiéta Kurumi. Si elle n’est plus du tout dans l'univers où elle est censée être, comment aller la récupérer, maintenant ?
– Chaque chose en son temps, répliqua son père. Tant qu'elle voyage, elle ne court aucun danger. L'urgence immédiate est de ramener Hikaru et Madoka ici. Et seul Kyosuke peut le faire.
Allongée sur le canapé, Madoka revint à elle, au son des brouhahas plus intenses. Elle entrouvrit les yeux, laissant la lumière douce de la vaste pièce caresser son regard. Le plafond au-dessus d'elle semblait familier, évoquant sa propre demeure. Ses souvenirs affluèrent alors. Elle s'était retrouvée là, sans explication, submergée par la douleur qui avait marqué son visage. Ce type, Kasuga Kyosuke, lui avait infligé un coup décisif, profitant d'un moment d'inattention de sa part. Une erreur fatale… Sa mentore d’autrefois n’aurait jamais supporté une telle faiblesse. Une rage sourde émergea alors en Madoka, nourrie par cette première fois où une telle humiliation l’avait frappé. Dans l'immédiat, une seule chose importait : agir. Par chance, tous dans la pièce semblaient l'ignorer, absorbés par des échanges animés et bruyants, dont elle ne saisissait que des bribes. Peu lui importait, elle devait élaborer un plan pour fuir sa propre demeure, étrangement méconnaissable. Où était Kenji ?... Avait-il trouvé refuge quelque part ?... Ou bien, l’avait-on enfermé dans une des pièces de la demeure ?... Elle ne pouvait partir sans en être certaine.
Dans les replis de sa combinaison, elle avait toujours sur elle quelques médiators que personne ici ne semblait avoir trouvés. Une autre chance qu’elle n’ait pas été fouillée. Avec célérité, elle en saisit un entre ses doigts. Elle repéra non loin d’elle cette jeune femme de son âge aux cheveux courts, d'un rouge bordeaux, semblant être celle qui l'avait déposée sur le canapé. Elle était de dos, captivée par le petit groupe qui se tenait devant elle.
C'était le moment opportun !
Sans plus attendre, Madoka se leva, oubliant sa douleur, tenant fermement le médiator de sa main droite. D'un mouvement habile, elle glissa son avant-bras gauche autour du cou d'Akane, la pointe menaçante du médiator, tenu par sa main droite, reposant contre sa carotide.
– Plus un geste, tout le monde ! s'écria Madoka d'une voix impérieuse. Où elle va y passer !
– Akane ! s’écria Kyosuke.
– La méchante Madoka s’est réveillée ! hurla Kazuya.
– Cousine Akane ! frémit Kurumi.
– Je vous l’avais dit ! Elle est dangereuse ! fit Hikaru le regard sombre.
Akane se trouvait menacée d'une manière inédite. D'ordinaire, son pouvoir des illusions lui permettait d'intervenir promptement. Mais cette fois-ci, Madoka ne la regardait pas. Elle se tenait derrière elle, brandissant son arme de prédilection pour la menacer. Ainsi, sans regard échangé, Akane ne pouvait pas influencer son esprit. Mais tout comme son frère Kazuya, qui ne pouvait lire les esprits des êtres issus de mondes parallèles, son pouvoir psychique aurait-il pu véritablement agir sur cette Madoka ? Il fallait pourtant agir. Mais Madoka avait réussi à bloquer son bras gauche derrière son dos, la main bloquée entre le genou de son adversaire qu’elle avait remonté jusqu’à sa hanche, tandis que son bras droit était également immobilisé par une hanche qui la pressait. Cette Madoka connaissait manifestement tous les moyens pour neutraliser son adversaire. Mais dans le même temps, Akane eut la pensée fugace que Madoka la touchait vraiment de très près… de tout son corps… corps qui était enveloppé de sa combinaison fascinante…
– Madoka, intervint Takashi, vous ne comprenez pas ce qui se passe. Vous n’êtes pas dans…
– Shut up ! pesta Madoka, irritée. C’est à vous de m’écouter !
– Que veux-tu, Ayukawa ? fit Hikaru à son tour. Tu ne t’en tireras pas comme ça !
– Ah… Te voilà enfin, Hiyama ! Mais d’abord, vous allez tous reculer lentement, sans geste brusque !
Tous s'exécutèrent dans un silence pesant.
Kyosuke n’osait pas utiliser son pouvoir télékinésique contre Madoka. Il était encore traumatisé pour agir à nouveau contre elle, même s’il ne s’agissait pas de sa Madoka. Kazuya, dont les capacités psychiques semblaient illimitées, ne pouvait agir contre un être issu d’une autre dimension.
Tous reculèrent, sauf Kurumi, qui semblait particulièrement irritée par la situation.
Madoka la remarqua :
– Toi, la fille aux tignasses mal assorties ! Recule aussi avec les autres ! Allez !
La mâchoire de Kurumi se serra. Jamais on ne l’avait insultée de cette manière.
– Tu… tu oses me dire qu’il y a un problème avec mes cheveux ?
– Recule, stupid girl !
– K… Kurumi, pas de bêtises, hein ? émit Akane, consciente de la nature impulsive et imprévisible de sa cousine.
Les poings de Kurumi se serrèrent de plus en plus, tant la rage intérieure avait essaimé tout son esprit.
– Tu oses m’insulter !!? hurla-t-elle, s’avançant à présent vers Madoka.
La colère de Kurumi était à son comble.
– Je te préviens, [censuré], menaça Madoka, tendue sur Akane à l’extrême, les doigts nerveux sur son médiator. Si tu fais un pas de plus, je…
– Pour… pour qui te me prends ?!!! vociféra la jeune fille face à elle, laissant échapper toute la force de sa colère jusqu'à en perdre le souffle, ses yeux fulminant de rage.
– Kurumi ! hurla Kyosuke, voyant sa sœur sombrer dans une rage incontrôlable. Ne fais pas... !
Trop tard !...
Sa sœur déclencha alors tout son pouvoir sur Madoka… mais d’une manière complètement nouvelle, au point que tout le monde en fut estomaqué !
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#453
Posté 14 mai 2024 - 18h34
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 24 – Le chantage
Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »… Alors que Manami déployait son pouvoir contre une adversité menaçant sa cousine, alors qu’Hikaru d’Otaru était entre les griffes d’une inconnue qui cachait encore son visage, Madoka mit Kenji hors d’état de nuire. Cependant, Manami, qui était à ses côtés durant ce périple, fut en proie aux interrogations de Madoka, qui perça enfin les mystères des voyages interdimensionnels.
– Tu me caches quelque chose, Madoka-san, fit Manami, regardant avec sérieux le visage concentré de la jeune femme aux cheveux bleu nuit.
Madoka savait à présent ce que l’univers du Pouvoir cachait et faisait respecter dans tous les voyages interdimensionnels. Preuve en était sa présence ici et l’absence de son double… Mais aussi la présence ici de Manami-san et l’absence de son double…
Madoka, tournant la tête vers Manami, prononça :
– J’ai compris ce que les voyages entre les dimensions provoquaient.
– Et quoi donc ?...
– Tout voyage d’une personne vers une autre dimension, déclenche un échange avec le double de lui-même, qui est propulsé vers sa dimension d’origine.
La révélation laissa Manami bouche bée, montrant des prunelles plus qu’étonnées.
– Tu… tu veux dire que… bafouilla-t-elle d’incompréhension.
– Oui. Ton premier voyage impromptu vers notre dimension a été en fait provoqué par notre Manami, qui est venue ici, conclut Madoka avec calme. Il y a eu donc échange.
– Ah… Maintenant tout s’éclaire, articula Manami avec une nuance de compréhension. Quand je suis repartie de manière aussi impromptue de ta dimension, c’est parce que mon double a quitté la mienne.
– Malheureusement, elle n’est pas revenue chez nous, fit Madoka d’un ton teinté de regret. Je ne l’ai pas vue avant que je ne parte.
Manami afficha une pointe de déception :
– Sous-entends-tu qu’elle voyage ailleurs ?... Dans une sphère dimensionnelle inconnue ?...
– Je crains bien que oui, confirma Madoka, quelque peu déçue de la situation. Elle est maintenant inatteignable.
– Mais alors ? Où est passé ton ami Kasuga-kun, censé t’accompagner ici ?
– Il est bien présent dans cette dimension, mais là où son double, ton frère, était auparavant. Plus précisément, quelque part aux abords du pont de Yokohama.
Manami demeura interdite.
– Madoka-san, cela signifie-t-il que mon frère se trouve actuellement dans ta dimension ? émit-elle avec prudence.
– Oui, je le crois, répondit Madoka. Il y a nécessairement eu un échange entre ton frère et Kasuga-kun.
– Cela veut-il dire qu’il est en ce moment avec Hikaru ? poursuivit Manami, tentant de saisir toute la portée de la situation.
– C’est vraisemblable, dit Madoka. Cependant, cela reste flou dans mon esprit, car nous parlons d’un événement mystérieux qui s’est produit il y a deux ans.
Madoka pria pour que Kyosuke, son Kyosuke, n’ait pas voyagé ici, puis propulsé deux ans en arrière dans le temps. Qui sait ce que les voyages interdimensionnels pouvaient encore provoquer dans l’espace-temps ?
– Ainsi, tout serait arrangé, souffla Manami avec une lueur d’espoir. Si mon frère évolue actuellement dans ta dimension, cela signifie que dès que nous retrouverons ton compagnon, vous pourrez tous deux regagner votre foyer, ramenant mon frère ici par la même occasion... (Elle marqua une pause soudaine)... Mais... (Elle fut alors saisie d’une soudaine appréhension)... Mais si tu te trouves ici, Madoka-san, cela implique que ton dangereux alter ego sévit dans ta dimension ?!...
Manami saisit pleinement la nature de la situation, ainsi que l’inquiétude qui se lisait sur le visage de Madoka. Cette dernière était là, présente, mais son double était présentement dans son univers à elle, dans son salon, avec tous les autres... Et avec tous les scénarios de confrontations possibles…
C’était inquiétant, mais Manami chercha à se rassurer :
– Madoka-san, je devine aisément ta préoccupation. Cependant, si ton double réside chez toi, je suis convaincue que les membres de la famille de Kasuga-kun, avec leurs pouvoirs, se seront occupés d’elle.
– Je l’espère, acquiesça Madoka. Sans doute ont-ils également saisi de leur côté toutes les subtilités des voyages interdimensionnels, et que ton frère a pu leur apporter son assistance. Mais il est difficile de savoir comment les choses se sont déroulées avec le mystère de sa disparition, il y a deux ans.
– Du fait de ces nouveaux développements, peut-être devrais-je demander conseil à ma mère…
– C’est vrai… Elle est en vie dans ton univers, se rappela Madoka.
– À ce sujet, sais-tu pourquoi le destin en a décidé autrement pour elle dans ton univers ? questionna Manami.
– Kasuga-kun n’est guère bavard concernant le décès de sa mère. C’est survenu quand il a eu deux ans, au moment de la naissance de Kurumi, qui est arrivée la dernière, juste après sa sœur.
– Juste après la naissance de Kurumi, dis-tu ?...
– Oui.
Un éclair d’incompréhension traversa le regard de Manami. Après un bref moment de réflexion, elle admit qu’il y avait une dissemblance entre sa propre sœur Kurumi, et son double qu’elle avait connue dans l’autre dimension.
– Attends, je crois comprendre, murmura-t-elle au bout d’un moment.
– Quoi donc ? interrogea Madoka.
– Ma mère m’avait raconté que lors de la naissance de Kurumi, celle-ci demeurait d’une sérénité remarquable. Tout au long de sa vie, ma sœur a manifesté une grande sagesse. C’est d’ailleurs elle qui m’a vivement déconseillé de partir à l’aventure à la recherche de notre frère par la voie que j’ai adoptée. Je puis t’assurer que Kurumi-san que j’ai aperçue dans ton monde diffère grandement de ma propre sœur.
Madoka était loin de se douter à quel point la petite sœur de Kasuga-kun était aussi différente.
– Et donc ?...
– Eh bien, je ne fais que conjecturer, poursuivit Manami. Mais il est possible que Kurumi-san ait involontairement révélé toute l’étendue de son Pouvoir dès sa naissance. Un pouvoir si immense qu’il risquait de mettre en péril tout le voisinage. Sa mère aurait alors tenté de l’en empêcher, d’une certaine manière, au prix de ses propres forces vitales.
Madoka n’avait jamais imaginé qu’un drame d’une telle ampleur ait été évité autrefois grâce à l’intervention d’une mère désespérée, prête à se sacrifier pour que sa dernière fille puisse venir au monde sans provoquer de désastre.
– Je sais que les Kasuga ont dû déménager rapidement après la naissance de ses deux sœurs jumelles, ajouta-t-elle. Quant à leur mère, elle repose désormais dans les montagnes où elle est née, près de ses parents qui veillent sur sa tombe.
Madoka sentit le pendentif que Kyosuke lui avait donné l’été dernier, lors de la visite chez les grands-parents de Kasuga-kun, peser délicatement sur son cœur [Tome 18, NDLR]. Ses doigts se posèrent instinctivement sur le bijou, caressant sa surface plate, lisse et ronde, dissimulée sous son vêtement, ramenant à sa mémoire une cascade de souvenirs chers. La conversation avec Manami-san au sujet de la mère de Kyosuke et des événements tragiques du passé raviva en elle le sentiment de son lien avec ce précieux talisman, toujours présent sur elle depuis l’été dernier, même durant son séjour aux États-Unis.
C’était bien plus qu’un simple objet. Ce pendentif, ayant appartenu à la mère de Kyosuke, avant d’être récupéré par son père après sa disparition, avait été restitué à la famille résidant dans les montagnes. Pour Madoka, c’était un symbole de protection et de connexion profonde avec Kyosuke et son histoire. Elle se rappela alors avec tendresse comment elle avait donné son chapeau de paille rouge à Kyosuke. Et maintenant, en retour, il lui avait offert ce précieux bijou. En fait, techniquement, Kyosuke lui avait offert les deux objets. Cette pensée apaisante fit naître un sourire sur les lèvres de Madoka.
– C’est une histoire vraiment triste, fit Manami. Mais allons voir ma mère pour lui expliquer ce qui se passe.
– Oui, elle nous aidera certainement.
- Mais, qu’est-ce qu’on fait de lui ? demanda Manami.
– Qui ?
Manami désigna celui qui était étendu inconscient au sol.
– Lui : Kenji.
Madoka regarda l’homme à terre avec indifférence.
– Ah, ce type ? Je n’en sais rien. Notre priorité est de retrouver Kasuga-kun.
En disant cela, Madoka espérait que Manami, la sœur de Kasuga-kun, à défaut de pouvoir la secourir à présent, puisse rentrer dans son univers par ses propres moyens.
– Mais ne risque-t-on pas d’avoir la bande à Kenji sur nos traces si on le laisse ici ? Qui sait ce qui va se passer quand il se réveillera ?...
C’est alors que le téléphone de la maison retentit dans le salon, au rez-de-chaussée, ce qui surprit les deux jeunes femmes.
– Le téléphone ! s’exclama Manami.
– As-tu une idée de qui cela peut être ?
– Aucune. Durant mes nuits de surveillance, il n’y avait que ton double qui vivait seule ici. Kenji venait lui rendre visite de temps à autre…
– Pas de détails, s’il te plaît, coupa Madoka.
– Cela n’a aucun intérêt, en effet, admit Manami avec le sourire.
Le téléphone semblait insister.
Madoka se leva et ouvrit la porte de la chambre.
– Mais que fais-tu, Madoka-san ?
– Je vais décrocher.
– Est-ce bien prudent ? Nous ne sommes pas supposées être ici.
– Mais si : je suis Madoka Ayukawa, et « j’habite bien ici », non.
– Ah, je vois…
Madoka enjamba Kenji et franchit le seuil de la chambre, descendant les marches de l’escalier en direction du salon, où le téléphone continuait à sonner, insistant. Était-ce l’alter-ego de sa sœur ou ses parents qui appelaient ? Elle se demanda s’ils étaient différents de ceux qu’elle connaissait en son propre monde.
– Allo ?...
– Tu as mis du temps à décrocher, Madoka, fit une voix fluette à l’autre bout de la ligne.
La jeune femme aux yeux émeraude marqua un temps d’arrêt. Ce n’était ni sa sœur, ni sa mère, mais une femme qui semblait être presque de son âge.
– Qui êtes-vous ? demanda Madoka, trouvant le ton de son interlocutrice un peu étrange pour être une simple amie qui appelait pour seulement prendre des nouvelles.
Elle était persuadée d’avoir entendu quelque part un timbre de voix similaire, mais n’arrivait pas à s’en souvenir, trop de choses défilant dans sa tête en ce moment.
– Oh… Tu feins l’ignorance, maintenant ? répondit son interlocutrice, d’un air assuré.
– Que veux-tu ?
– Tu diras à Kenji que je détiens sa petite sœur Hikaru.
– Hikaru ?...
Madoka n’arrivait pas à y croire ! Hikaru, la petite amie du Kyosuke de cet univers était bien en vie ! Cela voulait dire que Kasuga-kun ne devait pas être loin.
– Qu’as-tu fait de Kasuga Kyosuke ? demanda-t-elle.
Manami arriva à ce moment-là à ses côtés.
– Par le Ciel, il est là ? chuchota-t-elle à Madoka.
Cette dernière appuya sur la touche de mains libres du téléphone afin que Manami puisse écouter. Peut-être connaissait-elle l’interlocutrice qui parlait.
– J’ai en effet son petit copain avec moi, déclara cette dernière.
Manami fit signe à Madoka qu’elle ne reconnaissait pas la voix de la fille qui parlait.
– Que veux-tu ? demanda Madoka à sa mystérieuse interlocutrice.
– Le pouvoir de Kenji contre sa petite sœur. Je veux sa bannière et tous ses hommes sous mes ordres, y compris toi, Madoka, bras droit du groupe.
Le sang de Madoka ne fit un tour. Comment cette fille pouvait-elle oser demander pareille chose ?
– Qui es-tu ? demanda-t-elle, énervée.
– Allons, allons, Madoka… Je crois que tu as l’esprit un peu trop embrumé. Viens au port dans une heure avec Kenji. Entrepôt 6. Et personne d’autre. N’amène pas ta bande. Toi et Kenji, seulement. Crois-moi que je m’en assurerai. Si tu me trahis, ou si tu ne viens pas, tu sais qu’Hikaru et son petit copain vont avoir bien des soucis.
– Je…
– Dans une heure.
Puis cela raccrocha à l’autre bout de la ligne.
– Allo ?... Allo ?... (Madoka regarda Manami) Elle a coupé.
– Madoka-san… Mais alors… Hikaru et Kasuga-kun ont été capturés par cette fille ?!... Comment est-ce arrivé ?
– Tu ne vois donc pas qui elle est ? demanda Madoka, qui dans le même temps tenta de se souvenir de cette voix au timbre particulier.
– Absolument pas, reconfirma Manami. Elle doit être nouvelle en ville.
– Elle doit aussi être solitaire, conclut Madoka. Elle cherche à s’emparer du pouvoir.
– Comment sais-tu cela ?
– J’ai fait ça autrefois, laissa tomber Madoka.
– Comment ?!... s’étonna Manami par une telle révélation.
– C’était pour rendre libre tout le monde. Pour leur offrir un autre but dans la vie que la délinquance.
Ces raisons surprirent Manami. Elle regarda Madoka d’un œil plus positif qu’auparavant. Leurs débuts avaient été difficiles, mais maintenant, elle réalisait qu’elle s’était complètement trompée à son sujet. Il semblait que cette fille avait un objectif clair dans la vie : pacifier toutes les rivalités de son environnement pour mener une existence paisible. C’est pourquoi Manami eut l’impression que Madoka avait laissé derrière elle un passé tumultueux, abandonnant l’obscurité dans laquelle elle évoluait. Quelque part, Manami s’en voulut elle-même d’avoir pris durant deux ans tout un chemin solitaire parfois pavé de rudesse.
– Comment as-tu accompli cela ? demanda-t-elle.
– Démanteler les groupes de sukeban était ma spécialité, expliqua Madoka. Pour y parvenir, je devais d’abord les conquérir. Puis, une fois au pouvoir, avec l’allégeance de tous, je décidais de les dissoudre.
– Tu penses que cette fille essaie de faire la même chose ? demanda Manami.
– Je ne le pense pas. Je n’ai pas aimé le ton de sa voix. Je suis certaine qu’elle cherchera à conserver le pouvoir après l’avoir obtenu par la force, par ce chantage honteux.
– Tu ne vas pas plaindre Kenji, quand même ?
– Non. Mais nous devons y aller tous les deux, lui et moi, chercher Hikaru et…
Une voix résonna depuis les marches de l’escalier, coupant Madoka :
– Ma sœur ! Où est ma sœur ? hurla Kenji, titubant encore quelque peu du coup que lui avait porté Madoka tout à l’heure.
– Une fille la détient, répondit cette dernière, en se retournant vers le jeune homme.
– Tiens, te voilà réveillé ! commenta Manami à son approche.
D’un ton désespéré, Kenji s’approcha de Madoka.
– Qui a fait cela ?... Madoka, tu me dois une explication !
– Je ne suis pas ta « Madoka ». Combien de fois devrais-je te le rappeler ?
– D’accord, d’accord, marmona-t-il d’un ton qui semblait vouloir dire « oui », par crainte d’un nouveau coup, mais qui doutait encore.
– Je ne vais pas t’appeler à nouveau « Ayukawa », tout de même ? osa Kenji. N’oublie pas que nous…
– Épargne-nous les détails gênants ! supplia Manami avec une moue de dégoût.
– Je suis « Ayukawa », fit la jeune femme aux cheveux bleu nuit. Et c’est ainsi que tu m’appelleras. Malheureusement, j’ai besoin de toi.
– Mais qui la retient ? insista Kenji.
– Elle n’a donné aucun nom. C’est fille plutôt solitaire. Elle veut échanger ta sœur contre la tête de ta bande.
– Mais elle est malade !?... (Kenji serra le poing de rage) Elle va le regretter !...
– Nous verrons bien. Connais-tu une fille assez audacieuse pour agir ainsi ?
– Tu plaisantes ? Cette fille doit être complètement folle. Notre clan domine ce territoire. Personne n’oserait nous défier de la sorte !
– Ta sœur était sa cible depuis un moment. C’est ta faiblesse, ce que je comprends, car j’ai moi-même une sœur aînée pour qui je donnerais tout.
Kenji, conscient que Madoka, méconnaissable à ses yeux, partageait son dessein, se radoucit :
– Je t’en prie, Mad… Ayukawa, aide-moi ! implora-t-il. Il s’agit de ma petite sœur.
– Tout ce qui est arrivé il y a deux ans est de ta faute, ajouta Manami accusatrice. Tu aurais dû…
– Ayukawa, coupa Kenji, pourquoi la sœur de Kyosuke Kasuga est-elle ici avec toi ?
– Cela ne te regarde pas ! Et tu as intérêt à te calmer ! fit Madoka d’un ton sec. Je n’ai jamais abandonné personne. J’aime trop Hikaru-chan et Kasuga-kun pour les abandonner.
– J’ai du mal à te reconnaître, Ayukawa, murmura Kenji, déconcerté par les dernières paroles empathiques de son amie. Tu semble avoir tellement changé…
Madoka réalisa que ses propos avaient dépassé sa pensée ; elle avait oublié que chacun avait sa propre histoire dans ce monde.
– Ne perdons pas de temps à tergiverser, reprit-elle pour noyer le poisson. Il nous reste moins de cinquante minutes pour y aller.
– Je suis déjà prêt, déclara Kenji. Je vais préparer nos motos. Où est le lieu du rendez-vous ?
– Tu penses que je vais te le révéler ? répliqua Madoka d’un air qui laissait entendre qu’elle n’était pas née de la dernière pluie. Tu prévois de t’y rendre seul avec toute ta bande ?
– Non, ne pense pas ça, Ayukawa. J’ai bien compris que ce serait toi et moi seulement.
– Prépare les motos, je vais bientôt te rejoindre, annonça-t-elle.
– Et toi ?...
– Je vais enfiler une combinaison. Il y en a un certain nombre dans ma chambre.
– Évidement, fit Kenji. C’est toi qui les as confectionnées sur mesure. N’oublie pas tes lames, nous en aurons besoin. Nous ne savons pas à qui nous avons affaire. Je suis certain que cette fille n’est pas seule dans l’affaire.
– Vas-y, je te rejoins dans moins de dix minutes.
– J’espère que tout va bien se passer, émit-il d’un ton presque inquisiteur. Car si ma petite sœur…
– Sors !
Kenji sortit prestement de la demeure, se dirigea vers le garage, tandis que Manami regarda son amie d’un air interrogateur :
– Et moi, Madoka-san ?... Je ne vais pas te laisser seule face à un piège que te tend cette fille !
– Je sais, fit Madoka avec le sourire. Mais tu l’as entendue : seuls Kenji et moi-même devons nous rendre au lieu qu’elle nous a imposé. Par sécurité, il faut d’abord respecter ce qu’elle dit.
– Très bien. Alors, je vais me rendre chez moi, puis je reviendrai avec des renforts. Fais bien attention à toi.
– Promis.
Manami se téléporta, et Madoka se retrouva seule… Seule, dans le silence, dans cet autre univers.
Alors qu’elle regagnait la chambre de son double, elle médita sur le sort de Kyosuke. Pourquoi n’avait-il pas utilisé son pouvoir pour se libérer facilement de l’inconnue qui le détenait ? Lui et Hikaru étaient entre les mains d’une inconnue dont la voix semblait familière. Qui pouvait-elle bien être ? Qui, dans son propre univers, serait capable d’un tel acte criminel, au point de kidnapper ses amis ? Madoka ne pouvait se le rappeler distinctement, mais il était évident que pour elle, sa mission était de partir à la rescousse des personnes en détresse. Et elle jura de réussir... comme autrefois.
Madoka franchit le seuil de « sa » chambre, contemplant le désordre régnant au sol. Pourtant, l’armoire à vêtements, bien qu’impactée par les récents combats, demeurait encore fonctionnelle. À l’intérieur, Madoka découvrit les combinaisons de cuir noir appartenant à son alter-ego. Elle effleura la texture du tissu, évaluant aisément sa souplesse. Elle dut admettre que son double avait pris grand soin de confectionner pour elle tout un costume parfaitement ajusté. Il ne lui fut pas difficile d’imaginer que si son double était véritablement son égal en tout, tant en âge qu’en stature, cette combinaison lui irait à ravir. Madoka délaissa ses propres vêtements de côté, puis revêtit son nouveau costume. Elle prit soin de récupérer de ses anciennes affaires, la photo de son double signé de la main de Kenji qu’elle enfouit dans une des poches intérieures de sa combinaison, la mèche de cheveux de Manami qu’elle fit de même, ainsi que la ceinture de médiators qu’elle avait retrouvée dans son grenier. Les chaussures assorties au pantalon en cuir se trouvaient dans un petit meuble dédié à cet effet. Il s’agissait de bottines noires à talons légèrement trop hauts pour Madoka, mais celle-ci s’accommoderait de cet inconfort.
Elle s’observa bientôt devant un imposant miroir qui trônait dans la chambre, lui offrant l’opportunité de contempler tous les vêtements qu’elle venait de revêtir. Autrefois, Madoka n’avait jamais eu à porter pareil costume, tel celui qui, à présent, drapait sa silhouette. Or, le décolleté que lui imposait cette veste heurtait sa pudeur, contrariant la jeune femme, habituée à une réserve plus stricte dans ses apparats. La fermeture éclair, hélas, refusait tout geste vers le col (C’était bloqué.), tandis qu’un mécanisme intérieur, prévu spécifiquement, verrouillait toute velléité de descente impromptue.
Ce n’était pas seulement une simple combinaison pour moto qu’elle portait, mais aussi (et surtout) une authentique tenue de combat. En tant que sukeban solitaire, Madoka avait autrefois revêtu une veste en cuir ordinaire, dépourvue d’insignes, assortie à un pantalon noir. Désormais, l’insigne de la bande de Kenji ornait sa veste, arboré au niveau de la poitrine. Le tissu de ce costume était confectionné dans un cuir léger qui s’ajustait parfaitement aux contours du corps, permettant ainsi une liberté de mouvement accrue. Madoka n’avait pas oublié ses lames en forme de médiator. Outre celles qu’elle avait elle-même apportées de son propre univers, elle récupéra tout un ensemble de lames supplémentaires, soigneusement rangées dans une petite boîte de l’armoire. Elle dut admettre que son double savait sélectionner et fabriquer des armes de qualité, et d’une finition remarquable. Ignorant le niveau de danger auquel elle pourrait être bientôt confrontée, elle disposa les lames dans tous les emplacements spécifiquement conçus à cet effet sur le costume : le long des jambes, côté extérieur, et par le biais de porte-lames solidement enserrés sur les avant-bras, que les manches de la veste en cuir ne recouvraient jamais, ce qui était bien pratique. En effet, les manches, retroussées de manière volontaire dans la couture, s’arrêtaient entre le coude et le début des avant-bras. Au final, Madoka fut surprise de revêtir ce type de costume, alors que son passé de sukeban solitaire était bien loin derrière elle, abandonné à la fin du collège, avant de « retrouver » Kyosuke au sommet du grand escalier.
Dehors, le démarrage du moteur d’une moto rompit le silence et tira Madoka de son voyage vers son propre passé. Le moment était venu. Dans une démarche gracieuse, avantagée par sa nouvelle « seconde peau », elle quitta « sa » chambre, éteignit toutes les lumières de la demeure, puis se dirigea vers l’extérieur où Kenji l’attendait.
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#455
Posté 23 mai 2024 - 00h39
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 25 – Le Pouvoir
Précédemment, dans « Kimagure Orange Road – La Première Marche »… Contrainte et forcée, Madoka dût s’allier à Kenji pour aller affronter une menace encore plus inquiétante et surtout… inconnue. Mais une autre jeune femme, également contrainte et forcée par une puissance qui la dépassait, dût faire face à Kurumi dans un terrible affrontement, qui fera resurgir et révéler le secret d’un passé terrifiant.
Kurumi, fixant intensément Madoka, celle qui l’avait traitée avec si peu de respect quelques instants plus tôt, surprit tout le monde. Kyosuke, Takashi, Kazuya et Hikaru restèrent sans voix devant le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. Délivrée de la menace de Madoka, Akane réagit de la même manière. Ce n’était pas simplement la paralysie imposée par une télékinésie puissante qui stupéfiait le petit groupe; c’était le fait que Kurumi utilisait un pouvoir que personne n’aurait jamais imaginé. Une force invisible, d’une nature inconnue des Kasuga, enserrait tout le corps de Madoka, maintenant celle-ci immobile, suspendue dans les airs, à quelques dizaines de centimètres du sol, incapable de bouger.
– Ku… Kurumi ! implora Kyosuke. Relâche Ayukawa !
– Elle n’est pas ta « Ayukawa », grand frère ! s’écria sa sœur, consumée par une rage inédite. C’est une fille méchante ! Elle m’a insultée !...
Concentrant son pouvoir, Kurumi resserra encore plus son étreinte sur le corps de la jeune femme aux cheveux bleu nuit, la rendant complètement incapable du moindre geste pour se libérer de cette emprise.
– Tu vas… tu vas t’excuser pour ce que tu m’as dit ! hurla Kurumi à Madoka.
– Jamais, stupid girl ! répliqua cette dernière avec dédain. Je... je ne m’abaisserai pas à une telle bassesse !
En retrait, Akane luttait contre les pensées contradictoires qui l’assaillaient. Elle savait que cette Madoka, venue d’un monde parallèle, était différente de celle qu’elle connaissait. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de la voir comme une réplique de « sa » Madoka, avec les mêmes émotions bouleversantes. Elle se torturait l’esprit, cherchant à échapper à cette étrange contradiction qu’elle ne parvenait pas à expulser, tout en tentant d’aider Madoka.
Par crainte pour cette femme, devenue si fragile à ses yeux, elle se tourna vers Kurumi :
– Kurumi, arrête ça ! Elle a compris. Relâche-la ! Nous prendrons le relais.
Mais la sœur cadette de Kyosuke ne voulut rien entendre :
– Tant qu’elle ne se sera pas excusée, je la maintiendrai ainsi !
Kyosuke s’interposa alors entre sa sœur et Madoka :
– Arrête, Kurumi ! Tu dois…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase : une force invisible le repoussa violemment sur le côté, le projetant sur le canapé qui amortit sa chute.
– Alors, Madoka-san, tu vas t’excuser ? insista la jeune fille en furie.
La jeune femme aux yeux d’émeraude peinait de plus en plus à parler, étouffée par des forces invisibles qui l’entravaient de toutes parts, ne lui laissant que la respiration comme ultime liberté. Elle pliait sous cette pression insoutenable, mais sa volonté restait inébranlable. Jamais elle n’aurait imaginé être confrontée à une telle situation. Comment, en l’espace d’une seule soirée, tous ces gens aux pouvoirs étranges avaient-ils pu envahir son espace de vie, la plongeant dans un tourbillon de problèmes inimaginables ?
– Tu crois que tes tours m’impressionnent ? siffla-t-elle. Alors... tes excuses... in your dreams !!
Kurumi, de plus en plus en colère, serra les dents.
Resté silencieux jusqu’ici, Takashi considéra l’étrange l’évolution des événements. Il n’était plus inquiet sur le fait que Madoka était maîtrisée et qu’elle ne tenterait plus de prendre un membre de sa famille en otage. Cependant, en regardant Kurumi, il commença à percevoir en elle une image du passé. Un passé inquiétant qui fit ressurgir une peur qu’il croyait disparue à jamais. Bien que Takashi ne possédât aucun Pouvoir, il sentit que celui-ci commençait à se manifester de manière croissante tout autour de lui, par vagues incessantes, comme il l’avait déjà observé autrefois.
Il s’avança vers sa fille.
– Kurumi, s’il te plaît, relâche Madoka immédiatement, avant qu’il n’y ait des blessés. Tu en as assez fait.
– Papa, elle m’a insultée !
– Je sais. Mais même si elle a sa propre fierté, elle ne doit pas être confrontée au Pouvoir que je crains incontrôlable. Kurumi, arrête, s’il te plaît. Elle a compris.
– Tu crois ça, old man ? lança Madoka avec détermination à son encontre. Cette fille est incapable de briser ma volonté malgré ses tours de passe-passe !
Kurumi sourit, acceptant déjà le défi qui se profilait.
– Tu l’as entendu, papa ? Elle continue de se moquer de moi. Elle ose !
Elle déploya alors sur Madoka un pouvoir d’une intensité supérieure. Cette fois, tout en maintenant la jeune femme suspendue dans les airs, elle fit disparaître Madoka dans le néant, pour la ramener aussitôt. De nouveau, elle disparut, pour réapparaître. Madoka, totalement désemparée par cette expérience, se sentit emportée par une force irrésistible, telle une feuille balayée par une tempête, projetée dans un territoire inconnu. Quelle torture était-ce là ? Par intermittence, Madoka voyait devant elle le groupe d’inconnus, puis des abysses vertigineux. Et ainsi de suite...
– Par le Ciel, Kurumi ! implora Kyosuke. Arrête ça !
– Pas question ! répliqua sa sœur. Elle doit s’excuser !
– Oncle Takashi, il faut intervenir ! demanda Kazuya, inquiet par la tournure des événements.
Akane se tourna alors vers Madoka, qu’elle voyait comme la clé de la solution :
– Écoute-moi, Madoka, laisse tomber. Excuse-toi auprès de ma cousine, sinon elle ne s’arrêtera pas !
Les yeux écarquillés par cette expérience qui la transportait d’une réalité à l’autre, Madoka avait de plus en plus de mal à exprimer ses idées. Mais son regard, lorsqu’il était perceptible avant une nouvelle téléportation dans le néant, semblait toujours aussi déterminé.
– Ja... Jamais ! hurla-t-elle.
– Que fait-on, papa ? demanda Kyosuke, l’air désespéré.
Takashi était stupéfait. Devait-il vraiment demander à Kyosuke d’utiliser son Pouvoir pour maîtriser sa sœur cadette ?
– J’ai peur qu’elle ne nous écoute plus, répondit-il avec inquiétude à son fils.
– Jamais une telle chose n’est arrivée auparavant, remarqua Kyosuke. Pourquoi cette rage soudaine ? Kurumi s’est déjà mise en colère, mais là...
Takashi se tourna vers son neveu :
– Kazuya, essaie de convaincre Kurumi d’arrêter avec ton pouvoir télépathique.
Le petit garçon acquiesça et se concentra sur sa cousine, toujours focalisée sur Madoka. Il lui envoya un ordre direct par la pensée, mais à sa grande surprise, ce fut un échec.
– Que se passe-t-il ? demanda Takashi, constatant la mine déconfite du petit garçon.
– Je ne peux pas entrer dans l’esprit de Kurumi. C’est comme si elle avait érigé une barrière autour d’elle.
– Comment est-ce possible ? s’écria Takashi stupéfait.
Kyosuke et Akane partagèrent son étonnement.
Jamais Kurumi n’avait manifesté de telles capacités auparavant. Était-ce vraiment la rage qui les avait déclenchées ?...
Hikaru observait cette scène étrange, où Ayukawa était malmenée. Elle ne trouva rien d’anormal à voir cette vipère, qui avait tenté de briser le bonheur qu’elle partageait avec Kyosuke, recevoir son juste châtiment. Sans parler des deux ans perdus qui ont passé brutalement pour elle.
Elle s’approcha de Kurumi et lui dit :
– Kurumi-san, n’arrête pas. Si tu savais ce que cette fille fait dans mon monde à ceux qu’elle approche, tu ne pourrais pas le croire. Elle est très dangereuse.
– Hikaru-chan ! Ne lui donne pas des idées, prévint Kyosuke.
Hikaru tourna la tête vers le jeune homme :
– Je ne fais qu’énoncer la vérité, dit-elle avec gravité. Si tu l’avais vue manier ses lames et ce qu’elle en fait aux autres, simplement parce qu’elle pense que tout est une question de territoire, tu réfléchirais à deux fois avant de parler ainsi.
– Hikaru, nous ne sommes pas comme elle ! intervint Akane. Jamais nous n’utilisons la violence pour contraindre ceux qui nous sont hostiles.
Takashi commença à s’inquiéter sérieusement pour sa fille. Qui aurait cru qu’une simple remarque déplacée sur sa coiffure aurait pu déclencher tout cela ?
– Kurumi, cesse d’utiliser ton pouvoir ! lui dit-il d’un ton plus de sévère. Cela ne va pas du tout. Obéis-moi !
Visiblement, la jeune fille n’écoutait plus personne. Elle continuait de faire alterner Madoka entre téléportations et réintégrations.
– Tu vas enfin t’excuser, oui ? hurla Kurumi.
– Jamais ! répliqua encore plus vivement Madoka.
– Elle est vraiment bornée, cette Ayukawa ! remarqua Kyosuke.
– Akane, utilise une illusion sur Kurumi, demanda son oncle.
– Tu crois que cela va marcher cette fois, oncle Takashi ? Mon frère n’a pas eu de succès.
– Une barrière semble empêcher toute intervention physique et télépathique, expliqua Takashi. Essaie de lui faire percevoir une illusion qui la forcerait à stopper cette folie.
Akane acquiesça, puis se tourna vers Kurumi. Elle lui envoya une illusion montrant Madoka s’excusant humblement auprès d’elle. Mais à sa grande surprise, cela n’eut aucune influence sur Kurumi.
– Elle résiste à mes illusions ! s’écria Akane à son oncle.
– C’était à craindre, fit Kazuya.
Tétanisé, Takashi se demanda s’il ne fallait pas cette fois faire appel à ses beaux-parents. Leurs propres pouvoirs surpassaient de loin ceux de Kurumi. Mais ils résidaient loin, dans des régions montagneuses éloignées. Il fallait pourtant faire quelque chose.
– Kazuya, fais appel aux grands-parents par télépathie, demanda-t-il. Dis-leur de venir ici tout de suite.
– Je m’en charge ! répondit-il.
Takashi espérait ardemment que cette fois-ci, les choses se dérouleraient sans encombre.
– Oncle Takashi ! s’alarma Kazuya quelques instants plus tard. Impossible d’envoyer un message ! Et je ne peux même pas alerter ma maman, aussi !
– Comment est-ce possible ? s’exclama Takashi, abasourdi.
Kyosuke tenta alors de se téléporter hors de la demeure… en vain. Une force mystérieuse l’en empêcha.
– C’est Kurumi, déclara Akane, l’air grave. Elle commence à aspirer le rayon d’action de nos pouvoirs !
Cette révélation tomba comme un couperet. Il devenait évident que Kurumi, sous le coup de la colère, manifestait des aspects méconnus du Pouvoir. Mais était-ce vraiment le Pouvoir qui était présentement à l’œuvre ?...
– Non, non, non, vous ne m’empêcherez pas d’accomplir ce que je dois faire ! avertit Kurumi avec détermination. Vous ne pouvez rien contre moi. Je vous préviens, j’irai jusqu’au bout pour faire plier cette fille.
– Kurumi, tu n’as jamais été comme cela... fit Kyosuke, la voix tremblante. Pourquoi tu...
Coupant sa phase, une main se posa alors sur son épaule. Celle de Takashi.
– Kyosuke... il faut que je te dise quelque chose...
Kyosuke regarda son père, remarquant son expression défaite, chose rare.
– Qu’y a-t-il, papa ?...
Takashi se mit à l’écart de Kurumi, veillant à ce qu’elle n’entende pas ce qu’il allait confier à son fils.
– Tu dois savoir que Kurumi a déjà manifesté un comportement similaire, déclara-t-il avec une gravité inhabituelle.
– Comment ? fit Kyosuke, les yeux écarquillés.
– À sa naissance.
– Papa, tu veux dire...
– Oui.
Kyosuke fouilla dans ses souvenirs. Il n’avait que deux ans lorsque cela s’était produit. Le jour où sa mère était décédée en donnant naissance à Kurumi. Il n’avait pas été témoin direct de l’événement, étant trop jeune, mais son père lui avait raconté que Kurumi avait manifesté un aspect imprévisible du Pouvoir, incontrôlable dès sa naissance.
– Papa… Kurumi est-elle en train de revivre ce qu’elle a vécu à sa naissance ?
– Je le crains. Les émotions intenses qu’elle a ressenties tout le long de cette soirée ont ravivé cet épisode en elle.
– Mais... papa, pour arrêter cette crise, maman avait dû...
– Oui… mais elle n’est plus là. Elle seule a eu toute la force nécessaire pour agir. Elle...
Soudain, une perturbation se fit sentir dans l’air. Des crépitements, des sons inconnus sporadiques venus de nulle part, émanant du Pouvoir… Tout autour, les meubles se mirent à trembler sur leurs bases.
Kurumi continuait de déployer son énergie sur Madoka, l’obligeant à s’excuser. Bien que de plus en plus affaiblie physiquement, la volonté de Madoka restait inébranlable face à la puissance de son adversaire.
– Tu es une [censuré] de sorcière ! lança-t-elle à Kurumi entre deux téléportations.
– Kurumi devient de plus en plus puissante ! s’exclama Akane. Je sens qu’elle accumule une énergie dépassant nos propres capacités.
Il devint à présent impossible d’approcher Kurumi. Une sorte de barrière invisible empêchait toute intrusion autour d’elle et de Madoka. Malgré toute l’énergie qu’elle dépensait depuis un moment, Kurumi ne semblait ni faiblir ni s’épuiser. Le Pouvoir en elle, restait constant, résolu à faire plier Madoka.
Akane et Kazuya se rapprochèrent de Kyosuke et Takashi.
– Le pouvoir de cousine Kurumi risque de devenir complètement incontrôlable si nous n’agissons pas rapidement, avertit Kazuya.
– Ces forces vont devenir imprévisibles, prévint Akane. Et cela pourrait s’étendre à tout le quartier, voire au-delà…
Les murs de la pièce commencèrent à trembler. Toute la demeure vibrait dangereusement. Des objets du salon tombèrent par terre.
Kyosuke était désemparé. Comment empêcher une catastrophe imminente ?
– Quand Kurumi est née, son pouvoir était d’une ampleur étonnante, révéla Takashi. Seule sa mère a pu apaiser et sceller cette puissance incontrôlable.
– Cela signifie que Kurumi aurait ré-ouvert ce soir une connexion directe avec le Pouvoir sans le savoir ? demanda Akane.
Takashi hésita avant de répondre, puis offrit une explication :
– Vos grands-parents m’ont révélé peu de choses à ce sujet. Il est possible que le Pouvoir ouvre certaines « portes » dans l’esprit de ceux qui peinent à le canaliser. Kurumi a probablement eu le plus de mal à le maîtriser, car elle a toujours agi à sa guise, négligeant la discrétion. Elle a toujours eu besoin de sa sœur Manami pour la tranquilliser et lui donner confiance en elle. Aujourd’hui, Kurumi a accumulé stress sur stress avec la disparition de sa sœur et l’affaire des univers parallèles. Jamais elle n’a eu à gérer autant de choses préoccupantes à la fois.
– Il est donc impératif de faire revenir Manami parmi nous ! s’exclama Kyosuke avec conviction. Elle seule saura persuader Kurumi, bien mieux que nous, de retrouver la raison.
– Mais comment la retrouver si elle maintenant est plongée dans une dimension inconnue ? fit son père.
– Mais alors, que devons-nous faire à présent ? s’impatienta Akane, voyant toujours Madoka souffrir sous la pression de sa cousine. Je refuse de laisser cette femme être torturée plus longtemps.
D’un pas déterminé, elle s’avança vers Kurumi.
– Akane, reviens ici immédiatement ! avertit Kyosuke derrière elle. Cela ne servira à rien !
Akane, ignora les paroles de son cousin et hurla :
– Kurumi, arrête cela !
– Ne te mêle pas de cela, cousine ! prévint Kurumi. Je n’en ai pas encore fini avec Madoka.
Mais Akane ne l’écouta pas. Elle tenta de toucher le bras de sa cousine, mais une force invisible la repoussa violemment, la projetant à travers la pièce pour retomber avec rudesse sur le sol près du canapé.
– Akane ! s’écria Kazuya, voyant sa sœur étendue au sol.
– Akane ! lança Kyosuke.
Il se précipita pour secourir sa cousine, mais une nouvelle main sur son épaule l’arrêta. C’était celle de Takashi, son père, qui lui fit signe de ne pas intervenir, puisque son neveu, déjà auprès d’Akane, semblait déjà rassuré par la santé de sa sœur.
– Ta mission est ailleurs, Kyosuke.
– Que veux-tu dire, Papa ?
– Tu dois partir dans l’autre dimension. Reviens avec des renforts.
– Mais comment ?...
– Ta mère... enfin, son double... Elle vit dans cette autre dimension. Tu dois lui demander de l’aide.
– Maman... C’est vrai... Elle est vivante... Elle saura comment nous aider.
– Oui, mais veille à ce qu’elle ne mette pas sa propre vie en danger pour arrêter cela. Je ne veux pas de nouveaux drames.
– Bien, Papa. Je comprends.
– Emmène Hikaru-san avec toi. Elle seule peut te guider vers son monde. Quand vous serez partis tous les deux, je récupérerai notre Hikaru, ainsi que ton double. Je leur expliquerai.
– Papa, tu penses que cela fonctionnera ? demanda Kyosuke. Kurumi semble si puissante maintenant, qu’elle commence à absorber nos pouvoirs.
– Il faut essayer. C’est elle qui t’a hypnotisé ; elle ne te retirera pas ce qu’elle t’a donné. Mais allons-y vite, mon fils, avant qu’il ne soit trop tard. Je vais prononcer les mots-clés.
La maison trembla de plus en plus sur ses fondations.
– Et toi ?... demanda Kyosuke. Et Akane et Kazuya ?... Est-ce bien prudent de vous laisser tous ici ? Surtout si Hikaru-chan doit revenir ici, si je voyage.
– Oui... C’est ma mission, répondit son père. Je ne laisserai aucun enfant en danger, sois-en sûr.
Kyosuke sentit que son père regrettait beaucoup de choses. Un lourd passé semblait resurgir en lui. Il devait s’accorder sur le fait que tant qu’il serait là, personne ne pourrait le détourner de son chemin : protéger sa famille.
Silencieusement, Takashi conduisit son fils vers Hikaru, qui, fascinée, observait toujours la scène entre Kurumi et Madoka. Cette dernière était toujours sous l’emprise de la rage de Kurumi, son visage déformé par la colère. Ce n’était pas le Pouvoir qui agissait, mais une autre force. Une force qui avait profité de la faiblesse de Kurumi pour s’immiscer dans ce monde et prendre le contrôle.
– Hikaru ? murmura Takashi.
La jeune fille se retourna, et sentit la main de Kyosuke qui étreignit la sienne. À cet instant précis, Takashi murmura à son fils :
– « Kimagure Orange Road »…
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#456
Posté 08 juin 2024 - 18h39
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 26 – Elle
Madoka et Kenji arrivèrent bien avant l’heure butoir à l’entrepôt 6 du quartier portuaire de Yokohama, désigné par la mystérieuse femme dont ils ne connaissaient toujours pas le nom. Aucun garde ou vigile en vue. Les deux jeunes gens coupèrent les moteurs, descendirent de leur moto, et laissèrent leurs casques accrochés aux guidons.
Tous deux contemplèrent l’édifice imposant et sombre qui se dressait devant eux, telle une forteresse dissimulant des secrets inavouables. Aucun éclat lunaire ne vint illuminer cet endroit.
– Si j’avais su que le lieu du rendez-vous était aussi proche de chez toi, Ayukawa… commença Kenji.
– Chut ! coupa la jeune femme, intriguée par le silence pesant qui régnait étrangement en ces lieux.
– Quoi ?...
– Ce silence ne me dit rien qui vaille.
– Bien sûr qu’il s’agit d’un piège, répondit le jeune homme avec assurance. Pas de gardes visibles à l’extérieur, donc... ils nous attendent tous à l’intérieur.
Madoka sentit que Kenji avait probablement raison, mais cela lui importait peu. La vie de personnes chères comme Kyosuke, et même d’Hikaru (bien que celle-ci n’était pas de son propre univers), était bien plus précieuse à ses yeux.
Avec une démarche gracieuse et prudente, Madoka s’avança vers la seule entrée possible de ces lieux : une porte métallique non verrouillée. En revanche, la grande porte coulissante du hangar, disposée juste à côté, était hermétiquement fermée, certainement à dessein. Le faible éclairage extérieur qui avait aidé les deux jeunes gens à s’approcher rapidement du bâtiment ne permettait pas de voir à l’intérieur. Tout était plongé dans une obscurité totale. Kenji se reprocha de ne pas avoir emporté une torche électrique avec lui. Madoka, de son côté, supposa que le contrôle des lumières n’était pas accessible depuis la porte par laquelle ils devaient entrer. Une précaution bien pensée de la part de ceux qui les attendaient.
Madoka et Kenji échangèrent un regard complice avant de pénétrer à l’intérieur. L’unique entrée les conduisit directement à une vaste salle plongée dans l’obscurité totale, ou presque : un mince filet de lumière parvenait tout juste de l’extérieur, ne présentant devant eux que le sol cimenté qui guidait leurs pas. Ils progressèrent prudemment, en faisant résonner le béton froid sous leurs semelles. Lorsqu’ils atteignirent le centre de la pièce, la porte d’entrée par laquelle les deux jeunes gens étaient arrivés se referma brusquement derrière eux. Une lumière éclatante inonda soudainement tout l’espace, les aveuglant momentanément.
Surpris, Kenji et Madoka essayèrent de s’adapter un instant à la luminosité. Une douzaine de motos surgit de l’obscurité, leurs moteurs rugissant soudainement. Les pilotes, casqués et arborant des visières opaques dissimulant leurs regards, étaient tous vêtus de combinaisons blanches. En un instant, ils formèrent un large cercle en mouvement autour de Madoka et Kenji, bloquant toute issue. Retrouvant une vision normale, les deux jeunes gens se placèrent dos à dos, scrutant chacun une portion du cercle formé par leurs adversaires.
– Visiblement, je m’étais trompée, admit Madoka, en position de garde. Cette fille n’était pas seule.
– Je ne distingue aucune fille parmi eux, rétorqua Kenji.
– Leur cheffe nous envoie d’abord ses sbires, murmura Madoka, ses yeux plissés de détermination.
Regrettant d’avoir laissé leur moto à l’extérieur, Madoka et le frère d’Hikaru se préparèrent à l’affrontement. Kenji, expert en coups de pieds grâce à son jeu de jambes, se mit en position pour l’assaut. Madoka, quant à elle, extirpa quelques médiators des petits compartiments spéciaux de sa combinaison et les plaça délicatement entre ses doigts. Elle avait bien raison d’avoir enfilé l’uniforme souple de son alter-ego. Ce vêtement facilitait grandement le transport de ses armes de prédilection. Le toucher des médiators, légers mais redoutables, plongea Madoka dans des souvenirs d’autrefois qu’elle avait tenté d’oublier. Elle pensa également à Kyosuke, qui, en cet instant précis, incarnait sa force et sa détermination.
– Prête ? lui demanda Kenji, son regard fixé sur les motards.
– Prête ! répondit Madoka, un léger sourire audacieux se dessinant sur ses lèvres, comme en résonance avec ce passé lointain qui redevenait ici tangible.
Un premier motard quitta la formation et attaqua, fonçant droit sur eux, visant plus précisément Kenji. Celui-ci esquiva habilement et, d’un coup de pied rapide dans le dos du conducteur, désarçonna ce dernier qui s’effondra lourdement sur le sol cimenté. Madoka, elle, n’attendit pas d’être attaquée. Elle bondit en avant, lançant ses médiators avec une précision dévastatrice. Deux motards, prêts à fondre sur elle, tombèrent lourdement, incapables de contrer les petites lames se fichant douloureusement dans les fragiles cartilages de leurs mains, seuls moyens de tenir leur guidon. Les visages des assaillants, protégés par des casques assortis à leurs combinaisons, présentaient un obstacle épais que Madoka avait du mal pour le moment à percer avec ses médiators.
Le combat faisait rage dans la grande salle. Le cercle était rompu. Kenji semblait danser avec son jeu de jambes, chaque mouvement fluide et presque mortel. Madoka, telle une acrobate, utilisait son agilité pour éviter les attaques et riposter avec férocité. Les motos vrombissaient autour d’eux sans relâche, mais aucune ne parvenait à les toucher. Les motards tombaient comme des mouches devant la dextérité de Madoka et Kenji. Ce dernier désarçonna un assaillant d’un puissant coup de pied à la gorge, exploitant ce point sensible avec précision.
– Je te retrouve enfin, Ayukawa ! lança-t-il à celle qu’il pensait toujours être son amie. Tu es toujours aussi redoutable. Comme au bon vieux temps !
– Je ne veux pas revenir à ce jour ! rétorqua-t-elle mystérieusement, tandis qu’elle mettait à terre un motard récalcitrant, d’un genou vigoureux venant s’écraser contre un médiator déjà planté sur son casque. Celui-ci s’entrouvrit, révélant le visage d’un homme déjà inconscient avant même de toucher terre.
Les sbires de la mystérieuse jeune femme inconnue contre-attaquèrent avec encore plus de vigueur. Kenji fendait l’air, esquivant habilement les assauts, tandis que Madoka lançait ses médiators avec une précision dévastatrice. Revivant des habitudes qu’elle avait laissées derrière elle, et avantageusement vêtue de sa sombre tenue de combat sur mesure, Madoka virevoltait, ses mouvements aussi fluides que le vent, ses médiators comme des éclairs, perçant mains, jambes et bras, faisant tomber les motos une à une, leurs pilotes neutralisés par la force combinée de Madoka et Kenji. La jeune femme comprit alors comment la bande de Kenji et la Madoka de cet univers avaient réussi à dominer ce territoire.
Kenji s’empara d’une moto abandonnée et commença à se frayer un passage à travers un essaim de motards cherchant à lui barrer la route. En pleine lancée, il plaça ses deux pieds sur le siège, jambes repliées, et profitant de l’élan de la vitesse, plongea sur le groupe. Sa moto percuta la première, explosa en flammes, déclenchant une réaction en chaîne apocalyptique dans les rangs adverses. Kenji, comme mu par une force invisible, survola ses ennemis et retomba sur ses pieds, derrière toute la meute de machines qui s’effondrèrent dans un fracas de métal et d’os craquant sur le sol dur.
Kenji, tout fier de son petit exploit, se tourna alors vers Madoka, et lui cria subitement :
– Attention derrière toi !
La jeune femme, momentanément distraite par le vacarme des explosions des machines et les cris des hommes s’écrasant contre les murs en brique du hangar, se retourna juste à temps pour esquiver une dernière moto fonçant droit sur elle. Le conducteur, brandissant une grosse matraque hérissée de piques, avait failli égratigner son visage. Avec une colère maîtrisée, elle lança un médiator avec une précision implacable, touchant le moteur de l’engin, qui explosa, projetant violemment le pilote contre le mur dans un fracas assourdissant.
En quelques minutes, le sol du hangar était jonché de motos renversées ou détruites, et de pilotes inconscients ou gémissants. Essoufflés mais victorieux, Kenji et Madoka tournèrent la tête vers la porte menant à la pièce suivante, la grande porte coulissante attenante étant toujours verrouillée à dessein.
– Un autre groupe de motos nous attendrait-il de l’autre côté ? se demanda Kenji.
– Nous allons très vite le savoir, répondit Madoka en s’avançant déjà.
Il fallait délivrer Hikaru et Kyosuke sans plus attendre. Madoka passa la première le seuil de la porte. Le combat précédent l’avait privée de la moitié de ses médiators. Si un autre groupe tout aussi redoutable les attendait, elle serait à court de ressources pour affronter la mystérieuse jeune fille au final.
En pénétrant dans le nouveau hangar, le décor changea. La lumière inondait déjà l’espace entier. Cette section de l’entrepôt s’étendait sur bien deux cents mètres de longueur et cent cinquante de large, avec un plafond étonnamment haut. Des dizaines de monticules de sable industriel étaient éparpillés çà et là, obstruant leur vue d’ensemble, les empêchant de distinguer clairement le fond de ce grand dépôt industriel.
Marchant avec précaution sur le ciment uniquement, entre ces petites collines de sable, Madoka et Kenji progressèrent vers le fond de ce grand espace formant cet endroit choisi à dessein par l’adversaire.
Soudain, ils s’arrêtèrent net, leurs regards rivés sur une silhouette perchée au sommet d’un groupe de conteneurs maritimes aux multiples couleurs. Comment ces imposants coffrages avaient-ils pu se retrouver ici ? Une femme, vêtue d’une combinaison blanche et le visage dissimulé par un casque de même ton, à la visière opaque, se tenait là, laissant peut-être deviner un sourire énigmatique et des yeux déterminés.
– Madoka et Kenji ! déclara-t-elle d’une voix ferme. Vous en avez mis du temps !
Cette voix était la même que celle entendue au téléphone.
– Et pourtant, nous sommes en avance, répliqua Kenji avec un large sourire nerveux. Qui es-tu ?
Silencieuse, Madoka scruta la silhouette. En effet, qui pouvait-elle être, dissimulée derrière ce casque ? Selon le ton de la voix, elle était censée la connaître. Cette femme avait-elle vraiment un double appartenant à son monde ? Madoka n’avait jamais rencontré quelqu’un portant ce type de combinaison, mais cette voix lui était étrangement familière.
La femme au sommet du conteneur leva la main gauche et claqua des doigts. Derrière elle, la porte d’un autre conteneur, positionné à sa hauteur, s’ouvrit, révélant un motard casqué et imposant, tirant une chaîne au bout de laquelle une jeune femme fut contrainte de sortir. Les mains ligotées dans le dos et bâillonnée, elle était traînée de force par la chaîne autour de sa taille.
– Hikaru ! s’écria Kenji, accompagné de Madoka qui manifesta silencieusement sa surprise.
Kenji n’en croyait pas ses yeux. Sa petite sœur était là, vivante. Il ne l’avait pas vue depuis deux ans, et bien qu’elle ait quelque peu changé, sa joie était immense. Serrant alors les dents de colère, il cria à l’encontre de celle qui était responsable de cette situation :
– Canaille ! Relâche ma petite sœur immédiatement !
– Tu n’es pas en position de donner des ordres ! rétorqua la mystérieuse femme. N’oublie pas que tu dois respecter le marché que j’ai édicté.
Madoka regarda Hikaru. Elle ressemblait étonnamment à celle qu’elle connaissait. Était-il possible qu’elle soit vraiment celle qui avait disparu depuis deux ans, dans cet univers ?... Les yeux exorbités de Hikaru, lorsqu’elle croisa le regard de Madoka, étaient révélateurs. La jeune fille aux yeux azur semblait plus surprise de la voir, elle, que son propre frère aîné. Que signifiait cela ?...
– Où est Kasuga Kyosuke ? demanda Madoka avec conviction. Il fait partie de l’échange.
– Oh, lui ?... répondit nonchalamment la mystérieuse femme. Il dort paisiblement dans le conteneur. Il n’est rien pour moi. Je te le donne comme cadeau, car je sais que toi et Kenji avez des comptes à régler avec lui. La plus importante, ici, c’est Hikaru, la vraie monnaie d’échange.
– Pourquoi as-tu fait cela ? insista Madoka auprès de la mystérieuse jeune femme.
– Quoi donc ?...
– Avoir endormi Kasuga.
– Que t’importe ce type, Madoka.
– Tu es bien familière, toi qui te caches derrière ton casque. Pourquoi ne pas montrer ton visage ?
La jeune femme en combinaison blanche éclata de rire.
– Comment ?... Mais Madoka, tu me connais. Pourquoi fais-tu semblant ?
– Assez ! coupa Kenji, exaspéré par cette perte de temps. Finissons-en ! Que veux-tu ?
– L’emblème de ton groupe et son allégeance entière envers moi ! rugit-elle.
– Crois-tu ? Il me suffit maintenant de venir chercher Hikaru et de la délivrer. Ce n’est pas ton gros garde du corps qui va m’impressionner !
– Pauvre imbécile ! Je n’ai pas besoin de garde du corps. En quelques instants, je peux moi-même te neutraliser comme je l’ai fait envers Kasuga, lui qui n’a rien pu faire contre moi !
Madoka serra les dents. Kasuga… lui qui a le Pouvoir… Il aurait pu neutraliser facilement toute attaque contre lui par la simple pensée. Comment a-t-il pu se laisser avoir par cette fille ?...
Hikaru tenta désespérément de parler à travers son bâillon, mais les sons qui parvinrent aux oreilles de Madoka étaient incompréhensibles.
Madoka croisa à nouveau le regard de la fille au casque blanc et avertit :
– Hikaru doit absolument nous dire si elle va bien. Laisse-la parler !
Kenji souffla alors aux oreilles de Madoka :
– Ayukawa, à nous deux, nous pouvons facilement neutraliser cette fille et son toutou.
– Notre position n’est pas avantageuse, dit-elle. Cette fille ne m’inspire pas confiance. Méfiance.
– Elle semble te connaître, dit Kenji. Tu es certaine de ne pas la connaître ?
– Si elle garde son casque sur la tête, je ne suis sûre de rien.
La fille en question répondit :
– Ainsi, tu veux laisser parler Hiyama, Madoka ?
– Qu’as-tu à perdre ? répondit l’intéressée. C’est l’assurance qu’elle n’a pas été maltraitée.
– Très bien, si cela permet de conclure notre affaire. Hormis le fait que j’aie dû l’endormir et la ligoter comme tu le vois, je t’assure qu’elle n’a pas été victime de quelconques sévices.
– Qu’elle nous le confirme ! insista Kenji, le poing serré.
Un claquement de doigts de la mystérieuse jeune femme retentit, et son silencieux acolyte retira le bâillon de Hikaru.
Aussitôt, celle-ci hurla de toute sa voix, laissant éclater une émotion intense dont elle savait si bien faire preuve :
– Madoka ! C’est vraiment toi ?... Comment peux-tu être ici ?
Kenji trouva étrange que la première réaction de sa petite sœur, après deux ans d’absence, soit de se préoccuper davantage de Madoka que de lui. Madoka, elle aussi, fut surprise. La Hikaru de cet univers n’était pas censée lui parler ainsi.
– Hikaru ! C’est moi : Kenji ! Je suis venu te chercher ! Est-ce que tu vas bien ?
La jeune fille aux yeux azur fixa quelques instants ce jeune homme, qu’elle savait être le frère aîné de l’autre Hikaru, son double. Il était incroyable de le voir ici, en chair et en os, au pied de ce conteneur. Se sentant soudain moins seule dans cet univers étranger, elle cria encore à l’adresse de son amie :
– Madoka ! Madoka ! Attention, cette fille, c’est Sayuri Hirose !
Les yeux émeraude de Madoka s’écarquillèrent de surprise.
« Sayuri ?… »
Elle remarqua cependant que Hikaru continuait à s’adresser directement à elle, et non à son grand frère. Comment cela était-il possible ?
De son côté, Kenji était complètement troublé. Non seulement sa petite sœur semblait l’ignorer, mais elle cherchait constamment l’attention de Madoka, censée être ignorée en raison de leurs relations tendues. Que se passait-il ? Et qui était cette Sayuri Hirose que Hikaru et Madoka semblaient toutes deux connaître ? Il regarda Madoka et vit en effet que ses yeux étaient désormais sévères, fixés sur celle qui portait cette combinaison blanche. À son regard, Madoka connaissait vraiment cette Sayuri.
– Ayukawa… Que se passe-t-il ? lui demanda-t-il.
Lentement, Sayuri retira son casque, révélant sa chevelure dorée qui se déploya derrière sa tête et sur les côtés. Elle était identique à celle que Madoka et Hikaru connaissaient dans leur propre univers. Une immense beauté émanait d’elle, accompagnée d’une assurance renforcée par son regard azur perçant, lançant des messages invisibles à l’attention de Madoka. Cette dernière se demanda si elle ne venait pas du même univers qu’elle, mais c’était impossible. La Sayuri qu’elle connaissait était loin d’être la personne qui se tenait maintenant au sommet du grand conteneur.
Madoka se replongea alors dans les souvenirs presque oubliés de cette fille atypique qu’elle avait côtoyée de manière épisodique au lycée Koryo. Sayuri avait la réputation d’être une chasseuse de garçons, les rejetant sans pitié dès la moindre déclaration. Ce jeu cruel sans violence physique, consigné dans ses carnets de chasse, lui conférait un certain pouvoir ainsi qu’une renommée au sein de l’établissement scolaire. Jusqu’au jour où elle rencontra Kyosuke Kasuga, un jeune homme s’avérant être totalement insensible à son aura prétendument irrésistible. Kyosuke, en effet, ne pouvait se défaire des pensées profondément ancrées qu’il avait pour Madoka. Malgré de nombreuses tentatives, Sayuri échoua à le séduire. Mais la dernière action de Sayuri, l’été précédent, fut indirectement dévastatrice : elle avait initié une fausse rumeur sur Madoka, déclenchant une tempête qui brisa à jamais l’innocence et les sentiments ancrés dans les cœurs. Ainsi, Sayuri Hirose et ses doubles demeurant à travers tous les univers parallèles, détruisent tout ce qu’elles touchent. Même celle-ci, se tenant fièrement à sa place, distillait encore son venin sur Hikaru... Elle était si ressemblante en tout à la Hikaru qu’elle connaissait... Il fallait en avoir le cœur net…
– Hikaru, dans quelle ville as-tu habité après avoir quitté Tokyo ? lui demanda Madoka.
– Pourquoi lui poses-tu cette question, Ayukawa ? intervint Kenji, surpris.
– À Otaru, Madoka. À Otaru !... répondit la jeune fille.
À cette réponse, les yeux de Kenji s’écarquillèrent. Sa propre sœur avait-elle en fait fui discrètement la ville de Tokyo durant deux ans pour cet endroit si reculé du Japon ?
– Otaru ?... Tu... tu étais tout ce temps là-bas ? lui demanda son frère.
Mais Madoka entendit les mots suivants d’Hikaru, et fut pleinement convaincue :
– C’était il y a des semaines, quand tu es rentrée des États-Unis, se sentit-elle obligée de s’expliquer. Madoka, je suis désolée... Je…
La voix d’Hikaru toucha Madoka. Ce timbre doux et sensible qu’elle connaissait depuis tant d’année. Lorsque Hikaru partit brusquement pour s’installer à Otaru, elle n’avait appelé au téléphone que Kyosuke, pas elle. Maintenant, elle la retrouvait ici. C’était bien elle, « sa Hikaru », son amie de toujours, malgré les aléas de la vie qui malmène les destins, mais qui sait aussi rassembler les cœurs perdus.
Kenji et même Sayuri scrutaient Madoka avec une certaine incrédulité. Tous deux ignoraient tout d’un récent séjour aux Etats-Unis de sa part. Mais la jeune femme aux yeux émeraude se moquait de leur stupéfaction. Elle continuait à regarder tendrement Hikaru, qui, pour une raison inconnue, avait traversé tout le multivers pour se retrouver ici. Kyosuke, toujours endormi dans le container, devra s’expliquer, mais plus tard.
– Hikaru ! fit-elle de sourire et de joie. C’est bien toi !
– Madoka !... répondit son amie aux yeux azur. Merci d’être là !...
– Oui, je suis venue te chercher, toi... et Kasuga.
– Madoka, à ce propos de Kyosuke… ce n’est pas vraiment lui… hi hi…
– Mais vous allez arrêter, oui ? s’énerva Sayuri, se sentant complètement ignorée.
Madoka comprit enfin. Hikaru avait sans doute deviné qu’elle s’était retrouvée dans un univers parallèle. L’arrivée de Kyosuke dans cet univers avait sûrement provoqué un micmac infernal avec son alter-ego resté coincé dans sa bulle de téléportation. Madoka en déduisit donc que Kyosuke était retourné de force dans son univers d’origine avec la véritable sœur de Kenji, d’où cet échange interdimensionnel avec Hikaru, surprise de se retrouver soudainement à Tokyo, loin d’Otaru. Tout cela devenait de plus en plus compliqué.
Quoi qu’il en soit, Madoka et Hikaru restaient les deux seules personnes à avoir voyagé ici depuis un autre univers. La jeune femme à la chevelure bleu nuit songea à Manami, « sa Manami », qui devait être ailleurs, sans savoir si elle reviendrait un jour. La seule chance de rentrer pour elle et Hikaru résidait à présent dans le retour de Kyosuke dans cette dimension, ce qui ne devrait pas tarder, puisqu’il devait avoir compris les enjeux.
– Ayukawa, mais que se passe-t-il, enfin ? demanda Kenji. C’est quoi cette histoire de voyage récent aux USA ? Tu n’y es pas allée depuis des lustres, depuis ta courte visite chez tes parents là-bas, il y a un an et demi.
Madoka regarda Kenji avec désintérêt :
– Je te l’ai déjà dit : je ne suis pas ta Madoka Ayukawa.
– N... Nani ?!...
Une autre voix, sévère, s’éleva :
– Comment peux-tu dire cela, Madoka ? prononça Sayuri. Je t’observe depuis longtemps. Tu n’as jamais quitté la ville. Tu n’es jamais partie à l’étranger. Je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête, mais tu ne tromperas personne ici.
– Madoka ! Fais attention à Hirose ! Elle possède des...
Hikaru ne put terminer sa phrase. Un claquement de doigts de Sayuri ordonna au geôlier de remettre son bâillon à cette fille trop bavarde. Désormais, impuissante, Hikaru ne pouvait que hurler dans une étoffe déformant le moindre son.
– Enfin le silence, fit Sayuri d’une voix rassurée. Cette fille a une voix qui m’agace au plus haut point. C’est insupportable. Mais revenons à nos affaires. Raison pour laquelle je vous ai conviés, Kenji et toi, Madoka.
– Ayukawa, on reparlera de cette histoire américaine quand tout ceci sera terminé, fit Kenji à son amie, partagé entre le trouble au sujet du nouveau visage que lui montrait continuellement Madoka et son désir de libérer sa petite sœur, dont les paroles renforçaient son incrédulité.
– Comme je l’ai déjà dit, vous me devez allégeance… vous deux et toute votre bande, rappela Sayuri. Contre la liberté de Hikaru.
D’un air menaçant, Kenji commença à s’avancer vers la base du conteneur maritime sur lequel se tenait Sayuri, en clamant :
– Je ne sais pas d’où tu sors, mais je vais te...
Il ne put achever sa phrase. Derrière lui, Madoka lui asséna un coup puissant à la nuque. Le jeune homme s’effondra, surprenant toutes les personnes présentes.
– Eh bien, Madoka, je vois que tu sais toujours autant profiter de la moindre occasion, fit Sayuri. Si je comprends bien, tu as pris la décision de te rebeller contre ton chef ?
– Il n’est rien pour moi, déclara Madoka. C’est entre toi et moi, Sayuri.
À ces mots, la jeune fille en combinaison immaculée esquissa un sourire empreint de tristesse. En cet instant, elle semblait retrouver une Madoka qu’elle avait toujours connue, comme si les souvenirs enfouis dans les replis de sa mémoire resurgissaient soudainement. Il y avait cette époque lointaine où elles s’étaient croisées dans une ville d’une province éloignée, bien avant Tokyo. Madoka n’avait pas toujours résidé dans la grande demeure qui l’abritait désormais. Sayuri et elle s’étaient liées d’amitié dans les couloirs d’une école de cette ville, où la douleur du harcèlement scolaire avait tissé les fils de leur complicité naissante.
Malgré leur faible différence d’âge, elles partageaient la même ambition farouche de défier l’injustice qui régnait en maître dans cet établissement sans repères. Unies dans leur révolte, elles se préparaient en secret, s’entraînant inlassablement avec une détermination sans faille à toutes les formes de combat concevables. Animées par leur amour commun pour la musique, elles avaient choisi ensemble le médiator comme arme de prédilection, discrète et aisément dissimulable sous leurs vêtements durant les cours. Ensemble, tout en grandissant, elles devinrent une force indomptable, un duo formant un sukeban redoutable, semant la terreur parmi les tyrans de l’école, puis du collège, en les défiant un à un.
Leurs exploits les menèrent au-delà des murs de l’établissement scolaire, vers les quartiers environnants gangrenés par la violence, surtout une fois la nuit tombée. Dans l’obscurité, elles patrouillaient, à l’insu de leurs parents respectifs, traquant les bandes armées, telles des chasseuses de primes modernes. Leur réputation grandissait, et leur amitié se consolidait dans le sillage de leurs adversaires vaincus. Pour Sayuri, c’était une époque dorée, où les rêves de vengeance contre la sottise humaine prenaient forme, tant dans les ruelles sombres que dans les batailles nocturnes.
Mais les rêves, hélas, ne durent jamais éternellement. Le cœur de Madoka fut épris d’un jeune garçon de son âge rencontré par hasard au voisinage de la future demeure que ses parents s’apprêtaient à acquérir dans la capitale. Il s’agissait de Kenji Hiyama, le futur leader du gang motorisé qu’ils allaient tous deux constituer ensemble quelques années plus tard. Lorsque Sayuri eut connaissance du départ imminent de Madoka pour une nouvelle vie et de sa rencontre avec Kenji, ce fut pour elle un coup terrible. Elle réalisa qu’elle perdait son amie de toujours, dans tous les sens du terme. Le départ effectif de Madoka vers la capitale, imposé par ses parents, fut un déchirement pour Sayuri, d’autant plus que son amie n’y montra pas elle-même de signes de résistance. Ainsi, l’amitié laissa place à un étrange sentiment de trahison dans l’esprit de Sayuri. Les chemins se séparèrent.
Devenue une louve solitaire dans les rues de sa ville natale, Sayuri sillonna à travers un chemin pavé de rancunes et de revanches, concrétisant ses sombres sentiments en se montrant encore plus impitoyable avec ses ennemis. Elle se tint sporadiquement au courant de la nouvelle vie de Madoka dans sa grande ville. Mais en dépit du temps écoulé, le désir de vengeance contre celle qui l’avait abandonnée jadis, ne l’avait jamais quittée. Sayuri nourrissait également une rage particulière contre Kenji Hiyama, qui avait fortement influencé Madoka dans sa décision de ne pas rester.
Des années après, elle finit par apprendre que Madoka et Kenji furent confrontés à la disparition mystérieuse de Hikaru Hiyama, la sœur cadette de Kenji. Hikaru avait complètement disparu de la circulation, suite à sa fuite avec un mystérieux jeune homme, dont elle sut plus tard qu’il s’agissait de Kyosuke Kasuga. Sa dernière localisation connue était le pont de Yokohama.
Récemment, Sayuri décida de s’émanciper définitivement du foyer familial, quittant à son tour sa ville natale, partant à la conquête de Tokyo avec sa propre bande de motards à ses côtés. Le temps de la louve solitaire était révolu pour elle. Et quel meilleur moyen de vengeance que de conquérir l’empire de Kenji et de Madoka, sa fidèle amie d’autrefois ? Elle fit récemment poster un garde en civil aux abords du pont de Yokohama, jusqu’à ce que celui-ci l’alerte ce soir sur la réapparition du couple Hiyama/Kasuga. L’occasion était trop belle pour Sayuri, qui voyait là un moyen de pression imparable sur Madoka et Kenji. Il fallait agir vite.
– Oui, c’est entre nous deux, désormais, Madoka, confirma Sayuri d’une voix empreinte de mélancolie.
Elle avança d’un pas, frôlant le bord du conteneur.
Les jolis traits de Sayuri se déformèrent alors dans une colère sans précédent :
– Par ta faute, Madoka !! Tu m’as abandonnée, trahie !!
– Sayuri...
Madoka savait que quelque chose d’inhabituel s’était produit pour Sayuri. Il était évident qu’elle et son double dans cet univers, se connaissaient depuis des années, et que la vie avait dû causer les catastrophes que Sayuri avait décidé de faire s’abattre sur le groupe de Kenji par vengeance. Au fond d’elle-même, Madoka se rassurait en pensant qu’elle avait eu raison de ne jamais rejoindre ou former un sukeban, source de trop nombreux drames internes à terme. La solitude, avec l’autonomie qu’elle permettait, était bien la seule solution pour évoluer dans « l’univers de la nuit ». Elle avait pu également mettre un terme à ses activités à temps, sans rien ne devoir à personne.
Il n’était pas question que Sayuri soit en mesure d’agir à sa guise. Il fallait mettre un terme à cette spirale destructrice, touchant à des êtres chers, même s’ils n’appartenaient pas à son univers. Elle devait à présent continuer de jouer son rôle, celle de cette Madoka dont elle avait pris la place en arrivant dans ce monde.
– Un duel, Sayuri. C’est ça que tu veux ?... C’est la seule issue à nos différends. Tu le sais aussi bien que moi. Choisis ton arme.
Sayuri acquiesça, résignée. La confrontation semblait inévitable.
– Un duel... oui. Contre tout ce que tu as. Tu mises tout ! déclara la jeune femme aux cheveux d’or, avec fermeté.
– J’accepte.
Hikaru, bâillonnée, tenta de se faire entendre. Madoka ignorait les réelles capacités de Sayuri. Hikaru savait que Madoka ne s’était plus entraînée depuis des années à combattre avec ses médiators ou à mains nus. Sayuri était d’une trempe bien supérieure. C’était une machine impitoyable capable de tous les coups possibles. Ce duel était une folie que Madoka n’aurait jamais dû initier. Il aurait fallu simplement accepter l’échange.
– Si tu perds, tu quittes la ville pour de bon, toi et tes complices, énonça Madoka. Pas de retour en quête de vengeance.
– J’accepte. Mais si je gagne, tu perds tout, Madoka. Toi et les Hiyama.
– J’accepte.
Les mots d’Hikaru, étouffés par le bâillon, résonnaient dans le silence oppressant qui suivit. Sayuri désigna deux motos peintes en blanc, parfaitement identiques, stationnées non loin des conteneurs.
– Choisis celle que tu veux, Madoka. Nous aurons une minute pour nous préparer. Pas de casque. Aucune sortie du hangar possible. Tous les coups sont permis. Pas de limite de temps. La première à terre a perdu. Voilà les règles. Tu les acceptes ?
Madoka savait qu’elle n’avait que peu d’expérience en moto, mais sa maîtrise des médiators compenserait peut-être.
– J’accepte, dit-elle.
Son regard croisa alors celui d’Hikaru, empli d’une crainte palpable. Madoka comprit : Sayuri était une adversaire redoutable, prête à tout pour parvenir à ses fins. Elle regarda Kenji, qui gisait toujours à même le sol, plongé dans l’inconscience. À son réveil, nul doute qu’il ne serait guère enclin à la jovialité.
D’un bond acrobatique, Sayuri, quitta les abords du conteneur pour se poser avec une élégance déconcertante sur le sol dur. Un saut prodigieux, haut de près de trois mètres, qui ne manqua pas d’impressionner Madoka, sachant pertinemment que la Sayuri Hirose qu’elle avait connue dans son propre univers n’aurait jamais osé s’essayer à de telles prouesses.
Dans un silence pesant, Sayuri se dirigea vers la moto que Madoka n’avait pas choisie, s’installant sur le siège de la machine. Madoka l’imita. Les moteurs vrombirent à l’unisson. Une puissance indéniable se dégageait de chaque machine. Madoka constata que sa moto était parfaitement opérationnelle. Sayuri avait tenu sa promesse.
Toujours muettes, les deux jeunes femmes se préparèrent, les moteurs de leur destrier métallique respectif grondant de plus en plus forts. Leurs regards se fixèrent, la tension montant d’un cran. Le rugissement des cylindrées emplit tout l’espace du hangar. Nul besoin de donner le signal. Les deux motos s’élancèrent de concert, au début droit devant elles, vrombissant à pleins poumons. Dans quelques instants, il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Tétanisée, Hikaru s’affala sur ses genoux sur le toit du conteneur, emporté par le désespoir, témoin d’une confrontation pouvant tourner au désastre. À ses côtés, son garde muet, tenant la chaîne, scrutait les mouvements des motos qui venaient d’entrer en action.
Les deux machines se séparèrent au milieu du hangar. Arrivée au fond de la grande salle, Madoka posa un pied à terre, observant la scène, tout en laissant le moteur ronronner. Sayuri ralentit à son tour, prenant position à une distance respectable de son adversaire. Malgré l’espace qui les séparait, leurs regards se croisèrent, cherchant à déchiffrer les intentions de l’autre. Madoka devait se montrer imperturbable, ne laissant rien transparaître devant Sayuri. Une pensée pour Kyosuke traversa son esprit. Elle pria pour qu’il revienne au plus vite la chercher. Mais était-il déjà trop tard ?... Sayuri se délecta d’avance. Ce combat, c’était, au fond d’elle-même, ce qu’elle avait toujours voulu.
Le moment était venu. La minute de préparation était écoulée. Les moteurs rugirent avec une intensité redoublée. Les deux motos, se faisant face à distance, foncèrent l’une vers l’autre... À pleine vitesse !...
Un duel sans merci venait de débuter !...
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- tcv aime ceci
#458
Posté 09 juin 2024 - 12h01
- Jingo aime ceci
#459
Posté 17 juin 2024 - 23h42
« La Première Marche »
par CyberFred
Épisode 27 – Le sacrifice d'une mère
C’était anormal.
Revenu de sa frayeur initiée par les mots-clés prononcés par Takashi, Kyosuke dérivait, lui et Hikaru, au sein d’un firmament sibyllin. Tous deux étaient suspendus dans un vide abyssal, un espace qui n’avait ni sol, ni ciel, ni horizon, ni limites. Ils flottaient, comme en apesanteur, dans un royaume d’étrangeté pure, une interdimensionnalité aux contours imprécis et aux couleurs versatiles. C’était comme si la réalité elle-même avait été fracturée, chaque éclat scintillant et changeant, reflétant des visions qu’aucune logique humaine ne pouvait appréhender.
Autour d’eux, l’espace se déployait dans une myriade infinie de formes et de motifs, formant tout un kaléidoscope vivant de textures et de lumières. Des courants lumineux, semblables à des rivières de néon, serpentaient dans toutes les directions, entrelacés en une danse hypnotique. Ces courants pulsaient au rythme d’une énergie invisible, une force vitale qui semblait imprégner cet espace de sa présence vibrante. Parfois, ils s’entrechoquaient, créant des explosions silencieuses de couleurs qui s’étalaient en vagues et en spirales.
Des structures impossibles flottaient également, des formes géométriques à la fois familières et étrangement déformées, comme des polyèdres en perpétuelle mutation. Elles semblaient construites de matériaux translucides, émettant une lumière douce et iridescente qui changeait constamment de teinte. Parfois, ces structures se décomposaient en fragments brillants, avant de se réassembler en de nouvelles configurations, comme si l’architecture de cet espace était en perpétuelle création et destruction.
Au-delà de ces courants et de ces structures, des visions hallucinantes apparaissaient et disparaissaient à l’infini. Des éclats de paysages oniriques surgissaient comme des mirages : des forêts aux arbres luminescents dont les feuilles brillaient d’une lumière intérieure, des océans suspendus où des vagues liquides s’écoulaient lentement dans le vide, formant des cascades éphémères qui se dissipaient en brume scintillante… Et tant d’autres possibilités…. Ces visions étaient accompagnées de sons étranges et envoûtants, des mélodies lointaines éthérées et des murmures indéfinis qui semblaient surgir des profondeurs de cet espace multidimensionnel.
Kyosuke et Hikaru sentaient également une étrange pression autour d’eux, comme si tout cet espace était vivant, conscient de leur présence. Cette conscience diffuse les enveloppait, leur insufflant des sensations et des émotions qu’ils ne pouvaient définir. C’était une communication sans mots, une connexion directe avec l’essence même de cette interdimensionnalité. Ils pouvaient presque sentir les échos des autres univers, des réalités parallèles qui se frôlaient et se chevauchaient dans cet espace liminal, créant un tissu complexe aux possibilités infinies.
Les deux jeunes gens étaient à la fois prisonniers et explorateurs de ces lieux, telles des particules errantes au sein d’un océan de potentialités. Chaque instant passé dans cet espace interdimensionnel les imprégnait d’une compréhension plus profonde de la nature de la réalité, une réalité qui dépassait de loin les limites de leur imagination et de leur savoir.
Ainsi, dérivaient-ils au sein de ce royaume au-delà des mondes, leur esprit s’ouvrant peu à peu aux merveilles et aux mystères de cette dimension autre, où chaque vision constituait un fragment d’un puzzle cosmique, et chaque sensation un fil cousu dans la tapisserie infinie du Multivers. Ils ressentaient une étrange sérénité, une compréhension intuitive des mystères de cet espace. Ici, les limites de l’existence étaient floues, et tout semblait possible. Ils se savaient connectés à quelque chose de plus grand : une toile cosmique où chaque filament représentait une existence, une histoire, un univers entier.
La main d’Hikaru, dont on cherchait à lui faire regagner son monde d’origine par ce voyage interdimensionnel interrompu, était tenue fermement par celle du jeune homme qui flottait à ses côtés. Pour elle, tout cela pouvait évoquer une téléportation immobile initiée par son Kyosuke, qu’elle espérait retrouver bientôt. Mais toutes ces visions incroyables des alentours étaient situées au-delà de sa propre compréhension.
– Où… où est-on ? demanda la jeune fille. Que s’est-il passé ?... Pourquoi ne sommes-nous plus dans le salon ?...
Kyosuke regardait tout autour de lui, cherchant un repère, décryptant l’inconnu, déchiffrant l’impossible. Il était incapable de réfléchir à un moyen de s’échapper d’ici pour le moment.
– Nous tentons de rentrer chez toi, dans ton monde, expliqua-t-il seulement.
Les yeux de la jeune fille se chargèrent d’un espoir soudain.
– Tu… tu veux dire que je vais retrouver mon Kyosuke ?...
– Ce n’est pas si simple. Si nous parvenons dans ton monde, je vais normalement et temporairement échanger ma place avec lui. Ton Kyosuke devra alors revenir dans le mien.
– Comment ?!... s’étonna Hikaru. Mais, alors… il ne sera plus là que je rentrerai ?!...
– Juste le temps pour moi de ramener Ayukawa avec moi vers mon univers. Et tout se passera bien.
Hikaru, déjà agacée par la tension qui avait régné entre elle et Kyosuke dans le salon de Madoka, se sentit à nouveau contrariée par la situation. Néanmoins, elle comprit qu’il lui fallait faire preuve de patience pour que chaque pièce du puzzle s’assemble harmonieusement à la fin.
– Mais où sommes-nous, ici ? demanda-t-elle encore.
– Nous sommes dans une sorte de dimension intermédiaire d’entre les mondes, répondit Kyosuke.
– Mais… n’étions-nous pas supposés revenir instantanément dans le mien ?
– Oui, en effet, mais quelque chose nous retient ici. Nous ne parvenons plus à avancer. Nous avons été stoppés en pleine route pour une raison que j’ignore.
Hikaru plongea dans une certaine inquiétude. Allaient-ils tous deux rester prisonniers de cet endroit pour toujours ?... Son propre sort ne dépendait désormais que de ce double de son Kyosuke allait décider ou faire. Ce Kyosuke-là semblait ne pas avoir vraiment prise sur ces manifestations étonnantes qui formaient tout ce décor fantastique. C’eût été différent avec son Kyosuke. Au moment du départ depuis le salon, ce type avait été pris d’une crainte inexplicable, puis ils se sont instantanément retrouvés ici.
– Avoue que ceci n’est pas normal, fit Hikaru, qui commençait à moins supporter les visions incroyables que lui renvoyait inlassablement ce sous-espace.
Kyosuke songea à Kurumi et au déploiement incontrôlé du Pouvoir dont elle faisait montre, depuis que Madoka - enfin son double - était sous sa coupe. Même si elle n’était pas celle qu’il aimait, il devait faire quelque chose pour la tirer d’affaire, et parvenir en même temps à stopper la crise que manifestait dangereusement sa petite sœur. S’il ne parvenait pas à atteindre l’autre univers pour chercher du secours, nul ne savait quel destin allait subir son propre monde, ainsi que sa famille qu’il venait de quitter.
– Est-ce que tu sais comment repartir d’ici ? demanda Hikaru.
– Je ne sais pas, admit le jeune homme.
– Tu as bien le Pouvoir, toi aussi, n’est-ce pas ? C’est bien toi qui sais comment franchir ces dimensions ?
– Oui, mais, j’ignore pourquoi nous sommes bloqués ici.
– Nous voilà bien !...
Hikaru remarqua alors qu’elle tenait toujours la main de Kyosuke.
– Mais pourquoi devons-nous encore nous tenir la main ? émit-elle, quelque peu gênée par cette sorte d’intimité imprévue avec le double de son Kyosuke.
– Hikaru, il est impératif que nous nous tenions continuellement la main, car tu représentes un « compas » pour nous guider vers ton monde. Si je disparaissais soudainement sans nous tenir la main, tu resterais toute seule ici sans possibilité d’être secourue. De plus, tu vois que dérivons, actuellement… Si nous nous lâchions la main, on s’éloignerait l’un l’autre, sans possibilité de nous rejoindre.
La jeune fille admit qu’il y avait là du bon sens. Elle fit donc mauvaise fortune bon cœur.
Les deux jeunes gens flottaient toujours au sein d’un océan de couleurs aux intensités inimaginables, se mouvant en vagues hypnotiques, des teintes d’outremer fusionnant avec des nuances de pourpre, des verts émeraude éclatants se fondant dans l’éther. À leurs yeux, chaque couleur semblait avoir sa propre vie, sa propre intention, se mélangeant et se séparant dans une danse perpétuelle.
Des sphères lumineuses flottaient autour d’eux, grandes comme des planètes, mais d’une légèreté incroyable. Elles étaient faites de pure énergie, émettant des filaments de lumière qui ondulaient comme des cheveux sous l’eau. En dérivant vers ces manifestations ne pouvant être tangibles, Kyosuke pouvait percevoir en elles des scènes d’autres mondes, des fragments de réalités parallèles. Certaines montraient des paysages étranges peuplés de créatures fantastiques, d’autres des cités brillantes faites de lumière pure. Chaque sphère représentait une réalité alternative, un aperçu d’un autre univers.
– Je crois que nous ne devons pas nous en approcher, fit Kyosuke avec méfiance. Car ces mondes ne peuvent pas nous accueillir.
– Et quand bien même ? fit Hikaru. Nous pourrions-nous pas faire une pause ?
– C’est ton propre monde que nous devons atteindre, et nul l’un d’eux.
– Mais comment as-tu fait pour parvenir jusqu’ici ?
– Mon père a prononcé des mots particuliers qui ont permis ce voyage.
– Des mots ?...
– Oui, juste avant de partir.
– Lesquels ?
– Je ne sais plus. On m’a hypnotisé pour que je ne puisse pas les retenir si on me les prononçait.
Hikaru tenta de se remémorer ce qui avait été dit par le père de Kyosuke juste avant qu’elle et lui ne s’évanouissent du salon. Elle se souvint que des mots avaient été prononcés, mais ils étaient étranges.
– Oui, ton père a dit quelque chose de rapide… Des mots en anglais… mais je n’arrive pas à m’en souvenir. Tout est allé trop vite. Mais si j’arrivais à m’en rappeler, est-ce que cela pourrait nous permettre de repartir d’ici ?
– Je ne sais pas, fit Kyosuke, hésitant. Normalement, il faut que cela soit prononcé dans un monde tangible, et non ici. J’ignore complètement ce qui se passerait si j’entendais ces mots en de tels lieux. Tu comprends pourquoi je ne souhaite pas aller vers ces mondes ? Sans connaître ces mots-clés, il ne faut surtout pas nous retrouver sur l’un d’eux, au risque de ne plus jamais en repartir.
– Je… je comprends, fit Hikaru calmement. C’est clair.
Flottant inlassablement au cœur de toute cette immensité hallucinante, Kyosuke sentit son esprit vaciller petit à petit sous la surcharge sensorielle. Hikaru le ressentait aussi. Ces effets n’étaient pas trop intenses pour le moment, mais viendrait le moment où même s’ils se forçaient tous deux à fermer les yeux, leur esprit ne pourrait éviter les effets hypnotiques de ces lieux pouvant traverser tous ses sens.
Kyosuke tenta d’utiliser son pouvoir télékinésique pour avancer devant lui, mais ce fut peine perdue car leur progression restait assez lente. Même une téléportation ne parvint pas à faire avancer plus vite.
– Mais qu’est-ce que tu essaies de faire ? demanda Hikaru intriguée.
– C’est peine perdue, laissa tomber son compagnon de voyage, la lassitude se lisant sur son visage.
Soudainement, un tourbillon s’ouvrit non loin d’eux, déchirant le tissu-même de cet espace étrange. C’était comme un portail, pulsant et doté d’une force irrésistible, une spirale de lumière et d’énergie tourbillonnant, projetant des éclats scintillants dans toutes les directions. La force d’attraction qui en émanait était palpable, tel un vent cosmique aspirant tout sur son passage.
Kyosuke et Hikaru sentirent immédiatement la puissance du vortex, une force implacable qui cherchait à les engloutir. Instinctivement, Kyosuke activa son Pouvoir, cherchant à créer une barrière télékinésique autour de lui et Hikaru, ce qui permit de résister plus ou moins à la force d’attraction, mais pas de s’en éloigner. Cependant, la jeune fille, qui tenait la main de Kyosuke, était la plus proche du danger.
– Hikaru, tiens bon ! cria Kyosuke, sa voix résonnant comme un écho étouffé dans l’immensité interdimensionnelle.
Surprise et effrayée, la jeune fille s’accrochait désespérément à Kyosuke, ses doigts serrant sa main de toutes ses forces. Attirées, ses deux jambes pointaient déjà en direction du centre du vortex. Ses yeux reflétaient une panique croissante, sa respiration rapide et saccadée trahissant sa terreur. Elle pouvait sentir la puissance implacable du portail tirer sur elle, une force qui semblait vouloir la déchirer de son ancrage représenté par la seule main du jeune homme.
– Ky… Kyosuke, je n’y arriverai pas ! hurla-t-elle, sa voix tremblante d’émotion.
Le regard du jeune homme porta vers l’intérieur du tourbillon de plus en plus proche. À travers la spirale de lumière et d’énergie, il distingua des images familières. C’était son propre monde, son univers d’origine, qui le rappelait à lui.
Il comprit alors ce qui était en train de se passer. Le Pouvoir de Kurumi était devenu tellement puissant qu’il commençait à émaner au-delà même de la dimension tangible de la réalité. Kurumi continuait à pulser quelque chose de plus en plus immense, se manifestant comme un puissant attracteur cherchant à se frayer un chemin vers la source-même du Pouvoir, quitte à replier l’espace-temps tout autour d’elle. La Terre entière n’était pas touchée, mais seulement le quartier autour de la résidence des Ayukawa. Cette « bulle » grossissait petit à petit malgré tout, progressant sans détruire, mais inondant tout l’espace de vibrations subtiles pouvant se montrer dangereuses si on laissait faire les choses. C’était ce que sa propre mère avait évité de justesse le jour de la naissance de Kurumi, mais au prix de sa propre vie.
Tout semblait inciter Kyosuke à lâcher prise, à se laisser emporter par cette force implacable. Pourtant, cela lui était interdit car il devait rejoindre le monde où était Madoka, qui était seule et sans possibilité de revenir chez elle. Kyosuke savait qu’il ne pouvait pas non plus abandonner Hikaru, et qu’il ne pouvait pas revenir vers son propre monde, car cela serait la fin de tout. Il lui serait alors impossible d’en repartir.
– Non ! rugit-il à la vue du tourbillon se rapprochant de plus en plus vite, concentrant toute son énergie pour résister à l’attraction.
– Je ne te laisserai pas partir ! hurla-t-il à la jeune fille.
Mais Hikaru, épuisée par l’effort et la peur, sentait ses forces l’abandonner. Ses doigts glissèrent lentement, son emprise se desserrant malgré elle, malgré tous les efforts de la part de Kyosuke pour garder prise. Ses yeux se remplirent de larmes alors qu’elle sentait l’inévitable se produire.
– Kyosuke...
Et puis, ce fut fini. Sa main glissa de celle du jeune homme, et elle fut aspirée violemment dans le portail. Elle hurla, son corps disparaissant dans la spirale de lumière et d’énergie. Hurlant également, Kyosuke tendit la main dans un dernier geste désespéré pour rattraper une main toujours tendue vers lui, mais il était déjà trop tard. Hikaru était partie, définitivement emportée à travers ce portail.
Alors que Kyosuke allait se faire aspirer à son tour, le tourbillon commença étrangement à se refermer, ses bords se recroquevillant jusqu’à disparaître complètement, laissant le jeune homme dans un silence assourdissant.
Abasourdi, Kyosuke resta là, flottant seul dans l’immensité interdimensionnelle, un sentiment d’impuissance envahissant son âme. Il voulut se rassurer en supposant que Hikaru était revenue au point de départ, qu’elle était sauve, dans le salon des Ayukawa, et que son père devait être à ses côtés pour la rassurer.
Pourquoi le portail, ayant emporté Hikaru, s’était-il refermé, alors qu’il était censé se maintenir et même progresser ? L’énergie incontrôlée de Kurumi, tentant de percer à travers le sous-espace, avait-elle fait une pause, avant de revenir plus tard ?... Ou bien le retour inattendu de Hikaru avait-il empêché cette énergie de retrouver toute trace de Kyosuke ?... Tout était possible.
Kyosuke s’interrogea sur la suite de son propre voyage. Sans Hikaru pour la guider vers le monde où résidait actuellement Madoka, il était désormais impossible de pouvoir s’orienter. Il demeurait isolé, perdu entre les dimensions, dans un espace où le temps et la réalité semblaient toujours se confondre et se dissoudre.
Épuisé et désorienté par la pression des lieux qui inondaient de plus en plus son esprit d’images et de sons franchissant ses sens de manière incessante, Kyosuke commença à désespérer. Même sans portail aspirant, il lui serait bientôt impossible de tenir en ces lieux. Tout semblait se resserrer de plus en plus autour de lui, créant en lui une sensation d’oppression étouffante. Allait-il devenir fou ?... Son esprit résisterait-il encore longtemps aux visions hallucinantes des coulisses du Multivers ?... Il était à présent inutile de fermer les yeux sans ressentir un vertige. Kyosuke préféra les laisser ouverts, mais pour combien de temps encore ?... Il songea à ses proches, à sa famille qui voyait en lui l’espoir de sortir d’une crise gravissime. Il songea à Madoka, qui désirait et priait ardemment son retour.
« Kyosuke… »
Une voix… ?
« Kyosuke… »
Kyosuke entendit résonner autour de lui une voix douce et apaisante. La voix d’une femme.
– Où êtes-vous ? demanda Kyosuke.
Au début, il crut à une hallucination, un autre tour de l’esprit qui vacillait sous la pression de cet endroit inconcevable. Mais la voix persistait, claire et insistante. Il se retourna lentement, cherchant la source de cet appel.
Devant lui, dans un éclat de lumière douce et chaleureuse, apparut le visage d’une jeune femme. Une projection venue d’ailleurs, et non de ces lieux. Comment était-ce possible ?... Les traits de la femme étaient empreints de douceur et de familiarité. Elle souriait à Kyosuke avec une tendresse infinie. Le jeune homme sentit son cœur s’arrêter un instant, incapable de croire ce qu’il voyait.
– Maman... ? reconnut-il, la voix murmurante et tremblant d’émotion.
La femme hocha doucement la tête, ses yeux brillant d’une joie apparente.
Il s’agissait bien d’Akemi Kasuga, sa mère, telle qu’il l’avait vue dans les albums-photos. Elle était bien celle de son propre monde, et non l’alter-ego issu d’un autre univers parallèle venu se projeter ici par hasard. Le visage de la mère de Kyosuke était apparu devant lui avec une clarté qui défiait les années de séparation. Elle avait les cheveux courts et marron clair, coupés en une coiffure élégante qui encadrait parfaitement son visage délicat. Ses mèches brunes semblaient danser doucement autour de son visage, captant la lumière iridescente de cet espace interdimensionnel, et la reflétant en nuances chaudes et réconfortantes.
Ses yeux, d’un violet profond et envoûtant, étaient la première chose que Kyosuke remarqua. Ces yeux, si uniques et mémorables, brillaient d’une intelligence vive et d’une tendresse infinie. Ils semblaient contenir une myriade de souvenirs et d’émotions, chaque clignement de ses yeux semblant porter une promesse de protection et d’amour inconditionnel. Les pupilles dilatées, les iris violets renvoyaient des reflets lumineux, créant une aura mystique tout autour d’elle.
Le sourire d’Akemi était radieux, illuminant tout son visage d’une chaleur bienveillante. Ses lèvres pleines et rosées s’étiraient en un sourire qui dégageait à la fois douceur et force, une expression qui parlait de joie profonde et de détermination indéfectible. Ce sourire était la source de réconfort que Kyosuke avait tant de fois cherché dans ses lointains souvenirs d’enfant. Chaque fois qu’il le revoyait, même en photo, il se sentait immédiatement transporté dans un endroit sûr et aimé.
Les joues d’Akemi étaient légèrement rosées, donnant à son visage une apparence de jeunesse et de vitalité. Elle avait une peau douce et claire, marquée par un petit grain de beauté, qui ajoutait un charme innocent à son visage. Ses traits étaient fins et gracieux, avec un nez délicatement sculpté et des pommettes hautes qui soulignaient encore davantage son sourire éclatant. Ses sourcils étaient finement dessinés, s’arquaient légèrement, ajoutant une expression constante de curiosité et de compassion à son regard.
Pour Kyosuke, redécouvrir ce visage après tant d’années était une expérience bouleversante. Il se souvenait de chaque détail avec une précision émotive, chaque caractéristique ravivant des souvenirs enfouis de tendres moments partagés. La vue de sa mère, bien plus impressionnante qu’en photo, avec ses cheveux courts marron, ses yeux violets enchanteurs et son sourire radieux, était comme un baume pour son âme tourmentée. C’était une vision qui lui apportait à la fois réconfort et une douleur douce-amère, lui rappelant l’amour perdu, mais jamais oublié.
– Oui, Kyosuke, c’est bien moi, ta maman. Ma voix provient du passé, d’il y a longtemps pour toi. Tu as tant grandi !
Kyosuke était stupéfait. Comment était-ce possible ? Comment sa mère, disparue depuis longtemps, pouvait-elle lui parler à travers les dimensions et le temps ?
– Mon esprit se projette à travers les dimensions, poursuivit-elle. Alors que ta petite sœur, Kurumi, vient de naître.
– Kurumi… Oh grand ciel !…
Akemi était en train de communiquer avec son fils, au moment où un terrible drame allait se produire pour elle de manière imminente. Quand Kyosuke fut en âge de comprendre, son père, Takashi, lui avait raconté que dès le début de la crise qu’avait manifesté Kurumi à sa naissance, sa mère avait immédiatement téléporté de force tout le monde à l’extérieur de la clinique, dont les fondations avaient commencé à vibrer dangereusement : lui (âgé de deux ans), son père Takashi, Manami (qui venait de naître ce jour-là, peu avant Kurumi), ainsi que les patients et tout le personnel médical. Il était impossible pour Akemi de se téléporter elle-même, du fait que Kurumi mettait involontairement des barrières de Pouvoir partout, tout autour d’elle. Mais il n’était pas question pour Akemi de laisser Kurumi toute seule. Elle était restée avec elle… jusqu’au bout.
– J’ai hélas peu de temps, mon enfant, reprit Akemi. Ta petite sœur, qui vient de naître, manifeste un pouvoir devenu incontrôlable. Elle n’est en rien fautive. En résonance aux vibrations de plus en plus intenses qu’elle projette, j’ai vu dans le futur que tu te retrouverais ici, perdu entre les sphères dimensionnelles, confronté à une crise similaire avec Kurumi.
– Maman…
La voix d’Akemi était douce mais ferme, emplie de l’autorité d’une mère protectrice :
– Je suis ici pour t’aider, Kyosuke, mais je ne puis atteindre ta sœur de ton temps présent pour la guérir de sa colère. Mais avant de te contacter, j’ai pu refermer provisoirement le portail qui cherchait à te faire revenir à elle.
– C’était donc toi ! souffla le jeune homme. Et Hikaru ?...
– Je suis hélas arrivée trop tard pour empêcher ce que tu as vu, mais ton amie Hikaru est retournée d’où vous êtes partis. Rassure-toi, elle va bien. Cependant, je ne pourrai pas longtemps contenir les spasmes de Pouvoir que ta sœur commence à disséminer à travers les Sphères. Ce portail aspirant pourrait se reformer, et revenir te chercher si tu restes trop longtemps là où tu es. Je vais donc te donner une partie de mon pouvoir pour que tu puisses poursuivre ton voyage vers la dimension que tu cherches à atteindre.
– Comment vas-tu faire ? Sais-tu comment t’y prendre ?...
– Sache que tu as hérité de mon don du voyage interdimensionnel, don que je n’ai jamais souhaité utiliser moi-même, sauf aujourd’hui. Ce pouvoir concerne aussi ta sœur Manami, d’une certaine manière. Mais ne t’inquiète pas pour elle, elle va bien aussi, et sillonne vers son destin. Je sais qu’en mon absence, tu as découvert ce don par accident, mais que tu ne contrôles pas encore très bien. Mais j’ai confiance en toi : tu parviendras à le maîtriser un jour, comme je l’ai fait autrefois.
– Maman…
Akemi coupa son fils à regret, car son temps à elle lui était de plus en plus compté pour les explications urgentes :
– Kyosuke, quand tu atteindras le monde que tu recherches, tu devras trouver le moyen d’apaiser la crise qui frappe Kurumi, en cherchant toute l’aide que tu parviendras à trouver. Il y a espoir ! L’autre partie de mon pouvoir, je vais l’offrir à Kurumi, qui vient de naître, pour qu’elle puisse maîtriser et canaliser son pouvoir pour les années à venir.
Kyosuke secoua la tête, la panique et la douleur se mêlant dans tout son esprit chamboulé.
– Maman ! Non, non, je ne peux pas accepter ça ! Donne ton pouvoir à Kurumi, mais gardes-en en toi, s’il te plait ! Tu en as plus besoin que moi ! Je peux trouver une autre solution. Tu peux être sauvée !
Akemi sourit, une expression de fierté et de tristesse se dessinant sur son visage :
– Mon petit Kyosuke, je suis si fière de toi. Mais tel est mon devoir. Je connais ma destinée. Elle ne peut pas changer. Je lis ton esprit. Je sais la peine que tu as subie autrefois par mon absence, alors que tu étais si jeune. Mais je suis déjà comblée par la belle vie que tu as menée, toi, tes sœurs et papa. Je vous sauverai tous, ce sera ma plus grande satisfaction.
– Maman…
– Kyosuke, je dois assurer non seulement le présent et le futur de Kurumi, qui vient de naître, mais aussi tout votre futur. Savoir que Madoka fait partie de ta vie et que tu cherches aussi à la secourir, me remplit de joie. Elle t’aime et te soutient. Continue à la protéger et à l’aimer, comme tu le fais si bien. C’est une raison de plus pour que je t’aide maintenant et plus que jamais. Je peux le faire, quoi qu’il arrive. Je ne vois pas l’avenir au-delà de ton temps présent, mais mes prières vont vers toi, tes sœurs, papa, tes cousins, et tous ceux que tu aimes.
Kyosuke hocha la tête, sa gorge nouée par l’émotion. Les larmes commençaient à couler sur ses joues.
– Maman, si tu nous donnes tout ton pouvoir, tu... tu pourrais… insista Kyosuke.
Les yeux brillants de sa mère répondirent avec tendresse et une détermination inébranlable.
– Mais mon amour pour vous est plus fort que tout, dit-elle doucement. Je veux que vous viviez toujours heureux.
Akemi clôt alors ses yeux et eut un moment de concentration. Kyosuke sentit alors une énergie immense le traverser, réchauffant son corps et son esprit. Le Pouvoir donné n’a pas de frontières. Une sorte d’aura semblait l’entourer, les visions se clarifiant un instant, repoussant les troubles subis jusqu’alors.
Les larmes de Kyosuke coulèrent inlassablement sur ses joues, alors qu’il contemplait le visage rayonnant de sa mère, qui rouvrit les yeux. La clarté retrouvée de l’esprit du jeune homme permit aux souvenirs d’enfance, parfois effacés par le sillage du temps, d’affluer. Il se rappela alors des moments de bonheur et de sécurité avec sa mère. Bien qu’apparue ici comme une vision devant lui, elle semblait à présent étrangement réelle dans son esprit.
– Maman... murmura-t-il, sa voix brisée par l’émotion en contemplant sa mère lui sourire doucement.
Pour Kyosuke, c’était comme s’il était de nouveau un enfant, cherchant réconfort dans la présence rassurante de sa mère.
– Maman, je... je ne veux pas te perdre ! dit-il d’une voix tremblante. Il y a tant de choses que je veux te dire, tant de choses que je veux partager avec toi…
Akemi hocha doucement la tête, son sourire se faisant plus triste, mais toujours aussi tendre.
– Je sais, mon chéri. Mon cœur se serre très fort, mais j’éprouve une immense gratitude de pouvoir te dire au revoir, toi que je peux atteindre, te voir et te parler dans le futur. Sache que je serai toujours avec toi, dans ton cœur. Chaque décision que tu prends, chaque pas que tu fais, je serai là, veillant sur toi.
Les larmes de Kyosuke coulèrent plus que jamais.
– Je t’aime, maman ! hurla Kyosuke. Merci… merci pour tout ce que tu as fait pour nous !...
– Je t’aime aussi, mon enfant. Je t’embrasse tendrement. J’embrasse aussi tes sœurs et papa.
– Maman !...
– Adieu, mon Kyosuke, murmura-t-elle, sa voix se fondant dans l’immensité interdimensionnelle. N’oublie jamais que je suis toujours avec toi dans chaque battement de ton cœur…
L’aura d’Akemi s’éteignit doucement, et son visage disparut dans le firmament.
Kyosuke ressentit une émotion immense traverser son esprit.
– Maman !! cria-t-il une dernière fois, sa voix se perdant dans l’infini. Maman !... Reviens !...
La douleur de la séparation était déchirante. Kyosuke, brisé par ce dernier adieu maternel, sentait pourtant une nouvelle force émerger en lui, comme si l’amour et le pouvoir de sa mère le guidaient désormais. Elle était partie pour toujours, laissant derrière elle une sensation de paix et de réconfort dans le cœur de son fils. Les yeux embués de larmes, Kyosuke savait qu’il devait poursuivre sa route. Le sacrifice de sa mère ne serait pas vain. Grâce à elle, il trouverait un moyen de sauver Kurumi. Il devait être plus fort que jamais. Le cœur lourd mais résolu, Kyosuke se lança à nouveau dans l’inconnu, désormais guidé par un cap précis, portant en lui l’amour éternel de sa mère.
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